Abstracts
Résumé
Cet article aborde l’analyse comparée des sociétés à partir de la génération intellectuelle et du rapport au politique, produisant des parcours parallèles chez des intellectuels connaissant vivant dans des contextes sociopolitiques similaires, consécutifs à la crise économique de 1929 et à la naissance de mouvements de jeunesse. Notre analyse de segments des sociétés française et canadienne-française des années trente s’appuie sur deux groupes d’intellectuels gravitant autour de revues personnalistes : l’équipe montréalaise de La Relève et les collaborateurs français d’Esprit et d’Ordre nouveau, réunis dans cet article au sein d’une même génération non-conformiste.
Abstract
This article examines the comparative analysis of societies beginning with the intellectual generation and the relationship with the political sphere, which produced parallel paths among intellectuals in similar sociopolitical contexts, following the economic crash of 1929 and the birth of youth movements. Our analysis of segments of French and French-Canadian society in the 1930s focuses on two groups of intellectuals gravitating around personalistic magazines : the Montreal team of La Relève and the French collaborators of Esprit and of Ordre nouveau, brought together within this article in a single non-conformist generation.
Article body
L’analyse comparée des sociétés adopte généralement un angle soit macro soit micro-sociologique. Le premier s’attache aux structures sociales : démographiques, socioéconomiques, etc. Il produit des recherches comparant par exemple les systèmes scolaires de différents pays, les stratégies politiques vis-à-vis du chômage, les taux de nuptialité et de fécondité... Le second porte sur des milieux plus spécifiques et concentre son analyse sur les pratiques des acteurs : leurs comportements, leurs modes d’inscription dans des réseaux, etc. L’historien Michel Espagne (1994) propose une approche complémentaire. Il constate en effet que le comparatisme, en se focalisant sur les ressemblances et les différences entre deux entités « historiques », pétrifie les oppositions et par conséquent, renforce les clivages nationaux ; l’idée de nation s’impose alors de façon quasi incontournable. Pour Espagne, le comparatisme doit permettre sa propre remise en question. Ses travaux sur la France et l’Allemagne des dix-huitième et dix-neuvième siècles s’appuient notamment sur l’étude des groupes de médiateurs, par exemple des groupes professionnels (artisans, médecins) d’origine allemande, mais implantés en France. Nous adoptons ici cette perspective en recherchant ce que les fondateurs de la revue La Relève, en l’occurrence, ont puisé dans les périodiques de la nébuleuse « non-conformiste » européenne des années trente. Celle-ci renvoie à un groupe de jeunes intellectuels contestataires, Français pour la plupart, sur lequel nous reviendrons plus loin. Ainsi, notre méthode comparative se concentre sur « l’étranger » dans l’espace canadien-français, et s’attarde à « l’autre » chez « soi ». Mais l’analyse comparée, transposée au cas particulier des intellectuels, trouve aussi sa légitimité dans les transferts culturels. Dans l’ouvrage collectif Pour une histoire comparée des intellectuels, Michel Trebitsch explique pourquoi : « Dans la mesure où les intellectuels sont peut-être les agents les plus actifs des transferts culturels internationaux, l’histoire des intellectuels devrait particulièrement bien se prêter au comparatisme, qui n’est pas seulement un outil scientifique, mais un moyen d’accès aux modes de fonctionnement et de définition des intellectuels. » (Trebitsch, 1998, p. 63.) Les deux milieux intellectuels constituant l’objet de notre analyse apportent leur contribution à la construction des échanges transatlantiques unissant la province de Québec à la France au cours des années trente. Pour ne pas faire d’anachronisme, nous parlerons plutôt du Canada français. La Relève naît à Montréal sous l’impulsion de jeunes philosophes et de poètes avides de littératures étrangères, surtout européenne. La vie de l’esprit au Canada français leur semble au bord de l’asphyxie. Ils puisent sur le Vieux Continent les ressources intellectuelles nécessaires pour nourrir leur projet éditorial. Nous associons, d’autre part, la génération non-conformiste à l’Europe, même si ceux qui la composent sont majoritairement Français, car dans l’ensemble, ils défendent le fédéralisme européen. Les fondateurs de La Relève sont tournés vers un continent, riche de promesses spirituelles, que viennent nourrir les intellectuels non-conformistes des années trente.
1. Pour une analyse comparée : la génération et le rapport au politique
Nous allons comparer deux groupes d’intellectuels : celui des fondateurs et premiers collaborateurs de La Relève et celui des intellectuels non-conformistes appartenant aux revues Esprit et Ordre nouveau. Les revues sont les dénominateurs communs des deux groupes étudiés. Le fonctionnement des comités de rédaction des périodiques faisant l’objet de notre analyse montre une constante dans le travail de l’intellectuel : le lien avec le politique. Nous insistons ici sur le politique, car il s’agit d’un rapport, partisan ou non, de l’intellectuel à ce champ. Ce rapport s’exprime de diverses manières : par la signature de pétitions, le lancement d’appels dans la presse écrite, l’engagement dans un parti... Mais nous pouvons également observer une absence d’intégration au champ politique. Les clercs s’expriment alors dans les champs éthique, religieux ou artistique, qui font également partie de l’espace public. La période étudiée couvre les années 1930 à 1936. Elle correspond à la naissance, puis à l’apogée du discours non-conformiste, annonçant son déclin. Les deux dernières années de la période coïncident avec les débuts de La Relève. Notre démonstration s’appuie sur l’analyse de la génération intellectuelle et du rapport des intellectuels à l’activité politique, qui vont permettre la mise en parallèle des parcours des non-conformistes français avec ceux des fondateurs de La Relève, durant les années trente.
La génération
La génération intellectuelle comprend deux éléments : l’âge et l’événement fondateur de la conscience politique. Le premier correspond à l’année de naissance. S’il est difficile de contester que la génération se construit à partir du critère chronologique, nous choisissons plutôt la formation de la conscience politique comme base de définition. Celle-ci renvoie à un processus d’éveil vis-à-vis des débats animant l’espace public, apparaissant au début de l’âge adulte. La naissance de la conscience politique est souvent précédée d’un événement fondateur qui fédère une classe d’âge autour d’une même lecture de la situation. Cependant, la génération intellectuelle ne désigne pas l’ensemble d’une classe d’âge, car l’événement fondateur n’est significatif que pour une partie de celle-ci. Nous parlerons alors de rameau ou de groupe concret, généralement repérable à travers une figure charismatique ou encore une revue.
Le rapport au politique
Le rapport avec l’activité politique, est établi en fonction de quatre types idéaux d’intellectuels (critique, moral, partisan et spécifique) rassemblés pour former une typologie (tableau 1). Selon la définition de Max Weber, un idéaltype résulte de la concentration d’une « multitude de phénomènes » ordonnés pour former un « tableau de pensée ». Weber le présente comme un « concept limite » qui ne renvoie ni à la « réalité historique », ni à la « réalité authentique » (Weber, cité par Schnapper, 1999, p. 15-16). L’idéaltype constitue une image sociologique permettant la comparaison avec la réalité sociale (les données d’enquête).
La première dimension, celle de l’accessibilité du champ politique, renvoie à la possibilité pour l’intellectuel de se positionner publiquement par rapport aux institutions politiques. La deuxième dimension, celle dite de la totalisation du politique, renvoie à l’idée de nation politique. Dans le premier cas, la totalisation nationale, les intellectuels situent leur intervention dans le débat public par rapport à leur nation de référence. La seconde catégorie de cette dimension, la totalisation mondiale, renvoie à une référence supranationale : les intellectuels interviennent pour le compte d’une opinion publique internationale pour y défendre un sujet universel, que peut incarner un groupe aussi bien qu’un individu. Le croisement de ces dimensions permet de définir chacun des idéaltypes de la manière suivante. L’intellectuel critique manifeste une volonté de changement social radical, voire révolutionnaire, dont l’expression publique emprunte des canaux autres que politiques, soient éthiques ou artistiques. L’intellectuel moral se caractérise par la défense de valeurs universelles (justice, liberté, égalité...), que ce soit sous la forme de textes publiés dans la presse, de pétitions ou de réunions publiques dans le but de dénoncer la dégradation de ces valeurs. Il peut connaître des entraves à sa liberté d’expression, par exemple en cas de guerre, ce qui explique la relative ouverture/ fermeture du champ politique en ce qui le concerne. Dans le prolongement de l’intellectuel moral, l’intellectuel spécifique mobilise l’opinion publique internationale pour défendre les droits de l’homme (les valeurs universelles) chez une minorité. Enfin l’intellectuel partisan appuie publiquement un parti ou une famille politique au sein d’un champ politique totalement ouvert.
2. Les années trente et la naissance du groupe des intellectuels non-conformistes
Les années trente sont le théâtre d’événements tragiques en Europe. Pourtant de nombreux analystes de la fin des années vingt prédisaient le retour durable de la prospérité économique et de la stabilité politique, le traité de Locarno et la Société des Nations garantissant un état de paix sur le continent européen. La grande dépression économique qui frappe les États-Unis en 1929 ne s’y fait sentir qu’à partir de 1931. La France montre toutefois les premiers symptômes de ralentissement à la fin de 1930 : sur un trimestre, le nombre de chômeurs fait plus que tripler (Dubief, 1976, p. 19). Le fascisme y prend de l’ampleur, à la suite de ce qui se passe dans plusieurs pays d’Europe (Hitler arrive à la Chancellerie allemande en février 1933, la même année Salazar gouverne au Portugal). La nébuleuse d’extrême droite française se manifeste violemment le 6 février 1934 lorsque certains groupes fascistes tentent d’investir le Parlement. L’opération échoue en raison du retrait des « Croix de Feu », ligue d’extrême droite puissante, mais opposée à l’insurrection.
Les intellectuels dont il est question ici appartiennent au mouvement de critique radicale touchant une fraction de la jeunesse française, mouvement qualifié par les historiens et sociologues d’« esprit des années trente », bien qu’il débute dès la fin des années vingt. Il ne s’agit pas d’une contestation généralisée, contrairement à celle qui, dans les années soixante, gagnera la jeunesse de plusieurs pays occidentaux (rejet de la guerre du Vietnam aux États-Unis, « Mai 68 » en France...). Il n’en demeure pas moins que l’acte de naissance du conflit de génération de place publique est établi, en France, à partir de l’entre-deux-guerres (Prost, 1987). De tout temps, les jeunes adultes se sont opposés à leurs aînés, mais « l’encadrement de jeunes par d’autres jeunes » lance le mouvement de jeunesse. Celui-ci, en tant que groupe organisé, se fait entendre au sein de l’opinion publique. Les contestataires des années trente, appelés également non-conformistes, qui font l’objet de notre étude, appartiennent à un groupe social spécifique : ce sont des étudiants, issus majoritairement des branches littéraire et philosophique et des sciences humaines. Ils se trouvent donc en position d’infériorité numérique au sein de leur classe d’âge, mais la force de leurs idées a marqué leurs contemporains et la postérité.
[…] la jeunesse étudiante n’est pas toute la jeunesse : il faut compter avec les masses paysannes et ouvrières. Qu’est-ce que 80 000 étudiants, quand chaque classe d’âge voit arriver à la jeunesse environ 600 000 individus ? […] Sans doute minoritaires, à l’intérieur d’un groupe étudiant lui-même très minoritaire, les contestataires sont peut-être le grain de sel qui donne à l’époque sa saveur, mais ils ne sont guère plus.
Prost, 1987, p. 41.
Une effervescence autour des revues
Les intellectuels non-conformistes participent peu aux organes de presse existants, ceux-ci ne rejoignant pas leur volonté de changement. Pour pouvoir exprimer librement leur vision du monde, ils créent de nouvelles revues, ainsi que l’explique Emmanuel Mounier : « Il y avait des choses à penser qu’on ne pouvait écrire nulle part […] à nous autres pianistes de vingt ans, il manque un piano » (Winock, 1975, p. 16). Leurs revues, nombreuses, seront toutes éphémères, à l’exception d’Esprit. Ce sont par exemple La Revue française, Ordre nouveau, Plans, X Crise… Celles-ci n’affichent pas de rivalité entre elles. D’un comité de rédaction à l’autre, les mêmes collaborateurs reviennent et les mêmes thèmes se reconnaissent dans chacune d’elles : « révolution », « faillite du matérialisme », « personnalisme » (Winock, 1975). Pendant quelques années, de 1930 à 1936 environ, une sorte de consensus apolitique s’organise au sein de ces périodiques.
La génération non-conformiste se divise en deux rameaux : la « jeune droite » qui regroupe les dissidents de l’Action française et les personnalistes des mouvements « Esprit » et « Ordre nouveau ». Les périodiques publiés par le rameau de la jeune droite comprennent deux tendances. La première s’organise autour des Cahiers, fondés en 1928 par Jean-Pierre Maxence, qui en 1930, les abandonne et prend la direction de La Revue française, en collaboration avec Robert Brasillach et Thierry Maulnier (Corpet, 1992 ; Winock, 1997). La seconde tendance gravite autour de la revue Réaction (1928-1932), dirigée par Jean de Fabrègues. Ces jeunes gens, qui furent proches de Maurras avant la condamnation de l’Action française en 1926 par l’Église catholique, placent désormais Péguy au centre de leurs références. Les deux groupes (ceux de La Revue française et de Réaction) se rejoignent après 1935 autour d’une nouvelle publication, Combat dirigée conjointement par Thierry Maulnier et Jean de Fabrègues, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale (LoubetdelBayle, 1998).
Le rameau personnaliste valorise la personne humaine (plutôt que l’individu) au sein de sa communauté. Il comprend les mouvements « Ordre nouveau » et « Esprit ». La fondation du premier, à l’initiative d’Alexandre Marc vers 1930, sera suivie de la publication d’un périodique portant le même nom à partir de 1933, et ce jusqu’en 1938. En 1931, le mouvement gagne de l’ampleur au moment de la parution du Manifeste pour un ordre nouveau et de l’arrivée de nouveaux collaborateurs : Arnaud Dandieu, Robert Aron, Denis de Rougemont et Henri Daniel-Rops. Aron et Dandieu font paraître entre 1931 et 1933 trois ouvrages aux intitulés percutants : Décadence de la Nation Française, Le Cancer américain et La Révolution nécessaire qui couronnent cinq années de réflexion commune. Ils posent les bases doctrinales du mouvement (Parisot, 1999). Denis de Rougemont et Daniel-Rops sont présentés en tant qu’intellectuels chrétiens. De Rougemont est protestant ; parallèlement à une réflexion théologique, il travaille au développement du personnalisme (Politique de la personne, 1934). En ce qui concerne Daniel-Rops, fervent catholique, il joue un rôle important dans la vulgarisation des idées défendues par « Ordre nouveau ». Ajoutons qu’il collabore de façon régulière à La Relève et qu’il contribue ainsi à diffuser les thèses de son mouvement au sein de l’Amérique du Nord francophone. « Ordre nouveau » se caractérise plus particulièrement par la bipolarisation « fédéralisme - technocratie ». Le premier pôle privilégie la « démocratie directe dans un cadre fédéraliste ». Quant au second, il prône l’« économie corporative planifiée et rationalisée » (LoubetdelBayle, 1998, p. 223-224). « Ordre nouveau » partage avec « Esprit » une même aspiration à la « révolution communautaire fondée sur la personne, individu » libre et responsable « inséré dans un tissu culturel et social régénéré » (Balmand, 1996b, p. 849). Le personnalisme d’« Esprit » est plus tardif que celui d’« Ordre nouveau ». Celui-ci doit être considéré comme l’initiateur de cette doctrine philosophique chez les intellectuels non-conformistes :
[…] c’est le groupe d’Ordre Nouveau qui dès 1931 a le premier formulé le personnalisme comme vision du monde globale en rupture avec l’ensemble des idéologies modernes, tant conservatrices ou libérales que totalitaires, et comme fondement doctrinal d’une action révolutionnaire autonome et originale par-delà droite et gauche.
Roy, 1993, p. 464
Le mouvement « Esprit » naît officieusement en décembre 1930 avec la double ambition d’incarner une Troisième Force politique et de créer un périodique (le premier numéro paraîtra en octobre 1932) pouvant rivaliser avec les revues les plus prestigieuses de l’époque, et surtout la Nouvelle Revue française :
Que la NRF surgisse en écho d’une énumération de noms [Gabriel Marcel, Henri Ghéon, Jules Supervielle, etc.], proposés par Maritain comme collaborateurs possibles, est inévitable ; la revue est incontournable dans le monde littéraire. L’intention du philosophe n’est pas de la voir figurer au rang des références de la revue à naître, ni à celui de modèle en littérature : hostile à la conception esthétique des dirigeants de la revue, il appelle Esprit sinon à occuper un pôle concurrent et à combattre l’influence néfaste de la NRF, tout du moins à lui disputer la publication de certains auteurs.
Parisot, 1999, p. 127.
Quatre jeunes intellectuels français (Emmanuel Mounier, Georges Izard, André Déléage et Louis-Émile Galey), au mitan de la vingtaine, participent à ce double projet, politique et éditorial, qui adopte un nom significatif : « Esprit ». Emmanuel Mounier est reconnu aujourd’hui comme le chef de file du mouvement personnaliste français, intimement associé à la revue, jusqu’à son décès en 1950. Animé d’une foi vivace, il fera d’Esprit sa vocation. André Déléage apparaît comme la deuxième personnalité de la revue : intransigeant comme Mounier, intensément catholique, il se montre toutefois beaucoup plus fougueux. Il se joint à la Résistance et périra en mission, fin 1944. Georges Izard, futur député et avocat membre de l’Académie française, agit en médiateur entre ces deux figures charismatiques. Enfin, Louis-Émile Galey, architecte formé aux Beaux-Arts, se situe en marge du groupe. Contrairement à son ami Déléage, il collabore avec le gouvernement dirigé par Pétain, tout d’abord à titre de « Chef de province » des Compagnons de France, puis de directeur du « cinéma de Vichy ». Il poursuivra sa carrière dans le domaine cinématographique, notamment chez Pathé-cinéma (Parisot, 1999). L’équipe initiale va se scinder définitivement en juillet 1933, sous la pression de Jacques Maritain. Mounier se retrouve seul aux commandes de la revue, tandis que Déléage, Izard et Galey poursuivent une action strictement politique au sein de la Troisième Force qui deviendra le Front social, rassemblement contre le fascisme, regroupant la gauche non-communiste (Angers-Fabre, 2000).
Mounier s’investit totalement dans la collecte des fonds nécessaires au démarrage de la revue et dans la recherche de collaborateurs. Cette forte implication du jeune agrégé de philosophie contribue à rapprocher la revue à naître du milieu catholique. Au début de 1931, Mounier considère que le projet est suffisamment avancé pour approcher le philosophe néothomiste, Jacques Maritain, qui compte parmi ses amis. Ce dernier travaillera en arrière-plan à sa concrétisation et en le cautionnant auprès de l’intelligentsia catholique française. Même si Mounier recueille son principal soutien et ses premiers lecteurs au sein du catholicisme, et plus particulièrement de sa branche progressiste (avec les mouvements d’Action catholique spécialisés, la JEC, la JOC), sa volonté de réforme emprunte des chemins trop inhabituels pour que le clergé ait une quelconque emprise sur la revue. Esprit cherche à revenir aux sources du christianisme, pour dissocier « Église » et « bourgeoisie » : il veut montrer qu’on peut être à la fois catholique et révolutionnaire.
Premier élément constitutif de la génération : la date de naissance
Les intellectuels appartenant au groupe des non-conformistes sont majoritairement (68 %) nés entre 1903 et 1907 (Balmand, 1987, p. 51). Pascal Balmand parvient à cette estimation à partir d’un échantillon de clercs dont la date de naissance se situe entre 1897 et 1909. Sont nés dans l’intervalle 1903-1907 plusieurs des fondateurs et animateurs des mouvements de jeunesse et des revues présentés précédemment : citons notamment ceux d’« Esprit » : Georges Izard (1903), André Déléage (1904), Louis-Émile Galey (1904) et Emmanuel Mounier (1905), d’« Ordre nouveau » : Alexandre Marc (1904) et Denis de Rougemont (1906), et de Réaction : Jean de Fabrègues (1906). Ces derniers vont par conséquent se former intellectuellement, sinon dans les mêmes institutions, du moins au contact des mêmes événements historiques. Déléage, Izard, Galey et Mounier se lient d’amitié à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte, à l’entrée de l’université (tableau 2).
L’examen de ces parcours croisés met en évidence la fonction d’intermédiaire jouée par André Déléage. Sa présence successive dans les institutions accueillant trois autres artisans d’Esprit assure un trait d’union entre les fondateurs de la future revue. Ces lieux de formation communs contribuent à l’élaboration de la vision du monde de ses collaborateurs, à l’origine de leur critique de la civilisation occidentale. D’un point de vue strictement chronologique, la génération non-conformiste française correspond à une classe d’âge couvrant une période de plus de dix ans née entre 1897 et 1909, l’essentiel se concentrant entre 1903 et 1907. On la désigne également comme la génération de 1905.
Deuxième élément constitutif de la génération : l’événement fondateur
Les intellectuels faisant partie de la génération non-conformiste ont vingt ans vers le milieu des années vingt, puisque ceux-ci sont nés au début du vingtième siècle. La vingtaine correspond grosso modo à la formation (maturation) d’une conscience politique, déterminée par le contexte sociohistorique. Une génération se définit par un même événement fondateur de la conscience politique, à l’origine d’opinions communes. Nous évoquions précédemment la crise économique en Europe (à partir de 1931) et la montée en puissance des fascismes (à partir de 1933). Bien que ces événements marquent les années de jeunesse des clercs faisant l’objet de notre analyse, l’événement fondateur de leur conscience politique est antérieur : il se situe dans le creuset de la Guerre de 14-18. Les intellectuels nés entre 1903 et 1907 échappent à l’expérience du feu de la Première Guerre mondiale. Néanmoins, ils voient leurs frères aînés et leurs pères quitter la maison pour le front. L’absence d’autorité paternelle les a marqués. Une des conséquences majeures de la guerre, le trou démographique dans la population masculine d’âge mûr, permet à cette génération d’utiliser spontanément son propre langage et d’occuper des postes normalement réservés à des individus dont l’avancement de carrière est plus grand. Pascal Balmand donne l’exemple de Denis de Rougemont qui, à vingt-quatre ans, devient directeur des éditions « Je Sers », « spécialisées dans la littérature philosophique et théologique protestante » (Balmand, 1987, p. 61, note 25). Ces années façonnent, en vase clos, la maturation intellectuelle des « enfants de la guerre », créant une génération orpheline. Cette génération se réclame rarement de ses aînés, peu nombreux ou peu présents au moment de son éducation. Elle se forge une pensée à partir du refus de reconstruire la France sur le modèle d’avant-guerre, qu’elle n’a pas connu. La génération de 1905 n’adhère pas aux partis politiques traditionnels, elle se reconnaît dans la formule « ni droite, ni gauche ». Ses membres proposent un ralliement antifasciste, anticommuniste, à l’abri des totalitarismes. Pendant une courte période, de 1930 à 1936 environ, la génération intellectuelle orpheline évoque les mêmes raisons de contester : l’individualisme et le matérialisme ambiant, la corruption du capitalisme et de la démocratie parlementaire, la standardisation des procès de travail, la consommation de masse sont autant de symptômes de la crise de la civilisation occidentale. Les deux rameaux non-conformistes partagent un horizon, mais ne s’entendent pas sur la concrétisation de leur idéal : la révolution (Parisot, 1999). Néanmoins, chez les personnalistes et les membres de la jeune droite, la révolution doit opérer à travers un retour du spirituel, visible dans les principes qui composent leurs doctrines. Ainsi nous repérons deux caractéristiques propres à cette génération intellectuelle pour la période 1930-1936 : le diagnostic de crise de civilisation et le désintérêt pour les partis politiques.
L’intellectuel critique
En introduisant les deux rameaux de la génération de 1905 nous souhaitions également attirer l’attention sur une possible manifestation de l’intellectuel critique chez elle. Nous avons défini ce dernier comme un clerc militant pour un changement social radical, mais refusant de s’impliquer dans le champ politique. Les non-conformistes veulent sortir du politique, mais pas de l’espace public, puisque leurs revendications se situent sur un terrain moral ou éthique. Le champ politique leur est accessible, mais ils refusent de l’intégrer. Ils s’en excluent volontairement, parce qu’ils considèrent que celui-ci ne peut répondre adéquatement à leur désir de révolution spirituelle. Cependant, la violence des événements historiques les obligera à considérer la vie politique sous l’angle des partis. Les jeunes contestataires s’aligneront progressivement sur les positions de l’échiquier politique, à la suite de l’invasion des troupes italiennes en Éthiopie (1935) et de la guerre civile espagnole (1936). Leurs engagements à gauche ou à droite provoqueront la disparition, ou du moins la mise entre parenthèses, de l’intellectuel critique chez les intellectuels non-conformistes français.
3. Naissance d’une revue canadienne-française, catholique et révolutionnaire
La Relève ne connaît pas une longévité exceptionnelle. Fondée en 1934, elle disparaît en 1948 après une modification de son nom pour La Nouvelle Relève en septembre 1941. La création de La Relève a ceci de particulier qu’elle est issue d’un milieu particulièrement homogène. Ses principaux protagonistes ont fréquenté la même institution d’enseignement. Les trois fondateurs (Paul Beaulieu, Robert Charbonneau et Claude Hurtubise) et les quatre principaux collaborateurs (Roger Duhamel, Robert Élie, Saint-Denys Garneau et Jean LeMoyne) se sont connus durant leurs études au Collège classique Sainte-Marie, entre 1925 et 1935 environ. C’est un professeur de Rhétorique, Jacques Cousineau, qui apprend l’écriture journalistique au futur groupe de La Relève, en supervisant le journal étudiant Nous. Après l’obtention du baccalauréat, ils ressentent la nécessité d’exprimer des réflexions émanant de leurs lectures et leurs aspirations à l’aide de leur propre média. Ce groupe de jeunes catholiques, à l’origine de La Relève, se montre très inquiet et très critique à l’endroit de l’absence de vie culturelle au Canada français. À l’instar d’« Esprit » et « Ordre nouveau », il se définit en tant que mouvement de jeunesse, exaltant les valeurs juvéniles de pureté, d’audace, de hardiesse, voire d’insolence. Paul Beaulieu signale les ruptures effectuées par ce « mouvement de jeunes catholiques » : « rupture avec un nationalisme négatif, rupture avec un christianisme étriqué » (Beaulieu, 1986, p. 11). Selon lui, les éléments positifs découlant de ces ruptures sont « une présence au monde » et l’inscription du christianisme « au coeur de l’activité humaine ».
Ce désir d’engagement religieux chez les fondateurs de La Relève n’est pas sans rappeler les voeux formulés à Esprit au cours des premières années de publication. Souvenons-nous que le périodique français entend dissocier la religion catholique du « désordre établi ». Une autre convergence rapproche les deux revues : l’ambition littéraire. L’une et l’autre s’efforcent de publier tant des créations que des articles de fond consacrés à la critique. Alors que les initiateurs d’Esprit oeuvrent majoritairement dans les sciences humaines et principalement dans les lycées et universités françaises, les premières années de la carrière des fondateurs et principaux collaborateurs de La Relève sont marquées par le journalisme, dans Le Canada, La Patrie, Le Devoir ou Le Droit. La Société Radio-Canada apparaît également comme une étape importante, notamment pour Charbonneau, Élie et LeMoyne. Un autre élément caractéristique de la trajectoire professionnelle de l’équipe initiale de La Relève est le rapport à l’écriture. Tous publient des essais (à l’exception de Garneau). LeMoyne n’en publie qu’un seul (Convergences en 1961), mais ce dernier est plébiscité par le monde littéraire du Québec, puisqu’il obtient trois prix. L’équipe initiale compte deux romanciers : Charbonneau et Élie. Le premier a marqué la littérature canadienne-française en introduisant le roman psychologique, mais sa reconnaissance institutionnelle est moindre que celle d’autres écrivains des années trente, tels que Gabrielle Roy et Anne Hébert. Il faut noter également l’importante contribution de Saint-Denys Garneau, figure essentielle de la poésie canadienne-française. Son premier recueil, Regards et jeux dans l’espace, ne ressemble en rien à la production poétique de cette époque. Garneau amorce la modernisation de la littérature au regard de ce qui se pratique alors en Europe (symbolisme et surréalisme français) (Bourneuf, 1969). Par ailleurs, à l’exception de Saint-Denys Garneau, les membres de l’équipe initiale connaissent des carrières très intéressantes, sinon exceptionnelles, pour lesquelles l’action politique est loin d’être marginale. Ainsi Paul Beaulieu, Roger Duhamel, Robert Élie et Jean LeMoyne occuperont des postes politiques : ce qui est tout de même paradoxal, étant donné l’absence d’engagement dans ce champ dans leur jeunesse, comme nous le verrons plus loin. Robert Élie agira à titre de conseiller culturel à la Délégation du Québec à Paris dans les années soixante. Enfin Jean LeMoyne entrera au Cabinet de Pierre Elliott Trudeau et sera élu sénateur en 1982 (Angers-Fabre, 2000). Les carrières ultérieures de cette équipe auront sans doute contribué à laisser une empreinte durable de la brève existence de La Relève.
Durant toute la durée de sa publication, La Relève se trouve au coeur d’échanges avec des intellectuels européens catholiques, et plus particulièrement Emmanuel Mounier, Jacques Maritain et Daniel-Rops. De plus, La Relève affiche dans ses pages des publicités pour les mouvements auxquels ils appartiennent : respectivement « Esprit » et « Ordre nouveau ». Par exemple, dans le numéro de décembre 1934, on peut lire : « Esprit : foyer international de recherche et d’action pour une révolution spirituelle. La revue des jeunesses mondiales. » (p. 153) Plusieurs numéros spéciaux d’Esprit sont cités. Et plus haut sur la même page on remarque aussi : « Le mouvement de l’Ordre nouveau prépare en doctrine et en action la Révolution spirituelle qui s’impose. » Des livres d’Aron / Dandieu et Daniel-Rops font également l’objet d’une publicité. Claude Hurtubise sert de « relais » d’Esprit au Canada. La chronique de mars 1935 dans Esprit rapporte : « Nos amis de La Relève [...] engagent une propagande pour nous diffuser au Canada. Qu’ils en soient remerciés » (Esprit, mars 1935, p. 1021).
Parmi les trois intellectuels catholiques dont nous mentionnions précédemment des contribution dans La Relève, Daniel-Rops occupe la place la plus importante, loin devant Mounier et y publiant davantage que Maritain. Daniel-Rops écrit une dizaine d’articles dans La Relève, et notamment « Le romancier chrétien, son sujet et son public », « En relisant St-Paul », « Spirituel et Charnel », « Lettre de France », « Actualité de Péguy », « Menace à l’est »... Nous comptons cinq contributions de Maritain (« Le rôle temporel du chrétien », « Les problèmes spirituels et temporels d’une nouvelle chrétienté », « Nature de la politique », « L’Évangile et l’Empire païen », etc.) et trois de Mounier (« Le mouvement esprit », « Action temporelle des catholiques » et « Causes profondes des malheurs de la France ») (Angers-Fabre, 2000). Jacques Maritain apparaît cependant comme le guide spirituel de plusieurs des fondateurs et collaborateurs de La Relève, et le mentor de leur jeunesse. C’est également par le biais du philosophe néo-thomiste, à partir de 1933, qu’Emmanuel Mounier reçoit des informations sur le Canada français. Ainsi en novembre 1934, Mounier fait état dans ses carnets du « problème canadien », en référence notamment à la mainmise du clergé sur les institutions, tel qu’il lui est exposé par son ami Maritain.
L’appartenance générationnelle des fondateurs et premiers collaborateurs de La Relève
Le « milieu La Relève » caractérisant l’équipe des fondateurs et premiers collaborateurs est composé de collégiens favorisés de Sainte-Marie. Ils sont pour la plupart nés à Montréal et issus au moins de la classe moyenne supérieure, à l’exception de Robert Charbonneau qui appartient à un milieu plus modeste. Contrairement à ses camarades, il doit travailler comme manoeuvre pour payer ses études. Pourquoi Jean-Charles Falardeau (1967) parle-t-il d’une génération de La Relève ? Sur un plan chronologique, par leurs dates de naissance (entre 1911 et 1916), ces jeunes gens appartiennent à une même temporalité générationnelle. Mais nous savons que l’élément déterminant est l’événement fondateur de la conscience politique. Les jeunes intellectuels de La Relève ont entre dix-huit et vingt-trois ans en 1934, alors que la crise économique frappe durement leur société. Favorisés sur le plan socioéconomique, ils ressentent moins la crise matériellement. Le krach et ce qu’il signifie pour eux de décadence de la civilisation occidentale, contraint les collaborateurs de La Relève à un état de « survie » spirituelle : « Ainsi donc la Crise est-elle d’abord perçue comme un problème spirituel plutôt qu’économique et analysé en tant que tel. À aucun moment, dans toute l’histoire de la revue, on ne trouve une analyse économique de la Crise » (Pelletier, 1972, p. 91). Au sein du comité de rédaction de la revue, la recherche de solutions à cette crise de civilisation passe par la philosophie personnaliste : « Plus étroitement inspirée par le mouvement Esprit auquel les références se multiplient, elle [La Relève] embouche volontiers la trompette de la révolution qui marque une radicalisation dans les intentions de changement » (Bélanger, 1974, p. 169) D’autres revues (par exemple Les Idées), animées par des jeunes gens du même âge, analysent avec beaucoup plus de pragmatisme les moyens nécessaires pour améliorer les conditions de vie de leurs compatriotes. La Relève reçoit des critiques de la part de Pierre Dansereau, un ami de l’équipe ; sa « Lettre à Robert Charbonneau » est publiée en décembre 1936. Dansereau s’en prend au manque de réalisme de la majorité des collaborateurs. Il y formule un appel à l’action révolutionnaire contre le capitalisme. Pour lui, toute action digne de ce nom ne peut se traduire qu’à travers la politique. Il voue à l’échec les positions de La Relève en faveur de la « révolution intérieure », « spirituelle ». Les préoccupations de l’équipe initiale de La Relève ne reflètent donc pas celles de l’ensemble de sa génération, elles ne coïncident qu’avec une partie de celle-ci. Les collaborateurs de La Relève forment un « rameau » (ou groupe concret) au sein de la jeune génération intellectuelle de Canadiens français dont la formation de la conscience politique est marquée par la crise économique de 1929.
L’intellectuel critique
La volonté de changement social de La Relève occupe un terrain éthique ou moral, voire esthétique, car la revue attribue une importance fondamentale au développement de l’art et de la littérature. En fait, la transposition du contenu de La Relève dans la sphère politique canadienne-française des années trente aurait posé, selon nous, des problèmes à l’équipe de rédaction. À cette époque, le pouvoir politique est lié au pouvoir religieux. La plupart des décisions du gouvernement doivent recevoir l’approbation, au moins tacite, du clergé lorsque les prérogatives de ce dernier sont concernées. Or les réserves de la revue vis-à-vis des positions de l’Église ou ses appels à la révolution spirituelle auraient été susceptibles d’être censurés s’ils avaient intégré le champ politique. Au lieu de cela, ses rédacteurs préfèrent situer leur propos sur un terrain éthique ou esthétique, afin de pouvoir bénéficier d’une plus grande liberté d’expression. Ainsi le rapport au politique des fondateurs et premiers collaborateurs de La Relève se rapproche de celui de l’intellectuel critique, étant donné leur exclusion, volontaire, de ce champ. À l’inverse, les animateurs de la revue Les Idées investissent le politique. Ce rapport met en évidence la singularité de la démarche de La Relève qui refusera continuellement de se positionner dans cette sphère essentielle du débat public.
Les années trente connaissent déjà le phénomène de la mondialisation, puisque l’Europe et l’Amérique du Nord sont durement touchées par une crise économique sévissant à l’échelle planétaire. Si les non-conformistes ont été marqués par la Première Guerre mondiale, le krach boursier joue le rôle d’événement fondateur de la conscience politique pour la génération de La Relève : les intellectuels qui en font partie sont plus jeunes et par conséquent leur maturation s’effectue dans un autre contexte, d’autant que la Guerre de 14-18 ne résonne pas aussi fortement dans la mémoire des Canadiens que dans celle des Européens. Toutefois ce qui frappe, c’est que la similarité des situations socioéconomiques en France et au Québec se transpose au sein des mouvements de jeunesse qui nous intéressent ici. Ils préconisent des solutions identiques pour sortir de la crise, qui pour eux en est une de civilisation : la révolution spirituelle par le personnalisme. Les collaborateurs de La Relève construisent leur discours à partir des thèmes non-conformistes, et notamment dans les numéros des années 1934-1935 : la primauté du spirituel, la nécessité d’un ordre nouveau, le principe contre nature de la fécondité de l’argent, l’individualisme destructeur du corps social, etc. (Angers-Fabre, 2000). Les générations non-conformiste et de La Relève adoptent la position typique de l’intellectuel critique. Leur exclusion du champ politique est volontaire : elle découle d’un désintérêt pour l’action politique. C’est donc à travers la conjonction de différents facteurs (un choc économique mondial, des terrains favorables aux mouvements de jeunesse) qu’il devient possible de repérer au cours de la décennie 1930 une génération intellectuelle non-conformiste, une génération transatlantique. Bien que réunie pour notre démonstration, cette génération intellectuelle non-conformiste connaît des décalages tant du point de vue chronologique que du point de vue de l’événement fondateur de la conscience politique. Néanmoins, les jeunes intellectuels qui se réclament du personnalisme dans la province de Québec, gravitant autour de la revue La Relève, contribuent à l’élaboration de transferts culturels à partir de la France dans les années trente. Cette décennie, riche en apports provenant du Vieux Continent, se prête particulièrement au jeu du comparatisme. Même si les études sur ce sujet abondent au Québec, nous pensons apporter notre contribution à l’édifice de l’analyse comparée, et ce, parce que nous mettons en lumière deux aspects qui révèlent d’autres convergences entre les personnalistes français et canadiens-français, et concernant l’appartenance générationnelle et le rapport au politique.
Appendices
Bibliographie
- Angers-Fabre, Stéphanie, 2000 « Esprit au Québec : les revues comme vecteurs des échanges intellectuels franco-québécois », Aix-en-Provence, Université de Provence. (Doctorat en sociologie.)
- Balmand, Pascal, 1985 « Piétons de Babel et de la Cité radieuse : Les jeunes intellectuels des années 1930 et la ville », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 8 : 31-42.
- Balmand, Pascal, 1987 « Les jeunes intellectuels de l’"esprit des années trente" : un phénomène de génération ? », Cahier de l’Institut d’Histoire du Temps présent, 6 : 49-63.
- Balmand, Pascal, 1996a « Denis de Rougemont », dans : Jacques Julliard et Michel Winock (dirs), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Éditions du Seuil.
- Balmand, Pascal, 1996b « Ordre nouveau (L’) », dans : Jacques Julliard et Michel Winock (dirs), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Éditions du Seuil, 849-850.
- Beaulieu, Paul, 1986 « Robert Charbonneau : Esquisse d’un portrait », Écrits du Canada français, LVII, 11.
- Bélanger, André, 1974 L’apolitisme des idéologies québécoises. Le grand tournant de 1934-1936, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval.
- Bourneuf, Roland, 1969 Saint-Denys Garneau et ses lectures européennes, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval.
- Corpet, Olivier, 1992 « L’esprit nouveau des années 1930 : un âge d’or des revues de droite », dans : Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard, 178-189.
- Dubief, Henri, 1976 Le déclin de la Troisième République (1929-1938), Paris, Éditions du Seuil.
- Espagne, Michel, 1994 « Sur les limites du comparatisme en histoire culturelle », Genèses, 17 : 112-121.
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- Parisot, Cécile, 1999 « La Revue Esprit de 1932 à 1935 : un personnalisme se cherche », Paris, Paris IV-Sorbonne. (Doctorat en histoire contemporaine.)
- Pelletier, Jacques, 1972 « La Relève : une idéologie des années trente », Voix et images du pays, V : 69-139.
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