Abstracts
Résumé
Les réformes entreprises dans le secteur de la santé, au cours des quinze dernières années au Québec, ont souvent été l'occasion de faire apparaître la profession médicale au premier plan de l'actualité. Par leurs organisations professionnelles, les médecins ont exprimé leurs vues sur les questions reliées à la distribution des soins médicaux, que ce soit devant des commissions d'enquête, dans des colloques ou des congrès ; leurs négociations, avec le gouvernement, des modalités de leur participation aux différents régimes d'assurance des soins de santé ont plus d'une fois fait la manchette des journaux; des actions plus spectaculaires comme la grève des radiologistes en 1967 ou celle des spécialistes au moment même de l'entrée en vigueur du plan québécois d'assurance-maladie sont connues de tous.
Malgré cette présence régulière sur la scène publique, la profession médicale reste un groupe occupationnel dont on ne connaît guère l'évolution récente. De ce groupe impliqué au plus haut point dans le réaménagement du domaine de la santé, nous savons bien peu de choses sur les transformations qu'il a connues depuis la dernière guerre. On sait bien que le vieux médecin de famille, à la fois conseiller, confident et thérapeute, est un personnage qui appartient au passé : il a cédé sa place au spécialiste qu'on va voir à l'hôpital, non sans avoir pris la précaution de prendre rendez-vous plusieurs jours à l'avance. On a vu aussi apparaître, aux côtés du vénérable Collège des médecins, des syndicats médicaux. Ce qui nous laisse supposer que la profession médicale a subi de profonds changements, elle en qui on a toujours vu le modèle idéal de la « profession libérale ».
Ce sont ces phénomènes de la spécialisation de la profession médicale et de sa syndicalisation qui vont retenir notre attention ici. Nous tenterons de les caractériser l'un et l'autre et d'en dégager les effets sur la profession ; également nous tenterons d'éclairer à l'aide de cette analyse, l'idéologie ainsi que les stratégies des médecins dans le débat sur la question de l'assurance des soins de santé.
Il nous apparaît essentiel, pour la compréhension de l'évolution globale du champ de la santé au Québec, de mieux connaître ce groupe occupationnel qui a toujours joué un rôle de premier plan en matière de distribution de soins. Nous avons choisi de limiter notre analyse à la période 1940-1970; ces trois décennies semblent constituer une « époque » dans l'évolution de la profession médicale.
Cette époque, c'est celle qui marque la rupture avec la vieille tradition de libéralisme chez les médecins et celle de l'apparition de changements majeurs dans le secteur de la santé; la mise en vigueur d'un régime public d'assurance-maladie constitue provisoirement une sorte d'aboutissement aux réformes amorcées depuis plusieurs années. Pour caractériser ces trente années, nous pourrions dire qu'elles voient le passage d'une médecine « libérale » à une médecine « organisée ».