Volume 15, Number 1, 1974 L’historiographie
Table of contents (10 articles)
Articles
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François-Xavier de Charlevoix ou la métaphore historienne. Contribution à une systématique du récit historiographique
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Michel Bibaud : sa vie, son œuvre et son combat politique
Claude Tousignant
pp. 21–30
AbstractFR:
De tous les historiens nationaux que le Québec ait produits depuis la Conquête anglaise, Michel Bibaud est sans aucun doute celui dont l'œuvre a été la plus mal étudiée et, en conséquence, celui dont les idées politiques ont été le plus mal comprises. Ainsi, par exemple, le seul commentaire que trouve à faire Serge Gagnon à propos de Bibaud est que son œuvre affiche un « credo loyaliste » qui laisse clairement apparaître des « sympathies pour la Clique du château ». De son côté, après avoir témérairement avancé que Bibaud «adopte systématiquement le point de vue de la bureaucratie anglaise», Fernand Dumont ajoute que cette «perspective [...] interdisait évidemment aux Canadiens français toute identification avec la vision que l'auteur proposait de leur situation ». Tout à la recherche qu'il est de l'idéologie de la «société globale» québécoise au XIXe siècle, le professeur Dumont adopte, il nous semble, une perspective sociale un peu trop globalisante qui l'empêche pratiquement de voir que « la conscience historique comme telle » n'existe pas ou, plutôt, qu'il en existe une pour chacune des fractions de la bourgeoisie canadienne-française. L'essai qui suit vise à réhabiliter l'œuvre de Bibaud dans l'historiographie québécoise. Nous croyons que la connaissance de cette œuvre peut contribuer à l'enrichissement de l'histoire sociale du Québec dans la première moitié du XIXe siècle.
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François-Xavier Garneau et l'infériorité numérique des Canadiens français
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Retour à Thomas Chapais
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Robert Rumilly, historien des relations entre francophones et anglophones depuis la Confédération
Joseph Levitt
pp. 57–76
AbstractFR:
Au fur et à mesure qu'un nombre croissant d'historiens s'intéressent au Canada français contemporain, ils se surprennent sur les pistes de Robert Rumilly. Dans une série de quarante et un volumes d'histoire de la province de Québec, il a déblayé une route qu'ils auront d'abord à parcourir avant de préciser leur propre orientation. Rumilly conçoit le destin du Québec comme « un foyer de catholicisme et de civilisation française en Amérique ». Dans son Histoire, il utilise le concept de « race » pour expliquer les relations entre francophones et anglophones et s'arrête longuement aux conséquences de l'industrialisation de la société québécoise. Le fait qu'il soit l'un des historiens réputés du Canada français suffit à justifier une étude de la façon dont il a traité ces thèmes. En outre, au moment où il écrivait son Histoire de la province de Québec, dans les années cinquante et soixante, Rumilly était assez représentatif d'un bon nombre d'intellectuels canadiens-français qui gravitaient autour du Devoir et de L'Action nationale. Une analyse de ses idées sur les rapports entre les deux ethnies et sur l'industrialisation apporte un précieux éclairage sur ce que pouvaient être les conceptions d'un nationaliste québécois de cette époque.
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Un quart de siècle d'historiographie québécoise, 1947-1972
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La production des vingt dernières années en histoire de l'Église du Québec
Nive Voisine
pp. 97–112
AbstractFR:
L'Église catholique a toujours eu au Québec une telle importance qu'on a été naturellement porté à confondre histoire du Canada français et histoire de l'Église catholique canadienne. Nos orateurs « patriotiques » l'ont souvent rappelé en faisant de la Providence l'explication ultime de l'histoire canadienne : à ce propos, vous me permettrez de citer Mgr Laflèche qui disait en 1865 : « Si les quelques familles sorties de la vieille France il y a quelque deux cents ans, et qui sont venues s'asseoir sur les bords du Saint-Laurent, sont devenues aujourd'hui une nation d'un million d'âmes, ce n'est point l'effet d'un hasard capricieux, ni d'une force aveugle; mais c'est bien l'œuvre d'une Providence toute miséricordieuse. Elle a voulu se servir de nos pères pour apporter la lumière de l'Évangile et les principes de la régénération chrétienne aux infortunées peuplades qui étaient depuis tant de siècles plongées dans les ténèbres de l'infidélité et assises à l'ombre de la mort dans cette belle et fertile vallée. » Nos premiers historiens n'ont pas voulu être en reste et ont cru, avec Parkman et en le répétant à satiété : « Un grand fait se détache en plein relief dans l'histoire du Canada, c'est l'Église de Rome. Plus encore que la puissance royale, elle a modelé le caractère et le destin de cette colonie. Elle a été sa nourrice, et, pour tout dire, sa mère. » Enfin, même les sociologues l'ont reconnu et M. Jean-Charles Falardeau écrivait en 1952: « La société canadienne-française a été, depuis les débuts même de son établissement, à tel point circonscrite, contenue et dominée tout entière par le clergé et les chefs ecclésiastiques, que son histoire se confond en tout point avec celle de l'Église canadienne. [...] L'histoire du Canada français, c'est l'histoire de l'Église au Canada, et réciproquement.»
Il ne faut pas se surprendre que la production historique québécoise donne une place privilégiée aux hommes et aux œuvres d'Église. Ne remontons pas au déluge ni au régime français; regardons plutôt le XIXe siècle. Les premiers historiens, même laïcs, font une large part à l'action des missionnaires et du clergé; ils le font ordinairement avec sympathie car, s'ils se permettent la moindre critique du passé clérical, ils s'attirent, comme F.-X. Garneau et Benjamin Suite, les foudres vengeresses des historiens ecclésiastiques. Ceux-ci en effet — Les Ferland, les Casgrain, j'ose dire les Chapais (il ne lui manque que l'habit !) — n'ont pas assez de mots et d'images dithyrambiques pour chanter l'œuvre providentielle en terre d'Amérique. Il y a une exception, l'abbé Brasseur de Bourbourg, qui publie en 1852 son Histoire du Canada, de son Église et de ses missions... où il fait preuve d'un non-conformisme scandaleux: le clergé et surtout les évêques de Québec y passent un mauvais quart d'heure. L'abbé soutient que le choix des évêques par les autorités britanniques eut « pour objet les membres de ce clergé les moins capables de soutenir le poids de l'épiscopat » ; il s'apitoie sur Mgr Hubert tout en racontant méchamment que « dans les derniers temps de son épiscopat, son caractère habituellement faible et indécis, ébranlé encore par les oppositions de toute espèce qu'il avait rencontrées autour de lui, se trouvait réduit à une espèce d'enfance morale, accrue surtout par l'habitude abrutissante des boissons spiritueuses, que le malheureux évêque avait contractée insensiblement pour échapper à la conscience de ses fautes et de son chagrin ». Ces aménités (et d'autres de même farine) avaient fait bondir les « bons bourgeois » de Québec et les Messieurs du Séminaire; et l'abbé Ferland avait répliqué vertement dans ses Observations sur un ouvrage intitulé Histoire du Canada. Avec lui, l'histoire apologétique reprenait le dessus pour longtemps. Plus nuancée peut-être devait être l'œuvre de l'abbé Auguste Gosselin qui esquissa, sans la terminer, une des premières synthèses d'histoire de l'Église catholique au Canada ; elle annonçait les études plus scientifiques du XXe siècle.
Pendant toute la première partie du XXe siècle, l'abbé Lionel Groulx domine l'historiographie canadienne-française. Il aborde tous les sujets, de Nos luttes constitutionnelles au Canada français missionnaire, une autre grande aventure ; mais il revient assidûment à l'étude du rôle de l'Église, car pour lui l'enseignement de l'histoire est une forme d'apostolat. Il le dira dans son testament: «... je n'avais choisi, ni ma carrière, ni mon devoir. J'ai accepté le choix qu'en ont fait pour moi mes supérieurs ecclésiastiques. Une autre de mes consolations, ce fut la conscience de travailler pour la survivance du Canada français : petit pays et petit peuple qui parce que catholiques, m'ont toujours paru la grande entité spirituelle en Amérique du Nord.» '' L'abbé Groulx n'est évidemment pas seul, mais il n'est pas question de rappeler, même brièvement, ce qui a pu s'écrire d'intéressant jusqu'en 1950. Je me permets cependant de noter deux événements qui préparent les changements futurs. En 1933 est fondée la Société canadienne d'histoire de l'Église catholique qui chaque année invite ses membres à une session d'étude et publie en un rapport les communications des conférenciers (section française et section anglaise). En quarante ans ont été ainsi publiées des études d'inégale valeur qui forment cependant un ensemble respectable et utile. Si au début la Société sert de tribune à des historiens reconnus, à majorité ecclésiastiques — l'abbé Groulx, Mgr Olivier Maurault, le père Charland, les abbés Maheux et Honorius Provost —, de plus en plus, pendant les dix dernières années, elle attire la collaboration de laïcs et déjeunes historiens. Le deuxième événement que je veux signaler est la fondation, en 1947, de l'Institut d'histoire de l'Amérique française et de la Revue d'histoire de l'Amérique française. Celle-ci veut fournir aux chercheurs « un centre, un foyer où exposer, échanger le fruit de leurs travaux et de leurs recherches ». L'histoire religieuse, comme les autres domaines, en profite beaucoup. Pendant les vingt-cinq premières années, 16.5% des articles sont consacrés à l'histoire religieuse, mais ce pourcentage monte à 22.9% de 1955 à 1963. Il ne faut donc pas se surprendre de trouver dans cette revue un bon nombre des meilleures études sur l'histoire de l'Église canadienne. Elles reflètent aussi l'élan nouveau donné à l'histoire par la fondation des Instituts de Montréal et de Québec. C'est en songeant à ces événements que j'ai choisi de faire un bilan de l'histoire de l'Église à partir de 1950. C'est une tâche immense que rend difficile la multiplication des études et des publications, et aussi l'extrême diversité des thèmes abordés par les historiens. Pour simplifier la présentation, j'aborderai les œuvres en les groupant selon la période qu'elles concernent : le régime français, le XIXe siècle, le XXe siècle.