Abstracts
Résumé
Dans le domaine des sciences de l'homme, la démographie historique est l'une des préoccupations les plus neuves. Bien que l'intérêt pour les populations du passé ne date pas d'hier — les généalogistes et les historiens ont précédé les démographes sur ce terrain — l'analyse scientifique des phénomènes démographiques de l'ère préstatistique remonte à peine à l'après-guerre. C'est en 1954 que parut le premier ouvrage de démographie historique portant sur la population canadienne.1 L'auteur, le démographe Jacques Henripin, y montra pour la première fois tout le parti qu'on pouvait tirer des généalogies et des registres paroissiaux. Déjà au XIXe siècle, l'abbé Cyprien Tanguay avait su profiter de la qualité de ces derniers pour faire son Dictionnaire généalogique des familles canadiennes. Une utilisation ingénieuse de cet ouvrage permit à Henripin de soulever le voile sur la population du XVIIIe siècle. Il révélait ainsi au monde entier l'intérêt de cette petite société dont il avait pu mesurer la natalité, la nuptialité et la fécondité.
Depuis ce temps, les études de démographie historique se sont multipliées, en Europe surtout et en France en particulier. À côté des monographies de paroisses, fleurissent aujourd'hui des travaux sur les populations urbaines ou régionales et les groupes sociaux, d'autres sur des phénomènes tels la fécondité, la limitation des naissances et les migrations, d'autres encore sur des institutions comme la famille et le ménage.2 Deux articles récents, l'un de l'historien Pierre Goubert et l'autre du démographe Louis Henry, soulignent d'ailleurs les rapports fructueux entretenus en France par les historiens et les démographes depuis vingt-cinq ans et l'enrichissement apporté aux deux parties par cette collaboration interdisciplinaire.
Au Québec, c'est à Hubert Charbonneau que revient l'honneur d'avoir introduit la démographie historique à l'université. Pour enrichir le cours d'histoire de la population canadienne qu'il donnait au Département de démographie de l'Université de Montréal, Charbonneau se pencha sur le recensement de 1666 dont il souligna le tricentenaire dans une note de recherche. À la suggestion de son collègue Jacques Légaré et avec la collaboration de celui-ci, il entreprit ensuite le traitement par ordinateur des trois recensements nominatifs du Canada au XVIIe siècle. Deux historiens et un économiste s'intéressèrent à cette initiative et les discussions entre les cinq chercheurs aboutirent à l'élaboration d'un projet de recherche. À l'origine, ce projet impliquait la constitution d'une banque de données démographiques et voulait déboucher sur des réponses précises à de nombreuses questions d'ordre démographique, économique et historique. Il demandait qu'on définisse des techniques permettant la mise sur pied de la banque de données et qu'on utilise les renseignements ainsi recueillis pour vérifier certaines hypothèses, avant d'aboutir à une étude d'ensemble de la population canadienne ayant vécu au Québec, depuis le XVIIe siècle jusqu'au milieu du XIXe. Devant l'impossibilité d'atteindre à court terme les objectifs fixés, les trois collaborateurs non-démographes ont été amenés, en raison de leurs intérêts scientifiques, à remettre à plus tard leur éventuelle collaboration. Avec le temps cependant, trois nouveaux associés se sont joints aux promoteurs du projet: un démographe, un informaticien et un historien. Les travaux dans lesquels l'équipe est engagée — constitution d'une banque de données, élaboration de méthodes de traitement originales pour ces données et analyse démographique proprement dite — demandent en effet de longues années de travail et doivent être envisagés sous plusieurs angles à la fois.
Après six ans d'existence, les objectifs de notre programme de recherche sont restés les mêmes, soit le dépouillement et l'exploitation de tous les registres paroissiaux du Québec antérieurs à 1850. Dans une première étape, toutefois, nous nous concentrons sur la période avant 1765, débordant ainsi légèrement le régime français à cause des sources et de l'évolution démographique. Pourquoi nos efforts vont-ils d'abord aux XVIIe et XVIIIe siècles et non aux XIXe? C'est qu'en travaillant sur cette époque éloignée, la probabilité est grande que la conjugaison de plusieurs facteurs, dont l'existence et la qualité des sources dès le XVIIe siècle, les effectifs peu considérables de la population sous le régime français et la possibilité de travailler sur l'ensemble des habitants d'un pays depuis ses origines, conduise une équipe de recherche à un optimum de rendement. Commencer les dépouillements par les documents de 1760 ou de 1800 nous aurait par ailleurs pénalisés en nous privant de la connaissance de la population de base et en nous amenant à manipuler dès le départ des masses considérables de données.
L'originalité de notre projet est de vouloir mettre au point une fiche propre à chaque individu, qui soit élaborée par l'ordinateur. Sur cette fiche apparaîtra la liste des événements démographiques auxquels un individu a participé, soit comme sujet d'acte soit comme témoin ; cette liste sera complétée par un certain nombre de caractéristiques provenant des sources exploitées : sexe, âge, état matrimonial, profession, relation de parenté, lieux de résidence et d'origine. La somme de ces fiches biographiques permettra de constituer sur bande magnétique un registre de population fait de dossiers individuels. C'est ce registre qui permettra de reconstituer la population de l'ensemble du territoire étudié à une date donnée.
L'expérience nous a montré toutefois que l'élaboration d'un tel registre ne va pas sans une opération préalable qui consiste à situer un individu d'abord par rapport à ses parents et ensuite, par rapport à son conjoint, opération qui fait partie de ce qu'on appelle en démographie historique la « reconstitution des familles ». Or, comme nous travaillons sur une population qui compte au-delà de 4000 personnes au recensement de 1666, environ 20000 en 1700 et 200000 un siècle plus tard, il ne nous est plus possible de recourir aux méthodes manuelles de reconstitution des familles. Nous devons pour cela utiliser l'ordinateur, ce qui nous amène là encore à des innovations méthodologiques, puisque la reconstitution automatique des familles nous entraîne dans le couplage de l'information. La mise sur pied d'un registre de population et le couplage automatique de l'information sont nos objectifs les plus immédiats ; on ne saurait cependant les atteindre sans une longue et patiente collecte des données exécutée selon des méthodes rigoureuses. Ces deux pôles d'activité de notre programme de recherche déterminent le plan de cet exposé où nous montrons comment, après plus de six ans de labeur, a évolué notre recherche, quel est le travail accompli, celui qui est en cours et celui qui reste à faire.
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