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Le rôle d'intermédiaire entre la population et le gouvernement que LEISERSON attribue aux partis politiques ne peut être rempli de façon adéquate que si le parti politique réussit à se constituer en organisation, c'est-à-dire que si le parti réussit à regrouper plusieurs individus dont il coordonnera les activités en vue de la poursuite de certains objectifs acceptés par tous. Comme l'exprime très bien ELDERSVELD, l'organisation permettra «de recruter des leaders, d'élaborer une politique, d'organiser la prise de décision, d'assurer les communications entre les gouvernants et les gouvernés, de façonner le consensus, d'assurer la responsabilité et d'orienter la société vers la solution de ses conflits». La dimension organisationnelle des partis, même si elle est loin d'être la seule, semble donc constituer un élément fondamental pour qui veut acquérir une meilleure compréhension de la vie des partis politiques. D'ailleurs, les politistes qui ont le plus contribué à l'élaboration d'une théorie des partis politiques les ont d'abord envisagés comme des organisations.
On perçoit dès lors que l'une des priorités des dirigeants du parti sera d'assurer le maintien et la continuité de l'organisation. En d'autres mots, l'organisation devra faire en sorte que ses membres ne quittent pas l'organisation et qu'ils continuent à participer et à poursuivre les objectifs reconnus par tous. À la suite de BARNARD et de SIMON, nous allons considérer l'organisation d'un parti politique comme un système d'échanges où des individus fournissent certaines ressources en retour de la satisfaction de certains besoins qu'ils estiment importants. Un certain équilibre doit donc s'établir entre les contributions des membres et les incitations que leur fournit leur participation à l'organisation, sinon la survie du parti est mise en danger. Si les membres constatent que les ressources qu'ils investissent dans l'organisation ne permettent pas de satisfaire certains de leurs besoins, ils remettront en question leur adhésion à l'organisation et peut-être la quitteront-ils.
Les incitations doivent, par conséquent, être au centre des préoccupations des personnes responsables du maintien et de la continuité de l'organisation. Or, l'administration du stock d'incitations dont disposent les dirigeants d'une organisation est rendue difficile par les caractéristiques même des incitations. Comme toutes les ressources, elles sont rares et elles ne sont pas distribuées également entre les individus. De plus, une organisation ne pourra pas offrir à ses membres une quantité d'incitations plus grande que les ressources à sa disposition. Ces incitations devront aussi convaincre les membres d'investir, par leurs contributions, des ressources qui pourront être transformées en incitations, de telle sorte que les ressources disponibles soient plus nombreuses que les incitations.
Avant d'aller plus loin, une distinction s'impose entre les concepts de motivation et d'incitation tels qu'ils sont employés dans cet article. Pour nous, une incitation doit être vue comme une ressource distribuée par l'organisation pour assurer la participation de ses adhérents. C'est dans ce sens que le terme est utilisé par CLARK et WILSON tout au long de leur article. Par contre, la motivation est la perception qu'a l'adhérent des récompenses qu'il reçoit de son activité dans une organisation. Alors que l'incitation est analysée du côté de l'organisation, la motivation se perçoit plutôt du côté du membre. Dans cet article, nous nous attacherons surtout aux motivations, c'est-à-dire aux récompenses que les individus ont l'impression de retirer de leurs activités politiques. Nous estimons en effet que l'équilibre des échanges dans l'organisation se définit surtout en fonction de l'évaluation subjective qu'en font les membres. Cela ne nous empêchera pas, cependant, de recourir au système d'incitations quand le besoin s'en fera sentir.
Après avoir brièvement présenté la méthode utilisée au cours de notre recherche, nous mettrons en relief la structure générale des motivations, telle qu'elle ressort des réponses de nos informateurs, et dans une seconde partie, nous tenterons d'établir des relations entre quelques variables indépendantes et les motivations.
Méthode
Pour obtenir nos données, nous avons conduit une entrevue avec chacun des vingt-trois chefs de paroisse de l'Union Nationale dans une circonscription électorale rurale située non loin de la ville de Québec. Les noms de ces vingt-trois organisateurs nous avaient été fournis par le député de la circonscription. Trois des entrevues ont été faites en mars 1969 dans le cadre d'une recherche plus générale sur les organisations partisanes de circonscription dans la région de Québec. Quatre autres se sont déroulées en juillet et la majorité (seize) au mois d'août 1969.
Les entrevues ont été les mêmes pour chaque informateur. Dans une première partie, l'informateur devait répondre à des questions concernant la dernière élection provinciale (celle de 1966) et les communications à l'intérieur de l'organisation depuis cette date. La seconde partie contenait surtout des questions sur les caractéristiques socio-économiques des interviewés. À la fin de cette section, nous avions inclus les trois questions touchant les motivations de nos chefs de paroisse. Si on exclut les trois premières entrevues qui ont duré environ deux heures, la presque totalité des entrevues n'a pas dépassé une heure.
Les trois questions que nous avons posées aux chefs de paroisse pour découvrir leurs motivations ont été empruntées à Eldersveld. L'utilisation des questions d'Eldersveld nous permettait non seulement d'établir des comparaisons avec ses données, mais aussi avec deux autres études, l'une américaine 0 et l'autre norvégienne, n qui ont eu recours à peu près au même genre de questions.