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Depuis bientôt dix ans, il n'est pas d'organismes publics ou para-publics qui n'aient utilisé l'animation comme méthode propre à régler quelque problème que ce soit et à promouvoir un certain développement. Qu'en est-il de cette méthode ? Deux hypothèses peuvent être ici proposées :
1. L'animation s'est mérité mille et une définitions. Quel qu'ait été le projet, cependant, ces définitions faisaient défaut au départ, leur manque de rigueur caractéristique compromettait le plus souvent la réalisation des objectifs prévus. L'hypothèse est la suivante : l'animation constitue une idéologie pédagogique dont la dimension pédagogique particulièrement n'était pas explicite à ses théoriciens ; par ce fait même, elle a été source d'ambiguïtés, de confusions qui en ont lourdement miné les projets. L'analyse des idéologies nous permettra de vérifier cette hypothèse.
2. De telles ambiguïtés étaient nécessaires. L'hypothèse est celle-ci : les débuts de l'animation à Saint-Henri et dans le cadre du B.A.E.Q. sont, à toutes fins pratiques, les débuts d'une formulation idéologique qui atteint, pour le moment, son point culminant dans l'Opération Départ (Montréal). De Saint-Henri, du B.A.E.Q. en passant par Tévec jusqu'à l'Opération Départ, il y a genèse idéologique ; elle se fait par le décapage progressif de notions telles que l'animation, ou par leur simple rejet et remplacement. Elle procéderait par suite d'une insuffisance des idéologies pédagogiques actuelles et se caractériserait, par exemple, par la restitution de la notion d'apprentissage, d'apprentissage individualisé, telle que précisée dans l'Opération Départ. Poser un diagnostic sur le courant d'idées qui a prévalu autour de l'animation, ce sera d'abord retrouver les filiations idéologiques ci-haut mentionnées en dégageant l'idéologie pédagogique en voie de formulation dans les projets d'animation, en poser ensuite la configuration actuelle. Comme point de départ de cette recherche, je présente ici l'analyse qui fonde la première de mes hypothèses. L'expérience analysée est celle de Michel Blondin. Blondin a travaillé
plus de sept ans dans le quartier Saint-Henri de Montréal. Outre qu'il soit l'un des rares animateurs qui ait fait autant d'efforts pour systématiser sa méthode, il nous offre suffisamment de textes, sept, pour qu'il soit possible de dégager l'idéologie pédagogique sous-jacente.
Les textes ont été écrits à des occasions précises, le Congrès du Conseil canadien du bien-être, le colloque de Recherches sociographiques, etc. ; deux d'entre eux étaient des documents à l'usage des animateurs travaillant au Conseil des œuvres. Il n'en est pas un cependant qui, en lui-même, suffise pour l'analyse. Us ont néanmoins, pour la plupart, comme propos « d'apporter des lumières sur l'animation sociale en milieu urbain » (IV, 53). J'ai pu observer, au départ, deux moments précis dans cette idéologie ; celui où Blondin s'attache aux principes de l'organisation communautaire et ce deuxième où, suite à un travail de réflexion sur les fondements de sa pratique, il tentera d'en faire une synthèse nouvelle, originale aux problèmes qu'il veut résoudre. Il n'a pas été possible pourtant de les distinguer nettement dans la présentation car il n'est pas de texte non plus où Blondin précise sa pensée sur l'organisation communautaire comme telle. Son premier texte en constitue déjà une critique et un début de reformulation.
La pratique de l'organisation communautaire est ainsi, de façon immédiate, le lieu de formulation et de traduction de la nouvelle synthèse. La distinction s'est tout de même avérée importante à l'analyse. Elle nous a permis de distinguer deux niveaux de formulation idéologique. Reprenant les fondements de sa pratique, Blondin sera amené à formuler, à un premier niveau, une idéologie à l'échelle de la société globale — une idéologie de la participation qui explique et apporte des solutions aux problèmes de la pauvreté — légitimant son intervention. Cette idéologie sera retraduite, à un deuxième niveau, en une idéologie pédagogique, pour fins d'intervention.
Nous ferons donc deux lectures successives de 1' « animation sociale en milieu urbain » : comme idéologie globale, définissant le type de société à construire et les moyens privilégiés à cet effet ; comme idéologie pédagogique, définissant un contenu pédagogique et un mécanisme pour le transmettre, afin que s'instaure cette société. La thèse est la suivante :
a) c'est dans la traduction de l'idéologie globale pour les fins d'une action spécifique, l'animation, que se situent les mécanismes idéologiques ; autrement dit, c'est la dimension pédagogique de cette vision de la société qui en fait une idéologie au sens strict.
b) les mécanismes idéologiques mis en évidence sont des mécanismes généraux, caractéristiques, peut-être, de toute idéologie pédagogique.