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Introduction

Dans le cadre d’une recherche qui visait à étudier les liens entre les habiletés rythmiques, phonologiques et graphomotrices au préscolaire (Frey et al., 2022), nous avons créé des routines d’éveil au rythme destinées à des enfants de maternelle 5 ans. Chaque activité a été sélectionnée ou créée avec le souci de favoriser le développement global des enfants, entre autres en exploitant des images et des sons et en mobilisant plusieurs parties du corps pour effectuer des mouvements variés. Les enfants ont été invités à répondre à différentes sources de stimulation qui favorisaient leur participation auditive, visuelle, émotionnelle et kinesthésique. Ils ont aussi été exposés à des oeuvres musicales variées comme éléments de culture.

Le présent article prend la forme d’une documentation de pratiques. Il décrira, dans un premier temps, le contexte général de l’étude et le portrait des acteurs impliqués dans la cocréation de ces routines. Leurs fondements rationnels, qui ont servi d’assises au processus de cocréation, seront présentés. Dans une deuxième partie, le processus de cocréation des routines d’éveil au rythme sera décrit. Nous nous appuierons sur l’approche dite des 4P (Portrait des acteurs impliqués; Processus de cocréation; description du Projet réalisé; exemples de Productions) pour présenter ces pratiques et leurs effets. L’approche 4P est née des recherches antérieures menées par l’équipe en littératie médiatique multimodale (Lacelle et al., 2019; Richard et Lacelle, 2020). Cette partie contiendra également une description des routines et ressources créées. Dans une troisième et dernière partie, les effets des routines seront présentés. Ces effets concernent le développement global et sont appréhendés par des outils psychométriques et par le recueil des perceptions des enseignantes. Lors des mises en oeuvre des routines, des variantes ont été apportées par les enseignantes afin de mieux répondre aux besoins des enfants. La troisième partie abordera également cette question.

1. Contextualisation générale et fondements théoriques de l’étude accueillant la démarche de création et de mise en oeuvre des routines d’éveil au rythme

Avant d’être déployées auprès d’enfants de maternelle, les routines d’éveil au rythme ont été créées avec plusieurs visées, dont celle de permettre l’atteinte des objectifs d’une étude scientifique et celle de soutenir le développement global des enfants. Le contexte général de l’étude et ses fondements théoriques seront présentés, suivis des éléments qui permettront de documenter la pratique de cocréation de ces routines selon l’approche des 4P dans la deuxième section de l’article.

Pour les jeunes enfants, la capacité à se synchroniser à un rythme présent dans l’environnement joue un rôle important dans le développement sensori-moteur, cognitif, émotionnel et social (Feldman, 2007). L’habileté à percevoir et à produire des patrons rythmiques favorise des capacités qui vont au-delà du champ musical, dont la coordination des mouvements, le traitement cognitif et le traitement langagier (Tierney et Kraus, 2013). En ce qui concerne le traitement langagier, par exemple, une étude de Moritz et al. (2013) a montré que la capacité à reproduire des patrons rythmiques d’enfants de maternelle est corrélée à plusieurs habiletés liées au traitement phonologique du langage, dont celles d’isoler les phonèmes initiaux, de segmenter les syllabes, de supprimer des parties de mots ou de syllabes et de segmenter des phrases en mots. Il en serait de même pour l’habileté à se synchroniser à une pulsation extérieure, qui s’est avérée corrélée au traitement phonologique chez des enfants de 3 et 4 ans (Carr et al., 2014). Plus récemment, une étude menée auprès d’enfants de 6 ans a permis de constater que la capacité de taper un rythme en même temps qu’un tempo extérieur, mesurée à l’entrée à l’école, agirait comme prédicteur de difficultés en lecture et en orthographe en fin de 1re année (Lundetrae et Thomson, 2018); la production, la perception et la synchronisation rythmiques seraient interreliées aux habiletés langagières.

En parallèle, les gestes d’écriture respectent des principes qui relèvent d’une organisation rythmique. Le premier de ces principes se nomme homothétie. Selon ce principe, le ratio des durées requises pour produire chaque partie d’un mot ou de lettre restera toujours le même, peu importe comment le mot ou la lettre est écrit : lentement, rapidement, en petits caractères ou en gros caractères. Le second principe se nomme isochronie. Selon ce principe, la durée d’un mouvement reste stable dans le temps, peu importe la longueur de sa trajectoire (Lashley, 1951). Ces principes sont valables dès les premiers écrits chez des enfants d’âge primaire (Pagliarini et al., 2017).

C’est pour ces raisons que nous nous sommes intéressés aux liens entre les habiletés rythmiques et les habiletés d’écriture manuscrite chez les jeunes apprenants. Notre étude (Frey et al., 2022) avait deux objectifs : 1) étudier la relation entre les habiletés rythmiques, les habiletés phonologiques et les habiletés graphomotrices d’enfants de maternelle; 2) évaluer les effets possibles d’un entrainement rythmique sur les habiletés phonologiques et graphomotrices chez ces enfants. Le design de la recherche initiale était principalement quasi expérimental, entre autres parce qu’il impliquait de documenter les effets de pratiques d’enseignement. Pour être en mesure de répondre au deuxième objectif, il fallait concevoir un « programme » qui serait déployé auprès des enfants de maternelle afin de soutenir le développement de leurs habiletés rythmiques, d’où la cocréation de routines rythmiques qui s’inscrivaient dans une perspective de développement global.

2. Démarche de création et de mise en oeuvre des routines d’éveil au rythme selon l’approche des 4P

Les prochaines sections mettront en lumière le portrait des acteurs et des milieux impliqués dans cette cocréation, le processus de cocréation, les caractéristiques du projet de routines en lui-même (description de leur contenu) et certaines des productions qui en ont découlé, d’une part chez les enfants, d’autre part chez les enseignantes.

2.1. Portrait des acteurs et des milieux

Au départ, une première recherche impliquant deux chercheurs de l’UQAC (Lessard et Pulido, 2019) a servi de contexte de création des routines d’éveil au rythme qui ont par la suite été reprises dans un projet plus vaste de recherche où d’autres chercheuses se sont jointes (Frey et al., 2022). Puisqu’un contrôle des variables était requis lors du développement des routines, la principale actrice impliquée lors de la phase initiale de développement était l’une des chercheuses de l’équipe, qui était alors professeure au département des sciences de l’éducation de l’UQAC. Par la nature de son parcours professionnel et universitaire, elle avait les connaissances théoriques et pratiques requises pour développer une première version des routines proposées. Entre autres, elle détenait une formation initiale et de l’expérience en enseignement auprès de jeunes apprenants, une formation en recherche avec un profil en adaptation scolaire (maitrise) et en didactique du français (doctorat) dans laquelle elle avait étudié les liens entre la lecture-écriture (habiletés langagières, habiletés phonologiques) et la musique (habiletés rythmiques et mélodiques) et elle détenait des formations spécifiques en pédagogie Orff (pédagogie musicale active où l’élément musical primaire exploité est le rythme naturellement présent dans le langage oral) (Comeau, 1995).

Plusieurs acteurs ont été impliqués dans le processus de cocréation des routines dans la deuxième phase de développement. Le chercheur de l’équipe, détenant aussi une formation musicale avancée, a pu valider le contenu et le format des routines tout en prenant une part active à la création du matériel d’appui fourni aux enseignantes – en l’occurrence des capsules vidéo. Une assistante de recherche, étudiante dans un programme de formation à l’enseignement en adaptation scolaire, a également participé à la sélection d’oeuvres musicales qui répondaient à certains critères pour soutenir les activités proposées (ex. : musique instrumentale seulement, sources et styles variés, pulsations faciles à repérer, etc.). Finalement, les autres personnes impliquées dans le processus de cocréation, vers la fin de cette deuxième phrase, sont trois enseignantes de maternelle, toutes titulaires d’une classe de maternelle 5 ans à l’intérieur d’écoles primaires de la commission scolaire des Rives-du-Saguenay. Elles ont choisi de participer au projet pour plusieurs raisons, dont leur conviction initiale des bienfaits d’intégrer la musique à leurs pratiques pour soutenir le développement global des enfants et leur désir de diversifier leurs approches en classe.

2.2. Processus de cocréation des routines

Les routines s’inscrivaient dans une recherche, ce qui impliquait un certain contrôle de paramètres, mais aussi dans un contexte d’enseignement régulier en maternelle 5 ans, d’où l’importance de s’inscrire à l’intérieur du Programme de formation de l’école québécoise qui était alors en vigueur pour le préscolaire (avant la création du Programme-cycle de l’éducation préscolaire qui est paru plus tard, en 2020) (gouvernement du Québec et ministère de l’Éducation, 2006). Toutes les activités sélectionnées s’inscrivaient ainsi dans une perspective de développement global de l’enfant en sollicitant plusieurs sens et plusieurs parties du corps des enfants, combinant les images, les sons et le mouvement. Le processus de création des routines a pris appui sur des assises à la fois théoriques et scientifiques dont les grandes lignes sont présentées ici.

Sur le plan théorique, le mouvement est indissociable de l’apprentissage de la musique chez les jeunes enfants (Flohr, 2010). Comme l’écriture manuscrite semble sous la contrainte de la planification temporelle des mouvements, le rythme pourrait servir de guide externe au mouvement grâce à la tendance naturelle et spontanée à s’y synchroniser (Pagliarini et al., 2017; Véron-Delor et al., 2017). Par ailleurs, certains principes d’intervention en lecture-écriture indiquent qu’il serait préférable de favoriser des interventions courtes et quotidiennes plutôt que des interventions longues, mais espacées (Chapleau et al., 2020), tandis que les effets de la pratique musicale chez les jeunes apprenants seraient observables lorsque la pratique se fait habituellement un minimum de trois fois par semaine (Paquet, 2017). Pour ces raisons théoriques, les routines d’éveil au rythme ont été développées pour faciliter le développement du contrôle rythmique des enfants dans un format privilégiant des activités courtes et fréquentes (chaque jour).

Sur le plan scientifique, les études antérieures indiquent des corrélations entre la capacité à copier des patrons rythmiques et les habiletés de conscience phonologique, de même que des corrélations entre la capacité à se synchroniser avec une pulsation auditive externe et les habiletés de traitement phonologique (Moritz et al., 2013; Carr et al., 2014). Comme mentionné précédemment, l’étude de Lundetrae et Thomson (2018) indiquait qu’une sensibilité temporelle serait liée à l’apprentissage langagier chez des apprenants du préscolaire, en particulier parce que celui-ci serait lié à la production, à la perception et à la synchronisation rythmiques. Pour ces raisons, les routines d’éveil au rythme ont été développées avec le souci d’inclure des activités qui impliquaient de percevoir, de reproduire et de produire des rythmes, de mobiliser une sensibilité temporelle et de se synchroniser avec une pulsation externe (telle qu’entendue dans une musique instrumentale, par exemple).

En somme, en raison de ces fondements, les activités sélectionnées ou développées pour les routines étaient de courte durée et revenaient quotidiennement. Elles sollicitaient le mouvement, les habiletés à percevoir, à reproduire et à produire des rythmes et des pulsations, l’habileté à se synchroniser à des rythmes extérieurs et la sensibilité temporelle (entre autres par la détection de différentes vitesses rythmiques). Dans tous les cas, les gestes produits par les enfants étaient régis non seulement par une certaine organisation spatiale (le « où »), mais surtout par une organisation temporelle précise (le « quand »). En combinant les critères qui découlent de la série de fondements énumérés, quatre activités différentes ont été créées. Dans une première phase de création, c’est d’abord la chercheuse qui a choisi les activités en tenant compte de tous les critères précédemment identifiés. Elle a ainsi pensé et conçu quatre activités qui, combinées, permettaient de répondre à tous ces critères. Ces quatre activités seront décrites dans la section suivante.

Une fois les activités choisies, c’est une phase de cocréation du matériel d’accompagnement et de soutien à l’enseignement qui a suivi, réalisée par la chercheuse, le chercheur et une assistante de recherche. Cette phase impliquait l’enregistrement de capsules vidéo, la sélection de trames musicales instrumentales aux tempos et aux styles variés et la création d’un guide de formation (accompagné d’activités de formation destinées aux enseignantes de maternelle). Lors de cette phase, les tâches de cocréation ont été réparties ou coréalisées, selon le cas. Ainsi, l’assistante de recherche avait pour mandats de repérer des trames instrumentales qui répondaient à des critères précis (ex. : vitesse, facilité de repérage de la pulsation, libre accès) et de filmer une partie des capsules. Pour le premier mandat, une série de rencontres avec la chercheuse a permis de valider les choix musicaux et d’expliciter, à l’aide d’exemples, quelles trames étaient optimales pour les activités en mettant en évidence leurs caractéristiques musicales. À titre d’exemple, vous pouvez entendre ici un extrait de musique instrumentale gratuite libre de droits, la pièce Inspirabeat composée par DanoSongs, qui aurait pu être sélectionnée dans le cadre d’une capsule de « vitamines rythmiques » : https://danosongs.com/track/2766512/inspirabeat (DanoSongs, s.d.). Pendant l’écoute de l’extrait, il est possible de constater que la pulsation de l’oeuvre peut être « sentie » dès le départ, mais qu’on ne l’entend qu’à partir de la 16e seconde, là où la percussion fait son entrée. Ainsi, les pulsations sont plus faciles à repérer et à suivre lorsqu’un instrument (comme une percussion) donne un indice sonore clair en marquant la pulsation. Par ailleurs, la chercheuse avait pour mandat de concevoir des séquences rythmiques corporelles qui seraient ensuite filmées, ce qui a impliqué un ordonnancement de séquences au niveau de difficulté croissant. Une explicitation de la démarche retenue a fait l’objet d’une validation par le chercheur, qui était présent lors de l’enregistrement des capsules en validant, à mesure, leur qualité (ex. : netteté des mouvements, précision rythmique, stabilité du tempo par une gestion de métronome silencieux, etc.). Les capsules étaient réenregistrées, séance tenante, au besoin, à mesure que les enregistrements progressaient. Finalement, la chercheuse a rédigé le guide de formation destiné aux enseignantes, dont les contenus et les explications ont été validés par le chercheur et l’assistante de recherche (ex. : clarté, qualité du soutien, facilité d’utilisation et de repérage des informations).

Avant de débuter les routines, une troisième phase de cocréation s’est déployée. Les enseignantes qui participaient au projet ont bénéficié d’une formation d’une demi-journée pendant laquelle elles ont pu recevoir et explorer le matériel vidéo et audio qui servait de support aux activités. La formation permettait d’expliquer et de vivre les activités tout en explorant différentes façons de les mettre en place en classe. Elles ont reçu, entre autres, des exemples de planification, des trames sonores à durée déterminée (une ou deux minutes, selon l’activité), un journal de bord à remplir quotidiennement pour y consigner leurs impressions, des instruments de percussion pour certaines variantes de mouvements sur pulsation (ex. : balles, oeufs musicaux, tambourin), un guide des trames sonores disponibles où leur métrique (3/4, 6/8 ou 4/4) et leur niveau de difficulté étaient consignés, ainsi que des précisions quant aux consignes, formulées de manière à permettre aux enfants d’être rapidement dans l’action avec leur corps en traitant de l’information musicale, principalement sur les plans sonore, visuel et kinesthésique. Ainsi, pendant la formation, les enseignantes ont pu s’approprier les activités proposées, poser leurs questions et soulever plusieurs pistes pour faciliter leur déploiement dans leur classe, d’où leur apport à la cocréation des routines. À titre d’exemple, lorsque la formation abordait comment accompagner les enfants dans le choix de mouvements avec locomotion qui accompagnent une musique instrumentale, une enseignante pouvait nommer les particularités de l’aménagement physique de sa classe dont il fallait tenir compte pour mieux guider ce choix de façon sécuritaire, entre autres en proposant des variantes tenant compte de l’espace physique disponible (ex. : se déplacer en contournant les tables au centre de la pièce, modéliser des trajets de déplacements pour éviter les collisions, etc.).

Certains principes sous-jacents aux routines ont été mentionnés aux enseignantes à ce moment : 1) les enseignantes pouvaient choisir les variantes d’activités avec lesquelles elles se sentaient à l’aise; 2) elles pouvaient au besoin répéter une activité pendant la semaine pour mieux répondre aux besoins des enfants; 3) elles pouvaient apporter toute modification aux routines qui découleraient de besoins observés dans leur groupe. De plus, il était souhaité que les enfants apprennent dans le plaisir. En expérimentant les activités tout en connaissant leur groupe, elles ont contribué à la génération de nouvelles variantes, d’ajustements de certaines activités ou de pistes d’exploitation supplémentaires en fonction des besoins qu’elles ont émis et des caractéristiques de leurs groupes respectifs.

2.3. Caractéristiques du projet de routines / description de leur contenu

Les quatre activités qui constituaient les routines prenaient environ 5 minutes par jour et elles ont été mises en place à raison de 5 jours par semaine, pendant 12 semaines. Ce format a été privilégié entre autres pour s’intégrer facilement aux routines quotidiennes déjà existantes des enseignantes de maternelle et pour favoriser l’engagement des enfants aux tâches proposées (Harper et al., 2017).

2.3.1. Activité 1 : Vitamines rythmiques sans musique

Pendant la première activité, d’une durée d’une minute, les enfants réalisaient des « vitamines rythmiques ». Il s’agissait de répéter de courtes séquences rythmiques, d’une durée de quatre pulsations, exécutées avec quatre niveaux corporels : les doigts, les mains, les cuisses et les pieds. Cette activité est normalement régie par une série de principes, tels que de conserver une vitesse constante. Pour de jeunes apprenants du préscolaire, il est aussi préférable de garder la même séquence rythmique du début à la fin en utilisant soit un seul niveau corporel à la fois par séquence (ex. : pieds seulement, puis mains seulement, etc.), soit un maximum de deux niveaux corporels à la fois par séquence (ex. : doigt et mains / cuisses et mains / pieds et cuisses / etc.) (Harding, 2023). Pour l’enseignante qui anime l’activité, l’enchainement des séquences requiert à la fois d’observer la réponse des enfants tout en planifiant la séquence suivante, ce qui peut constituer un très grand défi pour toute personne ne possédant pas de formation musicale. C’est pourquoi les enseignantes bénéficiaient d’un support DVD sur lequel une série de vitamines préenregistrées pouvaient être projetées au tableau numérique interactif de la classe. En tout, 60 capsules vidéo d’une minute étaient organisées selon un niveau de difficulté croissant (ex. : progression des formules rythmiques de plus en plus complexes, enchainements de niveaux corporels de plus en plus difficiles, etc.), parmi lesquelles les enseignantes pouvaient choisir au fil des semaines, en fonction de la progression observée dans leur groupe. On y voyait une personne qui exécutait les séquences rythmiques et qui invitait les enfants à les reproduire en laissant du temps pour la réponse kinesthésique des enfants avant d’enchainer avec les prochaines. En cliquant sur cet hyperlien, il est possible de visionner un extrait de capsule vidéo pour illustrer les vitamines rythmiques sans musique (Lessard et Pulido, 2021).

2.3.2. Activité 2 : Vitamines rythmiques avec musique

Très semblables à la première activité, d’une durée d’une minute également, les vitamines rythmiques sur musique permettaient aux enfants de reproduire de très courtes séquences avec leurs quatre niveaux corporels (doigts, mains, cuisses et pieds). Cette fois, les séquences duraient deux pulsations au lieu de quatre et l’activité se faisait pendant l’écoute d’une trame musicale instrumentale (sans paroles) dont le style et la provenance pouvaient varier au fil des jours (ex. : jazz, classique, musique de film, musique autochtone, etc.). Les enfants ont ainsi été exposés à des éléments de culture variés tout en y réagissant grâce à plusieurs de leurs sens (vue, ouïe, mouvement/toucher). En plus du mouvement et des habiletés de perception et de reproduction rythmiques sollicitées dans les deux activités, l’activité 2 demandait de synchroniser ses mouvements à une pulsation extérieure, telle qu’entendue dans la musique instrumentale. Comme ces principes requièrent aussi une certaine habileté rythmique chez la personne qui anime l’activité et que les trames instrumentales doivent être choisies en fonction de leurs caractéristiques musicales (ex. : vitesse adaptée, pulsation facilement détectable, etc.), une personne sans formation musicale peut avoir de la difficulté à l’animer adéquatement. C’est pourquoi le support DVD fournissait aussi un ensemble de 60 capsules vidéo d’une minute où on voyait une personne qui exécutait les mouvements souhaités, puis qui invitait les enfants à les reproduire en respectant les pulsations de la musique.

2.3.3. Activité 3 : Jeu de pulsation sur musique sans locomotion

Pendant la troisième activité, également d’une durée d’une minute, les enfants écoutaient un extrait musical instrumental (sans paroles). Pendant l’écoute, ils devaient effectuer des mouvements pour marquer la pulsation de la musique entendue en restant sur place. Les mouvements pouvaient se faire seuls (ex. : taper sur les cuisses, dans les mains ou sur le mur, les yeux ouverts ou fermés, assis ou debout, etc.), en dyades ou en petites équipes (ex. : taper dans les mains de l’autre, en alternance, dans le dos, en inventant un mouvement à deux, etc.) ou en grand groupe (ex. : faire circuler un objet à chaque pulsation). Ici encore, les styles musicaux sélectionnés étaient très variés, s’inspirant de plusieurs origines et repères culturels différents.

2.3.4. Activité 4 : Jeu de déplacement sur pulsation

La quatrième activité durait deux minutes et pouvait prendre deux formes différentes. Dans la première forme, les enfants se déplaçaient au son d’un tambourin, sans musique, et devaient synchroniser leurs pas aux sons entendus. À titre d’exemple, les enfants marchaient en cercle au son de noires, ils faisaient des pas chassés rapides à l’extérieur du cercle au son de croches et ils se déplaçaient très lentement au centre du cercle au son de grattements du tambourin (en blanches). C’est l’enseignante qui animait l’activité à l’aide de son tambourin, adaptant ainsi les vitesses des pulsations aux besoins de son groupe. Des variantes de déplacement étaient possibles, par exemple en créant deux cercles au lieu d’un, en imitant un animal différent pour chaque tempo, en se déplaçant deux par deux, etc. La deuxième forme de l’activité consistait à écouter une musique instrumentale pendant laquelle les enfants se déplaçaient sur les pulsations de la musique en marchant. Ils pouvaient se déplacer librement, en cercle, en suivant un meneur, deux par deux, etc. Dans les deux formes de l’activité, les enfants devaient synchroniser leurs mouvements à une pulsation extérieure, qu’elle soit fournie par un tambourin ou encore par une oeuvre musicale instrumentale. Ici aussi, les trames sonores ont été sélectionnées pour leurs origines et styles variés en fonction de leur métrique facile à repérer pendant l’écoute.

2.4. Productions découlant du projet

Le projet a mené à de multiples productions (capsules vidéo, sélection de trames musicales instrumentales, guide de formation), dont deux seront décrites plus en détail ici, soit les capsules et le guide.

Les enseignantes ont reçu un DVD sur lequel se trouvaient 60 capsules de vitamines rythmiques sans musique (voir l’extrait donné en exemple plus haut) et 60 capsules de vitamines rythmiques avec musique, d’une durée d’une minute chacune. Dans les deux catégories, les capsules étaient organisées en ordre croissant de difficulté, regroupées par semaine et par jour (ex. : capsule nommée « semaine 1, jour 4 », capsule nommée « semaine 8, jour 3 », etc.). Cette production constitue un apport important au soutien apporté aux enseignantes, qui pouvaient alors se concentrer à réaliser l’activité en même temps que les enfants (en répétant les mouvements proposés, offrant du même coup un modelage supplémentaire aux enfants en simultané), à observer les enfants pendant la tâche ou à aider ceux qui en avaient besoin (par exemple, en se plaçant près d’un enfant pour l’encourager à reproduire les mouvements). Comme une animation de cette activité en temps réel demande une aisance sur le plan rythmique et sur le plan de l’enchainement des mouvements (entre autres), c’est le support DVD qui a permis aux enseignantes d’observer et de soutenir davantage les enfants pendant ces tâches.

Une autre production liée au projet est le guide d’une dizaine de pages fourni aux enseignantes lors de la formation. Conçu pour soutenir directement la pratique enseignante, il contient les informations suivantes : 1) un tableau qui donne une vision d’ensemble des activités et de leur durée respective (pour un total de cinq minutes quotidiennes); 2) une description détaillée de chaque activité, accompagnée d’exemples de réalisation et de principes à respecter; 3) une liste de variantes pour chaque activité; 4) une liste du matériel requis pour chaque activité; 5) un tableau qui liste les trames sonores fournies aux enseignantes avec leur source (dont certaines sont déjà d’une durée de 1 ou 2 minutes, selon l’activité ciblée) et avec des indicateurs selon le niveau de difficulté (facile, moyen difficile), de métrique (3/4, 6/8, 4/4) ou de vitesse (rapide, moyenne, lente, très lente), de même que des suggestions de mouvements pour chacune (ex. : marche lente, moyenne ou rapide, balancement, pas chassés); 6) certaines précautions à prendre (ex. : choisir des activités avec lesquelles on se sent à l’aise, répéter une activité ou une capsule au besoin et avoir du plaisir); 7) un exemple de planification suggérée pour les 4 premières semaines de routines.

Que ce soit pour le DVD ou pour le guide, les enseignantes ont conservé ces productions au-delà des 12 semaines et elles les ont réutilisées dans leur enseignement dans les années qui ont suivi la fin du projet, ce qui témoigne d’un soutien à la pérennité des pratiques cocréées à l’intérieur du projet de routines d’éveil au rythme.

3. Retour réflexif

Les routines ont été mises à l’essai pendant deux années consécutives pendant 12 semaines, à raison de cinq minutes par jour, dans cinq classes de maternelle (il y avait deux classes pendant la première année et trois pendant la deuxième). Au fil des semaines, les enseignantes ont pu identifier quelques défis et se questionner quant aux variantes à apporter à leurs pratiques, ce qui a donné lieu à d’autres formes de productions qui seront présentées dans la prochaine section. Ces productions, différentes de celles décrites plus haut, concernent les retombées du projet de routines au prisme d’une recherche quantitative, les retombées des routines selon les observations exprimées par les enseignantes qui les ont mises en oeuvre et les variantes réalisées par les enseignantes. Le retour réflexif se terminera par un regard porté sur le processus de cocréation des routines en lui-même.

3.1. Retombées au prisme d’une recherche quantitative

L’utilisation de ces routines s’est faite dans le cadre de la recherche de Frey et al. (2022). Comme mentionné, cette recherche poursuivait deux objectifs : 1) étudier les relations entre les habiletés rythmiques, les habiletés phonologiques (littéraciques) et les habiletés graphomotrices; 2) évaluer les potentielles retombées de l’éveil au rythme prodigué dans les routines sur les habiletés phonologiques et graphomotrices. Soixante-dix-huit enfants de maternelle ont été séparés en deux groupes. Le premier a bénéficié des routines présentées dans cet article. Le deuxième groupe a participé à des routines qui comportaient aussi une composante gestuelle, mais qui ne faisaient pas intervenir le rythme, centrées à la fois sur des oeuvres d’arts visuels et sur l’art dramatique (Lessard et Pulido, 2022). Avant de vivre les routines et après les avoir vécues, tous les enfants ont passé des tests cognitifs généraux (mémoire, vocabulaire, habiletés non verbales), ont réalisé des tâches de synchronisation et de discrimination rythmique, des tâches de littéracie (habiletés phonologiques et essais d’écriture) et ont participé à des tâches de graphomotricité (copie de figures géométriques, écriture de lettres). Les analyses réalisées montrent des relations entre les habiletés rythmiques et littéraciques d’une part et entre les habiletés rythmiques et la pression que les enfants exercent sur leur crayon d’autre part. Elles montrent également que les routines rythmiques réalisées permettent d’améliorer les habiletés rythmiques des enfants, mais sans réellement produire de transfert sur les habiletés en littéracie et en graphomotricité.

3.2. Retombées au prisme des observations exprimées par les enseignantes

Les enseignantes qui ont participé à la recherche ont été interviewées et ont rempli un journal de bord. Elles ont rapporté avoir observé, chez les jeunes apprenants, une participation active et un engagement dans les tâches proposées pendant les routines d’éveil au rythme. Selon elles, les enfants avaient du plaisir à y participer et leur enthousiasme transparaissait dans les commentaires qu’ils émettaient au moment de commencer les activités, de même que dans leurs comportements non verbaux (ex. : sourires, désir de réussir la tâche et de s’y engager). Les enfants s’appliquaient pour reproduire les séquences rythmiques proposées. Elles ont aussi rapporté que lors de ces activités, les interactions entre les enfants étaient de qualité, c’est-à-dire qu’elles avaient l’impression qu’ils participaient collectivement à un défi commun. Finalement, elles ont mentionné que les enfants avaient développé leur aisance à reproduire les rythmes au fil des semaines, malgré une augmentation graduelle de la complexité de ceux-ci.

3.3. Variantes réalisées par les enseignantes

Devant les défis qui se sont présentés lors de la mise à l’essai des routines, les enseignantes ont fait quelques adaptations à la procédure que nous avions imaginée pour les interventions, afin de mieux répondre aux besoins des enfants. En guise d’exemple, il n’était pas toujours aisé pour les enfants de se déplacer au son du tambourin; les enseignantes ont alors effectué un modelage pour guider davantage les déplacements, surtout au début. Un deuxième défi était lié à la difficulté, pour certains enfants, à reproduire les rythmes ou encore à suivre les pulsations. Une variante trouvée pour le relever était de jumeler les enfants deux par deux, en créant des dyades où l’un des enfants avait de la facilité à accomplir les tâches rythmiques, afin de créer des pulsations en petites équipes. Lorsque certaines séquences rythmiques semblaient moins bien réussies, les enseignantes sélectionnaient alors des capsules des semaines précédentes pour permettre aux enfants de progresser à leur vitesse, ou encore, elles sélectionnaient la même capsule plus d’une fois à l’intérieur d’une même semaine. Le fait de revenir sur des séquences des semaines précédentes favorisait, selon elles, la motivation des enfants pour qui les rythmes complexes étaient devenus plus difficiles (par exemple, vers la septième semaine de mise à l’essai). L’une d’elles a également pris soin de faire pratiquer, individuellement, les tâches rythmiques à deux enfants en adoptant une vitesse plus lente. En somme, les premiers constats des enseignantes les ont menées à produire des variantes de certaines activités pour mieux répondre aux besoins des enfants et pour s’ajuster à leur progression au fil des semaines.

3.4. Regard sur le processus de cocréation des routines d’éveil au rythme

En ce qui concerne le portrait des personnes impliquées dans la cocréation des routines, on constate que c’est principalement l’expertise complémentaire de chacune qui a permis de nourrir la cocréation de routines d’éveil au rythme multimodales. Le processus de cocréation a d’abord pris appui sur des assises théoriques et scientifiques qui ont nourri trois phases de cocréation distinctes, où chaque personne jouait des rôles différents. Même si on constate que la contribution de la chercheuse était plus importante pendant deux de ces phases, il n’en demeure pas moins que la complémentarité des expertises a permis à chaque personne de contribuer de façon significative aux productions qui ont découlé de ce processus de cocréation, entre autres par des rencontres, des rétroactions et une ouverture de chacune. Dans un tel processus, l’utilisation d’un vocabulaire commun (et accessible à tous) a permis d’atteindre une compréhension commune des activités produites et mises à l’essai, par exemple en vulgarisant comment reproduire des rythmes tout en suivant les pulsations d’une trame sonore instrumentale avec une métrique particulière.

Conclusion

Cet article avait pour but de documenter des pratiques liées à la cocréation et au déploiement de routines rythmiques qui visent à favoriser le développement global des enfants au préscolaire, en particulier en maternelle 5 ans, tout en soutenant le développement de leurs apprentissages en exploitant principalement le corps, les mouvements, les sons et les images. Le contexte général dans lequel elles ont été créées a d’abord été décrit, suivi d’un portrait sommaire des acteurs qui les ont cocréées. Les assises théoriques et scientifiques sous-jacentes au processus de cocréation ont ensuite été présentées, suivies d’une description du processus de cocréation des activités d’éveil au rythme qui ont été déployées ensuite par des enseignantes de maternelle et des productions liées au projet. Dans un retour réflexif, les retombées de ces routines, les variantes qui y ont été générées et un regard porté sur le processus de cocréation ouvrent la porte à des réflexions qui concernent la valeur ajoutée de la multimodalité pour soutenir le développement global au préscolaire.

En réalisant quotidiennement quatre activités où la composante rythmique de la musique était mise en valeur, les enfants ont non seulement été invités à organiser leurs mouvements dans l’espace (le « où »), mais aussi à organiser leurs mouvements dans un temps précis (le « quand »). Ils ont été exposés à une variété d’éléments de culture en écoutant des oeuvres musicales instrumentales diversifiées, de styles et provenances variés (ex. : jazz, classique, musique autochtone, etc.). Par les activités proposées qui sollicitaient l’attention des enfants pour traiter des informations visuelles, sonores et tactiles / kinesthésiques et par les médias exploités (musique, vidéo, mouvement), l’approche multimodale au coeur des routines d’éveil au rythme semble avoir contribué au développement global des enfants. Outre le développement de leurs habiletés rythmiques, documenté par la recherche, plusieurs autres retombées de cette pratique ont été soulevées par les observations des enseignantes qui l’ont adoptée pendant plusieurs semaines, dont un engagement des enfants dans les tâches proposées, le plaisir, l’enthousiasme et les interactions de qualité qu’elle semblait susciter. Ces éléments viennent appuyer la pertinence d’approches d’enseignement qui invitent au mouvement corporel pour soutenir les apprentissages dans une perspective de développement global de l’enfant, de même que la pertinence d’intégrer des approches qui découlent d’une cocréation de pratiques appuyées par la recherche, par la théorie et par la pratique en combinant les expertises de plusieurs personnes jouant un rôle d’acteurs / actrices clés dans ce processus.