Abstracts
Résumé
L’autisme est un handicap lourd. Le manque de données épidémiologiques en Tunisie a rendu difficiles les estimations. Dans la région de Tozeur, il n’y a pas de réseau valable de détection des TSA, ni de registre spécifique pour les autistes. Par cette étude, il a été essayé de dresser l’état des lieux dans la capacité des professionnels de première ligne (PPL) à détecter rapidement et précocement des TSA. Les résultats étaient comparables aux résultats des études réalisées dans les populations du Nigeria; Pakistan; et l’Arabie saoudite. En effet, le personnel de première ligne est peu formé dans le domaine, ce qui rend le diagnostic des TSA très tardif et la prise en charge inefficace. Ceci impose une formation continue du personnel de première ligne pour un diagnostic efficace et précoce. Ceci améliorera la qualité de vie des enfants avec TSA et leurs parents et diminuera les charges financières sur l’état pour la prise en charge des TSA.
Mots-clés :
- trouble du spectre autistique,
- professionnels de première ligne,
- connaissances,
- Tozeur
Abstract
Autism is a serious handicap. The lack of epidemiological data in Tunisia made estimations difficult. In the region of Tozeur there is no valid network for detecting ASD, nor a specific register for autistic people. Through this study it has been tried to take stock of the ability of front-line professionals (PPL) to detect ASDs quickly and early. the results were comparable those of studies performed in the populations of Nigeria, Pakistan as well as of Saudi Arabia. In fact, front-line staff have little training in the field, which makes the diagnosis of ASD very late and the treatment ineffective. This requires continuous training of frontline staff for effective and early diagnosis. This will improve the quality of lives of children with ASD and their parents and decrease the financial burden on the state for the care of ASD.
Keywords:
- autism spectrum disorder,
- first line professional,
- knowledge,
- Tozeur
Article body
INTRODUCTION
Le trouble du spectre autistique (TSA) est un trouble neurodéveloppemental, il est caractérisé par : des troubles des interactions sociales et de la communication et des comportements à caractère restreint, répétitif et stéréotypé.
Depuis la cinquième édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5), le terme de trouble du spectre autistique est utilisé pour nommer cette pathologie et toute la diversité de ses formes cliniques (American Psychiatric Association (APA), 2013).
Les TSA se caractérisent par l'association d'un ou plusieurs des trois domaines (interactions sociales, communication, comportements et intérêts restreints) (Cravero et al., 2016).
L’intérêt accru que l’on connaît actuellement à l’égard du TSA tient notamment à l’augmentation du taux de prévalence de ce trouble dans le monde depuis les années 1980 (Biche et al., 2018). Ces prévalences sont actuellement estimées entre 1,7 à 4/1 000 pour l’autisme infantile et de 3 à 7/1 000 pour l’ensemble des troubles envahissants du développement (Webb et al., 2003).
En Tunisie (Afrique du Nord) on compte plus de 200 000 personnes avec un TSA (Ben Osman, 2019). Dans la ville de Tozeur située au sud-ouest de la Tunisie et comptant 47 000 habitants, la prévalence de l’autisme ne cesse d’augmenter. La situation se caractérise par un manque de dépistage précoce, une méconnaissance de la pathologie chez les professionnels de première ligne (PPL); un fort retard de la prise en charge. On note une insuffisance des moyens disponibles. Il existe actuellement peu de centres adaptés à la prise en charge de l’autisme. On note aussi l’absence du rôle et de la responsabilité de l’état devant les difficultés que rencontrent les familles avec un système sanitaire pauvre (manque de spécialistes, de professionnels, de matériels).
En l’absence de réseau valable de détection des TSA; aucune étude n’a été réalisée afin d’évaluer les connaissances des professionnels de première ligne dans ce domaine, par ce travail, il a été essayé de dresser l’état des lieux dans la capacité des professionnels de première ligne, à détecter rapidement et précocement des TSA et d’adresser les enfants en question à des structures spécialisées.
MATÉRIEL ET MÉTHODE
Description de l’étude
Il s’agit d’une étude scientifique prospective. Le questionnaire était également conçu pour fournir un ensemble de données qualitatives. Il comportait des questions à réponses ouvertes et fermées. Cette étude est transversale et étalée sur 3 mois : avril, mai et juin 2019.
Population de l’étude
Nous avons inclus dans cette étude 139 personnes. Des professionnels en contact direct avec l’enfant ayant consenti à être inclus dans l’étude : les professionnels de santé dans les services de soins et de santé de base (médecins et infirmiers); les professionnels des services de médecine scolaire (médecins et infirmiers); les professionnels des services de protection maternelle et infantile; les professionnels de l’éducation nationale (enseignants des écoles primaires des années préparatoires et première année primaire) et les professionnels de la petite enfance (professionnels des jardins d’enfants).
Nous avons exclu de notre étude les professionnels n’exerçant pas au cours de la période de l’étude.
Collecte de données
Un questionnaire papier a été utilisé pour la collecte des données, il a été distribué par du personnel en médecine scolaire et du service URR (Unité de réhabilitation régionale). Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel Epi Info™. Les variables qualitatives ont été décrites en termes de pourcentages. Un consentement a été obtenu par les participants à l’étude.
RÉSULTATS
Description de la population d’enquête
Parmi les 139 PPL, 91 (65 %) étaient de sexe féminin. La répartition des échantillons de l’étude était comme décrite dans le Tableau 1.
Le niveau d’étude des professionnels varie du secondaire au supérieur. 103 (74 %) des PPL inclus dans l’étude, avaient un niveau d’étude supérieure. 84 (60 %) des PPL inclus dans l’étude avaient entre 30 et 50 ans.
Connaissance des TSA
Perceptions sur les TSA et les connaissances sur les sujets
À la question : « Pouvez-vous nous dire en quelques mots ce que vous évoque le terme autisme? » 127 (91 %) personnes ont répondu et nous avons identifié 21 termes cités par au moins deux personnes. Ces termes et la fréquence à laquelle ils ont été énoncés sont présentés dans le Tableau 2.
La fréquence à laquelle les domaines caractéristiques des TSA ont été cités par les PPL et selon la catégorie professionnelle est décrite dans les Figures 1 et 2.
Près de 27/139 (19 %) des enquêtés avaient répondu que l’évocation du mot « autisme » signifie un trouble du comportement, environ 88/139(64 %) à un trouble des interactions sociales et de la communication, et 12/139 (9 %) n’ont pas répondu.
Comme l’indique le Tableau 3, 106 (77 %) des PPL déclaraient être peu familiers à l'égard de l’autisme, surtout en ce qui concerne les personnels de santé. 125 (90 %) des personnes interrogées trouvaient que l’importance accordée à ce problème de santé dans la région de Tozeur était insuffisante.
Signes évocateurs du TSA
106 (77 %) des personnes interrogées déclaraient « peu connaitre » les signes évocateurs de TSA.
La perception du degré d’évocation du TSA de différents signes pouvant attirer l’attention des PPL. Les signes les plus fréquemment perçus comme très évocateurs de TSA étaient la solitude, l’isolement en premier lieu, et l’insoumission aux ordres en second lieu (Figure 3).
Connaissance des structures de diagnostic et orientation par les PPL
Les professionnels des écoles orientent l’enfant vers des professionnels travaillants au sein de l’établissement (médecine scolaire et psychologue scolaire).
Concernant les personnels de santé, parmi les 9 médecins ayant participé à l’enquête, 7 (77 %) d’entre eux auraient orienté l’enfant vers l’équipe pluridisciplinaire.
25/41 (60 %) des professionnels de santé ont des connaissances de l’URR. En revanche, 26/98 (26 %) des professionnels de jardins d’enfants et des enseignants ont des connaissances de l’URR. 19/66 (30 %) des PPL ont orienté les enfants rencontrés vers l’URR, 12/66(20 %) n’ont pas orienté les enfants malgré la présence des signes évocateurs.
Accès à l’information et aux formations
Les sources d’informations les plus fréquemment citées étaient la télévision 86/139 (61 %), Internet 76/139 (54 %), les séminaires 21/139 (15 %) et l’expérience 8/139(5 %).
Concernant les formations sur l’autisme, seulement 15/139 (11 %) avaient déclaré avoir une formation sur les TSA contre 124/139 (89 %) qui n’ont jamais été informés sur des formations organisées sur ce sujet.
Expérience et réactions des PPL face à des cas rencontrés dans le cadre de leur exercice
Parmi les 139 interrogés, 66 (47 %) ont été en contact avec des enfants ayant un TSA. 42/66 (63 %) des PPL ont adopté une attitude difficile, stricte avec les enfants TSA. 24/66 (37 %) des PPL ont adopté un comportement plus souple envers ces enfants. Mais ils ont éprouvé une difficulté de communication avec eux.
L’intégration scolaire
Cette étude a montré que les personnels de santé 20/41 (49 %) et de jardin d’enfants 21/34 (61%) acceptent et encouragent l’intégration scolaire avec les sujets normaux. 30/64 (46 %) des enseignants ne sont pas pour, vu les problèmes qu’ils rencontrent quand le cas se présente (Tableau 4).
DISCUSSION
L’enquête sur ce petit échantillon des réseaux d’alerte (PPL) montrait la pauvreté et l‘insuffisance de la connaissance générale des TSA chez ces professionnels. La majorité des PPL n’ont pas reçu de formation sur les TSA. Ainsi, les signes précoces spécifiques des TSA étaient fréquemment méconnus.
La population de l’étude (PPL) était répartie de manière hétérogène de la commune de Tozeur. Les professionnels impliqués dans le repérage précoce, dénommés ici « professionnels de première ligne » (PPL) (HAS, 2018) représentent un maillon essentiel pour identifier les enfants atteints de TSA et orienter les familles pour leur prise en charge. Les professionnels travaillant dans la garde d’enfants, sont dans une position idéale pour observer le comportement des enfants et repérer un développement atypique (Branson, Bingham et Vigil, 2008). De même, les instituteurs d’écoles primaires ont souvent été identifiés dans ce repérage (Chastang, Lindivat, Delmestre et Soares, Décembre 2019), après les parents et avant les médecins généralistes et les pédiatres (Castro Sanchez, Escandell Bermudez et Fortea Sevilla, 2013).
L’augmentation de la prévalence des TSA peut être expliquée en partie par l'amélioration du repérage par les professionnels des troubles autistiques dans la population générale, la modification des critères diagnostiques, et un accroissement des risques environnementaux.
Les résultats de cette enquête montrent l’insuffisance des connaissances sur les caractéristiques de l’autisme chez les PPL. Ils n’ont pas davantage de connaissances sur son étiologie, son pronostic évolutif et sa prise en charge. Ces connaissances limitées constatées chez les PPL sont probablement un frein à la mise en place d’un dépistage précoce et de prise en charge efficace des enfants atteints d’autisme.
L’estimation de la fréquence de l’autisme par les personnes interrogées montre le manque d’information et de connaissance sur ce sujet.
La réponse à la question portant sur l’étiologie de TSA montre une importance associée au problème de l’exposition massive à la télévision en premier lieu.
Des appréciations similaires de la société à propos de la connaissance de l’autisme ont été trouvées dans une enquête faite en Arabie saoudite (Alsehemi et al., 2017).
Une enquête a été réalisée en 2016 en Guyane française auprès des PPL, a démontré d’assez bonnes connaissances des TSA chez les PPL, malgré quelques lacunes concernant les signes précoces du diagnostic (Biche et al., 2018).
Des travaux chez les médecins (Cordier, Rogé, Igier, Frémolle-Kruck et Chabrol, 2006; Depoix, 2014; Pimpaud, 2014) et les enseignants en France (Flavier et Clément, 2014), des professionnels de santé au Nigeria et au Pakistan (Heidgerken, Geffken, Modi et Frakey, 2005; Imran, Chaudry, Azem, Bhatti et Choudhary, 2011) ont montré des connaissances insuffisantes sur l’autisme.
Dans cette étude, on remarque une grande diversité attribuée au terme de l’autisme, 21 termes cités, ceci est expliqué par le polymorphisme clinique de l’autisme infantile. Ce polymorphisme clinique est si important qu’il fait parler non plus d’autisme, mais des autismes (Aussilloux, Baghdadl, Pry, Picot et Picot, 2000).
Bien que les personnes interrogées aient déclaré peu connaitre les signes évocateurs des TSA, près de 64 % avaient cité spontanément au moins un signe, avec les signes se rapportant à la communication et aux interactions sociales. Les signes les plus fréquemment perçus comme très évocateurs de TSA étaient : La solitude, l’isolement en premier lieu, et l’insoumission aux ordres en second lieu.
En 1999 un article a été publié par un groupe de spécialistes (pédiatre, neurologue, psychologue) réuni par les sociétés américaines. Ce groupe de spécialistes a souligné les principaux signes d’alerte retrouvés généralement rétrospectivement par l’anamnèse d’enfants autistes (Filipek et al., 1999)
Concernant la fréquence à laquelle les PPL avaient reçu des inquiétudes parentales, les professionnels de santé ont plus fréquemment répondu que les parents leur ont confié des inquiétudes, parfois plus que les enseignants et les professionnels de la petite enfance, qui déclaraient très majoritairement que les parents ne transmettaient jamais ou rarement leurs inquiétudes.
Les professionnels de petite enfance ou de santé ont souvent rassuré les parents. On leur encourageant et leur disant de ne pas s’inquiéter (Chamak, Bonniau, Oudaya et Ehrenberg, 2011).
La déclaration d’un TSA dans une famille est une source de souffrance de malheur et de bouleversement de tous les membres de la famille (Benson, Juillet 2006; Cappe, Wolff, Bobet et Adrien, 2011; Chamak, Bonniau, Oudaya et Ehrenberg, 2011; Chastang, Lindivat, Delmestre et Soares, 2019; Nillama, Derguy, Bellalou et Cappe, 2018).
Dans cette enquête on note l’absence de coordination et de communication entre les familles des enfants et les PPL. Des études faites ont montré les bénéfices de l'accompagnement et du soutien que reçoivent les parents des autistes des professionnels (Krieger, Saias et Adrien, 2013).
Cette étude nous montre une grande variabilité des attitudes des professionnels face aux enfants autistes et leurs familles.
D’après cette enquête, les professionnels de santé ont plus de connaissance à propos de l’URR (Unité de Réhabilitation Régionale) par rapport aux enseignants et les personnels de jardins d’enfants. Ceux-ci orientent plus vers des orthophonistes de libres pratiques.
En l’absence des stratégies de prise en charge et des recommandations bien déterminées, les PPL ont trouvé de nombreuses difficultés pour l’orientation des enfants autistes. Ce qui est à l’origine de retard de diagnostic et de négligence accordée à l’autisme même par les médecins généralistes. Des études réalisées en France ont montré que les médecins généralistes ne sont pas très à l’aise avec cette pathologie (Depoix, 2014; Dukuray, 2012; Pimpaud, 2014).
Concernant les formations sur l’autisme, seul 15/139 (11 %) avait déclaré avoir une formation sur les TSA contre 124/139 (89 %) qui n’ont jamais été informés sur des formations organisées sur ce sujet. La formation constitue donc un levier fondamental pour changer les attitudes des professionnelles et ainsi améliorer la qualité de l’accompagnement et de l'encadrement des autistes.
Devant l'évolution remarquable et importante des critères diagnostiques et de prise en charge de l'autisme ces dernières années (Favrot-Meunier, Saint-Georges Chaumet et Saint-Georges, 2019; Heidgerken, Geffken, Modi et Frakey, 2005;) ce qui complique de plus la mise à jour des connaissances des médecins traitants, d'où la nécessité de sensibilisation et de formation des médecins généralistes (Baghdadli et al., 2006). Récemment, de nombreux articles scientifiques consacrés aux TSA ont été publiés (Bonnet-Brilhault, 2010; Chabane, 2014; Robert, 2010), ce qui fait espérer une implication croissante des médecins généralistes.
De même, ce travail relève le plus grand problème de l’intégration scolaire. L'école est une préoccupation majeure des parents. L’insertion scolaire dans des écoles inclusives des enfants ayant des TSA était l’un de nos objectifs. Mais, en réalité, on se heurte à plusieurs problèmes. Ce qu’on a remarqué dans cette enquête à propos de l’intégration scolaire, les enseignants ne sont pas pour, vu les problèmes qu’ils rencontrent quand le cas se présente. Ceci est dû au manque de formation et d’information sur le sujet.
Des résultats similaires ont été constatés dans des études internationales. Les instituteurs qui s'occupent de l'enfant (Bursztejn et Gerber, 2001) jouent un rôle important dans l'intégration scolaire. Ils se trouvent confrontés à plusieurs difficultés par manque de formation et de stratégie (Denis et Goussé, 2013). De ce fait, les enfants étaient parfois exclus de la vie éducative, ce qui oblige les parents a s'attribuer le rôle d'éducateur ou d'AVS.
Enfin, un partenariat avec les familles est souhaitable pour sauver la vie scolaire de leur enfant.
CONCLUSION
Notre étude représente un état des lieux du réseau d’alerte des TSA, nos résultats étaient comparables aux résultats des études réalisées dans les populations de Nigeria; Pakistan; Arabie saoudite, en effet le personnel de première ligne est peu formé dans le domaine ce qui rend le diagnostic des TSA très tardif et la prise en charge inefficace.
Ceci impose une formation continue du professionnel de première ligne pour un diagnostic efficace et précoce ce qui améliorera la vie des enfants avec TSA et leurs parents et diminuera les charges financières sur l’état pour la prise en charge des TSA.
L’autisme est un problème de société dont la charge financière est extrêmement lourde, avoir un enfant autiste reste un véritable parcours du combattant.
Appendices
Notes
-
[1]
Nous déclarons l’absence de conflit d’intérêts.
-
[2]
Adresse de correspondance : Ministère de la Santé publique Tunisie, Groupement de santé de base à Tozeur, Ras Tabia 2200 Tozeur, Tunisie. Téléphone : +21654376773. Courriel : halimachalghaf@yahoo.fr
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