Abstracts
Résumé
L’objectif de la présente étude consiste à examiner les relations entre l’adhésion aux stéréotypes de genre (SG) et les attitudes et comportements vis-à-vis du consentement sexuel (CS) auprès d’un groupe diversifié d’adultes émergent·es québécois·es (N = 506). Les résultats indiquent une association positive entre l’adhésion à des SG féminins et masculins et certaines dimensions du CS. Aussi, les individus se distingueraient par rapport à leur adhésion aux SG en fonction de leur genre et de leur orientation sexuelle. Finalement, les personnes appartenant aux minorités de genre, les femmes et les personnes LGBQ+ montreraient des attitudes et comportements plus favorables au CS.
Mots-clés :
- consentement sexuel,
- stéréotypes de genre,
- adultes émergents,
- orientation sexuelle
Abstract
The purpose of the present study was to determine whether there was a relationship between adherence to gender stereotypes (GS) and attitudes and behaviors toward sexual consent (SC) among a diversified Quebec emerging adults group (N = 506). The results indicate a positive association between adherence to female and male GS and these components of SC. Also, individuals would differ in their adherence to GS according to their gender and sexual orientation. Finally, gender minority people, women, and LGBQ+ individuals would show more favorable attitudes and behaviors toward CS.
Keywords:
- sexual consent,
- gender stereotypes,
- emerging adults,
- sexual orientation
Article body
INTRODUCTION
Le consentement sexuel (CS), défini comme étant la communication verbale ou non verbale d’un désir de s’engager dans une activité sexuelle (Hickman et Muehlenhard, 1999), est intimement lié au vécu de violences à caractère sexuel. Ces dernières se produisent lorsqu’un geste à caractère sexuel est tenté ou commis envers une personne « sans le consentement libre de cette personne, ou encore envers une personne qui n’est pas en mesure d’y consentir ou de refuser » (Institut national de santé publique du Québec, 2018). Selon l’enquête PIXEL (Lambert et al., 2017), entre 17 et 29 ans, près d’une femme sur 3 et un homme sur 10 ont été victimes de violences sexuelles, alors qu’iels[3] rapportent que leur CS n’a pas été respecté à au moins une reprise, soit lors d’un contact physique sexuel ou d’une pénétration. Selon des données provenant de l’enquête ESSIMU, une étude en milieu universitaire, les personnes appartenant aux minorités de genre et aux minorités sexuelles âgées de 18 à 24 ans seraient plus vulnérables aux violences sexuelles que leurs pairs cisgenres et hétérosexuel·les (Martin-Storey et al., 2018). Caractérisée comme étant « l’âge des explorations identitaires, l’âge de l’instabilité, l’âge de l’égocentrisme, l’âge du sentiment d’entre-deux et l’âge des possibilités », la période développementale d’adulte émergent·e représente également une période d’exploration sexuelle puisqu’environ 45 % des jeunes adultes de 21 à 29 ans ont eu 7 partenaires sexuel les et environ 20 % en ont eu 15 ou plus (Lambert et al., 2017). On observe également une diversification des configurations relationnelles non conjugales chez les jeunes adultes célibataires sexuellement actif·ves de 18 à 30 ans (Rodrigue et al., 2015).
Les résultats des études portant sur le CS mettent en lumière que le genre est une variable cruciale en lien avec le CS (p. ex., Humphreys, 2007; Jozkowski, 2014a). On retrouve d’importantes différences dans les façons de comprendre, de communiquer et d’interpréter le CS en fonction du genre. Parmi les facteurs associés aux comportements sexuels, y compris le consentement à de tels comportements, les stéréotypes de genre (SG) sont décrits comme « des ensembles structurés de croyances à propos des attributs personnels des femmes et des hommes » (Ashmore et Del Boca, 1979; Garcia-Retamero et al., 2011). Ce sont des construits cognitifs et ils influenceraient les comportements sociaux. En ce sens, ils constituent des attentes sociales qui guident les comportements des individus. Certaines études ont montré que l’adhésion à des SG prédisait les attitudes et les comportements (Davis, 2009; Lefkowitz et al., 2014; Wood et Eagly, 2009).
Le consentement sexuel chez les adultes émergent·es
Tout d’abord, le CS est compris et décrit par les adultes émergent·es comme un enjeu complexe et un processus subtil (Beres, 2010; Brady et al., 2017), souvent exprimé par des « codes » ou des « messages cachés » (Jozkowski et al., 2018). Des discussions directes à propos du CS dans le contexte de relations sexuelles représenteraient des exceptions (Shumlich et Fisher, 2018). Le CS peut être conçu de deux façons : comme un événement isolé (discrete event) ou un processus continu. Un événement isolé réfère à « dire ou faire quelque chose qui est interprété comme un consentement » (Muehlenhard et al., 2016), alors qu’un processus réfère à une négociation continue du CS (Beres, 2014). Les femmes seraient plus nombreuses que les hommes à considérer le CS comme un processus et les hommes, à le percevoir comme un événement isolé (Humphreys, 2004).
Plus concrètement, des signaux indirects seraient interprétés par les hommes comme un consentement à avoir des relations sexuelles. Par exemple, accepter d’accompagner une personne chez elle serait interprété par les hommes comme un indicateur d’une activité sexuelle certaine (Jozkowski et al., 2018). Les femmes, de leur côté, après avoir accepté de raccompagner ou de se faire raccompagner, considéreraient inapproprié de dire non à des rapports sexuels par la suite (Burkett et Hamilton, 2012), puisqu’elles auraient donné leur CS de façon implicite (Hirsch et al., 2019). Dans l’étude de Lofgreen et al. (2017), 145 étudiants d’une université états-unienne, s’identifiant comme hommes, ont complété un questionnaire à la suite de la lecture de vignettes présentant une interaction sexuelle entre un homme et une femme. Ils ont ensuite été interrogés quant à leurs perceptions du désir sexuel de la femme dans la vignette, de son consentement à poursuivre l’interaction, puis de son consentement à avoir une relation sexuelle. Les auteur·trices concluent à la lumière de leurs résultats que les hommes « confondent des facteurs contextuels indicatifs du désir sexuel avec un consentement implicite » (p. 22).
Concernant les stratégies de communication du CS, le type d’indicateurs utilisés pour communiquer varierait en fonction du degré d’intimité des comportements sexuels. Jozkowski et al. (2014a) ont examiné ces stratégies dans une étude états-unienne auprès d’un échantillon de 185 étudiant·es universitaires hétérosexuel·les âgé·es de 18 ans et plus. Les indicateurs verbaux ou un mélange d’indicateurs verbaux et non verbaux étaient plus souvent rapportés pour des comportements plus intimes (p. ex., pénétration vaginale ou pénétration anale), qu’ils l’étaient pour des comportements moins intimes (p. ex., caresses sexuelles ou relations sexuelles orales). Selon cette même étude, les participant·es étaient plus susceptibles de rapporter l’usage d’indicateurs verbaux pour indiquer leur propre CS, mais s’appuyaient davantage sur des indicateurs non verbaux pour interpréter le CS de leurs partenaires. Pour interpréter cette discordance, les auteur·trices émettent l’hypothèse selon laquelle les individus surestimeraient leurs propres pratiques verbales de consentement, et qu’il se maintiendrait ainsi un écart entre les intentions exprimées et les comportements réels.
Diverses études ont révélé que les adultes émergent·es entretenaient des croyances qui étaient discordantes par rapport à la législation canadienne afférente au CS. Cette dernière établit que, pour qu’un consentement soit valide, celui-ci doit être clair, libre et éclairé (Éducaloi, 2021). Dans les études de Bergeron et al. (2020) ainsi que de Goodcase, Spencer et Toews (2019), une proportion non négligeable d’étudiant·es trouvait acceptable d’avoir des relations sexuelles avec une personne ivre. Enfin, certain·es auteur·trices ont mis en lumière que les croyances et comportements relatifs au CS pouvaient différer selon qu’il s’agisse d’une relation à long terme, d’une relation occasionnelle ou entre des partenaires anonymes (p. ex., Bay-Cheng et Eliseo-Arras, 2008; Beres et al., 2004; Jozkowski et al., 2014a; Shumlich et Fisher, 2020). Par exemple, un CS explicite serait davantage considéré comme nécessaire dans une nouvelle relation comparativement à une relation de longue durée (Humphreys, 2007).
Les relations entre les stéréotypes de genre et le consentement sexuel
Parmi les études portant sur le CS, peu se sont intéressées spécifiquement à l’influence de l’adhésion à des SG sur les attitudes et comportements à l’égard du CS. Notons au préalable que les façons de conceptualiser le CS et les SG divergent grandement à travers celles-ci. L’étude de Boratav et Çavdar (2012) visait à déterminer comment les SG étaient liés au CS lors d’activités sexuelles non désirées chez des adultes émergent·es universitaires turc·ques. Les chercheuses ont opérationnalisé la variable des SG par l’endossement d’attentes traditionnelles féminines et masculines concernant spécifiquement la sexualité. Leurs résultats ont montré que tous·tes les participant·es étaient plus susceptibles d’adhérer à des SG traditionnels sur la sexualité masculine (p. ex., « Un homme veut et est toujours prêt à avoir une relation sexuelle avec une femme. ») que sur la sexualité féminine (p. ex., « Les femmes veulent parfois dire ‘’oui’’ même quand elles disent ‘’non’’ à du sexe. »). Toutefois, aucun lien significatif n’a été trouvé entre l’adhésion à des SG et le consentement à des rapports sexuels non désirés, chez les femmes et les hommes.
Warren et al. (2015) ont étudié chez des hommes universitaires et hétérosexuels (18-46 ans), la relation entre la compréhension du CS, mesurée à l’aide de questions sur des vignettes, et la perpétration d’une agression sexuelle dans les 12 derniers mois. Iels ont pu observer que la compréhension du CS médiait la relation entre la conformité aux normes de masculinité et la perpétration d’une agression sexuelle. En d’autres mots, un niveau de conformité élevé aux normes de masculinité (p. ex., « Je ressens souvent le besoin d’être en charge des personnes autour de moi ») était associé à une faible compréhension du CS, et ce même niveau de compréhension du CS était associé à de plus hauts taux de perpétration d’une agression sexuelle dans les 12 derniers mois. Hust, Rodgers et Bayly (2017), de leur côté, ont défini les SG comme les manières dont « les hommes et les femmes devraient interagir dans une relation » et ont examiné la relation entre l’accord avec les SG et les anticipations relatives au CS (p. ex., : « Je préfèrerais ne pas avoir de sexe plutôt que de forcer quelqu’un »), sans obtenir de résultats concluants.
Hermann et al. (2018) ont étudié la relation entre la masculinité hostile (aussi appelée hypermasculinité) et les attitudes et comportements à l’égard du CS. Iels ont utilisé l’instrument de mesure Sexual Consent Scale–Revised de Humphreys et Brousseau (2010), soit celui mobilisé dans le cadre de cette étude. Chez les étudiants universitaires sondés (N = 144), des niveaux plus élevés de masculinité hostile étaient associés à un plus faible contrôle comportemental perçu face à l’établissement du CS et à des attitudes moins positives vis-à-vis du CS. L’hypermasculinité était également associée à un plus grand usage de comportements indirects par rapport à la communication et l’interprétation du CS. Finalement, dans un échantillon mixte sur le plan du genre, Mackay et Kozlowski (2018) ont trouvé une association entre l’adhésion à des SG féminins et des attitudes plus positives à l’égard du CS.
Les scripts sexuels et le consentement sexuel
Les liens entre les scripts sexuels et le CS ont été étudiés par certain·es auteur·trices (Hust et al., 2017; Jozkowski et Peterson, 2013; Katz et Schneider, 2015). D’abord, il est estimé qu’il existe une grande proximité entre les scripts sexuels et les SG. Ainsi, les SG seraient appris par l’entremise de modèles d’activités sociales, interpersonnelles et sexuelles, et les scripts sexuels permettraient donc la perpétuation des SG (Wilson et al., 2009). À ce propos, dans la littérature, on retrouve parfois les expressions « stéréotype sexuel » et « script sexuel » utilisées de façon confondue (Hust et al., 2017). Selon Gagnon et Simon (1973), les scripts sexuels seraient des scénarios d’actes sexuels qui constitueraient des repères et auxquels les individus adhèreraient à divers degrés. À ce sujet, Brady et al. (2017) visaient à cerner comment les adultes émergent·es hétérosexuel·les de 16 à 24 ans comprenaient le CS lors d’activités sexuelles consenties à partir de données provenant d’ateliers et d’un questionnaire en ligne à réponses ouvertes. La majorité des participant·es possédaient une certaine compréhension du CS, c’est-à-dire associaient celui-ci à des « notions d’accord positif entre des partenaires, d’une volonté commune d’avoir une activité sexuelle, ou de demander, donner ou recevoir une autorisation pour une activité sexuelle » (p. 9). Les femmes étaient plus nombreuses (95 %) que les hommes (85 %) à comprendre le concept du CS. En outre, les scripts sexuels des « femmes passives » et des « hommes actifs » étaient présents dans les discours de certain es.
Selon plusieurs études, un script sexuel traditionnel relatif au CS chez les personnes hétérosexuelles est celui de l’homme initiateur des relations sexuelles et de la femme accordant ou non son CS (Burkett et Hamilton, 2012; Hirsch et al., 2019; Humphreys, 2007; Jozkowski et Peterson, 2013). Ainsi, les femmes seraient responsables d’établir et de communiquer clairement les limites de la relation sexuelle (Burkett et Hamilton, 2012; Jozkowski et al., 2017). Gamble (2019) définit les scripts hétéronormatifs comme étant « des scripts culturels qui prescrivent des rôles et des comportements hétéronormatifs pour des situations sexuelles » (p. 709). Dans leur étude qualitative, Jozkowski et Peterson (2013) ont examiné comment le CS était communiqué chez les étudiant·es universitaires (âge moyen : 21,2 ans) en dégageant les différences de genre. Quatre thèmes ont émergé, dont l’adhésion à des scripts sexuels traditionnels où les hommes sont responsables d’initier les rapports sexuels et où les femmes agissent à titre de « gardiennes des limites » sur le plan sexuel (sexual gatekeepers). Les femmes ne feraient donc que répondre aux avances masculines. Selon les observations faites à l’aide de la théorie des scripts sexuels, l’idée d’une « pulsion sexuelle masculine » codifierait la sexualité masculine comme agentive et pulsionnelle, alors que la sexualité des femmes serait passive.
Les différences selon le genre et l’orientation sexuelle
Les différences de genre
Les études ont identifié plusieurs différences de genre entre les femmes et les hommes dans la façon dont iels interprètent et communiquent leur CS. D’abord, iels divergeraient selon le type d’indicateurs utilisés pour communiquer leur CS. Les femmes communiqueraient celui-ci à l’aide de plus de stratégies verbales que de stratégies non verbales, alors que les hommes utiliseraient plus de stratégies non verbales, directes ou indirectes (Hickman et Muehlenhard, 1999; Jozkowski et al., 2014a). Ces différences seraient toutefois modestes en termes de taille d’effet, selon Hickman et Muehlenhard (1999). De plus, les hommes adhèreraient plus que les femmes à la croyance selon laquelle les « comportements non verbaux seraient tout aussi efficaces que la communication verbale pour indiquer un consentement » (Humphreys, 2007, p. 312). C’est ce que révèle l’étude canadienne de Humphreys réalisée auprès de 415 étudiant·es universitaires (17-66 ans; âge moyen : 19,7) de premier cycle, à partir d’un questionnaire sur une vignette décrivant une interaction hétérosexuelle. Concernant les stratégies d’établissement du CS, les résultats de l’étude indiquent également que les hommes préféraient présumer du CS de leur partenaire plutôt que de le demander avant la relation sexuelle. Les femmes étaient plus nombreuses que les hommes à préférer établir le CS avant celle-ci.
Ensuite, dans leur étude sur les stratégies de communication du CS, Jozkowski et al. (2014b) ont mis en évidence que les femmes auraient plus de probabilités de communiquer leur CS par des comportements passifs et sans réponse (p. ex., ne rien dire, laisser faire), alors que les hommes adopteraient plus de comportements de quasi-pression (borderline pressure) (p. ex., poursuite du rapport sexuel à moins que le ou la partenaire arrête). Une certaine proportion de jeunes hommes (14,1 %) de l'étude de Jozkowski et Peterson (2013) ont aussi indiqué qu’ils utiliseraient des stratégies agressives pour exprimer leur CS.
Une enquête québécoise s’est intéressée aux attitudes à l’égard du CS. Bergeron et al. (2020) ont interrogé plus de 6 000 membres de la communauté collégiale québécoise, dont la majorité (87,4 %) était des étudiant·es. Les autrices ont constaté que les femmes ainsi que les personnes issues des minorités de genre manifestaient des attitudes plus favorables que les hommes par rapport au CS. Elles ont traduit l’échelle de Humphreys (2000) intitulée Sexual Consent Attitudes Scale. Quelques exemples d’énoncés sont : « Si une proposition sexuelle est faite et que votre partenaire dit "non", c’est correct de continuer à négocier la proposition. » et « Demander verbalement le CS diminue le plaisir de l’activité sexuelle (l’ambiance est brisée, par exemple). » (Bergeron et al., 2019)
Des différences de genre existeraient aussi à propos de l’adhésion aux SG. En effet, Hust et al. (2017) ont mené un sondage en ligne aux États-Unis auprès de 447 étudiant·es universitaires de 18 à 25 ans. Leurs résultats ont montré que les hommes adhèreraient plus fortement que les femmes à des SG relationnels (p. ex., « Les hommes veulent du sexe; les femmes veulent des relations. »). Ce type de croyances peut s’associer aux scripts culturels (messages, normes et valeurs véhiculés dans la société), tels que définis par Gagnon (2008). Toujours en comparaison avec les femmes, les hommes auraient aussi des attentes moins élevées de refuser une activité sexuelle non désirée et d’adhérer aux décisions de CS dans une relation sexuelle. En somme, l’ensemble des différences de genre présentées ci-dessus indiquent la nécessité de tenir compte de la variable du genre dans l’analyse des SG et de leurs liens avec le CS.
Les différences selon l’orientation sexuelle
Malgré la prévalence attestée de violences sexuelles selon des études menées auprès d’adolescent·es (Petit, Blais et Hébert, 2020) et auprès d’étudiant·es universitaires (Martin-Storey et al., 2018), très peu d’études ont abordé le CS chez des populations non hétérosexuelles (de Heer, Brown et Cheney, 2021; Sternin et al., 2021; Beres et al., 2004; McLeod, 2015). Les analyses de Beres et al. (2004), portant sur un échantillon de femmes et d’hommes ayant déjà eu des contacts sexuels avec un·e « partenaire du même sexe », ont permis d’observer que les comportements non verbaux (p. ex., sourire) étaient plus fréquemment utilisés que les comportements verbaux (p. ex., demander si le ou la partenaire a un condom/une digue dentaire) pour exprimer un CS. Pour indiquer leur CS, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes utilisaient davantage de signaux non verbaux que les femmes ayant des rapports sexuels avec d’autres femmes. Ces derniers résultats sont similaires à ceux des études de Hickman et Muehlenhard (1999) et de Jozkowski et al. (2014a), rapportés plus haut, dont les échantillons étaient composés d’individus hétérosexuels. McLeod (2015), de son côté, s’est intéressée à la communication du CS avec un·e nouveau ou nouvelle partenaire sexuel·le à partir d’un échantillon constitué de 907 personnes ayant eu des contacts hétérosexuels et 182 autres ayant eu des contacts sexuels avec un·e partenaire du même genre. Les couples de même genre obtenaient des scores significativement plus élevés que les couples hétérosexuels quant au CS verbal (consentement explicite). Ces résultats s’expliqueraient selon l’autrice par le fait que « les couples de même genre [s'appuieraient] davantage sur des styles de consentement verbal […] en l'absence de scénarios sexuels pour guider un comportement sexuel stéréotypé socialement accepté » (p. 17). Beres et ses collègues (2004) évoquent aussi l’hypothèse selon laquelle les hommes et femmes non exclusivement hétérosexuel·les adhèreraient moins fortement aux SG dans leurs comportements sexuels étant donné qu’iels transgresseraient les normes comportementales en s’engageant dans des rapports sexuels avec des individus du même genre. Ces personnes seraient donc plus susceptibles de prendre conscience de ces normes et de tenter de s’en distancier, ce qui expliquerait la plus grande flexibilité dans leurs scripts sexuels par rapport aux scripts hétérosexuels.
La majorité des études recensées s’appuie sur des échantillons composés d’étudiant·es universitaires et ne ciblant pas spécifiquement le groupe des adultes émergent·es (p. ex., Hust et al., 2017; Jozkowski et Peterson, 2013; Katz et Schneider, 2015; Warren et al., 2015). De plus, certaines études contiennent un biais hétéronormatif implicite (Hust et al., 2017) ou explicite (Boratav et Çavdar, 2012) dans les énoncés des échelles de mesure faisant référence à des rapports hétérosexuels spécifiquement (p. ex., « La meilleure façon d’attirer un homme, pour une femme, est d’utiliser son corps et son allure »). La sélection d’un échantillon composé uniquement d’individus hétérosexuels est parfois justifiée par le fait que les scripts sexuels traditionnels sont considérés comme spécifiques aux relations hétérosexuelles (Jozkowski et al., 2014a), ou par le faible nombre de personnes non hétérosexuelles dans l’échantillon de l’étude, lequel serait insuffisant pour en tenir compte dans les analyses (Jozkowski et Peterson, 2013). En outre, l’hypothèse interprétative énoncée par les rares études auprès de personnes non hétérosexuelles, selon laquelle celles-ci adhèreraient moins aux SG, demeure non vérifiée et quelque peu contredite par l’observation de Beres et al. (2004), selon laquelle l’expression du CS différerait chez les hommes et chez les femmes non hétérosexuel·les. Aussi, nous n’avons recensé aucune étude s’intéressant aux adultes émergent·es issu·es des minorités de genre, alors que ces individus sont de plus en plus nombreux à s’affirmer comme tels (Pullen Sansfaçon et Medico, 2021).
Finalement, peu d’études portent spécifiquement sur les relations entre l’adhésion à des SG et les attitudes et comportements à l’égard du CS. Bien que les résultats de Boratav et Çavdar (2012) soient éclairants sur le sujet, on peut s’interroger sur leur généralisation dans d’autres contextes socioculturels, en particulier après une décennie de campagnes de dénonciation des violences sexuelles (Leduc et Lauzon, 2020). La présente recherche constitue donc la première étude examinant des liens entre l’adhésion à des SG et le CS chez une population générale d’adultes émergent·es au Québec et au Canada, et pouvant contribuer à l’établissement de résultats plus robustes sur le sujet. Elle est plus inclusive que les précédentes, puisqu’elle s’intéresse aux personnes issues des minorités sexuelles et de genre et s’appuie sur un échantillon plus large que la seule population étudiante.
OBJECTIF ET HYPOTHÈSES
Méthodologie
L’objectif de cette étude est d’examiner quelles sont les relations entre l’adhésion à des SG et les attitudes et comportements relatifs au CS prédisant l’intention de négocier le CS au sein d’un échantillon composé d’adultes émergent·es québécois·es. Les diverses hypothèses posées par rapport à cette question de recherche sont les suivantes : L’adhésion aux SG variera en fonction du genre (les hommes adhèreront davantage aux SG masculins [H1a] et les femmes, aux SG féminins [H1b]). À titre exploratoire, nous pouvons faire l’hypothèse que les personnes faisant partie des minorités de genre adhèreront moins aux SG masculins et féminins, que les personnes cisgenres (H1c). L’adhésion aux SG variera aussi en fonction de l’orientation sexuelle (les personnes LGBQ+ présenteront des scores plus faibles d’adhésion aux SG féminins [H2a] et masculins [H2b] que les individus hétérosexuels). L’adhésion au CS variera selon le genre (les personnes issues des minorités de genre [H3a] et les femmes [H3b] présenteront des scores plus élevés vis-à-vis du CS que les hommes) et selon l’orientation sexuelle (les personnes LGBQ+ présenteront des scores de CS plus élevés que les personnes hétérosexuelles [H4]). Enfin, les individus adhérant plus fortement aux SG obtiendront des scores plus faibles pour le CS [H5].
Procédure et échantillon
La population à l’étude est celle des adultes émergent·es québécois·es, soit les individus âgé·es de 18 à 29 ans, selon la définition d’Arnett (2015). La méthode de collecte de données est le questionnaire autoadministré en ligne, tel que décrit par Gauthier et Bourgeois (2016), qui était disponible en versions française et anglaise. Le questionnaire est original et a été conçu pour cette étude. Outre l’âge, un critère d’inclusion était de résider au Québec. Les individus n’ayant jamais eu de relations sexuelles consensuelles (soit une relation sexuelle orale, digitale, vaginale ou anale avec une autre personne) ont été exclus, puisque le questionnaire comprenait des questions sur les comportements sexuels antérieurs à l’égard du CS, allant au-delà des contacts sexuels.
L’échantillon de type non probabiliste se compose de volontaires (Gauthier et Bourgeois, 2016). Les participant·es ont été recruté·es par le biais d’Internet, principalement par l’entremise des réseaux sociaux (p. ex., Facebook, LinkedIn, Instagram). Certains organismes tels qu’Interligne ont également relayé l’invitation à participer dans leurs réseaux. Les participant·es étaient ensuite invité·es à partager le questionnaire à leur tour. Ce dernier était disponible en ligne, sur la plateforme Qualtrics, du 27 octobre 2019 au 22 janvier 2020. En cliquant sur le lien et avant que les participant·es ne puissent accéder au questionnaire, une présentation de l’étude et de ses objectifs s’affichait. Les participant·es devaient lire et confirmer qu’iels avaient lu et compris le but, la nature et les risques de la recherche.
L’échantillon final comprend 506 adultes émergent·es québécois·es âgé·es de 18 à 29 ans (M = 24,72 ans; ÉT = 2,84). Certains individus ont été retirés de la banque de données étant donné qu’ils n’avaient pas complété la section sur les SG ou celle sur le CS (n = 97), parce qu’ils résidaient à l’extérieur du Québec (n = 1), que les réponses textuelles s’apparentaient à des réponses non sérieuses (n = 2) ou que les patrons de réponse étaient incohérents (n = 1).
Instruments de mesure
Variables sociodémographiques
Les variables sociodémographiques à l’étude sont le genre, l’âge, l’orientation sexuelle, le statut relationnel, le niveau d’études complété, la naissance au Canada ou à l’étranger, la naissance des parents au Canada ou à l’étranger, les origines culturelles, ethniques et géographiques, les occupations au cours des 12 derniers mois ainsi que la victimisation sexuelle au cours de la vie.
La variable du genre (1. Femme cisgenre; 2. Homme cisgenre; 3. Minorité de genre) a été obtenue à partir de trois questions adaptées de Bauer et al. (2017). La catégorie des personnes issues des minorités de genre inclut les individus : a) ne s’identifiant pas au sexe leur ayant été assigné à la naissance, b) ayant indiqué être trans ou avoir eu un parcours trans, ou c) s’identifiant comme non-binaires, fluides dans le genre, bispirituels, etc. Celle de l’orientation sexuelle [1. Hétérosexuelle et hétéroflexible[4]; 2. Lesbienne, gaie, bisexuelle, queer ou autre terme équivalent (LGBQ+)] a été adaptée à partir d’une étude de Weinrich (2015) : (a) Gai ou lesbienne; b) Hétérosexuel·le; c) Hétéroflexible; d) Homoflexible; e) Bisexuel·le; f) Queer; g) Pansexuel·le; h) Asexuel·le; i) En questionnement; j) Autre) et d’un énoncé maison portant sur le genre des partenaires sexuel·les des cinq dernières années (à l’aide d’une échelle de Likert de quatre points allant de « Aucun » à « Exclusivement »), puis dichotomisée. La variable de la victimisation sexuelle (1. Absence d’agression; 2. Présence d’agression) est issue de deux questions du Projet intercollégial d’étude sur le consentement, l’égalité et la sexualité (PIECES) (Bergeron et al., 2020). Les participant·es ont été questionné·es à savoir s’iels avaient vécu des attouchements non consensuels ou avaient été forcé·es d’avoir une relation sexuelle et si ces événements s'étaient produits avant ou après l’âge de 18 ans. La variable a été dichotomisée et les personnes ayant répondu par l’affirmative à au moins un des énoncés sur la victimisation ont été catégorisées dans « 2. Présence d’agression ».
Variable dépendante
Consentement sexuel : La conception de l’instrument retenu, le Sexual Consent Scale-Revised (Humphreys et Brousseau, 2010), se base sur la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991), qui postule que trois facteurs sont déterminants dans l’intention d’exécuter un comportement : l’attitude à l’égard du comportement, les normes subjectives ainsi que le contrôle comportemental perçu. Dans l’élaboration initiale de l’échelle, les chercheur·euses ont veillé à ce que les énoncés couvrent adéquatement les trois facteurs. À la suite de leur analyse factorielle, ce sont cinq dimensions qui ont émergé en lien avec les attitudes et comportements relatifs au CS. Ces dimensions représentent les cinq sous-échelles de l’instrument de mesure : 1) le (manque de) contrôle comportemental perçu face au CS (p. ex., « J’aurais de la difficulté à demander un CS parce que cela gâcherait l’ambiance »); 2) l’attitude positive face à l’établissement du CS (p. ex., « Je crois qu’il est tout aussi nécessaire d’obtenir un CS pour des caresses génitales que pour une pénétration »); 3) l’approche comportementale (in)directe du CS (p. ex., « J'établis toujours le consentement avant d’initier une relation sexuelle »); 4) les normes par rapport au CS (p. ex., « Je crois que la pénétration est le seul acte qui requiert un consentement verbal explicite ») et 5) la conscientisation et les discussions à propos du CS (p. ex., « J’ai discuté à propos du CS avec un·e ami·e »). Ces 5 dimensions prédiraient donc théoriquement l’intention de négocier le CS. L’outil comprend 39 énoncés sur une échelle de Likert de cinq points (1 correspondant à fortement en désaccord et 5 à fortement en accord). Plusieurs énoncés ont été inversés, principalement dans les sous-échelles 1, 3 et 4, afin que l’échelle, lorsque considérée dans sa globalité, indique des attitudes et comportements plus favorables au CS quand les scores sont plus élevés. L’instrument possède une cohérence interne globale de 0,84 et individuelle, pour les sous-échelles, de 0,84, 0,85, 0,77, 0,79 et 0,82 respectivement, au sein de l’échantillon de la présente étude. Sa cohérence interne est donc adéquate et varie entre modérée et bonne.
L’échelle de mesure a été validée par Humphreys et Brousseau (2010) auprès d’un échantillon de 372 étudiant·es hétérosexuel·les d’universités canadiennes anglophones (Québec et Ontario). Nous avons effectué la première traduction de l’outil, puis une contre-traduction a été faite par une personne étudiante de cycle supérieur. Les deux versions correspondaient à 86 %. Les termes divergents ont ensuite été discutés pour arriver à un consensus. L’échelle de mesure a été créée en référant à des comportements hétérosexuels; certains énoncés ont donc été adaptés afin qu’ils s’appliquent à tous les individus, indépendamment de leur orientation sexuelle (p. ex., « Je crois qu’il est tout aussi nécessaire d’obtenir un CS pour des caresses génitales que pour une pénétration (digitale, vaginale ou anale) »).
Variable indépendante
Adhésion à des stéréotypes de genre : L’adhésion à des SG a été mesurée à l’aide de l’échelle de mesure du Questionnaire d’attributs personnels (Personal Attributes Questionnaire – PAQ) (Spence, Helmreich et Stapp, 1974). La version française est issue de la comparaison de deux traductions, effectuée en comité de chercheur·euses (K’delant et Gana, 2009). L’outil est composé de deux sous-échelles de huit énoncés chacune, la sous-échelle de la féminité (p. ex., douceur, amabilité) et celle de la masculinité (p. ex., indépendance, maîtrise de soi). Les caractéristiques personnelles comprises dans les énoncés sont jugées socialement désirables pour tous·tes, « mais plus typiques et plus fréquentes » chez un genre ou chez l’autre. À l’aide d’une échelle de Likert de cinq points, les caractéristiques sont présentées par paires opposées et les participant·es devaient identifier la lettre à laquelle iels s’identifiaient le plus : « Chaque paire décrit des caractéristiques contraires, ainsi vous ne pouvez être les deux à la fois. (…) Nous vous demandons de choisir à chaque fois la lettre qui correspond le mieux à ce que vous êtes. » Par exemple :
Pas du tout compétitif Très compétitif
L’outil possède une cohérence interne de α = 0,77 pour les SG féminins et α = 0,65 pour les SG masculins).
Analyses statistiques
D’abord, des analyses descriptives ont été réalisées pour examiner les données sociodémographiques des participant·es. Ensuite, les hypothèses ont été testées. Des analyses de variance (ANOVA) ont été conduites en lien avec les hypothèses 1a à 1c et des tests t pour échantillons indépendants pour les hypothèses 2a et 2b. Pour ces analyses, quelques valeurs extrêmes (outliers) ont été observées dans les données à la suite de l’inspection des boxplots. Elles ont été conservées dans les analyses, puisqu’il a été jugé que les résultats ne seraient pas affectés de façon substantielle par celles-ci. En effet, des analyses séparées ont été conduites dans lesquelles ces valeurs extrêmes ont été supprimées et les résultats étaient essentiellement les mêmes (les deux ont montré des résultats significatifs). Le test de Shapiro-Wilk a révélé que la distribution des données n’était pas tout à fait normale (p < 0,05) pour une partie des groupes pour les deux variables dépendantes. Les groupes possédaient toutefois une asymétrie similaire et les ANOVA et les tests t ont été réalisés puisque ces analyses sont considérées relativement robustes par rapport aux déviations à la normalité (Knief et Forstmeier, 2021).
Pour vérifier les hypothèses 3a, 3b et 4, des analyses de covariance multivariées (MANCOVA) ont été conduites. Concernant les postulats de ces analyses, d’abord, quelques valeurs aberrantes univariées ont été notées dans les données, évaluées par des résidus standardisés supérieurs à ± 3 écarts types. Une valeur aberrante multivariée a également été identifiée dans les données, telle qu'évaluée par la distance de Mahalanobis (p > 0,001). Il a été décidé de conserver les cas avec des valeurs aberrantes puisque les analyses sans ces données montraient des résultats similaires.
Des régressions linéaires ont ensuite été réalisées afin de vérifier la cinquième hypothèse de recherche. Les valeurs des facteurs d’inflation de la variance (VIF) ont révélé un probable problème de colinéarité pour la variable sociodémographique Occupations au cours des 12 derniers mois (VIF > 10). L’ensemble des variables sociodémographiques (voir la section Instruments de mesure) a donc été contrôlé dans les analyses afin de circonscrire l’effet des variables indépendantes (SG féminins et masculins) sur les variables dépendantes (le CS global et ses cinq sous-dimensions), à l’exception des variables Occupations et Origines culturelles, ethniques et géographiques. La variable Origines n’était pas associée significativement aux variables dépendantes et indépendantes dans les modèles de régression linéaire. Les valeurs standardisées des variables relatives au CS et aux SG ont été utilisées dans les régressions linéaires.
Ces régressions linéaires ont été testées sur une base de données imputées afin de minimiser l’impact des données manquantes. L’imputation multiple consiste à remplacer les valeurs manquantes « par un ensemble de valeurs plausibles qui contiennent la variabilité naturelle et l'incertitude des valeurs justes » (Kang, 2013, p. 405). À l’aide du test de Little, il a préalablement été vérifié que les valeurs manquantes étaient complètement aléatoires [p = 0,75], légitimant ainsi l’usage de la procédure d’imputations multiples. Le logiciel IBM SPSS Statistics 26 (IBM Corp., 2019) a été utilisé pour toutes les analyses statistiques.
Finalement, suite à ces analyses, une nouvelle régression linéaire incluant les termes d’interaction entre les SG et le genre (genre = homme comme niveau de référence), ainsi que les mêmes variables sociodémographiques de contrôle, a été conduite sur la base de données originales (non imputées). Ceci a permis de vérifier de façon exploratoire si l’effet des SG sur le CS global était modéré par le genre.
Considérations éthiques
Ce projet de recherche a reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche pour les projets étudiants impliquant des êtres humains de la Faculté des sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal (no de certificat : 1821).
RÉSULTATS
Les caractéristiques de l’échantillon sont présentées aux Tableau 1 et Tableau 2.
Nous avons postulé que l’adhésion aux SG varierait en fonction du genre (H1). L’analyse de l’ANOVA (Tableau 3) révèle une différence significative entre les groupes quant aux niveaux d’adhésion aux SG féminins (F(2, 499) = 5,71; p = 0,004) et aux SG masculins (F(2, 499) = 9,47; p < 0,001). Des analyses post-hoc de Scheffe (test de Levene non significatif) indiquent que les hommes obtiennent un niveau d’adhésion aux SG masculins plus élevé que les femmes et, inversement, que les femmes obtiennent un score d’adhésion aux SG féminins plus élevé que les hommes, confirmant les hypothèses H1a et H1b.
Pour l’hypothèse exploratoire concernant l’adhésion aux SG parmi les personnes issues des minorités de genre (H1c), les résultats de l’ANOVA au Tableau 3 révèlent une différence significative entre les groupes quant aux niveaux d’adhésion aux SG masculins (F(2, 499) = 9,47; p < 0,001), pour lesquels les personnes issues des minorités de genre obtiennent des scores significativement plus faibles que les hommes, mais similaires aux femmes. Aucune différence significative n’a été observée pour l’adhésion à des SG féminins. L’hypothèse 1c est partiellement confirmée.
Les hypothèses portant sur la variation dans l’adhésion aux SG en fonction de l’orientation sexuelle (H2) (Tableau 4) indique une différence statistiquement significative selon l’orientation sexuelle sur l’adhésion aux SG masculins (t(503) = 3,43; p = 0,001), les personnes hétérosexuelles (et hétéroflexibles) rapportant un score d’adhésion aux SG masculins plus élevé que les personnes LGBQ+ (H2a). L’adhésion aux SG féminins ne variait pas selon l’orientation sexuelle (H2b). La seconde hypothèse est partiellement confirmée.
L’hypothèse voulant que les attitudes et comportements à l’égard du CS varieraient selon le genre (H3) a été testée par une MANCOVA ajustée pour les caractéristiques sociodémographiques. Il y avait homogénéité des pentes de régression, telle qu'évaluée par le terme d'interaction entre le genre et les variables de contrôle, F(10, 840) = 2,542, p = 0,005. Le test de Levene sur l'égalité des variances d'erreur était statistiquement significatif (p < 0,05), indiquant que le postulat d'homogénéité des variances n’était pas respecté pour les variables dépendantes. La statistique de trace de Pillai est considérée robuste dans de tels cas (Olson, 1974). La MANCOVA indique des différences significatives selon le genre pour les variables du CS (Tableau 5).
Les ANCOVA subséquentes avec ajustement de Bonferroni (valeur p maximale attendue < 0,01) ont révélé des différences statistiquement significatives dans les moyennes ajustées pour deux des dimensions du CS : les normes ainsi que la conscientisation et la discussion à l’égard du CS. Les personnes issues des minorités de genre obtiennent des moyennes plus élevées que les hommes pour ces deux dimensions (H3a). Les femmes obtiennent également une moyenne plus élevée que les hommes pour la conscientisation et la discussion (H3b). La régression linéaire réalisée sur la variable globale du CS a montré que le groupe des minorités de genre obtient des scores plus élevés par rapport au CS global comparativement au groupe des hommes (H3a), p = 0,004, β = 0,61. On n’observe pas de différence entre le groupe des femmes et celui des hommes (H3b), p = 0,111. Les hypothèses 3a et 3b sont donc partiellement confirmées.
En ce qui concerne les variations dans les attitudes et comportements vis-à-vis du CS en fonction de l’orientation sexuelle (H4), une MANCOVA ajustée pour les variables sociodémographiques et une régression linéaire ont été réalisées. Il y avait homogénéité des pentes de régression, telle qu'évaluée par le terme d'interaction entre l’orientation sexuelle et les variables de contrôle, F(5, 422) = 1,523, p = 0,181. La MANCOVA n’indique pas de différence significative selon l’orientation sexuelle quant aux cinq sous-dimensions du CS (Tableau 6). Pour la variable du CS global, la régression linéaire conduite indique que le CS global diffère selon l’orientation sexuelle (H4), p = 0,004, β = 0,31, les personnes LGBQ+ présentant des scores plus élevés de CS global que celles ayant rapporté une orientation sexuelle hétérosexuelle ou hétéroflexible. La quatrième hypothèse est confirmée pour le CS global et infirmée pour les cinq sous-dimensions.
Ensuite, l’hypothèse H5, voulant que les individus adhérant à des SG à un niveau plus élevé obtiendraient des scores plus faibles pour le CS global et ses cinq dimensions, a été testée par six modèles de régression. Trois des six modèles de régression apparaissaient comme significatifs (Tableau 7). En effet, une adhésion plus élevée aux SG féminins est associée à des scores de CS plus élevés pour trois dimensions : le CS global, le contrôle comportemental perçu ainsi que l’attitude positive à l’égard de l’établissement du CS. Une adhésion plus élevée aux SG masculins est aussi associée à des scores plus élevés de contrôle comportemental perçu face au CS. L’adhésion aux SG n’apparaît pas associée à l’approche comportementale directe par rapport au CS, aux normes liées au CS ni à la conscientisation et la discussion à propos du CS.
Enfin, une nouvelle régression linéaire a été conduite afin de vérifier si le genre agissait comme modérateur dans la relation entre les variables des SG et celle du CS global. Les résultats ont révélé des interactions significatives entre le genre et les deux variables des SG (Tableau 8). En effet, les coefficients du terme d’interaction montrent que les effets des SG ne sont pas homogènes selon le genre. Pour chaque augmentation d’une unité de SG féminins, les hommes obtiennent des scores plus élevés de CS global (β = 0,30) que les femmes (β = 0,09) et les minorités de genre (β = 0,05). Pour une augmentation d’une unité de SG masculins, les personnes faisant partie des minorités de genre obtiennent des scores moins élevés de SG global (β = -0,30) que les femmes (β = 0,12) et les hommes (β = 0,05). Ces résultats soutiennent donc l’hypothèse que le genre agit à titre de modérateur dans la relation entre les SG et le CS global.
DISCUSSION
La présente recherche visait à examiner les relations entre l’adhésion à des SG et les attitudes et comportements relatifs au CS prédisant selon Ajzen (1991) l’intention de négocier le CS. Cinq hypothèses découlent de cet objectif de recherche. Les résultats obtenus seront discutés principalement en regard de la théorie des scripts sexuels.
L’adhésion à des SG masculins ou féminins en fonction du genre
Nos résultats montrent que les femmes présentent un plus haut niveau d’adhésion aux SG féminins que les hommes et que les hommes adhèrent davantage aux SG masculins que les femmes. Ces résultats n’étonnent guère et sont similaires à ceux obtenus par d’autres chercheur·euses. Taylor (2015) et Yarnell et ses collègues (2019), qui ont également employé le PAQ comme instrument de mesure, ont aussi montré que les femmes affichaient des plus hauts niveaux de féminité que les hommes et que ces derniers, inversement, adhéraient plus aux normes de masculinité que les femmes. Hentschel et ses collègues (2019), de leur côté, avaient entre autres comme objectif de comparer le degré de convergence entre l’évaluation de soi et l’évaluation des personnes du même genre par rapport aux SG. Les autrices constatent que les « femmes tendent à se caractériser en termes plus stéréotypés — comme moins assertives et moins compétentes en leadership — qu’elles caractérisent les autres membres de leur genre » (p. 1). Les hommes se décrivaient quant à eux comme plus « communaux », soit de façon moins stéréotypée que les femmes. Ces résultats ainsi que les nôtres permettent donc d’observer que certains SG traditionnels persistent. Notre étude fait un constat original, à savoir que les personnes des minorités de genre adhèrent moins aux SG masculins, mais qu’aucune différence n’est observable par rapport aux SG féminins.
L’adhésion à des SG masculins ou féminins en fonction de l’orientation sexuelle
Les résultats ont montré que le score d’adhésion aux SG masculins était en moyenne plus élevé chez les personnes hétérosexuelles que chez les personnes d’orientations sexuelles LGBQ+. L’adhésion aux SG féminins, quant à elle, ne différait pas, confirmant ainsi partiellement l’hypothèse 2 selon laquelle les personnes LGBQ+ adhèreraient moins aux SG que les individus hétérosexuels.
Un certain nombre de chercheur·euses soutiennent que les personnes non hétérosexuelles seraient davantage sensibilisées et conscientes des normes de genre étant donné qu’elles se situeraient en marge du modèle hétéronormatif et des scripts sexuels traditionnels (Beres et al., 2004; Clarke et Arnold, 2017; Lippa, 2005). Effectivement, les personnes LGBQ+ ne pourraient pas orienter leurs actions en fonction des scripts normatifs hétérosexuels qui attribuent des rôles bien définis aux hommes et aux femmes. Selon Wiederman (2005), on attendrait des hommes et des femmes qu’iels développent des scripts sexuels complémentaires à ceux de l’autre genre. Les scripts des personnes LGBQ+ tendraient donc vers plus de flexibilité que ceux des personnes s’identifiant comme hétérosexuelles (Beres et al., 2004).
Comme mentionné, nos résultats montrent un niveau moins élevé de masculinité chez les personnes LGBQ+ comparativement aux personnes hétérosexuelles, mais n’indiquent toutefois pas de distinction par rapport à la féminité. Ils sont donc similaires à certains égards à ceux obtenus par Lippa (2005) dans le cadre de sa méta-analyse. En effet, les femmes lesbiennes et les hommes gais se différenciaient des individus hétérosexuels par leur androgynie plus importante, c’est-à-dire par des niveaux moins élevés de féminité pour les femmes lesbiennes et des niveaux moins élevés de masculinité pour les hommes gais.
Les attitudes et comportements à l’égard du CS en fonction du genre
Pour l’hypothèse 3a, les personnes issues des minorités de genre présentent des moyennes ajustées de CS plus élevées que les hommes pour la variable du CS global ainsi que deux de ses sous-dimensions : les normes ainsi que la conscientisation et la discussion à l’égard du CS. Ces résultats sont similaires à ceux de PIECES, une étude en milieu collégial québécois (Bergeron et al., 2020), qui relève des scores de CS plus élevés chez le groupe des minorités de genre que chez celui des hommes. Nous n’avons pas recensé d’autres études effectuant de telles comparaisons, et donc peu d’informations sur les raisons qui pourraient expliquer ces écarts. Néanmoins, il est possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle les personnes appartenant aux minorités de genre se trouvent dans une position comparable à celle des personnes LGBQ+. Elles se situeraient en marge des normes de genre et les scripts sexuels hétéronormatifs ne s’appliqueraient donc potentiellement pas à elles de la même façon, d’où une prise de distance par rapport à ces scripts, du moins chez une partie d’entre elles.
Certaines différences au niveau du genre ont également été notées entre les femmes et les hommes. Effectivement, les femmes obtiennent des moyennes plus élevées que les hommes pour la sous-dimension de la conscientisation et la discussion liées au CS. Ce résultat est cohérent avec la conclusion de Humphreys (2007) selon laquelle les femmes prendraient plus au sérieux l’enjeu du CS et des agressions sexuelles que les hommes. Toutefois, on n’observe pas de différence entre les femmes et les hommes pour les quatre autres sous-dimensions ainsi que le CS global. À cet égard, il pourrait être émis comme hypothèse que la prise de conscience (la conscientisation et les discussions) diffère de façon importante de la capacité à agir (p. ex., contrôle comportemental perçu) étant donné que différents obstacles peuvent entraver la capacité à agir (Shumlich et Fisher, 2020).
Ensuite, nos résultats montrent que l’approche comportementale des femmes n’est pas plus directe que celle des hommes et ces résultats sont cohérents avec la théorie des scripts sexuels. Les femmes se voient attribuer un rôle de passivité dans leurs rapports sexuels avec les hommes (Gagnon et Simon, 2005) et utiliseraient davantage des stratégies passives ou « sans réponse » pour indiquer leur CS (Jozkowski et al., 2014b). Jozkowski (2013) souligne d’ailleurs le rôle des normes de genre et des stéréotypes traditionnels dans leur relation avec le CS et les rapports sexuels des individus. Selon les scripts traditionnels hétérosexuels, les hommes seraient les initiateurs des relations sexuelles et seraient toujours disposés à en avoir (Wiederman, 2005). Ces scripts sexuels seraient limitants et ne permettraient possiblement pas aux hommes de saisir « l’importance de s’engager dans des activités sexuelles hautement désirées et acceptées » (Jozkowski, 2013).
Les attitudes et comportements à l’égard du CS selon l’orientation sexuelle
Contrairement à l’hypothèse 4, les personnes LGBQ+ présentent des scores de CS global plus élevés que les personnes hétérosexuelles, mais on n’observe pas de différence pour les sous-dimensions du CS considérées de façon individuelle. L’absence de différence significative pour les sous-dimensions peut potentiellement être expliquée par une puissance statistique insuffisante.
En revanche, la théorie et les études sur les scripts sexuels peuvent offrir des pistes d’explication pour la différence significative observée entre les deux groupes mentionnés précédemment. En effet, certaines études datant des années 1990 ont comparé les scripts hétérosexuels aux scripts des hommes gais et des femmes lesbiennes. Par exemple, Klinkenberg et Rose (1994) expliquent que :
les scripts des hommes gais étaient plus orientés vers la sexualité et moins vers l’intimité que ceux des [femmes] lesbiennes. Cependant, les scénarios pour les deux genres étaient exempts de nombreux aspects des rôles hétérosexuels traditionnels et comportaient des actions propres à cette population.
p. 23
Comme Beres et ses collègues (2004) le suggèrent, les scripts des personnes LGBQ+ seraient plus flexibles que ceux des personnes hétérosexuelles. Les scripts traditionnels hétérosexuels de l’homme initiateur des relations sexuelles et de la femme gardienne des limites ne pourraient pas être reproduits par les individus LGBQ+, mais teinteraient tout de même les scripts interpersonnels de ces derniers (Klinkenberg et Rose, 1994). Des données plus récentes seraient toutefois nécessaires afin de mettre à jour les résultats obtenus.
Comme Klinkenberg et Rose le mentionnent, l’équivalent des scripts hétérosexuels traditionnels n’existe pas chez les personnes non hétérosexuelles. Les rôles de genre, basés implicitement sur l’existence de personnes de genre opposé, et donc les SG, constituent des parties intégrantes de ces scripts traditionnels; il est donc probable que les personnes non hétérosexuelles « intègrent certains éléments de ces rôles dans leurs scripts sexuels » (p. 24), sans les endosser, ou dans une moindre mesure, dans leur intégralité. Les différences entre les scripts sexuels des deux groupes pourraient expliquer les attitudes et comportements plus favorables au CS rapportés par les individus LGBQ+.
Association entre l’adhésion à des SG et le CS dans ses dimensions
Les résultats des modèles de régression linéaire montrent qu’un plus haut niveau d’adhésion aux SG féminins est associé à des attitudes et comportements plus favorables au CS pour le CS global et deux de ses sous-dimensions, soit le contrôle comportemental perçu et l’attitude positive à l’égard de l’établissement du CS. Afin de mieux comprendre ces résultats, il est pertinent d’examiner davantage l’échelle de mesure utilisée pour les stéréotypes, le Personal Attributes Questionnaire (PAQ) (Spence et al., 1974). Le PAQ est un instrument de mesure fréquemment utilisé dans les études portant sur l’adhésion aux SG, au même titre que le Bem Sex-Role Inventory (BSRI) (Lehavot, King et Simoni, 2011). La validité de l’échelle a été discutée et examinée par de nombreux·ses auteur·trices. Notamment, Gaa, Liberman et Edwards (1979) ont effectué une analyse factorielle du PAQ pour vérifier la présence des construits liés à la féminité et la masculinité dans l’échelle. Quatre facteurs principaux ont émergé, l’un d’entre eux étant l’empathie. Le facteur Empathie regroupe six des huit énoncés de la sous-échelle des SG féminins du PAQ (sensibilité aux sentiments des autres; amabilité; compréhension; chaleur dans ses relations avec les autres; serviabilité et capacité à se consacrer aux autres). Il est à noter qu’il n’y avait pas d’identification aussi claire d’un facteur pour les SG masculins. Les auteur·trices de l’étude concluent que l’échelle du PAQ n’évalue pas clairement la féminité et la masculinité, mais il n’existe pas de consensus à cet égard. Yarnell, Neff, Davidson et Mullarkey (2019) évoquent justement à ce sujet que l’échelle du PAQ (comme celle du BSRI) demeure une échelle valide et fréquemment utilisée pour l’étude des SG.
Si la sous-échelle des SG féminins évalue effectivement davantage l’empathie, il est sensé de croire qu’une plus grande empathie, c’est-à-dire une compréhension, une conscience, une sensibilité à l’égard des sentiments et de l’expérience des autres personnes (Hanson, 2003), soit associée à une meilleure négociation du consentement ou à une plus grande sensibilisation par rapport au consentement. L’association entre une plus haute adhésion à des SG féminins et des scores plus élevés par rapport au CS est peu documentée dans la littérature. Toutefois, Mackay et Kozlowski (2018) ont aussi mis en lumière une association entre l’adhésion à des SG féminins (chez l’ensemble des participant·es) et une attitude plus positive à l’égard de l’établissement du CS lors d’une relation sexuelle.
Contrairement à notre hypothèse selon laquelle l’adhésion aux SG et les scores sur le CS seraient inversement associés, les résultats ont aussi montré que des niveaux plus élevés d’adhésion aux SG masculins étaient associés à des scores plus élevés pour une des sous-dimensions du CS, soit le contrôle comportemental perçu. Hermann et ses collègues (2018), de leur côté, ont mis en lumière que les hommes qui endossaient des scripts d’hypermasculinité (aussi appelée masculinité hostile et définie par des normes telles que le contrôle émotionnel, la violence et le pouvoir envers les femmes) rapportaient des scores plus faibles pour les sous-dimensions suivantes issues du Sexual Consent Scale–Revised (SCS–R) : le contrôle comportemental perçu, l’approche comportementale (in)directe et l’attitude à l’égard de l’établissement du CS. Dans notre étude, les traits du PAQ pour la sous-échelle des SG masculins sont, quant à eux, jugés comme socialement désirables pour tous·tes, mais sont plus fréquemment associés aux hommes (p. ex., indépendance, compétitivité, facilité à prendre des décisions) (K’delant et Gana, 2009).
Finalement, notre étude fait un second constat original et vient nuancer les résultats obtenus précédemment concernant la relation entre les SG et le CS. En effet, le genre agirait à titre de modérateur dans cette relation et les effets des SG ne seraient donc pas homogènes selon le genre. Concrètement, les SG féminins auraient un plus grand effet positif pour les hommes que pour les deux autres genres dans leurs scores de CS global, alors que les SG masculins auraient un plus grand effet, mais à la négative, pour les personnes faisant partie des minorités de genre vis-à-vis des deux autres genres, également pour les scores de CS global.
En somme, les résultats obtenus mettent en lumière que les stéréotypes de genre perdurent et qu’il demeure donc pertinent de les considérer dans l’analyse des déterminants des attitudes et des comportements, spécifiquement en lien avec la sexualité. Les résultats confirment aussi qu’il existe des différences au niveau du CS en fonction du genre et de l’orientation sexuelle, et que celles-ci doivent continuer de faire l’objet d’analyses minutieuses, inclusives et évitant toute généralisation.
Forces et limites de l’étude
Parmi les forces de cette étude, nommons d’abord l’introduction d’une échelle sur le CS traduite et validée en français. Cet instrument de mesure se distingue également par le fait qu’il est adapté à tous les individus, sans égard à leur orientation sexuelle. Il a dû être modifié puisque, comme plusieurs autres questionnaires (p. ex., Boratav et Çavdar, 2012; Hust et al., 2017), le SCS–R était hétérocentré. De plus, la présente recherche permet d’apporter des connaissances et des données quantitatives sur des groupes sous-étudiés, soit les personnes d’orientations sexuelles LGBQ+ ainsi que celles appartenant aux minorités de genre. Elle permet aussi de nuancer les relations entre le genre et les divers aspects du CS.
Certaines limites doivent être nommées. Tout d’abord, les femmes sont surreprésentées au sein de l’échantillon, alors que les hommes et les minorités de genre sont sous-représentés. L’échantillon de type non probabiliste se compose de volontaires et ne peut prétendre à la représentativité. Toutefois, le bouche-à-oreille et le recrutement par l’entremise des réseaux sociaux ont permis de solliciter un nombre plus important de personnes issues des minorités sexuelles et de genre et font en sorte que des analyses quantitatives ont pu être réalisables. En second lieu, le CS et les contacts sexuels plus généralement sont des sujets de nature délicate et peuvent potentiellement entraîner des biais de désirabilité sociale. S’il existe un risque que les participant·es surévaluent positivement leurs pratiques et attitudes à l’égard du CS, il faut noter que le questionnaire autoadministré est la « modalité la moins susceptible d’entraîner des biais de désirabilité sociale (de conformité) » (Gauthier et Bourgeois, 2016, p. 477) et que ce biais serait plus faible dans les données collectées en ligne (Binik et al., 1999). De plus, la variable de l’orientation sexuelle a été dichotomisée afin de conduire les analyses. En raison de leurs comportements sexuels majoritairement hétérosexuels, les personnes s’identifiant comme hétéroflexibles ont été rattachées à la catégorie des personnes hétérosexuelles. Toutefois, l’orientation sexuelle est complexe et il demeure possible que certains de ces individus s’identifient comme faisant partie du groupe des personnes LGBQ+. Aussi, le devis corrélationnel ne permet pas de conclure à des liens de causalité entre les variables étudiées. Un dernier élément à noter réside dans la proportion particulièrement élevée de participant·es ayant rapporté avoir vécu au moins un événement d’agression à caractère sexuel. Ceci pourrait notamment s’expliquer par le fait que les « attouchements sexuels non consensuels » constituent un terme assez large et englobant. Les personnes ayant subi des violences sexuelles pourraient également être davantage interpelées ou intéressées par l’enjeu du consentement. Lambert et al. (2012), dans leur enquête sur la santé sexuelle, rapportent un taux de victimisation sexuelle de 21,3 % chez leurs participant·es, des adultes émergent·es. Dans leur étude qualitative sur le CS spécifiquement, 68 % des participant·es avaient vécu des attouchements sexuels sans leur consentement (de Heer et al., 2021). En lien avec notre étude, il faut néanmoins rappeler que l’influence de la variable de la victimisation sexuelle a été contrôlée dans les analyses en lien avec le CS.
En somme, les résultats obtenus suggèrent une association entre l’adhésion à des SG féminins et masculins et les attitudes et comportements à l’égard du CS, bien qu’elle paraisse plus marquée pour les SG relatifs à la féminité. L’association positive entre les SG masculins et la sous-dimension du contrôle comportemental perçu révèle l’intérêt de distinguer la masculinité de l’hypermasculinité dans une étude subséquente. Les individus se distingueraient par rapport à leur adhésion aux SG en fonction à la fois de leur genre et de leur orientation sexuelle. Aussi, les personnes appartenant aux minorités de genre, les femmes et les personnes LGBQ+ montreraient des attitudes et comportements plus favorables au CS que leurs groupes homologues. On note une différence plus marquée en lien avec la sous-dimension de la conscientisation et de la discussion à propos du CS et cette sensibilisation est conséquente avec les violences sexuelles qui touchent particulièrement les femmes et les membres des minorités de genre (Bergeron et al., 2020).
Dans le futur, davantage d’études devraient évaluer les déterminants du CS auprès des groupes sous-étudiés, soit notamment les personnes LGBQ+ et celles issues des minorités de genre. Ceci permettrait de mieux saisir ce qui les distingue des personnes ne faisant pas partie de ces groupes par rapport au CS. Dans le même ordre d’idées, il pourrait s’avérer intéressant de comparer les groupes des personnes hétérosexuelles et LGBQ+ en fonction de leur genre (p. ex., de comparer les femmes hétérosexuelles aux femmes non hétérosexuelles) ou de distinguer les personnes adhérant à des modèles de genre binaires de celles qui les contestent ou s’en distancient parmi les individus appartenant aux minorités de genre. Il pourrait donc être fructueux de répliquer cette étude à plus grande échelle. Aussi, l’éducation et la sensibilisation à propos du CS et de la prévention des violences sexuelles devraient notamment inclure des activités de déconstruction des scripts sexuels hétéronormatifs, par exemple par le biais de l’analyse de films ou de vidéoclips. Le script des hommes actifs et des femmes passives dans les rapports hétérosexuels devrait être abordé et décortiqué. Le développement de certaines qualités traditionnellement associées à la féminité, comme l’empathie et la compassion, pour ne nommer que celles-ci, semble également, à la lumière de nos résultats, constituer l’une des pistes à explorer en éducation comme dans les milieux de pratique.
Appendices
Notes
-
[1]
Nous tenons à remercier Mariia Samoilenko (Université du Québec à Montréal) ainsi que Martin Blais (Université du Québec à Montréal) pour leur soutien technique dans la réalisation des analyses statistiques ainsi que dans la rédaction des résultats.
-
[2]
Adresse de correspondance : Département de sexologie, UQAM, C.P. 8888, succ. Centre-ville, Montréal (QC), H3C 3P8. Courriel : audreanne.gagnon@hotmail.com
-
[3]
Le dictionnaire Le Robert (2021) définit « iel » ou « iels » comme un « Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. » Celui-ci permet notamment une meilleure représentation des femmes et des personnes issues des minorités de genre. Pour la même raison, les appellations de personnes (p. ex., auteur·trices) sont présentées au féminin et au masculin dans le texte.
-
[4]
À la suite d’analyses bivariées (Chi-deux), les orientations sexuelles hétérosexuelle et hétéroflexible ont été rassemblées étant donné que les comportements sexuels des cinq dernières années des personnes s’identifiant comme hétéroflexibles s’apparentaient davantage aux comportements sexuels des personnes hétérosexuelles qu’à ceux des personnes LGBQ+ (p < 0,05). Certains écrits de la littérature indiquent toutefois que les personnes s’identifiant comme hétéroflexibles peuvent se distinguer à la fois des individus hétérosexuels et de ceux LGBQ+ à certains égards (p. ex., Vrangalova et Savin-Williams, 2014).
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