Abstracts
Résumé
Cet article présente les résultats d’une étude descriptive portant sur l’identification des symptômes et des troubles intériorisés chez les jeunes contrevenants. Cette recherche a été réalisée auprès de 22 jeunes contrevenants masculins âgés entre 14 et 18 ans pris en charge par un centre jeunesse. Dans un premier temps, les symptômes et les troubles intériorisés mentionnés au rapport prédécisionnel (RPD) des participants sont explorés. Ensuite, la concordance entre les symptômes et les troubles intériorisés inscrits dans leur RPD et ceux qui sont rapportés par les jeunes eux-mêmes est évaluée. Des pistes de recherche et d’intervention sont proposées en conclusion.
Mots-clés :
- symptômes intériorisés,
- troubles intériorisés,
- jeunes contrevenants,
- identification,
- dépistage
Abstract
This article presents the results of a descriptive study on the identification of internalizing symptoms and disorders among young offenders. The research relies on 22 youth male offenders, from the ages of 14 to 18, under the care of a youth center. First, the study examines internalizing symptoms and disorders mentioned in pre-sentence reports (PSRs). Following this, the internalizing symptoms and disorders listed in the PSRs are compared to youth self-reports, with the aim of identifying consistencies and/or discrepancies. To conclude, future avenues for research and interventions are suggested.
Keywords:
- internalizing symptoms,
- internalizing disorders,
- young offenders,
- identification,
- screening
Article body
Bien que la majorité des adolescents affirment avoir adopté des comportements délinquants au cours de leur vie, un nombre restreint d’entre eux doivent répondre de leurs actes devant les tribunaux (Le Blanc, 2010). Au cours de l’année 2013-2014, c’étaient par exemple 13 557 adolescents contrevenants qui avaient reçu des services du directeur provincial en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) au Québec (Association des centres jeunesse du Québec, 2014). De plus, 5 907 de ces jeunes ont été soumis à des sanctions judiciaires au cours de cette même année avec des peines à purger dans la collectivité ou en mise sous garde (Association des centres jeunesse du Québec, 2014).
Il est probable qu’un nombre important de ces jeunes présentent un ou plusieurs troubles mentaux. En effet, les études tendent à démontrer que les jeunes contrevenants présentent des taux de prévalence plus élevés que les adolescents de la population générale, et ce, pour une majorité de troubles mentaux (Fazel et al., 2008; Leenarts et al., 2016; Teplin et al., 2006; Vermeiren, 2003; Williams et al., 2019).
Une méta-analyse d’envergure portant sur les troubles mentaux des jeunes contrevenants a été effectuée par Fazel et al. (2008) où 25 études impliquant 16 750 adolescents provenant des États-Unis (N = 15 628), du Royaume-Uni (N = 264), de l’Australie (N = 100), de la Russie (N = 370), de la Hollande (N = 204), du Danemark (N = 100), du Canada (N = 49) et de l’Espagne (N = 35) ont été recensées. Les auteurs rapportent que plus de la moitié des adolescents en détention ou en centres correctionnels[4] présentent un trouble des conduites. De plus, la psychose serait dix fois plus fréquente (prévalence de 3,3 %), le trouble de déficit de l’attention/hyperactivité deux à quatre fois plus fréquent (prévalence de 11,7 %) et le trouble dépressif majeur deux fois plus fréquent (prévalence de 10,6 %) chez les jeunes contrevenants que chez les adolescents de la population générale (Fazel et al., 2008).
Des études réalisées dans divers pays américains, européens et asiatiques au cours des dernières années obtiennent des résultats similaires. Entre 50 % et 70 % des jeunes contrevenants rencontreraient les critères diagnostiques d’au moins un trouble mental selon le DSM-III-R, le DSM-IV ou l’ICD-10 (Colins et al., 2010; Schubert et al., 2011; Skowyra et Cocozza, 2007; Teplin et al., 2006; Wasserman et al., 2010). Si l’on exclut le trouble d’abus de substance, de 50 % à 75 % des jeunes contrevenants satisfont les critères diagnostiques pour une ou l’autre des pathologies du DSM-5 (Britton, 2019). Ces taux sont plus élevés que ce qui est généralement observé chez une population générale d’adolescents (entre 15 et 18 %; Roberts et al., 1998). De plus, environ le tiers des jeunes contrevenants répondraient aux critères diagnostiques de plus d’un trouble mental en concomitance (Schubert et al, 2011; Teplin et al., 2006; Wasserman et al., 2010).
Les symptômes et les troubles intériorisés chez les jeunes contrevenants
Même si les jeunes contrevenants sont principalement reconnus pour leurs comportements extériorisés, les symptômes et les troubles intériorisés seraient aussi présents en grand nombre chez cette population. Contrairement aux symptômes et aux troubles extériorisés qui sont associés à des conflits avec le monde externe ainsi qu’à un manque d’autocontrôle ou d’inhibition comportementale, les symptômes et les troubles intériorisés occasionnent plutôt une souffrance interne chez l’individu et sont associés à un autocontrôle ou à une inhibition comportementale excessive (Achenbach et McConaughy, 1992; Weiss et al., 1997). Ces derniers regroupent les comportements anxieux, dépressifs, de retrait et les plaintes somatiques sans cause médicale (Achenbach et McConaughy, 1992).
Vincent et al. (2008) se sont intéressés aux symptômes intériorisés chez une population de 54 606 adolescents masculins provenant de 283 sites du système de justice juvénile américain. Plusieurs participants rapportent un nombre de symptômes significativement élevé aux sous-échelles évaluant les symptômes intériorisés du MAYSI-2 : 30 % à la sous-échelle de dépression-anxiété, 37 % à la sous-échelle de plaintes somatiques et 15 % à la sous-échelle d’idéations suicidaires.
En ce qui a trait aux troubles intériorisés, entre 8 et 33 % des jeunes contrevenants rapporteraient un nombre de critères suffisant pour présenter un trouble affectif ou un trouble de l’humeur et entre 20 et 62 % rapporteraient un nombre de critères suffisant pour présenter un trouble anxieux (Schubert et al, 2011; Skowyra et Cocozza, 2007; Teplin et al., 2006; Vermeiren, 2003; Wasserman et al., 2010). De plus, de 11 à 30 % des jeunes contrevenants indiquent avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie (Abram et al., 2014; Penn et al., 2003; Vermeiren, 2003; Wasserman et al., 2010). Chez une population générale d’adolescents, ces taux sont inférieurs et varient plutôt de 3 à 10 % pour les troubles de l’humeur, de 7 à 25 % pour les troubles anxieux et de 7 à 10 % pour les tentatives de suicide (Evans et al., 2005; Kessler et al., 2012; Lewinsohn et al., 1996; Roberts et al., 2007).
En somme, les troubles mentaux sont fréquents chez les jeunes contrevenants. Un nombre important de ces adolescents présenteraient d’ailleurs plus d’un trouble mental en concomitance. De plus, bien qu’ils soient davantage reconnus pour leurs comportements extériorisés, plusieurs jeunes contrevenants doivent composer avec des symptômes et des troubles intériorisés.
Les troubles mentaux qui ne sont pas traités occasionnent des conséquences individuelles et sociales non négligeables. En effet, ils diminuent le niveau de fonctionnement et entraînent de la souffrance chez la personne qui en est atteinte (Schonfeld et al., 1997). De plus, certaines études américaines révèlent que les individus qui présentent des troubles mentaux non traités ont des taux de tentatives de suicide, d’arrestations et de récidive plus élevés que ceux qui n’en présentent pas (Abram et al., 2014; Coker et al., 2014; Cottle et al., 2001; Cuellar et al., 2006; Hoeve et al., 2013). Par ailleurs, l’identification ou dépistage des problèmes de santé mentale est essentiel parce que les problèmes de santé mentale non dépistés peuvent entraver la réhabilitation, peuvent compromettre la sécurité du personnel du milieu de détention et poser un risque pour la sécurité publique (Butler al., 2007; Grisso, Barnum et al., 2001; Wasserman et al., 2004). Ainsi, traiter les besoins immédiats en santé mentale des jeunes pris en charge facilite leur intégration dans les milieux de mise sous garde et réduit le risque d’agression, tout en favorisant un environnement plus propice à l’atteinte des objectifs de réadaptation (Gretton et Clift, 2011).
L’identification des symptômes et des troubles intériorisés chez les jeunes contrevenants
Malgré ces prévalences élevées de troubles mentaux, l’identification des jeunes contrevenants ayant un trouble mental et nécessitant des services paraît complexe et influencée par divers facteurs.
Dans une revue systématique du dossier de probation de 583 jeunes contrevenants pris en charge dans l’état de New York aux États-Unis, Wasserman et al. (2008) notent que près de 40 % des jeunes ont été identifiés comme présentant des besoins en santé mentale par leur agent de probation. Ces derniers avaient tendance à sous-identifier les troubles intériorisés présentés par les jeunes. En effet, les comportements perturbateurs (présentés par 12,7 % des jeunes dans cette étude) et l’abus de substances (présent chez 7,5 % des jeunes dans cette étude) figuraient aux premiers rangs des besoins identifiés alors que des besoins sur le plan des problèmes intériorisés étaient notés pour 4,6 % des jeunes seulement (Wasserman et al., 2008). Le fait que l’adolescent ait commis une récidive, de meilleures connaissances en santé mentale chez les agents de probation, de même qu’un nombre suffisant de professionnels en santé mentale dans la région étaient considérés comme des facteurs contribuant à l’identification des jeunes ayant besoin de services (Wasserman et al., 2008).
Dans un même ordre d’idées, Mitchell et Shaw (2011) observent dans leur recherche que près de la moitié des jeunes avec des problèmes de santé mentale n’ont pas été détectés lors du dépistage habituel effectué à l’arrivée du jeune dans un établissement situé dans le nord-ouest de l’Angleterre. Parmi tous les jeunes présentant des problèmes intériorisés, seulement 42 % étaient correctement détectés comparativement à 59 % pour les jeunes présentant des problèmes extériorisés. De plus, les auteurs soulignent que les jeunes avec des problèmes intériorisés devaient avoir un plus grand nombre de symptômes que ceux avec des problèmes extériorisés pour que leur problématique soit détectée (Mitchell et Shaw, 2011).
Le genre, l’âge, l’origine ethnique, le type de délit commis, le nombre de placements sous garde antérieurs ainsi que l’historique de traitement du jeune seraient également des variables ayant une influence sur la probabilité d’être identifié comme requérant des services (Lopez-Williams et al., 2006; Rogers et al., 2006; Teplin et al., 2005). En outre, afin d’identifier les jeunes nécessitant des services en santé mentale, les adultes travaillant auprès d’eux utiliseraient davantage des variables de nature sociodémographique et liées à la délinquance que des variables reconnues comme associées à la présence de besoins en santé mentale, tel que le nombre de symptômes et le degré d’atteinte au fonctionnement selon les résultats d’une étude américaine (Lopez-Williams et al., 2006).
Une étude de 2019 rapporte que 27 % des jeunes contrevenants détenus présenteraient, dès leur arrivée en institution, des problèmes mentaux assez sévères qu’ils nécessiteraient l’intervention immédiate d’un professionnel de la santé (Britton, 2019), ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas (AACAP, 2005; Brown et al., 2019; Cauffman, 2004; Chitsabesan et al., 2006; Leenarts et al., 2016). Dans une étude effectuée auprès de 1829 adolescentes et adolescents pris en charge dans un centre de détention juvénile aux États-Unis, Teplin et al. (2005) rapportent que seulement 16 % des jeunes requérant des services en santé mentale reçoivent un traitement dans les six premiers mois de leur détention. Les auteurs considèrent que ce faible pourcentage pourrait être expliqué par un haut taux de concomitance des troubles mentaux chez les jeunes contrevenants, ce qui complique la détection, le traitement de même que l’implication et la persévérance dans un processus thérapeutique (Teplin et al., 2005).
De leur côté, Stiffman et al. (2000) ont réalisé une recherche auprès de 792 adolescents et de 222 intervenants américains impliqués dans quatre secteurs publics (milieu de la santé, système de justice juvénile, système de la protection de la jeunesse et milieu de l’éducation). Ils observent que les services reçus en santé mentale seraient influencés par le dépistage que l’intervenant fait de ces problèmes et par ses connaissances au sujet des ressources disponibles. Ces aspects seraient influencés par la formation professionnelle et continue reçue par l’intervenant ainsi que par le secteur au sein duquel il travaille. Par ailleurs, il n’y aurait pas de relation significative entre la perception que le jeune a de ses problèmes et le fait de recevoir des services en santé mentale (Stiffman et al., 2000). Le lien entre les problèmes autorapportés par l’adolescent et ceux identifiés par l’intervenant serait faible. En effet, de 12 à 16 % des jeunes rencontrent les critères diagnostiques d’un trouble mental selon leurs réponses au Diagnostic Interview Schedule for Children (DISC 2.3; Shaffer et al., 1993) alors que les intervenants en identifient seulement 7,7 % selon leurs réponses à un questionnaire maison évaluant la présence et la sévérité de six types de problèmes de santé mentale (dépression/tristesse, stress post-traumatique, anxiété, risque suicidaire, abus d’alcool/de drogues et trouble de comportement/des conduites) (Stiffman et al., 2000). Les auteurs concluent qu’il pourrait être bénéfique d’implanter des procédures de dépistage tenant compte des symptômes et des troubles mentaux rapportés par les adolescents afin d’améliorer la justesse des évaluations effectuées par les intervenants et ainsi, favoriser l’accès à des services en santé mentale pour les jeunes présentant des besoins (Stiffman et al., 2000).
Le dépistage vise la détection de problématiques chez une personne en utilisant une procédure rapide et peu coûteuse. Les questionnaires autoadministrés possédant de bonnes qualités psychométriques sont les plus recommandés comme technique de dépistage puisqu’ils sont courts, simples à administrer et qu’ils fournissent des informations assez valides et fidèles (Wasserman et al., 2003). Lorsqu’une problématique est identifiée chez un individu lors du dépistage, celui-ci devrait ensuite être guidé vers des ressources spécialisées qualifiées afin qu’une évaluation plus poussée soit effectuée (American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, 2005; Wasserman et al., 2003). Cette évaluation des troubles mentaux, qui est un acte réservé à certains professionnels, permet de déterminer si la personne présente bel et bien une problématique et de quel type d’intervention elle pourrait bénéficier (Wasserman et al., 2003). La détection des symptômes et des troubles chez les jeunes s’avère donc une première étape essentielle afin que des interventions adaptées leur soient offertes permettant ainsi de bonifier les services déjà proposés tout en favorisant leur réadaptation et leur réinsertion sociale.
Bref, les études tendent à démontrer que plusieurs jeunes contrevenants présentant des troubles mentaux ne sont pas dépistés et ne reçoivent ainsi pas les services (évaluation et intervention) en santé mentale dont ils auraient besoin. Ceci semble particulièrement saillant chez les jeunes présentant des symptômes et des troubles intériorisés.
Ceci dit, la majorité de ces études ont été effectuées aux États-Unis. En effet, jusqu’à présent, peu de recherches portant sur l’identification des symptômes et des troubles intériorisés ont été réalisées auprès des jeunes contrevenants canadiens et de leurs intervenants. Au Québec, dans plusieurs régions administratives, l’outil MAYSI-2 (Massachusetts Youth Screening Instrument – 2e édition) (Grisso et al., 2012) en version francophone pour le Québec est utilisé pour dépister les problèmes de santé mentale chez les jeunes contrevenants depuis 2014. Néanmoins, cette pratique n’est pas obligatoire et ne fait pas partie des processus d’évaluation requis par le tribunal. L’utilisation de cet outil de dépistage est donc sous l’initiative de chacun des établissements. Par contre, lorsqu’un jeune est déclaré coupable d’une infraction, un rapport prédécisionnel (RPD) est demandé par le tribunal de la jeunesse afin d’évaluer et d’analyser plus amplement la situation de l’adolescent avant de rendre l’ordonnance ou de prononcer la peine (Desjardins, 2014; Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2007). Depuis l’adoption du projet de loi 21 en 2009, l’évaluation d’un adolescent dans le cadre d’une décision du tribunal en application de la LSPJA est un acte réservé aux travailleurs sociaux, aux psychoéducateurs, aux sexologues et aux psychologues (Desjardins, 2014). En raison d’un droit acquis, des criminologues peuvent également effectuer cette évaluation. Au CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, lieu de la présente recherche, ce sont principalement des criminologues qui ont le mandat d’effectuer l’évaluation psychosociale et de rédiger le RPD[5].
Un RPD est un document qui a quatre principaux objectifs :
Évaluer l’engagement délinquant de l’adolescent, le niveau de risque de récidive qu’il présente ainsi que les facteurs contribuant à ces risques.
Apporter un éclairage clinique sur le fonctionnement psychosocial de l’adolescent et déterminer particulièrement les dimensions problématiques.
Recommander au tribunal les peines les plus appropriées à la situation particulière de chaque adolescent.
Transmettre à l’adolescent et à ses parents une évaluation juste de leur situation afin de susciter leur adhésion à l’intervention et leur implication (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2007, p.13).
Ainsi, il est possible de retrouver dans le RPD les caractéristiques personnelles du jeune, ses attitudes et son niveau d’adaptation personnel et social (Desjardins, 2014). Bien que le but premier de ce rapport ne soit pas d’évaluer formellement les troubles mentaux, il serait attendu que les symptômes et les troubles intériorisés présentés par le jeune y soient inscrits afin de répondre aux deux premiers objectifs précités de ce document, soit d’évaluer les facteurs contribuant au risque de récidive et de déterminer les dimensions les plus problématiques dans le fonctionnement psychosocial du jeune.
Les informations contenues dans le RPD aident le tribunal à déterminer l’ordonnance ou la peine la plus appropriée ainsi que les interventions qui seront offertes au jeune contrevenant par la suite (Desjardins, 2014; Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2007). De plus, le RPD demeure au dossier du jeune et sert d’outil de référence pour les intervenants travaillant auprès de ces adolescents. Ainsi, en raison de l’usage qui en est fait, il est pertinent de se demander si les symptômes et les troubles intériorisés présentés par les jeunes contrevenants sont identifiés dans leur RPD.
OBJECTIFS ET HYPOTHÈSE
En premier lieu, cette étude a pour objectif d’explorer les symptômes et les troubles intériorisés figurant au RPD des jeunes contrevenants.
Cette étude descriptive vise également à évaluer la concordance entre les symptômes et les troubles intériorisés inscrits dans le RPD des jeunes contrevenants et ceux qui sont rapportés par les jeunes eux-mêmes. Étant donné les résultats des études antérieures mentionnées précédemment, il est attendu que peu d’adolescents rapportant un nombre de symptômes élevés et des troubles intériorisés auront une présence de symptômes et de troubles intériorisés dans leur RPD.
MÉTHODE
Participants
L’échantillon de cette étude est constitué de 22 jeunes contrevenants âgés de 14 à 18 ans (M = 17,09, É-T = 1,15) pris en charge par le CJM-IU en vertu de la LSJPA. Ces jeunes ont été sélectionnés aléatoirement parmi tous les participants de l’étude-mère portant sur les caractéristiques de la personnalité et les risques pris par les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue (Laurier, Guay, Lafortune et Toupin 2015). Le nombre de participants a été restreint à 22 en raison de l’ampleur des tâches de lecture et de cotation des RPD (entre deux et trois heures par RPD).
En raison des différences observées entre les hommes et les femmes sur le plan de la délinquance et des troubles intériorisés (Lanctôt, 2010; American Psychiatric Association, 2003), seuls les participants de sexe masculin ont été inclus dans cette étude. De plus, afin de répondre aux questionnaires autorapportés qui leur étaient lus par les interviewers, les participants devaient être en mesure de comprendre le français et ne pas présenter de déficience intellectuelle, tel qu’indiqué à leur dossier.
Instruments de mesure
Données sociodémographiques
Les principales données sociodémographiques ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire maison élaboré pour l’étude-mère. Ce questionnaire est constitué de neuf items similaires à ceux utilisés dans les enquêtes de Santé Québec. Les questions portaient notamment sur leur âge, leur lieu de naissance, leur langue maternelle et leur niveau académique.
Symptômes intériorisés
La version francophone pour le Québec (Laurier, 2015) du questionnaire Massachussetts Youth Screening Instrument, version 2 (MAYSI-2, Grisso et Barnum, 2001) a été utilisée afin d’évaluer les symptômes intériorisés. Ce questionnaire, conçu spécifiquement pour les jeunes contrevenants, comporte 52 items de type vrai/faux et est répondu par le jeune. Le MAYSI-2 comprend sept sous-échelles au total, mais seulement quatre d’entre elles portant sur les symptômes intériorisés ont été retenues pour cette étude : dépression-anxiété, plaintes somatiques, idéations suicidaires et colère-irritabilité. Bien qu’étant moins associée aux symptômes intériorisés habituellement, cette dernière sous-échelle a été sélectionnée puisque l’irritabilité fait partie des symptômes de l’épisode dépressif chez les enfants et les adolescents dans le DSM-IV-TR (American Psychiatric Association, 2003). Le score obtenu par le jeune à chacune des sous-échelles a ensuite été catégorisé selon trois zones délimitées par les auteurs de l’instrument (Grisso et Barnum, 2001) : 1. aucun problème significatif (résultat dans la moyenne des jeunes contrevenants de l’échantillon normatif), 2. à risque (résultat plus élevé que le deux tiers des jeunes contrevenants) et 3. danger (résultat supérieur à celui qu’obtiennent 90 % des jeunes contrevenants). Le MAYSI-2 est utilisé auprès des jeunes contrevenants dans plus de 2000 sites situés dans 47 états des États-Unis (Grisso, Fusco, Paiva-Salisbury, Perrauot, Williams et Barnum, 2012). Cet outil obtient de bons indices de consistance interne (α entre 0,63 et 0,85 pour les sous-échelles retenues), de fidélité test-retest (r moyen de 0,74) et de validité convergente [r entre 0,40 et 0,55 avec le Youth Self Report d’Achenbach et Rescorla (2001) et r entre 0,45 et 0,64 avec le Million Adolescent Clinical Inventory de Millon, Million et Davis (1993); Grisso, Barnum, Fletcher, Cauffman et Peuschold, 2001]. Les coefficients alpha obtenus avec les données des participants de l’étude-mère (α entre 0,53 et 0,78) sont légèrement inférieurs à ceux obtenus par Grisso et ses collaborateurs, mais les analyses effectuées en comparant les résultats avec ceux du Mini International Neuropsychiatric Interview (Sheehan et al., 1998) révèlent que l’outil possède une bonne validité discriminante (Laurier et al., 2015).
Troubles intériorisés
Afin d’évaluer les troubles intériorisés chez les participants, la version française validée de l’entrevue structurée Mini International Neuropsychiatric Interview (M.I.N.I.; Sheehan et al., 1998) a été utilisée. Cette entrevue a pour but d’évaluer la présence de troubles psychiatriques à partir des critères diagnostiques du DSM-IV-TR (American Psychiatric Association, 2003) et de la CIM-10 (Organisation mondiale de la santé, 1992). Huit des quinze sous-échelles du M.I.N.I. ont été utilisées pour cette étude, l’intérêt étant les troubles intériorisés : épisode dépressif (actuel et récurent), dysthymie, agoraphobie, trouble panique, phobie sociale, trouble obsessionnel-compulsif, anxiété généralisée et état de stress post-traumatique. Une étude effectuée par Sheehan et al. (1998) souligne que cet instrument possède une bonne fidélité test-retest (κ ≥ 0,63) et une validité convergente modérée à excellente [κ de 0,50 à 0,75 avec le Structured Clinical Interview for DSM-III-R – Patient version (SCID-P) de Spitzer et al. (1990) et le Composite International Diagnostic Interview (CIDI) de l’Organisation mondiale de la santé (1989)] pour les sous-échelles retenues dans le cadre de la présente étude (voir Sheehan et al., 1998 pour plus de détails).
Déroulement
En premier lieu, les jeunes contrevenants étaient rencontrés en groupe afin de leur présenter le projet de recherche. Les consentements étaient obtenus lorsque le jeune signifiait son intérêt pour participer à l’étude. Ensuite, des assistants de recherche formés à la passation des questionnaires rencontraient les jeunes à deux reprises dans un local assurant la confidentialité et la sécurité. Ces rencontres étaient d’une durée de deux à trois heures chacune afin d’effectuer la passation du questionnaire et de l’entrevue utilisés dans le cadre de cette étude et ceux utilisés dans le cadre de l’étude-mère (le MAYSI-2 et le M.I.N.I. étaient administrés au cours de la première rencontre). Une compensation financière de 30 dollars était remise au jeune à la fin de chacune des rencontres.
Lorsque les deux rencontres avec les jeunes étaient réalisées, leur dossier était acheminé au service des archives de l’établissement où la lecture du RPD le plus récent était effectuée par la chercheure principale de cette étude. Tous les diagnostics de troubles mentaux (intériorisés et extériorisés) et tous les symptômes intériorisés consignés dans le RPD des participants étaient répertoriés. Une liste des diagnostics et critères diagnostiques du DSM-IV-TR (American Psychiatric Association, 2003) et des symptômes décrits par les items du MAYSI-2 (Grisso et Barnum, 2001) et du Youth Self Report (Achenbach et Rescorla, 2001) a été utilisée afin de faire cette recension de symptômes. À l’aide de cette liste exhaustive, les symptômes intériorisés répertoriés étaient ensuite classifiés selon quatre catégories par deux évaluateurs (la chercheure principale de la présente étude et la chercheure principale de l’étude-mère) : les symptômes anxieux, les symptômes dépressifs/de retrait, les plaintes somatiques et les idéations suicidaires. Un accord inter-juge était réalisé pour les cotations divergentes. Ce projet de recherche a reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche Lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke et du Comité d’éthique de la recherche du Centre Jeunesse de Montréal – Institut Universitaire.
Analyses
Des variables dichotomiques ont été créées afin de comparer les symptômes répertoriés dans le RPD et ceux autorapportés par les jeunes au MAYSI-2. En ce qui a trait au RPD, les participants étaient divisés en deux groupes pour chacune des catégories de symptômes : ceux pour qui il n’était mention d’aucun symptôme (Absence) et ceux pour qui au moins un symptôme était indiqué dans leur document (Présence). Deux groupes ont également été formés selon les réponses des participants au MAYSI-2, soit les jeunes contrevenants ayant obtenu un score dans la moyenne (zone aucun problème significatif) et ceux ayant obtenu un score supérieur à la moyenne (zones à risque ou danger). La sous-échelle dépression-anxiété du MAYSI-2 a été comparée à la présence de symptômes dépressifs et anxieux au RPD, la sous-échelle colère-irritabilité du MAYSI-2 a été comparée à la présence de symptômes dépressifs au RPD, la sous-échelle plaintes somatiques du MAYSI-2 a été comparée à la présence de plaintes somatiques au RPD et la sous-échelle idéations suicidaires du MAYSI-2 a été comparée à la présence d’idéations suicidaires au RPD.
RÉSULTATS
Données sociodémographiques
Plus de la moitié des participants de cette étude affirment être nés au Canada (63,64 %, n = 14) et avoir le français comme langue maternelle (54,54 %, n = 12). Parmi les huit participants nés à l’extérieur du Canada, quatre personnes sont nées en Afrique et les quatre autres sont nées dans un autre pays de l’Amérique du Nord, dans les Antilles, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Ces jeunes étaient âgés de six mois à 17 ans au moment de leur arrivée au Canada (M = 9,38, É-T = 5,97). Le niveau de scolarité complété est le secondaire un, deux ou trois pour 63,64 % (n = 14) des jeunes et le secondaire quatre ou cinq pour 36,36 % (n = 8) des participants. La majorité d’entre eux (86,36 %, n = 19) affirment avoir redoublé une année au moins une fois au cours de leur parcours scolaire.
Par ailleurs, plus de la moitié des jeunes (54,54 %, n = 12) sont pris en charge dans une unité ouverte d’un centre jeunesse alors que 36,36 % (n = 8) sont pris en charge dans une unité fermée d’un centre jeunesse et 9,09 % (n = 2) sont suivis dans la communauté. La durée de leur ordonnance varie entre quatre et 39 mois (M = 12,58, É-T = 9,06).
Description des symptômes intériorisés recensés dans le RPD
Symptômes liés aux délits
Pour deux des 22 participants (9,09 %), certains symptômes intériorisés explicités dans leur RPD (stress, peur) sont circonscrits au moment où ils ont commis leur délit. Ces symptômes, bien qu’ils nous informent sur le ressenti du participant lors du délit, semblent être situationnels et non généralisés à l’ensemble du fonctionnement de l’adolescent. Pour cette raison, ils n’ont pas été retenus lors de l’évaluation de la prévalence des symptômes intériorisés au RPD et lors de la comparaison entre les symptômes recensés au RPD et ceux révélés par le jeune au MAYSI-2.
Prévalence des symptômes intériorisés
La majorité des participants présentent au moins un symptôme intériorisé dans leur RPD (81,82 %, n = 18). Les symptômes dépressifs/de retrait sont ceux mentionnés chez le plus grand nombre de participants (81,82 %, n = 18) suivis des symptômes anxieux (50,00 %, n = 11), des plaintes somatiques (13,64 %, n = 3) et des idéations suicidaires (13,64 %, n = 3). En moyenne 3 symptômes intériorisés (É-T = 2,67) sont identifiés aux dossiers des jeunes.
Le Tableau 1 présente la prévalence des divers symptômes recensés dans le RPD des jeunes contrevenants pour chacune des catégories. Il est possible de constater que certains symptômes intériorisés sont fréquemment mentionnés dans le RPD des jeunes contrevenants. En effet, il est possible de retrouver les symptômes suivants dans le RPD de plus de 20 % des participants (n ≥ 5) : faible estime de soi/dévalorisation excessive/sentiment d’infériorité, anxiété, pleurs/tristesse, nervosité/stress et isolement/retrait. Ceux-ci font partie des symptômes dépressifs/de retrait et des symptômes anxieux.
Inversement, certains symptômes intériorisés sont rarement mentionnés dans le RPD des jeunes contrevenants. Peu de symptômes physiques liés à la somatisation ou à l’anxiété sont indiqués aux dossiers des jeunes. Les symptômes suicidaires sont également peu fréquents. D’ailleurs, il n’est mention d’idées ou de tentatives de suicide pour aucun des 22 participants.
Diagnostics de troubles intériorisés recensés aux RPD des participants
Le Tableau 2 présente la prévalence des divers diagnostics de troubles mentaux indiqués dans le RPD des participants. Parmi les neuf participants (40,91 %) ayant au moins un diagnostic figurant dans leur RPD, quatre en ont un seul (18,18 %), deux en ont deux (9,09 %), deux en ont trois (9,09 %) et un en a cinq (4,54 %). La majorité des diagnostics mentionnés dans les RPD (63,16 %, n = 12) appartiennent à la catégorie des troubles extériorisés (trouble du comportement, trouble oppositionnel avec provocation, trouble des conduites, trouble du déficit de l'attention/hyperactivité). Il n’est mention d’aucun trouble intériorisé dans le RPD des 22 participants.
Comparaison entre les symptômes et les troubles intériorisés répertoriés dans le RPD et ceux obtenus par le jeune au MAYSI-2 et au M.I.N.I.
Symptômes intériorisés
Au moins un symptôme dépressif est mentionné dans le RPD de la majorité des participants présentant un nombre de symptômes supérieur à la moyenne aux sous-échelles colère-irritabilité et dépression-anxiété du MAYSI-2. En effet, 10 des 12 participants (83,33 %) se situant dans les zones à risque ou danger à la sous-échelle colère-irritabilité ainsi que neuf des 10 (90,00 %) participants se situant dans les zones à risque ou danger à la sous-échelle dépression-anxiété ont été correctement identifiés dans leur RPD comme présentant au moins un symptôme dépressif.
La proportion de jeunes correctement identifiés dans leur RPD comme présentant des symptômes anxieux, des plaintes somatiques et des idéations suicidaires est moindre. Des symptômes anxieux sont répertoriés dans le RPD de 50,00 % (5/10) des participants se situant dans les zones à risque ou danger à la sous-échelle dépression-anxiété du MAYSI-2. Deux des cinq participants (40,00 %) présentant un nombre de symptômes supérieur à la moyenne à la sous-échelle plaintes somatiques du MAYSI-2 ont été correctement identifiés comme présentant au moins une plainte somatique dans leur RPD. Finalement, il n’est pas mention d’idéation suicidaire dans le RPD d’aucun des deux jeunes se situant dans les zones à risque ou danger à la sous-échelle idéations suicidaires du MAYSI-2.
Troubles intériorisés
Aucun trouble intériorisé n’a été recensé dans le RPD des 22 participants. Par ailleurs, selon les réponses que les jeunes ont données à l’entrevue structurée M.I.N.I., aucun participant ne répond aux critères de la dysthymie, de l’agoraphobie, du trouble panique, de la phobie sociale et du trouble obsessionnel-compulsif. Parmi les troubles de l’humeur, trois participants (13,64 %) répondent aux critères de l’épisode dépressif actuel et l’un d’entre eux (4,54 %) au trouble dépressif récurrent. En ce qui a trait aux troubles anxieux, près de la moitié des participants (45,45 %, n = 10) rapportent un nombre de symptômes suffisant pour présenter une anxiété généralisée. Même si plusieurs participants rapportent avoir vécu un traumatisme au cours de leur vie (72,73 %, n = 16), seulement un participant (4,54 %) rencontre les critères diagnostiques de l’état de stress post-traumatique. Selon les réponses des participants au M.I.N.I., la moitié d’entre eux (50 %, n = 11) répondent aux critères diagnostiques d’au moins un trouble intériorisé; huit participants (36,36 %) répondent aux critères d’un seul trouble intériorisé et trois participants (13,64 %) répondent aux critères de deux troubles intériorisés.
Une divergence est donc observée entre les troubles intériorisés mentionnés dans le RPD des jeunes et ceux révélés par les adolescents à l’aide d’un outil standardisé. En effet, aucun trouble intériorisé n’est indiqué dans le RPD de l’ensemble des participants alors que la moitié des jeunes répondent aux critères diagnostiques d’au moins un trouble intériorisé selon leurs réponses au M.I.N.I.
DISCUSSION
Cette étude avait comme premier objectif d’explorer les symptômes et les troubles intériorisés mentionnés par les intervenants au RPD des jeunes contrevenants. Il est possible de constater que des symptômes intériorisés sont présents dans le RPD de presque tous les jeunes (n = 18/22). En moyenne, trois symptômes intériorisés peuvent être répertoriés dans le RPD des participants. Ainsi, bien que les jeunes contrevenants soient davantage reconnus pour leurs comportements extériorisés, les intervenants qui effectuent l’évaluation menant au RPD semblent être en mesure de déceler la présence de certains symptômes intériorisés chez ces jeunes.
Les symptômes dépressifs/de retrait ainsi que les symptômes anxieux sont ceux mentionnés au RPD du plus grand nombre de participants. Le symptôme dépressif « faible estime de soi/dévalorisation excessive/ sentiment d’infériorité » est d’ailleurs indiqué au dossier de plus du tiers des participants. Ces résultats concordent avec ce qui a été observé précédemment dans les écrits, soit que les symptômes dépressifs et anxieux, dont une faible estime de soi, sont fréquents chez les jeunes contrevenants et chez les adolescents présentant un trouble oppositionnel avec provocation ou un trouble des conduites (American Psychiatric Association, 2003; Vincent et al., 2008).
Les plaintes somatiques et les idéations suicidaires sont plus rarement mentionnées dans le RPD des jeunes. Des plaintes somatiques sont indiquées dans le RPD de trois participants seulement. L’identification des symptômes physiques du jeune pourrait s’avérer pertinente afin qu’une prise en charge médicale ou psychologique puisse lui être offerte. En ce qui a trait aux idéations suicidaires, il n’est mention d’idées ou de tentatives de suicide dans le RPD pour aucun des 22 participants. Ces résultats divergent de ce qui est habituellement recensé dans les écrits, où entre 11 et 30 % des jeunes contrevenants indiqueraient avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie (Abram et al., 2014; Penn et al., 2003; Vermeiren, 2003; Wasserman et al., 2010). Considérant cette grande différence, il y a lieu de s’interroger si des questions ont été posées aux jeunes au sujet de leurs idées suicidaires et de leurs tentatives de suicide lors de l’évaluation psychosociale.
Par ailleurs, des troubles mentaux sont identifiés dans le RPD de plusieurs participants. Toutefois, la majorité de ceux-ci sont des troubles extériorisés. Il n’est mention d’aucun trouble intériorisé dans le RPD des 22 participants. Ces résultats diffèrent largement des taux généralement observés chez la population des jeunes contrevenants. En effet, des études récentes indiquent qu’entre 8 et 33 % de ces jeunes rapporteraient un nombre de critères diagnostiques suffisant pour présenter un trouble affectif ou de l’humeur et qu’entre 20 et 62 % rapporteraient un nombre de critères suffisant pour présenter un trouble anxieux (Schubert et al, 2011; Skowyra et Cocozza, 2007; Teplin et al., 2006; Vermeiren, 2003; Wasserman et al., 2010). Il est possible que les intervenants ayant effectué l’évaluation pour le RPD n’aient pas exploré la présence de troubles intériorisés chez les participants. Il est également possible que plusieurs de ces jeunes n’aient pas bénéficié d’évaluation récente en santé mentale avant d’être arrêtés, ce qui limite les diagnostics posés par des professionnels.
Cette étude avait comme deuxième objectif d’évaluer s’il y a présence de symptômes et de troubles intériorisés dans le RPD des jeunes contrevenants présentant un nombre de symptômes intériorisés supérieur à la moyenne (zones à risque ou danger) au MAYSI-2 ou présentant des troubles intériorisés au M.I.N.I. Au moins un symptôme dépressif est identifié au RPD de la majorité des participants ayant rapporté un nombre de symptômes supérieur à la moyenne aux sous-échelles colère-irritabilité et dépression-anxiété du MAYSI-2. Par contre, plusieurs jeunes contrevenants rapportant un nombre élevé de symptômes aux sous-échelles dépression-anxiété, plaintes somatiques et idéations suicidaires du MAYSI-2 ne sont pas correctement identifiés comme présentant respectivement des symptômes anxieux, des plaintes somatiques et des idéations suicidaires dans leur RPD.
De plus, une importante divergence est notée entre les troubles intériorisés mentionnés par les intervenants dans le RPD des jeunes et les troubles pour lesquels les critères diagnostiques étaient atteints au M.I.N.I. selon les réponses des participants. Il n’était mention d’aucun trouble intériorisé dans le RPD de l’ensemble des participants. Selon les réponses des jeunes au M.I.N.I., 13,64 % d’entre eux répondent aux critères diagnostiques de l’épisode dépressif et 45,45 % répondent aux critères d’au moins un trouble anxieux. Ces prévalences autorapportées s’apparentent à ce qui est généralement observé dans les écrits (Schubert et al, 2011; Skowyra et Cocozza, 2007; Teplin et al., 2006; Vermeiren, 2003; Wasserman et al., 2010). Il semble donc y avoir une sous-identification des troubles intériorisés par les intervenants responsables de la rédaction des RPD des participants.
Ces résultats sont similaires à ceux obtenus par Stiffman et al. (2000) où une absence de relation significative était notée entre les problèmes autorapportés par le jeune et ceux identifiés par l’intervenant. De 12 à 16 % des jeunes de leur étude rencontraient les critères diagnostiques d’un trouble mental selon leurs réponses à un questionnaire alors que les intervenants en identifiaient seulement 7,7 % (Stiffman et al., 2000). Tout comme dans la présente recherche, un écart est donc observé entre les problèmes de santé mentale autorapportés par les adolescents de leur étude et ceux identifiés par les intervenants.
La faible concordance entre les symptômes et les troubles intériorisés autorapportés par les jeunes contrevenants à certaines sous-échelles et ceux mentionnés dans leurs RPD pourrait être expliquée par divers facteurs. En premier lieu, il est possible que les intervenants effectuant l’évaluation menant au RPD n’aient pas questionné les jeunes au sujet de la présence de symptômes et de troubles intériorisés. Puisque les jeunes contrevenants sont pris en charge en raison de leurs comportements extériorisés, il est possible que moins d’attention ait été portée à leurs symptômes et troubles intériorisés. Les parents dont l’enfant présente des problèmes de comportements extériorisés tendent à être moins inquiets et alertes face à ses problèmes intériorisés (Weiss et al., 1997). Ce phénomène pourrait également être présent chez les intervenants effectuant le RPD des jeunes contrevenants.
Dans un même ordre d’idées, il a pu être ardu pour les intervenants de reconnaître les problématiques intériorisées chez les jeunes en raison de leur nature. En effet, contrairement aux symptômes extériorisés qui sont associés à des conflits avec le monde externe, les symptômes intériorisés engendrent plutôt une souffrance interne chez l’individu qui peut être moins facilement perceptible pour les autres (Achenbach et McConaughy, 1992). Ainsi, si l’intervenant ne connait pas suffisamment ce qu’est un symptôme et un trouble intériorisé ou qu’il ne questionne pas directement l’adolescent au sujet de ceux-ci, ils peuvent passer inaperçus.
En outre, le RPD est un document qui est rédigé avant que le tribunal détermine l’ordonnance ou la peine (Ministère de la Justice, depuis 2003), ce qui laisse peu de temps à l’intervenant pour bien connaître l’adolescent et établir une relation de confiance avec lui. L’accès aux symptômes intériorisés d’un jeune peut nécessiter un temps considérable. En effet, les symptômes intériorisés peuvent être difficiles à observer et il est parfois nécessaire que le jeune les verbalise pour qu’ils soient accessibles à l’autre. Or, cette autorévélation peut prendre une longue période temps, particulièrement chez un jeune contrevenant qui se méfie des figures d’autorité. L’évaluation psychosociale menant au RPD doit quant à elle composer avec plusieurs contraintes, dont les délais qui sont impartis au rédacteur de ce rapport en lien avec le comparution du jeune au tribunal (Desjardins, 2014). Cette limite de temps peut nuire à l’identification des symptômes et des troubles intériorisés chez les jeunes contrevenants et ainsi, contribuer à la faible correspondance entre les symptômes et les troubles autorévélés par les adolescents à partir de questionnaires et ceux identifiés par les intervenants.
De plus, la perception des jeunes quant aux conséquences de leurs révélations lors de l’évaluation menant au RPD pourrait expliquer le manque de concordance entre les symptômes et les troubles intériorisés autorapportés par l’adolescent et ceux indiqués dans leur RPD. Certains jeunes ont pu être réfractaires à révéler leurs symptômes et leurs troubles intériorisés aux intervenants effectuant leur évaluation psychosociale puisque le RPD découlant de cette évaluation est utilisé par le juge afin de déterminer leur ordonnance. Aussi, certains adolescents ont pu tenter de se montrer sous leur meilleur jour afin d’avoir une ordonnance plus clémente. Il est possible qu’ils aient été plus enclins à se dévoiler en répondant à des questionnaires autorapportés dans un contexte de recherche où la confidentialité est assurée et où leurs révélations n’ont pas d’incidence sur leur ordonnance.
Finalement, il est possible que les intervenants aient été en mesure de détecter les symptômes et les troubles intériorisés chez les jeunes, mais qu’ils n’aient pas jugé pertinent de les mentionner afin de répondre aux objectifs du RPD. En effet, les intervenants effectuant la rédaction du RPD peuvent croire qu’il n’est pas de leur travail et ne pas percevoir la pertinence d’identifier les symptômes et troubles intériorisés. Ceci dit, il serait judicieux de transmettre aux rédacteurs des indications soulignant l’importance d’inclure ces symptômes dans le RPD puisqu’ils font partie du fonctionnement psychosocial du jeune. De plus, les troubles mentaux qui ne sont pas traités sont liés à de la souffrance chez l’adolescent ainsi qu’à des taux de suicide, d’arrestations et de récidive plus élevés (Abram et al., 2014; Coker et al., 2014; Cottle, et al., 2001; Cuellar et al., 2006; Hoeve et al., 2013; Schonfeld et al., 1997). Ils devraient donc être indiqués au RPD afin que le tribunal puisse prendre une décision éclairée au sujet de l’ordonnance d’une part, et d’autre part, pour que les interventions subséquentes qui sont déterminées à la suite de l’ordonnance soient plus appropriées à la situation personnelle du jeune contrevenant.
Bref, plusieurs hypothèses sont envisageables afin d’expliquer cette faible concordance entre les symptômes et les troubles intériorisés autorapportés par le jeune contrevenant à certaines sous-échelles et ceux mentionnés dans leur RPD. Il serait pertinent que de futures recherches testent ces hypothèses afin de mieux cerner les facteurs qui nuisent à l’identification des jeunes présentant des symptômes et de troubles intériorisés.
Cette étude comporte certaines limites. Tout d’abord, le nombre de participants est restreint et les jeunes sont tous pris en charge par un seul et même centre jeunesse du Québec. Cela limite la généralisation des résultats à l’ensemble des jeunes contrevenants du Québec. En effet, des résultats différents auraient pu être obtenus avec un échantillon de plus grande ampleur et avec des jeunes contrevenants provenant de différentes régions du Québec.
Ensuite, le délai entre la rédaction du RPD et l’administration des questionnaires aux jeunes contrevenants représente une autre limite de cette étude. En moyenne, un délai variant entre 6 et 887 jours (M = 279,23, É-T = 226,52) était observé entre les deux mesures. Il est possible que certains symptômes soient apparus ou disparus entre la rédaction du RPD et l’administration des questionnaires, particulièrement chez ceux pour qui le délai était plus long. La faible correspondance entre les symptômes et les troubles intériorisés recensés dans le RPD et ceux autorapportés par le jeune à certaines sous-échelles du MAYSI-2 et au M.I.N.I. aurait pu être causée en partie par ce long délai. Des comparaisons exploratoires semblent toutefois démontrer que la correspondance n’est pas supérieure chez les participants pour qui le délai entre les deux mesures est court (six mois et moins) comparativement à ceux qui pour qui le délai est long (plus de six mois) dans cette recherche. De nouvelles études où les questionnaires sont administrés au début de la prise en charge du jeune, soit peu de temps après la rédaction du RPD, seraient tout de même pertinentes afin de restreindre cette limite.
L’utilisation de l’autorévélation constitue une autre limite de cette recherche. Les instruments de mesure utilisés étaient répondus par le jeune individuellement (MAYSI-2) ou dans le cadre d’une entrevue structurée (M.I.N.I.). Pour diverses raisons (p. ex. : désirabilité sociale, méfiance), il est possible que des participants aient sous-estimé ou surestimé certains de leurs symptômes. De plus, dans le cadre de cette recherche, les troubles intériorisés doivent être considérés comme des indications diagnostiques et non comme de réels diagnostics de troubles mentaux puisque le M.I.N.I. a été administré par des assistants de recherche et non par des professionnels en santé mentale.
Finalement, certains symptômes recensés font partie des critères diagnostiques de plus d’un trouble mental et ainsi, ne sont pas mutuellement exclusifs. Par exemple, les difficultés de concentration et l’agitation motrice représentent des symptômes de l’épisode dépressif majeur, qui est un trouble intériorisé, tout comme des symptômes du trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité/impulsivité, qui est un trouble extériorisé. Ainsi, bien qu’ils aient été considérés comme des symptômes intériorisés pour la présente étude, il est possible que certains de ces symptômes soient davantage des manifestations d’une problématique extériorisée chez le jeune.
Malgré ces limites, cette étude exploratoire a permis d’offrir un éclairage sur les symptômes et les troubles intériorisés qu’il est possible de recenser dans les RPD. Les résultats de cette étude soulignent l’importance d’offrir de la formation au sujet des symptômes et des troubles intériorisés aux intervenants réalisant les évaluations psychosociales menant au RPD. En effet, les études indiquent que de meilleures connaissances en santé mentale chez les intervenants travaillant auprès des jeunes contrevenants ainsi que leur formation professionnelle et continue sont des facteurs contribuant à l’identification de ceux présentant des besoins particuliers (Stiffman et al., 2000; Wasserman et al., 2008). Cette formation devrait notamment aborder ce qu’est un symptôme et un trouble intériorisé, les façons de les identifier correctement chez les jeunes contrevenants ainsi que l’importance de les noter au RPD afin d’avoir un portrait complet du fonctionnement psychosocial du jeune.
Cette étude a démontré qu’il est important d’instaurer une procédure de dépistage des troubles mentaux à l’aide d’outils standardisés généralisée à l’ensemble des centres jeunesse du Québec. Ainsi, le MAYSI-2, disponible en français, est maintenant ajouté aux processus d’évaluation initiaux des jeunes contrevenants dans plusieurs régions administratives du Québec en 2020. Une récente étude (Benoît, 2020) a par ailleurs conclu à d’excellentes propriétés psychométriques de l’instrument dans sa forme francophone pour le Québec, utilisée dans la présente étude. Ce questionnaire permet d’obtenir la perception du jeune quant à ses symptômes et ses troubles intériorisés et aideraient les intervenants à avoir une information plus complète au sujet du fonctionnement de l’adolescent. Une identification précoce des symptômes et des troubles intériorisés favoriserait la mise en place rapide de services adaptés sous forme d’évaluation ou d’intervention et ainsi, optimiserait leur chance de réadaptation et de réinsertion sociale.
Appendices
Notes
-
[1]
Cet article a été accepté pour publication en 2017.
-
[2]
Cette étude a été réalisée avec l’aide financière des Fonds québécois pour la recherche sur la société et la culture (FQRSC) grâce à une subvention octroyée notamment à Catherine Laurier. De plus, cette étude a été soutenue financièrement par une bourse de fin de parcours universitaire offerte par le Centre de recherche du Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire à Claudia Morin.
-
[3]
Adresse de correspondance : Département de psychoéducation, Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke, 150, place Charles-Le Moyne, Longueuil (QC), J4K 0A8. Courriel : catherine.laurier@usherbrooke.ca
-
[4]
Les termes en détention, en centres correctionnels et incarcérés sont des traductions libres des termes in juvenile detention, in correctional facilities et incarcerated utilisés dans les études effectuées aux États-Unis. Au Québec, le terme placé sous garde est toutefois préféré (Ministère de la Justice, depuis 2003).
-
[5]
Les informations concernant la formation des intervenants qui effectuent l’évaluation psychosociale et la rédaction des RPD ont été obtenues lors d’une consultation avec un membre de l’équipe pluridisciplinaire du CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal qui gère le site LSJPA : le blogue (www.lsjpa.com).
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