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Avoir un enfant qui présente un trouble du spectre de l’autisme (TSA) chamboule la vie familiale et conjugale. Le TSA est un trouble neurodéveloppemental caractérisé par un développement atypique de la communication, de la socialisation, du jeu, de l’imagination et de la variété des intérêts et des comportements qui peut également s’accompagner de difficultés liées à l’alimentation, au sommeil et/ou de particularités sensorielles (American Psychiatric Association, 2013; Poirier et des Rivières-Pigeon, 2013). Les comorbidités telles que le TDAH, l’anxiété et le trouble de l’opposition sont également fréquentes chez ces enfants (Simonoff et al., 2008). Ainsi, ce diagnostic engendre de nombreux défis pour les parents, que ce soit l’importante charge de tâches domestiques et de soins, liée aux particularités et besoins spéciaux de l’enfant (des Rivières-Pigeon et al., 2015), l’accès difficile aux services adaptés à l’autisme (Vohra et al., 2014), la réorganisation des rôles des parents (Hartley et al., 2014), le fardeau financier qui s’accumule (Altiere et Von Kluge, 2009) ou le manque de soutien des proches (Courcy et des Rivières-Pigeon, 2013). En conséquence, de nombreuses études ont démontré que ces parents rapportent des taux beaucoup plus élevés de stress (Brobst et al., 2009; Ingersoll et Hambrick, 2011; Karst et Van Hecke, 2012), d’anxiété et de symptômes dépressifs (Gau et al., 2012; Kuhlthau et al., 2014; Lee, 2009) que les parents d’enfants tout-venant. Les parents d’enfant ayant un TSA vivent donc de nombreux défis qui sont susceptibles de se répercuter sur leur bien-être et leur relation conjugale.

Des études ont mis en lumière des taux de divorce et de séparation élevés chez les parents d’enfant ayant un TSA (Hartley et al., 2010; Baeza-Velasco et al., 2013), bien qu’il ne semble pas clair si ces taux sont réellement plus élevés que ceux des parents d’enfants tout-venant. De plus, d’autres études montrent des taux de séparation similaires chez les deux populations de parents (Freedman et al., 2012). Par contre, la littérature a démontré avec constance des taux de satisfaction conjugale plus faibles chez ces parents, comparativement aux parents d’enfant tout-venant (Brobst et al., 2009; Gau et al., 2012; Hock et Ahmedani, 2012). La transition à la parentalité chez les parents d’enfant tout-venant est également source d’une diminution marquée de la satisfaction conjugale (Keizer et Schenk, 2012) et d’une augmentation des désaccords entre les partenaires (Tettamanti, 2016). Or, il semble que la satisfaction conjugale des parents augmente graduellement à partir des sept ans de l’enfant (Keizer et Schenk, 2012), ce qui ne semble pas être le cas chez les parents d’enfant ayant un TSA. En effet, les résultats de l’étude longitudinale d’Hartley et al. (2010) démontrent que le taux de divorce et de séparation des parents d’enfant ayant un TSA reste élevé durant l’adolescence et le début de l’âge adulte de leur enfant, alors qu’il diminue chez des parents d’enfant tout-venant (Hartley et al., 2010). Ces résultats suggèrent que les défis associés à la parentalité demeurent élevés chez les parents d’adolescent ayant un TSA. En outre, la majorité des études portant sur les familles d’enfants ayant un TSA sont réalisées auprès d’échantillons de parents ayant de jeunes enfants. Il existe peu d’étude sur les familles d’adolescents ayant un TSA, et d’autant moins, portant spécifiquement sur la relation de couple de ces parents.

Une vaste majorité de la littérature sur les relations couple se base sur le concept de satisfaction conjugale (Favez, 2013, Fincham et Rogge, 2010), ce qui ne fait pas exception pour la littérature portant sur les couples, parents d’enfant ayant un TSA (Saini et al., 2015; Sim et al., 2016). Même si la satisfaction conjugale est démontrée importante pour prédire le bien-être individuel et la durée d’une relation, aucune définition claire n’existe de ce concept, et plusieurs termes sont utilisés de façons interchangeables (Favez, 2013). Toutefois, deux approches de l’évaluation de la qualité des relations conjugales semblent faire consensus. La première, fréquemment appelée l’ajustement dyadique, est interpersonnelle et se base sur le fonctionnement de la relation et les comportements des partenaires, par exemple, la communication, les conflits ou l’expression d’affection. La deuxième approche appelée, satisfaction conjugale ou bonheur conjugal, réfère à une évaluation intrapersonnelle de la qualité globale de la relation (Favez, 2013, Fincham et Rogge, 2010). Toutefois, comme le mentionne Favez (2013), les échelles visant à mesurer la qualité de la relation conjugale se basent sur une compréhension intuitive de ce qu’une relation conjugale de qualité devrait être, sans réellement s’appuyer sur une théorie et en intégrant des éléments de l’ajustement dyadique et de la satisfaction conjugale. Par exemple, une des mesures le plus fréquemment utilisée, l’Échelle d’ajustement dyadique (Spanier, 1976) évalue quatre dimensions de la relation; soit le consensus, la satisfaction, la cohésion et l’expression affective, Or, selon certains auteurs, l’ajustement serait plutôt un construit unidimensionnel (Graham et al., 2006), et d’autres encore proposent que ce construit serait bidimensionnel et comporterait à la fois une dimension positive et une dimension négative (Fincham et Rogge, 2010). Ainsi, ces mesures et les études qui en découlent comportent des limites méthodologiques et conceptuelles, qui ne nous permettent que d’identifier les couples heureux et malheureux, ainsi que certains déterminants de la satisfaction conjugale, sans plus de détails sur les dynamiques relationnelles, l’origine des difficultés ou les dimensions qui caractérisent la relation de couple. Face à cette difficulté à conceptualiser la qualité de la relation de couple et le manque de modèles à cet égard, nous avons décidé d’utiliser dans cette étude une approche inductive afin de faire émerger des propos des parents, les dimensions de la qualité de la relation telles que perçues par ceux-ci.

Des études quantitatives nous permettent toutefois d’identifier des éléments qui semblent importants pour prédire la satisfaction conjugale des parents d’enfant ayant un TSA. Les résultats de l’étude de Brobst et al. (2009) démontrent que la satisfaction conjugale des parents d’enfants ayant un TSA est liée au soutien reçu par leur conjoint, au respect ressenti envers leur conjoint et à leur engagement dans la relation de couple. Également, la communication, le temps de couple et la valorisation des éléments positifs de la relation sont des éléments qui sont associés positivement avec la satisfaction conjugale (Ramisch et al., 2014). Les résultats d’une étude menée par Hartley et al. (2011) indiquent que la charge parentale, qui consiste en un sentiment subjectif d’être submergé par le rôle de parent, ainsi que la charge objective de travail associée à l’enfant semblent être négativement associées à la satisfaction conjugale. Ces auteurs concluent donc qu’une relation conjugale de qualité est une source de soutien qui permet de diminuer la charge parentale, alors qu’au contraire, une relation de couple conflictuelle peut ajouter aux difficultés et au stress vécu et ainsi augmenter la charge parentale.

Des études qualitatives auprès de couples parents d’enfants ayant un TSA révèlent un certain nombre de difficultés auquel ces couples font face dans leur relation. Tout d’abord, le manque de temps pour la relation de couple est une difficulté fréquemment mentionnée par les parents d’enfant ayant un TSA. Ceux-ci expliquent que leur relation est surtout centrée sur les soins à l’enfant (Altiere et von Kluge, 2009; de Lange, 2015; Denis, 2013; Johnson et Piercy, 2017; Myers et al., 2009; Phelps et al., 2009; Weber, 2011). De même, il semble que ces parents vivent plus de conflits liés à l’éducation de leur enfant que les parents d’enfants tout-venant  (Papp et Hartley, 2019). En effet, les conflits dans le couple, au sujet des méthodes éducatives à employer ou du choix des services à préconiser auprès de l’enfant ayant un TSA, sont fréquemment mentionnés par les parents ayant participé à diverses études qualitatives (Aylaz et al., 2012; Denis, 2013; Phelps et al., 2009; Weber, 2011). Une autre des difficultés rencontrées dans ces couples est la façon dont chacun des parents réagit et s’adapte aux difficultés familiales. Les conflits surviennent lorsque les conjoints utilisent des stratégies d’adaptation différentes et incompatibles (Hock, Timm et Ramisch, 2012; Phelps et al., 2009). De même, face aux diverses émotions et aux nombreux défis engendrés par le diagnostic de leur enfant, il semble également que les pères et les mères réagissent différemment dans leur façon d’exprimer leurs émotions, dans leurs stratégies d’adaptation et dans le soutien qu’ils aimeraient recevoir (Gray, 2003; Hock Timm et Ramisch, 2012).

À ce sujet, plusieurs études sur l’expérience des parents d’enfant ayant un TSA se centrent sur la perspective des mères uniquement ou celles des parents comme unité, en ne distinguant pas l’expérience unique des mères et des pères (Braunstein et al., 2013). Or, les études ayant examiné les différences entre les expériences des mères et des pères ont démontré que les mères vivaient des taux de stress et de détresse psychologique plus élevés que les pères (Gau et al., 2012; Gray, 2003; Jones et al., 2013; Lee, 2009; McStay et al., 2014) et qu’elles étaient moins satisfaites de leur relation de couple (Gau et al., 2012). Considérant que les mères et les pères ont souvent des rôles distincts auprès de l’enfant ayant un TSA, les mères étant souvent contraintes de quitter leur emploi pour s’occuper de l’enfant (des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014; Gray, 2003), il est possible que chaque parent ait une perspective et expérience différente de la relation conjugale. Les résultats d’une enquête québécoise effectuée chez les parents d’enfants tout-venant semblent appuyer cette hypothèse. Dans cette étude, les mères étaient moins satisfaites de la répartition des tâches domestiques, de soins et éducatives, et se sentaient moins soutenues par leur conjoint que les pères. Ces derniers, en revanche, se sentaient plus critiqués et ressentaient davantage de pression de leur conjointe (Lavoie et Fontaine, 2016).

En outre, l’impact des changements d’emploi des parents, particulièrement ceux des mères, et de la répartition de la charge parentale, sont des aspects peu étudiés des recherches portant sur les couples parents d’enfant ayant un TSA. À cet égard, les auteurs de deux récentes recensions de la littérature concluent qu’il est nécessaire de mieux comprendre les dynamiques de répartition des tâches domestiques et de soins entre les conjoints, et leurs effets sur chacun des membres du couple et sur l’évolution de la relation (Karst et Van Hecke, 2012; Saini et al., 2015). Aussi, les rares études ayant porté sur ce sujet, ne tiennent pas compte à la fois de l’implication des conjoints dans le travail rémunéré, des enjeux financiers liés à la réorganisation des rôles de chacun d’entre eux et de la répartition des tâches domestiques et de soin (Hartley et al., 2014; Ogston-Nobile, 2014). Or, ces enjeux sont importants, considérant que le niveau d’implication dans le travail rémunéré de chaque conjoint influence grandement le temps dont celui-ci dispose pour s’occuper des tâches domestiques et de soin de même que ses ressources financières.

Dans notre étude, nous avons choisi de mobiliser un cadre systémique et écologique, afin de comprendre l’expérience des couples, en tenant compte du contexte familial et social dans lequel ils gravitent. Selon les tenants des approches systémiques, le couple est une partie intégrante d’un système familial et social qui ne peut donc être compris, que si le contexte plus large dans lequel il se trouve est observé (Bronfenbrenner, 1986; Minuchin, 1985). Le système familial comprend divers individus en interaction, ceux-ci faisant partie d’un ou de plusieurs sous-systèmes (fratrie, parental, conjugal, famille élargie…). Chaque individu ou sous-système ne peut être observé seul, car cela ne permet pas de comprendre comment les éléments du système s’interinfluencent et se relient entre eux. Ainsi, chaque changement d’un membre du système (p. ex., diagnostic d’un enfant) ou d’un sous-système (p. ex., difficultés conjugales) est susceptible d’influencer le système en entier. Une recension de la littérature portant sur l’utilisation des approches familiales systémiques auprès des familles d’enfant ayant un TSA, souligne d’ailleurs la pertinence de ces approches, considérant les répercussions variées et majeures de l’autisme sur la famille. Cette recension souligne également les limites des études systémiques portant sur les familles d’enfant ayant un TSA, notamment la simplicité des designs de recherche ne permettant pas de rendre compte du contexte, la prise en compte d’un seul membre de la famille dans les études, le manque de compréhension des différents sous-systèmes de la famille et l’implication du soutien social dans le fonctionnement familial (Cridland et al., 2014).

OBJECTIF

En raison des limites de la littérature énoncées plus haut, nous avons choisi dans la présente étude d’explorer l’expérience conjugale unique des mères et des pères d’enfants et d’adolescents ayant un TSA, et de documenter leur contexte de vie à l’aide d’une méthodologie qualitative. L’objectif principal de cet article était de mieux comprendre les défis conjugaux des parents d’enfants et d’adolescents ayant un TSA. Le second objectif visait à explorer à la fois l’origine de ces défis et les conséquences de ceux-ci sur la qualité de leur relation conjugale. Finalement, le dernier objectif visait à développer un modèle écosystémique permettant de comprendre les dynamiques familiales et sociales dans lesquelles s’inscrivait la relation de couple.

MÉTHODE

La présente étude s’inscrivait dans un projet de recherche plus large portant sur les dynamiques des réseaux de soutien formel et informel des familles d’enfant ayant un TSA. Ce projet comportait deux volets distincts; le premier portait sur des familles d’enfants de 4 à 10 ans ayant un TSA, le deuxième sur des familles d’adolescents de 11 à 16 ans ayant un TSA. Pour ces deux volets, le recrutement a été effectué par l’entremise d’ « appels à participation » publiés sur des groupes Facebook de parents d’enfants ayant un TSA. Le premier volet, réalisé en 2015, a permis de recruter 13 familles comportant un enfant ayant un TSA alors que le deuxième volet, réalisé en 2017, a permis de recruter 20 familles comportant un adolescent ayant un TSA. Ces familles résidaient majoritairement dans la région de Montréal, de la Montérégie et de Laval. Quelques familles habitaient dans les régions de Québec, du Centre-du-Québec, des Laurentides et de l’Outaouais. Ces deux échantillons étaient de type « orientés », puisque les parents ont été sélectionnés dans le but de présenter des profils de situation familiale, de situation conjugale, de statut socio-économique et de niveaux de scolarité diversifiés.

Parmi les 33 familles recrutées, 42 parents (29 mères et 13 pères) ont participé à des entrevues semi-dirigées individuelles d’une durée moyenne de 2h00. La plupart des entrevues se sont déroulées au domicile des participants et quelques-unes ont été réalisées sur le lieu de travail du parent, dans un local de l’UQAM, dans une bibliothèque ou dans un café. Trois ont été effectuées par l’intermédiaire du logiciel de téléphonie Skype. Le guide d’entretien comportait des questions sur les liens que les parents entretenaient avec leurs proches et les professionnels de la santé et de l’éducation à trois moments clés de la vie de leur enfant ayant un TSA (avant les inquiétudes au sujet du TSA, autour du diagnostic et à la période actuelle), afin de documenter l’évolution de ces liens. Comme pour les autres relations, les questions sur la relation de couple portaient sur la qualité du lien et des échanges, le soutien obtenu et souhaité, la présence de conflits ou de tensions et les activités réalisées ensemble. Le guide d’entretien comprenait également des questions plus précises sur l’organisation de la vie familiale, notamment le parcours en emploi des parents, la conciliation travail-famille, la gestion des ressources financières et le partage des tâches domestiques et de soins entre les partenaires.

Analyse des données

Les entretiens ont été enregistrés afin de pouvoir les transcrire et de faciliter l’analyse des données. Pour procéder à l’analyse, nous nous sommes inspirées de la méthode d’analyse thématique développée par Braun et Clarke (2006). Les six étapes proposées par ces auteurs ont été réalisées soit la familiarisation avec les données, la génération de codes, la recherche de thèmes, la révision des thèmes, la définition et l’attribution de noms aux thèmes et le rapport écrit. Le logiciel N’vivo a été utilisé pour la génération des codes, la recherche et la révision des thèmes. Une première partie de l’analyse visait à répondre au premier objectif et a permis de regrouper les codes en quatre thèmes principaux, correspondant aux quatre défis détaillés plus bas. Ensuite, les codes ont été relus, révisés et réorganisés afin de mettre en lumière les aspects de la relation conjugale qui étaient affectés par les défis vécus. Cette deuxième étape a permis d’identifier trois nouveaux thèmes se rapportant à la qualité de la relation conjugale telle que vécue par les parents. Finalement, une troisième partie de l’analyse a permis d’identifier les éléments du contexte familial et social plus large des familles qui avaient une influence sur les défis vécus par les couples. Cette étape a été partiellement réalisée en équipe, puisque la présente étude s’inscrivait dans un projet de recherche plus large. Des réunions d’équipe régulières avec la chercheure principale du projet et deuxième auteure du présent article, ainsi qu’avec trois étudiantes impliquées dans le projet, ont permis de susciter des réflexions communes sur l’analyse en cours, de croiser les regards des membres de l’équipe sur un sujet donné, de s’assurer d’un accord interjuges lors de l’analyse et de contextualiser l’analyse de la relation de couple, au regard des autres analyses réalisées avec le même corpus de données. Ces trois niveaux d’analyse nous ont permis de développer le modèle écosystémique présenté plus bas.

Profil des parents et des familles

Le statut conjugal et familial des 42 parents était varié; 27 parents étaient en couple avec le parent de l’enfant ayant un TSA (18 mères, neuf pères); huit parents étaient monoparentaux (six mères, deux pères); cinq parents avaient un conjoint qui n’était pas le parent de l’enfant ayant un TSA (quatre mères et un père) et finalement deux participants étaient beaux-parents de l’enfant ayant un TSA (une belle-mère, un beau-père). Enfin, dans neuf des 33 familles, les deux partenaires ont participé à l’étude. Parmi les 33 familles de l’étude, celles-ci comportaient soit un enfant (n = 6), deux enfants (n = 13), trois enfants (n = 7) ou quatre enfants et plus (n = 7). Quatre familles étaient composées de deux enfants ayant un TSA et une famille était composée de trois enfants ayant un TSA. Parmi les 29 mères participantes, 15 travaillaient à temps partiel, six travaillaient à temps plein, six n’avaient pas d’emploi et deux étaient aux études à temps plein. Parmi les 13 pères participants, 11 travaillaient à temps plein, un n’avait pas d’emploi et un était aux études.

RÉSULTATS

L’analyse a permis de développer un modèle écosystémique permettant de comprendre et de situer les défis conjugaux des parents d’enfants ayant un TSA. La Figure 1 présente les résultats de cette étude.

Dans le cercle du milieu, qui représente le sous-système conjugal, sont représentés les quatre défis particuliers auxquels faisaient face les parents dans leur relation de couple, soit (1) une perception d’iniquité dans les contributions de chacun à la vie familiale, (2) un décalage entre les perceptions et réactions des mères et des pères concernant l’autisme, (3) une difficulté marquée à avoir des moments de qualité en amoureux et (4) la présence de difficultés émotives et psychologiques chez les parents. Ensuite, la flèche reliant la mère et le père représente la qualité de la relation conjugale. L’analyse a permis de révéler que les défis vécus avaient un impact sur la relation conjugale à trois niveaux; le soutien conjugal, le degré d’entente entre les partenaires, et l’intimité du couple. Plus précisément, ces défis (1) altéraient la quantité et la qualité du soutien entre les partenaires, (2) engendraient des tensions et conflits dans la relation, et (3) créaient un éloignement entre les partenaires. L’analyse nous a également permis de situer les dynamiques conjugales des parents d’enfants et d’adolescents ayant un TSA à l’intérieur des enjeux qui caractérisent leur contexte familial et social, ceux-ci étant représentés par les deux cercles externes de la Figure 1. Nous aborderons ces éléments dans la deuxième partie des résultats. Tout d’abord, nous présenterons les quatre défis conjugaux, l’origine de chacun et ses implications sur la qualité de la relation conjugale.

Figure 1

Modèle écosystémique des défis conjugaux des parents d’enfants ayant un TSA

Modèle écosystémique des défis conjugaux des parents d’enfants ayant un TSA

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Les défis conjugaux, leurs origines et leurs impacts

Une perception d’iniquité dans les contributions de chacun à la vie familiale. Un des premiers constats qui se dégage de l’analyse est que plusieurs parents percevaient une iniquité entre les contributions de chacun à la vie familiale, que ce soit des contributions en termes de temps ou d’argent. Les nombreuses tâches liées au rôle de parent d’enfant ayant un TSA suscitaient d’importants conflits de conciliation travail-famille chez les familles de l’étude. En conséquence, dans la plupart des familles que nous avons rencontrées, une réorganisation des rôles des parents s’établissait face aux besoins grandissants de l’enfant. Dans plusieurs familles, c’était la carrière des mères qui était fortement affectée. En effet, pour pouvoir répondre aux besoins particuliers de leur enfant, une majorité d’entre elles avait été contrainte de réduire leurs heures de travail ou de quitter leur emploi. La difficulté dans ce contexte était donc d’établir un partage du travail domestique et rémunéré, qui convenait aux deux partenaires, et qui ne créait pas de sentiment d’injustice entre les contributions financières et de temps de chacun à la vie familiale. Bien que certains pères de l’échantillon percevaient aussi des iniquités, notons que celles-ci étaient plus fréquemment mentionnées et avec une ampleur plus grande par les mères.

Peu importe le mode de fonctionnement adopté par les partenaires au niveau des engagements de chacun dans le travail rémunéré et domestique, des tensions survenaient lorsqu’un parent, souvent les mères, percevait que son partenaire n’était pas assez impliqué dans les tâches domestiques et de soin. Les insatisfactions des mères, par rapport à la répartition des tâches domestiques et de soins, survenaient davantage dans les couples où les mères travaillaient autant ou presque autant d’heures que leur conjoint. Dans ces couples, malgré le fait que les deux parents occupaient un emploi rémunéré, les responsabilités parentales reposaient tout de même sur les épaules des mères. Celles-ci devaient, par exemple, organiser leurs absences de la maison, explicitement déléguer des tâches à leurs conjoints ou superviser celui-ci, afin qu’il fasse adéquatement ou qu’il n’oublie pas les tâches qui lui étaient assignées. Plusieurs des mères en emploi percevaient que leurs conjoints priorisaient leur emploi à la famille et que c’était elles qui devaient concilier leurs horaires de travail, prendre congé pour aller aux rendez-vous des enfants et s’occuper d’eux en cas de maladie. Ces inégalités dans la répartition des tâches domestiques et de soins entraînaient donc une surcharge pour les mères en emploi et des insatisfactions par rapport à l’implication de leur conjoint, ce qui générait souvent des tensions dans leur relation de couple. Au moment de l’entrevue, la mère de Jules, 8 ans, travaillait quatre jours par semaine afin de préserver son énergie et sa santé mentale. Elle expliquait que la répartition très inégale des tâches entre elle et son conjoint avait été la source de nombreux conflits conjugaux : « Ce n’était pas évident pour lui que j’avais besoin de plus d’égalité là-dedans. Et je pense qu’on a commencé à consulter aussi dans cette période-là et on en parlait beaucoup avec la thérapeute [de couple] ».

Chez les pères de l’étude, cette perception d’iniquité dans les contributions en temps à la vie familiale était beaucoup moins présente, voire absente de leurs propos. Certains d’entre eux expliquaient que dans leur couple, les deux conjoints étaient impliqués de façon égale dans le partage des tâches domestiques et de soins. D’autres se décrivaient comme étant très soutenants pour leur conjointe à leur retour du travail. Le père de Lili, 11 ans, disait à ce propos : « Quand j'arrive [du travail] je pourrais m'asseoir et elle ferait le souper, mais je l'aide quand même ou bien, je le fais parce que j'étais quand même cuisinier avant ». Dans les familles où les deux parents participaient à l’étude, cette vision d’égalité était parfois partagée par leur conjointe. Or, dans certains cas, il semblait y avoir un écart entre les niveaux d’implication perçus par les deux parents, les pères mentionnant être plus impliqués que ce que leurs conjointes rapportaient de leur côté. Finalement, d’autres pères souhaitaient pouvoir s’impliquer davantage à la maison, mais disaient avoir des difficultés à être disponibles et soutenants à la vie familiale en raison des exigences de leur emploi. Par exemple, ils se disaient épuisés au retour du travail, contraints de faire des heures supplémentaires, ou encore sollicités par leur travail même les soirs et les fins de semaine (p. ex., courriels, appels). Le père d’Isaac, 5 ans, expliquait : « Je trouve que… pour être un meilleur soutien, il faudrait que je sois plus présent à la maison, mais mon travail me gruge beaucoup ». En contrepartie, les parents que nous avons rencontrés, qui avaient adopté un fonctionnement plus « traditionnel » où les mères étaient les principales responsables du soin de l’enfant et les pères les principaux pourvoyeurs, étaient généralement satisfaits, car ces rôles bien définis s’accompagnaient souvent d’une impression d’équité entre les contributions de chacun à la vie familiale.

Outre les contributions en temps, l’analyse a permis de révéler que le sentiment d’iniquité pouvait survenir également en lien avec la contribution financière du partenaire. Pour certains parents, majoritairement de mères, l’apport financier de leur conjoint aux dépenses familiales (ex., épicerie, hypothèque, services et biens pour les enfants, etc.) était insuffisant. Celles-ci percevaient que leur conjoint, ayant un emploi temps plein, devrait contribuer davantage qu’elles aux dépenses familiales, ce qui n’était pas toujours le cas. Certains pères avaient des difficultés ponctuelles ou prolongées dans leur emploi, ce qui engendrait une baisse de revenu. La mère d’Anaïs, 14 ans, et de Colin, 8 ans, expliquait qu’elle vivait des tensions avec son conjoint concernant sa faible implication financière :

Au niveau financier, ça a toujours été quelque chose... Ça n'a pas été facile... Récemment, j'étais fâchée parce qu'il ne payait pas la maison avec moi. […] [I] Il faut que j'évite le sujet parce que ça vire tout le temps en chicane.

Pour d’autres couples, c’était le mode de gestion de l’argent qui posait problème et engendrait un sentiment d’iniquité. La mère de Julia, 10 ans, expliquait que malgré le revenu beaucoup plus élevé de son conjoint par rapport au sien, ce dernier refusait de contribuer davantage qu’elle aux dépenses familiales : « Mais parfois, il n’est même pas au courant de tout ce que je dépense. […] Il n’arrive pas à comprendre que lui, il fait deux fois mon salaire… Et il voudrait qu’on paie moitié-moitié… Je ne suis pas capable ». D’autres parents expliquaient que les dépenses personnelles de chacun, engendraient des tensions dans leur couple, puisque celles-ci influençaient l’apport financier de chacun au budget familial. Dans ces couples, les conjoints n’avaient pas la même vision des dépenses et de l’épargne. L’apport financier à la famille du partenaire plus dépensier était donc diminué par ses dépenses personnelles, parfois jugées non nécessaires (ex., objet, loisirs, etc.). Une mère dont la situation financière familiale était précaire expliquait :

On s'obstinait beaucoup là-dessus, justement parce que [mon conjoint] dépense beaucoup, il s'achète des choses impulsivement. Moi je disais non on ne peut pas, mais il insistait tellement et je voulais tellement lui faire plaisir... j’acceptais […] Mais ça me stressait, c'était désastreux.

Mère de Loïc, 13 ans; Joliane, 9 an et Nathan, 8 ans

Décalage des perceptions et réactions entre les mères et les pères concernant l’autisme. L’adaptation au diagnostic d’autisme de l’enfant constituait un deuxième grand défi pour les couples de l’étude. En effet, un décalage des perceptions et réactions des parents, face à l’autisme, était souvent rapporté par les participants. Ce décalage suscitait des tensions et des difficultés à se soutenir dans le couple.

Premièrement, l’analyse a permis de dévoiler que dans la plupart des couples, les pères et les mères avaient des perceptions différentes des besoins et difficultés de l’enfant. Avant le diagnostic de l’enfant, les mères de notre échantillon avaient généralement plus d’inquiétudes que leur conjoint face aux difficultés observées chez l’enfant, comme l’expliquait la mère de Jules, 8 ans :

Donc, entre la période avant les inquiétudes et le diagnostic, ça a été très difficile pour notre couple. […] Parce que moi, je l’ai vu plus vite que mon chum que mon fils avait peut-être une particularité […] Et là, j’ai commencé à m’en faire, mais mon chum, évidemment, il ne le voyait pas! Alors là, il y avait une espèce de discordance, comme si on n’était plus à la même place. Avec ce stress-là, les questionnements et les discussions qui tournaient un peu en queue de poisson, tout ça s’est mis à être plus dur pour notre couple.

Dans certains cas, le père s’opposait même aux démarches diagnostiques, car il ne voyait pas de problématique chez l’enfant. Suite à l’obtention du diagnostic, les parents devaient prendre des décisions importantes concernant le bien-être et le développement de l’enfant, par exemple, le choix de l’école et du type de classe à préconiser, les services professionnels à solliciter pour l’enfant (p. ex., orthophonie, ergothérapie…), ou le choix de donner une médication à l’enfant ou non. Le père d’Axel, 16 ans, expliquait les différences entre sa conjointe et lui dans leur perception des besoins de leur fils :

Je dirais qu’à cette époque-là, je ne pensais même pas aux suivis. Je me mettais peut-être un peu la tête dans le sable, mais je pensais que l'on aurait réglé ça par nous-mêmes, qu'on se serait adapté et que ça aurait passé. [Ma conjointe] c'était plus suivi, suivi, suivi peut-être trop de suivis à un moment donné, mais bon, c'était correct, c'était la chose à faire, mais à mon avis à l'époque, c'était trop.

Ainsi, ces perceptions différentes au sein du couple pouvaient avoir comme conséquence d’entraver la communication et le soutien entre les partenaires, créant des tensions dans le couple et des insatisfactions.

Deuxièmement, il y avait bien souvent un décalage entre les réactions émotionnelles ou comportementales, ainsi qu’entre les besoins des deux parents par rapport au diagnostic de l’enfant. Par exemple, certains parents mentionnaient qu’ils avaient perçu et vécu l’annonce du diagnostic de façon différente de leur conjoint, altérant la possibilité de soutien et de compréhension. Le père d’Isaac, 5 ans, racontait :

[Ma conjointe] fait de l’anticipation, beaucoup, beaucoup plus que moi. Alors, quand je l’ai vue recevoir le diagnostic, elle était très émotive! Moi, ça ne me disait rien. Je ne pouvais pas le voir et le recevoir de la même manière. Mais elle, elle voyait déjà plus loin que ça n’allait pas marcher…

L’analyse a démontré que les pères participants à notre étude étaient plus susceptibles de réagir à l’annonce du diagnostic en diminuant la gravité des difficultés de l’enfant ou en s’éloignant de la situation familiale, par exemple en investissant davantage de temps dans la sphère de l’emploi ou des loisirs. Certains pères mentionnaient d’ailleurs que le travail et le sport ont été des échappatoires pour eux dans les moments difficiles. Les mères que nous avons rencontrées, possiblement parce qu’elles étaient souvent les premières responsables des soins de l’enfant, étaient quant à elles plus susceptibles d’être proactives face au trouble de leur enfant (p. ex., rechercher des services ou de l’information, intervenir auprès de l’enfant) ou encore de solliciter le soutien des proches en parlant de l’enfant ou des difficultés vécues. Le père de Pier-Luc, 17 ans, expliquait :

Ça a été aussi une source de notre séparation, c'est que l’on n'a pas réagi du tout de la même façon face à l'autisme. Elle avait envie d'en parler 24 heures sur 24 et d'être là-dedans à fond tout le temps et moi je n'étais pas capable, c'était trop... Pas que je voulais fuir ça, mais je voulais y aller à mon rythme là-dedans et je voulais évoluer comme j'étais capable de l'accepter ….

Dans ces couples chez qui les conjoints avaient des façons de réagir très différentes, l’analyse a démontré qu’il était plus difficile pour les partenaires de se soutenir. Comme le démontre bien l’extrait précédent, lorsque les besoins de chacun étaient opposés, le partenaire pouvait difficilement être un soutien adéquat. L’impossibilité de faire équipe avec son conjoint, face aux difficultés de l’enfant, semblait créer un éloignement entre les partenaires qui pouvait même parfois contribuer à la rupture.

Les difficultés à avoir des moments de qualité pour la détente et les loisirs en couple. Un autre des défis majeurs rencontrés par la plupart des couples de notre étude était la difficulté pour eux, d’avoir du temps ensemble sans les enfants. Les parents mentionnaient diverses activités de détente ou de divertissement qu’ils auraient aimé pouvoir faire plus souvent avec leur conjoint, par exemple, aller au restaurant, au cinéma, prendre des marches en amoureux, partir un week-end, ou simplement écouter la télévision ensemble et relaxer à la maison. Dans certains couples, ces moments partagés avaient diminué dans le temps, dans d’autres, ils s’étaient complexifiés. Des parents de notre étude mentionnaient que le manque de temps en couple était l’un des défis principaux de leur relation, et ce, peu importe l’âge de leur enfant ayant un TSA : « Mais tu sais, c’est sûr que ce qui nous manque, c’est vraiment du temps ensemble. C’est ça qui est le plus difficile, dans le fond. » (Mère de Jacob, 8 ans).

Les moments de qualité en couple semblaient jouer un rôle important dans la qualité de la relation, notamment au niveau de la proximité affective entre les partenaires. Les nombreux couples qui mentionnaient avoir de la difficulté à trouver du temps ensemble indiquaient que cette situation avait contribué à les éloigner et à effriter leur relation au fil du temps :

Il y a des baby-booms autour de moi […] et je leur dis... Les filles n’oubliez pas qu'il y a un couple à la base aussi, n’hésitez pas à faire garder votre enfant pour vous retrouver en couple, parce qu’à un moment donné, on ne se retrouvait plus, on parlait toujours juste des enfants ou de chicanes qu’on avait eus.

Mère d’Axel, 16 ans

Deux mères séparées du père de l’enfant identifiaient même ce facteur comme étant l’une des causes de leur séparation. Il semble que les temps partagés en couple, lorsqu’ils étaient possibles, permettaient au contraire de créer et maintenir une proximité affective entre les conjoints. Par exemple, plusieurs parents mentionnaient que ce temps leur permettait de se retrouver comme couple. Le père de Benjamin, 11 ans, expliquait les bénéfices de leurs vacances de couple : « On se découvrait comment on était, nous, à l'époque, sans les enfants et on était aussi content de revenir et de recommencer la vie familiale. »

Évidemment, s’accorder des temps de ressourcement et de retrouvailles en couple peut être difficile dans tous les couples lors du passage à la parentalité. Or, pour les couples de notre étude, cela s’avérait être particulièrement difficile pour plusieurs raisons. Tout d’abord, dans plusieurs couples que nous avons rencontrés, les parents vivaient du stress financier en raison des coûts élevés des services à l’enfant et des changements dans l’emploi des mères qui généraient une perte de revenu non négligeable. La mère de Gabriel, 15 ans, expliquait, comme plusieurs parents de l’étude, qu’ils priorisaient les services à l’enfant plutôt que les loisirs dans le budget familial : « Pour moi un souper au restaurant c'est une heure d’orthophonie. Les dépenses superflues, on les mesure en termes d'heures de service, alors c’est sûr que les loisirs, ça passe en deuxième» De même, les coûts engendrés par le gardiennage des enfants s’ajoutaient aux coûts des activités, ce qui décourageait plusieurs parents de faire des sorties en couple. De même, la difficulté de trouver un/e gardienne adéquate pour les enfants était également une barrière importante aux activités de couple. Dans certains cas, les parents précisaient qu’il était difficile de trouver un gardien qui allait pouvoir gérer les comportements problématiques de l’enfant ou répondre à ses besoins spécifiques. Ainsi, il leur fallait une personne qualifiée, mature ou encore « être deux pour garder » comme l’explique la mère de Mathieu, 14 ans et d’Alexandre, 12 ans. En outre, les exigences de la routine familiale complexifiaient la possibilité pour les couples d’avoir du temps de qualité ensemble à la maison. Que ce soit en raison des crises de l’enfant, des nombreuses interventions à faire avec lui, ou des soins à lui apporter, les grands besoins de soutien de l’enfant ayant un TSA, laissaient peu de place aux moments de tranquillité à deux dans l’horaire familial. Par exemple, une mère séparée nous confiait : « Il fallait que notre fils se lève 12 fois avant de s'endormir […] Le père, ça le dérangeait beaucoup parce que pour lui c’était important d'avoir ses soirées en couple et c'est normal dans un sens... » (Mère de Louis-Philippe, 16 ans). Finalement, alors que dans les familles d’enfants tout-venant, les parents d’adolescents peuvent généralement s’attendre à disposer de davantage de temps pour leur couple en raison de l’autonomie grandissante des enfants, ce n’était pas le cas pour la majorité des parents d’adolescents que nous avons rencontrés. En effet, la plupart de ces adolescents n’étaient pas assez autonomes pour se garder seuls ou ils ne pouvaient pas garder leurs plus jeunes frères et soeurs.

Une accumulation de difficultés qui altère le bien-être des parents… et du couple. Les parents ayant participé à notre étude vivaient des niveaux élevés de détresse en raison des nombreux défis quotidiens auxquels ils étaient confrontés ou en raison de la complexité de leur vie familiale. La majorité des parents de notre étude rapportaient vivre diverses difficultés émotives telles que du stress, de l’anxiété, des inquiétudes, de la colère, du découragement, de la tristesse et/ou de la culpabilité. Cette détresse se répercutait bien souvent sur la qualité de la relation conjugale des parents. Parfois, ces difficultés émotives étaient ponctuelles et survenaient avec un évènement particulier de la vie de l’enfant ou de la famille. Par exemple, l’adaptation au diagnostic de l’enfant pouvait susciter diverses émotions comme l’expliquait le père d’Hubert, 4 ans : « C’est sûr qu’il y a des moments où j’ai été super triste. Et pas nécessairement au moment direct du diagnostic, je dirais peut-être un an après. Six mois, un an après. » Parfois, les parents mentionnaient vivre de façon continue des niveaux de stress élevés en raison, par exemple, de l’augmentation des dépenses pour les services à l’enfant ou des démarches diagnostiques complexes. De même, on observe que le stress demeurait très présent chez les parents d’adolescents que nous avons rencontrés, à la différence que les sujets de préoccupation changeaient en lien avec le développement de l’enfant. Les difficultés émotives des parents d’adolescents ayant un TSA portaient davantage sur la diminution des services offerts, sur l’avenir de l’enfant, son entrée au secondaire ou sur son rapport à la sexualité et aux relations amoureuses. L’accumulation des défis quotidiens et le stress chronique affectaient la santé psychologique de plusieurs parents de l’étude, certains ayant traversé des épisodes d’épuisement, de dépression ou d’anxiété. Par exemple, la mère de Tristan, 10 ans, expliquait que les défis dans la conciliation travail-famille l’ont mené à un épuisement et une réduction de ses heures de travail :

On s’épuise, on n’a pas pris de vacances, et en plus, [la gardienne] a fermé deux mois pendant l’été… Il fallait qu’on fasse garder les enfants, mais notre fils, on ne peut pas l’envoyer n’importe où l’été! Alors finalement, ça m’a épuisée. Quand j’ai vu que j’avais cette opportunité-là, de ne pas revenir à cinq jours par semaine, j’ai pris l’opportunité pour des raisons de santé.

Aussi, il est intéressant de noter que dans plusieurs des couples de notre échantillon, les difficultés de santé psychologique des pères survenaient plus tard que celles des mères. Le père de Victor, 7 ans, a indiqué avoir fait un épuisement suite à la dépression de sa conjointe :

C’est une période qui a été très dure, [ma conjointe] était absolument absente psychologiquement parlant, alors je tenais le bal tout seul et au niveau du travail, c’était extrêmement stressant et c’était urgent, il fallait que ça roule. Alors à un moment, je suis tombé en arrêt de travail pendant 3 mois.

Même si quelques parents de l’étude décrivaient leur conjoint comme étant une bonne source de soutien lors de moments difficiles, pour la plupart des parents, les difficultés émotives et psychologiques vécues avaient des effets néfastes sur la qualité de leur relation conjugale. Premièrement, il semble que lorsque l’un des parents vivait de la détresse, ce dernier était trop préoccupé pour être pleinement disponible physiquement et émotionnellement pour son partenaire, que ce soit pour offrir du soutien instrumental (p. ex., aide concrète) ou du soutien émotif (p. ex., écoute empathique). De plus, il n’était pas rare que les deux membres du couple vivaient simultanément des difficultés émotives, ce qui nuisait grandement au soutien qu’ils pouvaient mutuellement s’apporter. La mère de Carl, 12 ans, racontait comment l’épuisement qu’elle vivait et la dépression de son conjoint entravaient les possibilités de soutien entre eux :

Il a commencé à lâcher prise, à ne plus être capable de se tenir et pour moi c'était une période où au travail ça n'allait pas super bien, et où c'était encore très demandant avec les enfants, alors je n'étais pas nécessairement disponible non plus.

Deuxièmement, des parents ont rapporté que les difficultés émotives vécues engendraient une fatigue importante, diminuait leur patience et augmentait leur irritabilité. Cela avait pour effet d’accentuer les tensions dans leur couple comme l’expliquait la mère de Gabriel, 15 ans :

C'est sûr que ça a été marqué de grandes inquiétudes. Il y avait beaucoup d'inconnu et la fatigue nous rend toujours plus vulnérables aux tensions, […] il faut juste que l'on fasse attention, c'était présent avant, et c'est toujours présent maintenant. C'est plutôt l'usure et la fatigue qui fait qu’à un moment donné, on est moins patient.

La vie des familles d’enfants et d’adolescents ayant un TSA… Un contexte impossible pour le couple

Enfin, l’analyse de l’origine des défis rencontrés par les couples nous a permis de constater que ces défis ne pouvaient être dissociés du contexte de vie des parents d’enfants ayant un TSA. Le modèle développé nous a permis de mieux comprendre les liens entre les difficultés conjugales et les éléments des contextes familiaux et sociaux au sein desquels évoluent ces couples. Au niveau de l’environnement familial, la présence et le bien-être psychosocial d’autres enfants dans la famille, le bien-être et le niveau de fonctionnement de l’enfant ayant un TSA, la quantité et la qualité du soutien des proches, la lourdeur de la charge parentale et les ressources financières de la famille étaient tous des éléments contextuels qui contribuaient aux dynamiques conjugales observées. Par exemple, pour les parents ayant soit trois enfants et plus ou deux enfants ayant un diagnostic de TSA, une situation qui touchait la moitié des familles de l’étude, la charge parentale et financière était beaucoup plus grande, ce qui augmentait par le fait même les risques de détresse, de manque de temps, et de conflits au sujet des contributions de chacun à la vie familiale. À cette équation, s’ajoutait le niveau de ressources financières de la famille et la présence ou non de soutien des proches, deux facteurs qui pouvaient par exemple déterminer la capacité du couple à avoir des moments de qualité en amoureux ou à se décharger de certaines tâches, en payant des services d’aide domestique.

Au niveau de l’environnement social, la présence et la qualité des services offerts à l’enfant, le statut socio-économique des parents, les conditions d’emploi des parents, ainsi que la qualité et quantité du soutien social étaient également importants pour comprendre les défis conjugaux. Par exemple, la disponibilité d’un service de répit ou d’une gardienne adéquate pouvait permettre aux couples de passer du temps de qualité en amoureux et de diminuer la charge parentale, en favorisant ainsi une proximité affective et un répit qui pouvait diminuer le stress parental. De même, un milieu de travail flexible pouvait permettre une meilleure conciliation travail-famille et faciliter l’engagement des parents dans la vie familiale, diminuant les risques d’une perception d’iniquité entre les contributions de chacun.

L’exemple qui suit illustre bien l’influence conjointe du contexte familial et social d’une famille sur leur capacité à avoir du répit satisfaisant : « J’ai droit à 800 $ [de répit] par année, le seul problème c’est que je ne trouve pas de services, mon fils est sur des listes d’attente à droite et à gauche… et moi j’ai deux enfants handicapés, alors quand j’ai le répit de l’un, j’en ai toujours un à la maison… » (Mère de Raphaël, 11 ans).

Ces éléments du contexte familial et social permettent également de distinguer l’expérience particulière de ces couples par rapport aux couples n’ayant pas d’enfant présentant un TSA. Évidemment, des difficultés de couple liées à l’iniquité dans la répartition des tâches et la gestion financière, au manque de temps de qualité pour le couple et à la détresse psychologique, peuvent être présentes aussi dans les couples parents d’enfants tout-venant. Or, la particularité des défis rencontrés par les couples de l’étude est que les pressions exercées sur ces couples, sont souvent plus intenses que ce que peuvent vivre les familles d’enfant tout-venant. Par exemple, la charge parentale et financière est augmentée par les grands besoins de soutien, de soins et de services pour l’enfant ayant un TSA, engendrant une pression supplémentaire sur les parents et sur la relation de couple. Également, les défis sont, dans la plupart des cas, de plus longue durée. Par exemple, la charge parentale ne diminuait pas systématiquement avec l’entrée dans l’adolescence de l’enfant ayant un TSA, l’autonomie étant souvent retardé chez ceux-ci. De plus, les services spécialisés étaient toujours nécessaires et difficilement accessibles et les décisions parentales d’autant plus importantes, par exemple, concernant le choix d’école secondaire.

DISCUSSION

Notre étude avait pour objectif de mieux comprendre les défis conjugaux des parents d’enfants et d’adolescents ayant un TSA, incluant l’origine de ces défis et les conséquences de ceux-ci sur la qualité de leur relation conjugale. Elle visait également à développer un modèle écosystémique permettant de comprendre les dynamiques familiales et sociales dans lesquelles s’inscrivait la relation de couple. Les quatre défis identifiés dans cette étude, soit une perception d’iniquité dans les contributions de chacun à la vie familiale, un décalage entre les perceptions et réactions des mères et des pères concernant l’autisme, une difficulté marquée à avoir des moments de qualité en amoureux, et la présence de difficultés émotives et psychologiques chez les parents, concordent généralement avec ce que d’autres études sur le sujet ont relevé (Hirsch et Paquin, 2019; Hock et al., 2012; McStay et al., 2014; Phelps et al., 2009). Cependant, dans la plupart de ces études, les difficultés de couple ont été abordées sans qu’elles ne soient réellement définies, mises en relation avec la qualité de la relation conjugale ou encore analysées dans le contexte de l’expérience de vie des familles. Ainsi, l’apport de notre analyse est d’avoir approfondi notre compréhension des défis conjugaux des parents, des impacts de ceux-ci sur la qualité de la relation conjugale en plus d’en décrire les causes, celles-ci étant souvent liées à l’environnement familial et social des familles. Ainsi, nos résultats permettent de comprendre en profondeur les dynamiques conjugales entourant les défis rencontrés par les parents d’enfants et d’adolescents ayant un TSA et de dépasser le constat général, selon lequel ces couples vivent des difficultés et ont une plus faible satisfaction conjugale.

De même, la méthodologie de notre étude nous a permis de tenir compte des différences de genre dans cette expérience, grâce à l’analyse distincte des propos des mères et des pères. Aussi, la grande diversité de notre échantillon nous a permis de considérer différents types de configurations familiales et conjugales et ainsi de s’assurer de la transférabilité des résultats à l’expérience de plusieurs parents québécois d’enfants ayant un TSA, incluant les parents d’adolescents et les parents séparés. En conséquence, nos résultats révèlent un portrait de ces couples qui englobe différentes facettes de l’expérience conjugale, ainsi que les multiples facteurs l’influençant. Toutefois, cette étude qualitative ne prétend pas représenter l’ensemble des expériences possibles et pouvoir se généraliser à l’ensemble des parents québécois. De même, soulignons que malgré notre désir de donner la parole autant aux mères qu’aux pères, environ les deux tiers de nos participants étaient des mères, celles-ci étant ayant été plus facile à recruter. Ainsi, il est possible que nos résultats reflètent davantage la perspective des mères que celles des pères. Malgré ces limites, de nombreux constats ressortent de cette étude.

Tout d’abord, nos résultats indiquent que les insatisfactions au sujet des contributions de chacun à la vie familiale sont majoritairement rapportées par les mères, ce qui va dans le même sens que les résultats d’une enquête sur la parentalité au Québec (Lavoie et Fontaine, 2016). En revanche, les résultats de l’étude américaine d’Hartley et al. (2014) sur la division du travail de soin dans les familles d’enfants et d’adolescents ayant un TSA, démontrait des niveaux similaires de satisfaction face à la répartition des tâches de soin chez les mères et les pères, même si les mères investissaient plus de temps dans ces tâches que les pères. Notons que ces distinctions pourraient possiblement s’expliquer en raison de valeurs différentes concernant l’égalité dans le couple dans ces deux échantillons, qui proviennent de contextes culturels et sociaux distincts. De plus, notre étude nous a permis d’aller plus loin en ayant pris en compte dans notre analyse, les tâches domestiques et les apports financiers des partenaires. Ainsi, des mères de notre étude pouvaient être satisfaites d’une répartition inégale des tâches de soin, si elles percevaient que leur partenaire contribuait équitablement à la vie familiale, par exemple, en fournissant le revenu ou en faisant davantage de tâches domestiques. À l’inverse, dans notre recherche, l’insatisfaction était ressentie lorsque l’apport total d’un parent à la vie familiale était perçu comme insuffisant. Ainsi, au-delà de la seule répartition des tâches entre les conjoints, notre étude révèle la nécessité de prendre en compte le temps de travail rémunéré et la contribution financière de chacun, afin de bien comprendre la satisfaction des parents face à l’implication de leur partenaire. En effet, l’argent et le temps sont des monnaies interchangeables dans l’économie domestique, et il n’est pas possible d’avoir un portrait complet de la situation conjugale, sans observer ces deux dimensions à la fois (Brien-Bérard et al., 2018).

Tout comme les résultats des études de Phelps et al., (2009) et de Kent (2011), notre étude a mis en lumière la présence fréquente de conflits et de désaccords concernant le diagnostic de l’enfant, ses besoins et l’intervention à préconiser auprès de celui-ci. Notre étude démontre en outre qu’il existait une différence de genre marquée entre les perceptions et réactions des mères et des pères face à l’autisme de leur enfant. Ces différences pourraient s’expliquer par le rôle qu’avait chacun des parents auprès de l’enfant et par les attentes sociétales différentes envers les mères et les pères. Les mères ayant participé à notre étude jouaient, dans la plupart des familles, un rôle primordial auprès de l’enfant. Cela pourrait expliquer qu’elles percevaient souvent plus rapidement que leur conjoint les premiers signes d’autisme, qu’elles étaient plus inquiètes et plus proactives face au comportement de l’enfant. La recension de Pelchat et al. (2005) sur l’expérience des mères et des pères d’un enfant ayant un problème de santé, démontre également que les mères étaient plus impliquées dans la recherche de services et dans le contact avec les professionnels de la santé que les pères, ceux-ci ayant tendance à utiliser davantage de stratégies d’évitement face au problème.

De plus, notre analyse de l’origine des défis a révélé les facteurs individuels, dyadiques, familiaux, mais aussi sociaux pouvant contribuer aux défis conjugaux et cette analyse nous a permis de développer un modèle écosystémique, s’inspirant de la théorie des systèmes familiaux et du modèle écologique de Bronfenbrenner (Bronfenbrenner, 1986; Minuchin, 1985). Ainsi, notre étude a permis de préciser que les sources de stress vécues par les parents étaient nombreuses et souvent liées aux conditions de vie des familles. Par exemple, le manque de services professionnels pour l’enfant, les difficultés financières ou encore les inquiétudes concernant le futur de l’enfant constituaient des sources de stress majeures pour les parents, dans un contexte où ceux-ci étaient conscients du peu de ressources disponibles pour les adultes ayant un TSA. De façon similaire, notre analyse a permis d’identifier les raisons sociales expliquant la difficulté pour les parents à avoir du temps pour leur couple. Au-delà des exigences de la vie familiale, raisons souvent évoquées dans les études (de Lange, 2015; Denis, 2013; Myers et al., 2009; Phelps et al., 2009), le stress financier des familles et les difficultés à avoir accès à un service de gardiennage adéquat limitaient les possibilités de sorties de couple. De même, notre analyse a démontré que les difficultés à avoir du temps de qualité en couple et la détresse des parents, se maintenaient dans le temps chez la plupart des familles d’adolescents, prolongeant donc, les effets de ces défis pour les couples.

Finalement, alors qu’une majorité d’études sur le sujet s’est limitée à mettre en lien les difficultés des couples avec leur niveau de satisfaction conjugale (Sim et al., 2016) notre analyse a permis d’identifier les composantes relationnelles qui étaient affectées par les défis vécus. Par exemple, au-delà d’appuyer les études ayant démontré des taux de stress parental élevés (Brobst et al., 2009; Ingersoll et Hambrick, 2011; Gau et al., 2012; Karst et Van Hecke, 2012; Kuhlthau et al., 2014; Lee, 2009), notre analyse a permis de comprendre que cette détresse et, de façon plus générale, les difficultés émotives des parents, influençaient leur relation conjugale en diminuant la disponibilité physique et émotionnelle du parent envers son partenaire. Cette disponibilité réduite était susceptible de créer une surcharge pour l’autre partenaire, de diminuer ou altérer le soutien émotionnel et instrumental et de favoriser l’apparition d’irritabilité, d’impatience ou de conflits. Ces résultats font écho au modèle d’ajustement dyadique au stress de Bodenmann (2005), qui postule que le stress vécu au quotidien par les partenaires a une influence négative sur leur relation de couple via l’altération de la santé physique et mentale des individus, ainsi que via l’altération de la qualité de la communication entre partenaires, ceux-ci devenant plus critiques, irritables et moins à l’écoute sous l’effet du stress. De plus, concernant le manque de temps de qualité pour le couple, il semble que pour plusieurs des parents participant à notre étude, cela avait pour effet de créer un éloignement entre les partenaires, pouvant parfois même mener à la rupture. Ces résultats sont similaires à ceux d’autres études réalisées sur le sujet qui démontrent que l’éloignement et la perte d’intimité sont des conséquences du manque de temps passé en couple (Hirsch et Paquin, 2019; Hock et al., 2012; Kent, 2011; Myers et al., 2009).

Implications pour l’intervention

Les résultats de notre étude permettent de dégager des pistes d’actions et d’interventions susceptibles d’aider les parents d’enfants et d’adolescents ayant un TSA dans leur relation de couple. Le couple étant le fondement de l’unité familiale dans les familles biparentales, il nous semble primordial que des actions visant à soutenir les couples ayant des enfants ou adolescents ayant un TSA soient mises en place. Or, dans le plus récent plan d’action sur le trouble du spectre de l’autisme au Québec, aucune mesure ne vise directement le soutien aux couples étant parents d’enfant ayant un TSA. Une des priorités retenues dans le plan d’action est toutefois de favoriser l’accès et l’utilisation des ressources de répit et de gardiennage, afin de soutenir les parents (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2017). À la lumière de nos résultats, cette action nous semble importante et pourrait permettre aux parents de traverser les défis liés à l’autisme avec une charge parentale et un niveau de stress diminué, davantage de bien-être et de disponibilité pour leur relation de couple. Ensuite, il nous apparait essentiel que les professionnels travaillant avec les parents d’enfants ayant un TSA soient sensibilisés aux réalités familiales en contexte d’autisme, afin d’aborder leurs difficultés conjugales dans une perspective qui dépasse une interprétation individuelle, pouvant être perçue comme culpabilisante, de leurs difficultés. De plus, les interventions conjugales ou familiales devraient prendre en compte l’expérience distincte des mères et des pères afin d’offrir un soutien adapté à chaque membre du couple, ainsi qu’à la dyade. Par exemple, des interventions visant l’arrimage des perceptions des mères et des pères de l’enfant et de ses besoins pourraient faciliter la collaboration et le soutien entre eux. De même, des interventions facilitant la communication et la reconnaissance des besoins de chacun, ainsi que l’acceptation des différences fondamentales, pourraient permettre aux parents ayant des expériences et besoins différents de maintenir malgré tout une approche commune face aux défis auxquels ils font face, ainsi qu’une proximité affective. De plus, il est important que la structure et l’organisation des services aux parents d’enfants et d'adolescents ayant un TSA favorisent la participation des pères, afin de promouvoir leur implication parentale.

En conclusion, le modèle que nous avons élaboré permet de mieux comprendre l’expérience des couples parents d’enfants et d’adolescents ayant un TSA et il pourra guider de futures études sur le sujet. En effet, nous avons démontré dans notre étude que la réalité complexe des familles d’enfants ayant un TSA avait un impact majeur sur le bien-être des parents et sur la qualité de leur relation de couple. Il nous semble donc primordial d’étudier la relation de couple des parents d’enfant ayant un TSA dans une perspective systémique où les rôles de parent et de conjoint sont considérés simultanément, tout en tenant compte des conditions de vie des familles. De même, de plus en plus d’études récentes mettent en lumière le fait que plusieurs couples parents d’enfants ayant un TSA s’adaptent positivement à ces défis (Hock et al., 2012; Johnson et Piercy, 2017; Ramisch et al., 2014; Sim et al., 2017, 2019). Il serait donc intéressant de documenter les stratégies adoptées par ces couples, de même que les conditions familiales et sociales favorables, leur permettant de mieux traverser ces défis.