Revue québécoise de linguistique
Volume 22, Number 1, 1992 Constructions réduites
Table of contents (15 articles)
Articles thématiques
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Présentation
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Une structure prédicative sans copule
Viviane Déprez and Marie-Thérèse Vinet
pp. 11–43
AbstractFR:
Le but de cet article est de discuter la structure des constructions prédicatives sans copule du créole haïtien. Nous cherchons à établir la nature et la fonction du se, un élément qui apparaît dans les constructions prédicatives à prédicat nominal. Nous montrons que cette forme est une tête fonctionnelle de type aspectuel dont le rôle est celui d’un élément de liaison qui permet de légitimer des prédicats DP. L’absence obligatoire du se avec les prédicats adjectivaux ou verbaux est liée à l’hypothèse proposée suivant laquelle la tête d’un prédicat de type verbal peut s’associer par mouvement à la tête fonctionnelle qui sert à légitimer la prédication syntaxique.
Nous proposons que se est en fait un élément composite qui se subdivise en deux sous-parties, s et e rassemblées au niveau phonologique.
L’un des avantages importants de cette analyse est de rendre compte de l’incompatibilité du se avec un sujet pronominal simple lorsque d’autres formes flexionnelles sont présentes.
Enfin une brève étude comparative des constructions prédicatives de l’hébreu et de l’arabe marocain souligne l’universalité de certains aspects de ces constructions et de l’analyse proposée.
EN:
The aim of this paper is to discuss the structure of predicate constructions without a copula in Haitian Creole. We try to establish the nature and the function of se, an item which appears in predicate constructions with a nominal predicate. We demonstrate that this form corresponds to an aspectuel type of functional head and that its role is to license DP predicates. The obligatory absence of se with adjectival or verbal predicates is related to the proposed hypothesis which follows that the head of a verbal type of predicate can merge by movement with the functional head which serves to license syntactic predication.
We propose that se is in fact a composed element which is subdivided in two parts, s and e, united at the phonological level. One important advantage of this analysis is to give an account of the incompatibility of se with a simple pronominal subject when other inflectional items appear.
Finally, a brief comparative study of predicate constructions from Hebrew and Moroccan Arabic emphasizes the universality of certain aspects of these constructions and of the proposed analysis.
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Subjects Inside Out
Teun Hoekstra
pp. 45–74
AbstractEN:
This paper argues that the notion of subject is purely syntactic, defined as an agreeing SPEC of a fonctional category. It is related to a theta-position inside a lexical projection by movement. It is furthermore argues that this particular conception applies not only to full clauses, but to all instances of predication, including secondary predication. This movement theory is contrasted with the indexing theory of predication. A new argument in favor of the movement theory is developed on the basis of floated quantifiers. Potentially problematic structures such as resultatives and nominalizations are shown not to be problematic for (small) clausal analysis of secondary predication.
FR:
Dans cet article, on propose que la notion de sujet est purement syntaxique et qu’elle est définie comme le spécifieur d’une catégorie fonctionnelle. Le sujet entretient une relation de mouvement avec une position théta-marquée dans une projection lexicale. Ensuite, on propose que cette conception ne s’applique pas seulement à des phrases entières mais aussi à toutes les instances de la prédication secondaire. Cette théorie de mouvement est comparée à la théorie qui représente la prédication au moyen d’indices. Un nouvel argument en faveur de la théorie de mouvement est développé à la base de quantifieurs flottants. On montre que les structures résultatives et les nominalisations ne posent aucun problème pour une analyse en termes de phrases réduites.
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Types syntaxiques et types sémantiques : la phrase copulative comme palimpseste
Jacqueline Guéron
pp. 77–114
AbstractFR:
Nous étudions les phrases copules comme (1) et (2).
John is my best friend.
My best friend is John.
Horatio est le meilleur ami d’Hamlet.
Le meilleur ami d’Hamlet est Horatio.
Nous essayons de faire la synthèse entre l’analyse syntaxique de Moro (1990) selon laquelle le sujet de (1b) et de (2b) en structure-s correspond à un prédicat en structure-d et l’hypothèse sémantique de Partee (1987) selon laquelle le type syntaxtique NP correspond à trois types sémantiques distincts : le Nom, le Prédicat et le Quantificateur généralisé.
Nous proposons qu’un NP qui monte à la position sujet en structure-s à partir de la position prédicat en structure-d est interprété comme prédicat en syntaxe et comme quantificateur en FL. La double interprétation d’un seul constituant syntaxique nous amène à comparer des phrases copulatives comme (1b) et (2b) à un palimpseste, où un texte s’écrit par-dessus un autre.
Nous proposons que les règles qui interprètent un prédicatif NP dans sa position en structure-d sont du niveau du récit tandis que celles qui l’interprètent dans sa position en structure-s sont d’un niveau linguistique distinct, que nous appelons le commentaire.
EN:
We discuss pairs of copula sentences like (1) and (2).
John is my best friend.
My best friend is John.
Horatio est le meilleur ami d’Hamlet.
Le meilleur ami d’Hamlet est Horatio.
We propose a synthesis of the syntactic analysis of Moro (1990), according to which the s-structure subject of (1b) and (2b) corresponds to a d-structure predicate, and the semantic hypothesis of Partee (1987), according to which the syntactic type NP corresponds to three different semantic types, a name, a predicate, and a generalised quantifier.
We argue that an NP raised from a predicate position in d-structure to the subject position in s-structure is construed as a predicate in syntax and as a quantifier in LF. This double reading leads us to treat a S like (1b) or (2b) as a palimpsest, in which one text is written on top of another. We propose that the rules which interpret the raised predicative NP in its d-structure position belong to the level of the recit while those which interpret it in its s-structure position belong to a distinct linguistic level which we call the commentaire.
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Sous-spécification, accord et pronoms en arabe
Abdelkader Fassi Fehri
pp. 117–143
AbstractFR:
Dans cet article, nous proposons un traitement unifié des différents usages des formes pronominales arabes de troisième personne (qu’il s’agisse de pronoms personnels, de copules ou d’explétifs). Nous montrons que cet objectif ne peut être atteint qu’en recourant à une (sous)spécification lexicale ou syntaxique appropriée.
En second lieu, nous examinons la variation des formes explétives dans les langues, ainsi que celle des formes d’accord compatibles avec celles-ci. Nous montrons que dans les cas simples, les deux classes de formes sont liées, la liste des formes explétives étant dérivable de celle des formes pronominales de troisième personne qui peuvent être légitimées dans le contexte des formes d’AGR. En outre, un paramètre argunemtal est proposé pour AGR, selon lequel certaines langues autorisent uniquement un NP argumental dans Spec AGR. Par contre, d’autres langues autorisent également des NP non-argumentaux, mais elles requièrent que les traits phi (spécifiés) soient légitimés par des NP argumentaux (qui sont membres de chaînes explétives).
EN:
The purpose of this paper is twofold. First, it provides a unified treatment for various uses of Arabic so-called third person pronominal forms, be they personal pronouns, expletives, or copulas. It is proposed that appropriate lexical and syntactic (under)specification is needed to deal with this problem. Second, it investigates cross-linguistic variation in expletive forms as well as the properties of AGR forms which are compatible with them. It is argued that, in the simple case, the two forms are related, and that the list of expletive forms is derivable from that of third person forms which can be licensed in the context of AGR forms. An argumental parameter for AGR is proposed, according to which some languages allow only argumental NPs in the Spec of specified AGR. Others allow non-argumentals as well, but they still require specified phi features to be licensed by arguments (which are members of expletive chains).
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Avoir ou être
Mireille Tremblay
pp. 145–163
AbstractFR:
Le présent article propose que le français a deux copules : avoir et être et que leurs différences distributionnelles sont conditionnées syntaxiquement. Ils sont semblables en ce que ni l’un ni l’autre ne peut assigner de rôle-θ (comme dans Guéron 1987). Ils diffèrent toutefois en ce que seulement avoir peut assigner un Cas (accusatif).
AVOIR : [ - θ, + ACC ]
ÊTRE : [ - θ,, - ACC ]
Cette proposition nous permet de rendre compte de façon élégante d’un certain nombre de constructions avec être et avoir, telles que les constructions possessives et épistémiques.
EN:
This paper argues that French has two copulas: avoir "have" and être "be" and that their distributional differences are syntactically conditioned. avoir and être are similar in that neither can assign a θ-role, as in Guéron (1987). They differ however in that only avoir can assign (accusative) Case.
AVOIR : [ - θ, + ACC ]
ÊTRE : [ - θ,, - ACC ]
This proposal allows us to account elegantly for the selection of avoir and être in a number of environments such as possessive and epistemic constructions.
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Remarques sur avoir attributif et possessif
Christine Tellier
pp. 165–181
AbstractFR:
Cet article fait état des différences syntaxiques qui distinguent les usages attributif et possessif du verbe avoir, usages illustrés par des phrases du type elle a les yeux verts et elle a des yeux verts, respectivement. Il est proposé que ces différences découlent des propriétés lexicales des deux verbes : avoir attributif est un verbe sémantiquement vide qui régit une proposition prédicative réduite, alors que avoir possessif, sémantiquement plein, sélectionne un argument externe et un argument interne. Ainsi, les différences syntaxiques entre les deux constructions (type de NP postverbal (aliénable ou inaliénable), nature du déterminant (défini, non défini), possibilité de modification par un adjectif qualifiant, type de prédicat secondaire (état passager ou propriété permanente) sont attribuables au rôle que doit jouer dans la structure le NP post-verbal, soit prédicatif avec avoir attributif et argumental avec avoir possessif.
EN:
This article addresses the syntactic differences displayed by the attributive and possessive usages of avoir 'to have', exemplified by the sentences elle a les yeux verts, lit. 'she has the eyes green' and elle a des yeux verts 'she has green eyes', respectively. It is argued that these differences follow from the lexical representations of the two verbs, namely: attributive avoir is semantically empty and selects (subcategorizes) a small clause, while possessive avoir is semantically full and selects both an external and an internal argument. All the syntactic differences between the two constructions (type of post-verbal NP (alienable, inalienable), determiner type (definite, nondefinite), modification by a qualifying adjective, type of secondary predicate (stage-level or individual-level) are shown to reduce to the role played by the post-verbal NP in the structure, i.e. predicative with attributive avoir and argumental with possessive avoir.
Articles non thématiques
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Modèle d’acquisition des signifiés du langage
Raymond Champagnol
pp. 185–200
AbstractFR:
On propose un modèle selon lequel les signifiés du langage sont acquis à partir de représentations produites de façon intrinsèque par un « générateur de représentations » de type darwinien. Ces représentations sont constituées de formants de base qui, lorsqu’ils sont repris dans la formation de signifiés, correspondent à des traits sémantiques ou sèmes. Ces représentations intérieurement générées s’ajustent aux réalités par des processus de sélection sur la base de tests empiriques et sociaux gérés par trois fonctions psychiques fondamentales qui sont la perception, l’évaluation et l’action. Elles acquièrent le statut de représentations sémantiques par association avec les signifiants, principalement par le jeu de tests sociaux.
Au plan sémantique, chacune des trois fonctions psychiques commande des groupements différenciés de sèmes. Ceux régis par la fonction de perception possèdent des sèmes de type « substance » (et correspondent dans le vocabulaire principalement aux noms); ceux régis par l’évaluation possèdent des sèmes de type « valeur » (et correspondent principalement aux adjectifs et aux adverbes); ceux régis par l’action possèdent des sèmes de type « procès » (et correspondent principalement aux verbes). Ces trois sortes de groupements sémantiques sont disjonctifs. Ils sont combinables à des niveaux surordonnés et sont utilisés dans les calculs du système cognitif.
Au total, on suggère que le langage, nouveau venu dans la phylogenèse, emprunte des mécanismes et fonctions qui l’y ont précédé.
EN:
In the model proposed, the signified concepts of language are acquired on the basis of representations produced intrinsically by a Darwinian-type "representation generator". These representations are composed of base-level formants which, when they enter into the formation of signified concepts, correspond to semantic features or semes. These internally generated representations are adjusted to reality by selection processes through the application of empirical and social tests governed by the three fundamental psychic functions: perception, evaluation and action. They acquire the status of semantic representations through association with signifiers, primarily by means of social tests.
On the semantic level, each of the three psychic functions controls differentiated groupings of semes. Those controlled by the function of perception are comprised of semes of the "substance" type (and in vocabulary correspond principally to nouns); for those governed by evaluation the semes are of the "value" type (and correspond mainly to adjectives and adverbs); those governed by action have semes of the "process" type (and correspond mainly to verbs). These three sorts of semantic groupings are disjunctive. They are combined at higher levels and are used in the functioning of the cognitive system.
In general it is suggested that language, a newcomer to phylogenesis, has borrowed mechanisms and functions long used in the field.
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Tâtonnements énonciatifs, appropriation/désappropriation notionnelle, lieux de négociation et de conflit dans l’énonciation en situation d’entretien
Daniel Simeoni and Khadiyatoulah Fall
pp. 203–238
AbstractFR:
Cet article pose les premiers jalons d’un cadre d’analyse socio-énonciatif visant à rendre compte de l’alternance de phases fluides et de tâtonnements, depuis les simples pauses délimitant les unités de sens jusqu’aux ruptures syntaxiques, en passant par les pauses vocalisées et autres télescopages, qui caractérisent les énoncés en français parlé produits en situation d’entretien. Une habilitation théorique du concept de « marqueur en creux » est esquissée. La difficulté d’énonciation paraît liée à la mise en discours de notions thématiques définies dans le prolongement de la théorie des opérations énonciatives d’Antoine Culioli. Un cadre pragmatique lui est adjoint, minimisant le principe gricéen de coopération au profit de celui d’incomplétude de l’échange, dont la valeur heuristique paraît ici plus productive.
EN:
This article presents the broad lines of a socio-cognitive framework, hoping to provide an explanation for the phases of fluidity and discontinuity alternating in spoken French in interview settings. The concept of "empty marker" is sketched out, referring to the various pauses, syntactical breaks and telescopages that characterize such utterances. The difficulty experienced by participants in the process of verbalization appears to be related to the implementation of discourse-level notions, borrowed and adapted from Culioli's theoretical framework. A pragmatic background is also presupposed, downplaying the Gricean principle of cooperation and replacing it with that of "inherent unfulfillment of the exchange", more productive in this kind of setting.
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Du modalisateur au marqueur de ponctuation des actions : le cas de bon
Madeleine Saint-Pierre and Marguerite Vadnais
pp. 241–254
AbstractFR:
Bon, est un mot du discours qui reçoit des interprétations variées suivant le contexte conversationnel. Nous tentons de décrire les propriétés associées aux différents emplois de bon sur les plans syntagmatique, pragmatique et structurel du discours. L’analyse fait ressortir deux fonctions discursives principales : le modalisateur et le marqueur de structuration de la conversation (MSC) (Roulet & al., 1985). L’examen du fonctionnement de ce marqueur discursif révèle qu’il est possible de rassembler autour d’une même valeur sémantico-pragmatique l’ensemble de ces emplois : le marqueur de ponctuation oral qui scande et délimite les activités verbales et non verbales (cognitive, énonciative ou physique) des participants à la conversation.
EN:
Certains words like bon in French are subject to various interpretations according to context in which they appear. A description of the syntagmatic, pragmatic and discursive properties associated with the different uses of bon is presented. Two values of bon are examined: the modifier and the discourse marker (Roulet & al., 1985). A general semantico-pragmatic value is proposed to account for the various roles associated with bon in conversation: an "action punctuation marker" that scands and delimites the verbal and non verbal (cognitive, utterance or physical) activities of the participants.
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Étude comparée de quatre paramètres acoustiques des occlusives en espagnol de Buenos Aires et en français de Montréal
Benoît Jacques and Jorge A. Gurlekian
pp. 257–271
AbstractFR:
Cette étude compare le rendement de quatre paramètres acoustiques contribuant aux distinctions de voisement et de lieu d’articulation, soit le VOT, la durée de la tenue, les transitions de F2 et de F3 de la voyelle suivante, dans les occlusives de l’espagnol parlé à Buenos Aires et dans celles du français parlé à Montréal. Il en ressort que seul le VOT fonctionne de la même façon et a un rendement équivalent dans les deux parlers. Le rendement de la durée de la tenue dans la distinction sourde-sonore est également important dans le parler espagnol, mais faible dans le parler français. En ce qui a trait à la distinction des lieux d’articulation, il appert que la transition de F2 joue un rôle plus important dans le parler français que dans le parler espagnol, alors que c’est l’inverse dans le cas de la transition de F3. Ainsi, lorsque les mêmes indices coutribuent à une même opposition phonologique dans deux idiomes distincts, leur mode d’association est différent
EN:
This study compares the efficiency of two acoustic cues of voicing—VOT and the duration of the silent interval—and of two acoustic cues of place of articulation—the initial frequency of F2 and F3 of the following vowel—in the stop consonants of Spanish spoken in Buenos Aires and French spoken in Montreal. The findings are that only VOT works in the same way in both idioms. The duration of SI has an important output as well in the distinction of voicing in the Spanish idiom, but has a low efficiency in French. Concerning the distinction of places of articulation, the findings are that the efficiency of the F2 transition is greater in French than in Spanish and, on the contrary, the F3 transition has a greater output in Spanish. When the same cues contribute to the same phonological oppositions in two different languages, their manner of combination can differ.