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« Autorité mondiale de l’air »[1], l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) régule de façon prépondérante les activités en aviation civile sur la scène internationale et a comme objectif d’uniformiser les pratiques du droit international aérien (DIA), un domaine à fort potentiel litigieux. À ce propos, la Convention de Chicago (ci-après la Convention)[2] prévoit, à son chapitre XVIII, un mécanisme de règlement des différends qui passe par le Conseil de l’OACI et qui est chargé d’appliquer et d’interpréter les dispositions de la présente Convention. Professeur de droit international aérien et de droit des organisations internationales[3] ainsi que chef de service des investigations sur les accidents et incidents aériens à l’Office national des aéroports au Maroc, Fayçal Hatri argumente que ce mécanisme de règlement des différends est peu utilisé par les États et que, lorsqu’utilisé, se révèle inefficace. De ce fait, l’enjeu identifié est le phénomène de fragmentation du DIA et de façon plus large, de l’ordre normatif international aérien. Dans son ouvrage Droit du contentieux international aérien[4], l’auteur étudie la problématique selon une approche systémique, c’est-à-dire qu’il inclut les éléments contextuels à l’étude du règlement des différends, sans se limiter à sa dimension strictement juridique[5].

La thèse de l’ouvrage se divise en deux parties. D’abord, les chapitres 1 à 4 portent sur l’étude du système fragmentaire du DIA afin d’identifier les caractéristiques du système international aérien. Cela comprend notamment la notion de pluridisciplinarité des différends aériens – c’est-à-dire, entre autres, les enjeux territoriaux, environnementaux, économiques, de sûreté et de sécurité – qui explique la complexité particulière des conflits de DIA. Le fonctionnement du mécanisme juridictionnel du Conseil et du règlement des conflits en dehors de l’OACI est également analysé dans cette partie. Ensuite, aux chapitres 5 à 8, l’étude porte sur les perspectives d’unification du système international aérien, d’abord, en se penchant sur les différends qui ont été soumis au Conseil par le passé, puis en explorant la possibilité de la mise sur pied d’une nouvelle juridiction compétente en droit aérien.

Dans un premier temps, l’étude contextuelle du chapitre 1 révèle que l’aviation civile internationale fonctionne selon deux régimes juridiques : les questions techniques sont le sujet d’ententes multilatérales, alors que les questions économiques – plus difficiles à négocier et à appliquer à un grand volume d’États –font l’objet d’ententes bilatérales. Nécessairement, il existe une plus grande diversité dans la manière dont les questions économiques sont abordées, bien qu’il existe les accord types Bermudes I[6] et Open Skies[7] qui proposent un cadre de base pour la rédaction des accords bilatéraux.

Dans ce sens, il est expliqué au chapitre 2 de l’ouvrage que, comme la quasi-totalité des États est membre de l’OACI, la Convention possède un grand pouvoir normatif. Ce fonctionnement est bénéfique pour les questions techniques qui permettent une uniformisation des pratiques en matière de vol, de sécurité, de sûreté, etc., mais fait aussi en sorte que les États sont réfractaires à l’idée d’intégrer des normes économiques aux dispositions de la Convention, puisque ces questions font plus rarement consensus.

En ce qui concerne le règlement de différends par l’appareil juridictionnel de l’OACI étudié au chapitre 3, la situation observée s’apparente à une « crise de confiance »[8] de la part des États. Du fait du caractère croissant du potentiel litigieux de l’aviation civile internationale, les États ont un besoin accru de recourir à un mécanisme de règlement des différends efficace ; besoin auquel l’OACI ne répond pas pour deux raisons principales. La première est que le processus décisionnel à ce sujet est influencé par le caractère politique du Conseil. Les États le composant sont élus parmi les membres de l’OACI en fonction de trois catégories :

(1) aux États d’importance majeure dans le transport aérien ; (2) aux États, non inclus à un autre titre, qui contribuent le plus à fournir des installations et des services pour la navigation aérienne civile internationale ; (3) aux États, non inclus à un autre titre, dont la désignation assure la représentation au Conseil de toutes les grandes régions géographiques du monde[9].

L’effet de cette catégorisation est que certains États, notamment ceux votés dans la première catégorie, y siègent presque en permanence et ont conséquemment plus de pouvoirs que les États votés dans la troisième catégorie qui s’alternent périodiquement. Un second élément qui affecte l’efficacité du Conseil se trouve dans l’article 84 de la Convention[10]. L’interprétation de cet article indique que le Conseil peut agir une fois que les États ont épuisé toute voie de négociation. Il peut, par la même occasion, refuser de statuer s’il considère que les États n’ont pas suffisamment discuté et ainsi décider de les renvoyer à la table de négociations[11]. Dans cette situation, les acteurs aéronautiques cherchent une solution hors de l’OACI.

À cet effet, l’auteur affirme que les mécanismes de règlement des différends alternatifs explorés au chapitre 4[12] n’offrent pas non plus une solution adéquate. Les instances non spécialisées en DIA n’émettent pas nécessairement des décisions basées sur le droit[13]. Également, comme d’un litige à l’autre, les États peuvent choisir de se tourner vers différentes juridictions, les décisions rendues sont peu coordonnées et parfois contradictoires. De plus, toutes les instances internationales compétentes pour intervenir dans des conflits ne sont pas nécessairement reconnues par les mêmes États, ce qui rend leurs décisions difficiles à appliquer globalement[14]. À la lumière de ces éléments, l’auteur souligne qu’il apparaît essentiel d’unifier les normes du DIA.

Après avoir étudié les modes de règlements des différends à l’OACI et hors de l’OACI, Hatri consacre la deuxième partie de l’ouvrage à l’analyse des différends eux-mêmes afin de cerner les enjeux avec précision.

Dans ce sens, il classe les conflits aériens au chapitre 5 de la façon suivante : les conflits d’ordre économique[15] et les conflits d’ordre non économique, qui incluent les enjeux de souveraineté[16], de sûreté (c.-à-d. terrorisme)[17] et de sécurité (c.-à-d. accidents aériens)[18]. Hatri identifie ces conflits comme étant les différends classiques et indique qu’il existe également les nouveaux types de différends internationaux, ce qui comprend notamment les questions reliées à l’environnement (c.-à-d. gaz à effet de serre[19] ou pollution sonore[20]) et aux appareils pilotés à distance[21]. L’inefficacité du Conseil de l’OACI est mise en lumière par ces nouveaux types de différends internationaux. En effet, en dehors du Conseil, les conflits économiques sont généralement portés devant le mécanisme de l’OMC ou le CRIDI. Quant aux nouveaux types de différends, les juridictions internationales – notamment la CIJ, la CPA ou les institutions d’arbitrage ad hoc – desquelles les États peuvent se saisir ont toutes un défaut important : elles ne sont pas spécialisées en DIA.

Dans l’histoire du Conseil de l’OACI, seulement quelques différends lui ont été soumis depuis 1947[22]. Par l’étude de ces différends effectuée au chapitre 6, l’auteur remarque que les États membres du Conseil se gardent de statuer sur des questions politiques et que le règlement de conflits est un exercice plutôt politique que juridique[23]. Hatri met en évidence que c’est ce qui s’est passé en 1956 dans l’étude de la plainte israélienne conformément à l’article 54 (j) de la Convention. Le Conseil a déterminé que les mesures restrictives imposées aux aéronefs israéliens par certains États arabes constituaient une matière située à l’extérieur de sa compétence et a refusé de trancher le litige[24]. Selon lui, cette approche vise à éviter que le Conseil ne s’aventure dans le règlement de conflits qui dépassent sa compétence technique, mais est critiqué par certains auteurs qui soulignent qu’en agissant ainsi, le Conseil « [refuse] d’exercer les fonctions qui lui sont assignées par la Convention de Chicago »[25]. Hatri explique que cette faiblesse de l’OACI fait en sorte que les États sont réticents à utiliser son mécanisme de règlement des différends et soumettent plus souvent leurs conflits à d’autres institutions[26].

Pour répondre à cette problématique, Hatri argumente, au chapitre 7, en faveur de la dépolitisation des contentieux aériens internationaux afin de créer un équilibre entre l’efficacité du règlement politique du différend et la stabilité de la règle de droit[27]. Ce faisant, l’auteur souligne qu’une restructuration de l’appareil juridictionnel du Conseil de façon à imiter le fonctionnement de l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC serait souhaitable. En effet, l’ORD permet de renforcer la confiance des États envers le mécanisme de règlement des différends, puisqu’il fonctionne indépendamment des organes politiques[28].

Dans ce sens, le chapitre 8 est consacré à l’élaboration d’une piste de solution, soit la création d’une nouvelle juridiction aérienne internationale[29] ; sa légitimité s’assoyant à la fois sur le fait qu’elle comblerait les failles du présent système et sur sa compétence technique en aviation civile internationale assurée par le maintien d’un rapport étroit avec l’OACI et la Convention de Chicago[30]. Comme l’indique Hatri, avec le temps, la « légitimité de droit » se développerait naturellement à mesure que les États reconnaissent la compétence de cette nouvelle juridiction[31].

La pertinence de l’ouvrage dans le contexte actuel prend tout son sens avec les effets de la mondialisation. En effet, ce contexte mondial dans lequel les États sont de plus en plus interconnectés a créé de nouveaux enjeux – par exemple concernant le terrorisme ou les questions environnementales – sur lesquels les juridictions nationales ne sont pas forcément compétentes. Plus précisément, en matière de DIA, le caractère transfrontalier de cette activité et la complexité des conflits qui en découlent – qui comprennent souvent des enjeux à la fois économiques, politiques, de sûreté, de souveraineté, d’environnement, etc. – font en sorte que la juridiction la plus compétente sur le sujet est le Conseil de l’OACI. Droit du contentieux international aérien offre une clé de lecture qui permet d’identifier certains obstacles au règlement des différends internationaux aériens et propulse son lecteur vers des pistes de solutions afin de renforcer et d’améliorer le mécanisme actuel du Conseil.

Bien que son contenu porte sur un sujet technique pointu, le style de rédaction de Hatri rend l’ouvrage accessible pour des lecteurs qui s’initient au DIA. Par exemple, il rappelle le rôle, le fonctionnement et l’histoire de l’OACI dans les premières pages du texte et se sert d’exemples concrets de conflits en DIA pour supporter ses observations et ses arguments. Aussi, les notions liées aux domaines de l’aviation civile internationale et du droit international sont expliquées au fur et à mesure du texte.

Dans la même optique, l’ordre des chapitres est prévu afin de permettre au lecteur, dans un premier temps, de comprendre l’état actuel du mécanisme juridictionnel de l’OACI et, dans un deuxième temps, de réfléchir à l’avenir du règlement des différends en DIA. Effectivement, dans la partie 1 (chapitres 1 à 4), l’auteur identifie les sources de conflit du transport aérien et montre de quelle façon les États cherchent à les résoudre avec ou sans l’aide du Conseil. En partie 2 (chapitres 5 à 8), Hatri poursuit ses réflexions par une analyse détaillée des différents types de conflits en aviation civile internationale et émet des hypothèses quant aux solutions possibles pour unifier le DIA et contrer sa fragmentation.

Enfin, un autre apport du livre de Hatri est qu’il est accessible à un lectorat francophone. Effectivement, bien que la littérature dans le domaine du règlement des différends aériens soit plus souvent développée en anglais, Droit du contentieux international aérien est rédigé en français. De plus, la bibliographie, divisée en quatre parties – ouvrages généraux, ouvrages spécialisés, articles et documents de l’OACI – est récente et bilingue, quoique majoritairement francophone, ce qui donne au lecteur francophone accès à un bon nombre de ressources complémentaires. Finalement, l’ouvrage présente et résume également plusieurs décisions rendues par le Conseil de l’OACI.