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À l’aube des tensions et des troubles qui minent son fonctionnement, l’Organisation internationale du commerce (OMC) nous apparait alors vitale au système économique international, notamment sur des questions de règlement de différends et de multilatéralité des échanges. Considérée autrefois comme une institution internationale efficiente et où les conclusions des différends étaient respectées, son enrayement aux suites de l’opposition américaine — notamment au renouvellement des postes vacants des juges au sein de l’Organe d’appel (OA) — laisse l’Organisation perplexe devant ses principes et ses objectifs[1]. L’exhortation d’un retour aux fondements se fait entendre pour saisir à la fois l’ampleur du débat qui ponctue l’actualité et le vide que son engourdissement peut signifier pour la structure des échanges mondiaux et des liens commerciaux.

L’ouvrage Essentials of WTO Law[2] a pour principale ambition de reprendre les bases du système et du fonctionnement de l’OMC. Il s’agit d’une monographie corédigée par Peter Van den Bossche et Denise Prévost, respectivement professeur titulaire et professeure affiliée de droit économique international à l’Université de Maastricht. Monsieur Van den Bossche est par ailleurs un ancien juge de l’Organe d’appel à l’OMC et président de la Société internationale de droit économique, alors que madame Prévost a été stagiaire aux divisions des affaires légales du secrétariat de l’OMC et consultante sur le développement de modules de l’OMC auprès de gouvernements. Ainsi, contribuant activement à la doctrine sur le commerce en droit international (DI) et sur l’OMC, ces auteurs nous offrent à nouveau la chance de nous plonger dans les « essentiels » de l’organisation lors d’une seconde édition qui poursuit de près l’actualité sur l’immobilisme et l’état de crise des plus importantes institutions de l’OMC.

Les auteurs s’assurent de s’adresser avec bienveillance aux lecteurs débutants en matière de commerce international, prenant un ton didactique et présentant avec soin les sujets composant l’organisation, notamment en les regroupant en thèmes distincts. Ainsi, ils y construisent le narratif de l’ouvrage en bloc de huit chapitres, chacun présentant un aspect de l’OMC. L’ouvrage débute par une liste d’acronymes, en plus d’une table de jurisprudence pour une référence rapide aux fins d’exploration. Des bibliographies thématiques sont proposées à la conclusion de chaque chapitre. De plus, des ressources et des banques de données sont insérées en annexes avant un index des concepts cardinaux de l’ouvrage.

Le premier chapitre s’attarde à conjuguer la pertinence de l’organisation au sein du commerce international. Dans son introduction, les auteurs présentent sa nécessité, ses lacunes et ses plus récents détracteurs[3]. Ils distinguent les formes que peut prendre le DI sur le commerce, où ils se permettent d’énumérer les sources de l’OMC et leur valeur contraignante[4]. Ils précisent que les règles sur le commerce international font partie de l’ensemble du DI : les normes coutumières et les principes généralement acceptés en DI sont aussi sources de l’OMC. Ainsi, ils y établissent la crédibilité de l’Organisation, le droit généré à l’OMC étant généralement compris comme faisant partie de l’ensemble du DI, non pas comme un élément distinct[5]. Les auteurs concluent en faisant un survol nécessairement léger des obligations des membres et de l’atterrissage du droit de l’OMC dans les ordres juridiques nationaux[6].

Le second chapitre pose les principales instances et divisions composant l’OMC. En présentant ses objectifs et en introduisant notamment ses fonctions, les auteurs nous rappellent l’importance d’une interprétation évolutive des principaux buts de l’OMC[7]. Un espace essentiel pour l’assistance technique marque l’importance qu’accordent les professeurs aux conditions et à l’environnement entourant les pays en voie de développement (PED) au sein de l’organisation[8]. La structure institutionnelle est brièvement abordée par les auteurs, imagée par un simple graphique[9]. Ils distinguent l’OMC des autres organisations internationales, en précisant qu’elle n’a pas de corps exécutif : une précision qui, à notre sens, donne son caractère particulier à l’organisation[10]. Une section sur l’adhésion aborde les conditions de la procédure, ainsi que les droits et obligations accordés aux membres[11]. Les concepts de consensus et de coalition[12] sont abordés simultanément[13]. Le statut légal et le budget de l’OMC ne sont que brièvement approchés par les auteurs en fin de chapitre[14].

Au troisième chapitre, les auteurs proposent de présenter la nature et la structure du système de règlement de différends. En nous proposant d’abord un aperçu de ses objectifs (assurer la « sécurité » et la « prédictibilité » du système commercial de libre-échange)[15], ils nous éclairent sur la juridiction de ce système[16]. Ils y présentent l’Organe de règlement de différends (ORD) et ses sous-organes comme les panels. Ils y abordent aussi comment l’influence du politique de l’ORD semble s’infiltrer dans les sous-organes, les éloignant du caractère strictement judiciaire qu’on leur portait alors[17]. De plus, le concept de consensus renversé est ici abordé et replacé au sein du débat[18]. La formation et les objectifs des panels sont rapidement abordés, présentés d’abord comme des corps ad hoc[19]. Les auteurs discutent tout aussi bien de l’OA, insistant sur l’importance de l’indépendance et la neutralité des sept individus la composant[20]. Ils prennent soin d’imager les étapes du règlement d’un différend, passant par la présentation des procédures jusqu’à l’application des mesures compensatoires[21]. Les procédures des panels ainsi que la portée de l’examen d’appel sont brièvement abordées[22]. Les auteurs relèvent enfin trois caractéristiques propres au système de règlement : les délais stricts, la confidentialité ainsi que le fardeau de preuve indéfini[23]. Un saut rapide dans la réalité des PED est proposé en fin de chapitre, avant d’aborder les tensions et les crises vécues et projetées du système de règlement de différends[24].

Le quatrième chapitre aborde la règle de non-discrimination, un concept à l’essence même de l’OMC. Sous l’interdiction de discrimination, les auteurs présentent à la fois les notions du traitement de la nation la plus favorisée (NPF) et de l’obligation du traitement national[25]. Ils rappellent de prime abord les articles de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994[26] (GATT 1994), concernant les produits et les services assujettis au traitement NPF et au traitement national : l’article I, II, III et XVII[27]. En posant dans un premier temps les mesures et le cadre compris par l’article de référence[28], les auteurs décomposent ledit article pour en faire l’analyse des éléments centraux — constituant un test porté sur l’interprétation notamment doctrinale de l’article. Ils souhaitent en exposer aux lecteurs la compatibilité ou l’inconsistance d’une mesure aux règles du GATT 1994[29]. Le chapitre est donc divisé en deux sections, l’une portant sur le traitement NPF et l’autre discutant du traitement national. Ces sections sont abordées à la fois sous l’approche des biens, puis des services.

Au chapitre cinq, les auteurs présentent les règles d’accès au marché. Ce nouveau chapitre s’affaire à différencier les barrières tarifaires des barrières non tarifaires, où les auteurs profilent « les impacts économiques découlant de leurs différentes incidences » [notre traduction][30]. De ce fait, les droits de douanes et autres franchises sur les importations et exportations sont présentés de prime abord. Ensuite, les auteurs se concentrent sur les droits à l’importation, ceux-ci divisés en quatre sections : la négociation tarifaire, la concession tarifaire, l’imposition des droits et les autres droits et charges[31]. Puis, les restrictions quantitatives proscrites au paragraphe 1 de l’article XI du GATT 1994[32] sur les biens sont posées, accompagnées de leurs deux exceptions : l’application non-discriminatoire et les procédures de licence d’importation[33]. Par la suite, les autres barrières non tarifaires, celles qui posent des soucis de transparence dans le commerce des biens, sont ensuite expliquées, notamment décrites comme entravant le commerce par des applications nationales inéquitables, des freins opérationnels et procéduraux et autres[34]. Enfin, les barrières techniques de nature sanitaire et phytosanitaire sont mentionnées, mais abordées seulement au chapitre 8. En fin de chapitre, les auteurs présentent les barrières d’accès au marché dans le commerce des services. Ces barrières sont décrites comme des régulations nationales empêchant l’offre de services en question sous des conditions spécifiques (car la régulation nationale n’est pas systématiquement une barrière d’accès au marché), notamment mentionnée au paragraphe 2 de l’article XVI de l’Accord général sur le commerce des services (GATS)[35]. Les autres barrières au commerce des services sont rapidement examinées dans les dernières lignes du chapitre[36].

Le chapitre 6, qui se présente plus dense que les précédents, concerne la libéralisation du commerce et les autres valeurs sociétales et intérêts. Les auteurs conçoivent que la libéralisation du commerce international peut conséquemment avoir comme effet la libéralisation et le transfert des valeurs, des idées et des intérêts entre les sociétés[37]. Ils posent deux fondements idéologiques derrière l’édification de l’OMC :

More trade often means that more, cheaper, better, healthier, safer, and/or environnementally friendlier products and services will be available on the domestic market. More trade also means more economic activity and development and generates the resources that enable governments to effectively promote and protect societal values and interests[38].

Les auteurs assurent alors que ses bénéfices doivent être circonscrits pour que ceux-ci s’allient aux intérêts et aux valeurs d’une société devant la force du commerce international[39]. Pour ce faire, ils proposent d’examiner les six grandes catégories d’exceptions au sein du GATT 1994[40] et du GATS, qui sont : les exceptions générales ; les exceptions pour la sécurité nationale et internationale ; les exceptions pour les mesures de sauvegarde ; les exceptions sur les mesures pour la balance des paiements ; les exceptions pour les accords de commerce régionaux ; et les exceptions pour le développement économique (provenant de la clause d’habilitation en faveur des pays en développement et autres dispositions sur les différenciations de traitement)[41].

Les auteurs présentent au septième chapitre deux concepts se déployant sous la notion du unfair trade[42], soient le dumping et les règles concernant les subventions. Ils présentent d’abord les caractéristiques du dumping et sa définition[43], où ils abordent ensuite les conditions déloyales[44] menant à son application, le « lien de causalité » [notre traduction][45], les contre-mesures d’enquêtes nationales[46] et l’imposition de mesures antidumping[47]. Une courte section de cette première partie de chapitre est réservée au traitement différencié des PED[48] et au rôle de l’OA dans les appels de révision[49]. Abordant ensuite les règles aux subventions, les auteurs en présentent un bref aperçu[50], avant d’entrevoir les subventions sous le champ d’action de l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires[51], les « subventions prohibées »[52], les « subventions actionnables » et « non actionnables » [notre traduction][53] et les droits et les autres mesures compensatoires[54]. Encore une fois, une petite section en fin de chapitre est réservée au traitement différencié des PED[55], puis s’en adjoint un court saut dans l’exception de l’agriculture[56].

Au huitième et dernier chapitre, les auteurs nous initient « aux règles concernant l’harmonisation de la régulation nationale » [notre traduction][57] en nous présentant trois principaux accords, soit : l’Accord sur les obstacles techniques au commerce[58] ; l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires[59] ; et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce[60]. Deux sections consécutives abordant les deux premiers accords plus haut cités partagent une certaine symétrie dans la construction du raisonnement des auteurs : l’on y présente alors le champ d’application, les obligations substantives et les dispositions institutionnelles et procédurales. Reprenant ces derniers concepts, mais apportant d’autres aspects, la dernière section du chapitre portant sur le troisième accord propose d’étudier son champ d’application, puis les fondements de principes et de dispositions de l’accord, les obligations spécifiques, les exceptions, les applications des droits à la propriété intellectuelle et les dispositions institutionnelles et procédurales.

Finalement, cet ouvrage appréciable pour le lecteur débutant en commerce international et en droit économique est en fait un outil d’apprentissage agréable à parcourir dans le but de saisir les fondements du droit de l’OMC. Ce dernier se lit notamment à travers l’explication maître des auteurs, mais aussi à travers l’exemple de la jurisprudence et grâce à la contextualisation d’articles du statut de l’OMC et d’autres accords économiques multilatéraux. La mise en page originale assure une fluidité dans la lecture, décompressant des passages parfois techniques à travers l’usage d’éléments visuels et stylistiques : des encadrés divers proposent à la fois des éléments de réflexion et d’apprentissage, permettant une immersion rapide au sein de la jurisprudence, de sujets d’actualité, de citations célèbres sur le commerce et le droit, de débats au sein de la communauté d’experts ou bien d’approfondissements supplémentaires sur des cas énoncés. Les auteurs font aussi l’usage de puces pour d’abord synthétiser l’information au coeur des chapitres en des termes plus légers et ensuite permettre au lecteur d’appréhender avec justesse la suite de l’exposé. De plus, une liste de lectures complémentaires est ajoutée à la fin de chacun des chapitres, promettant ainsi l’approfondissement des connaissances acquises précédemment. Toutefois, le contenu de ces suppléments est complètement anglophone, ce qui peut laisser le lecteur francophone sur son appétit. Également, des tables et des figures de hiérarchisations sont employées pour imager des structures alors complexes. Puis, dans une perspective académique, les auteurs nous proposent une liste de banques de données en annexe.

Les sujets qui ont ponctué cet ouvrage s’inscrivent dans les thèmes classiques de la littérature sur l’OMC. Néanmoins, l’importance régulière que les auteurs portent aux PED dans les divers chapitres, comme l’introduction de sujets de débats par le biais d’encadrés rapides, nous propose un aperçu de thèmes plus actuels, bien que pas systématiquement à l’avant-garde des débats contemporains comme peuvent l’être la protection de l’environnement et des travailleurs. Ils sont notamment : la gouvernance et la relation nord-sud dans l’OMC[61] ; la crise de l’OA[62] ; le « e-commerce »[63] ; la guerre commerciale sino-américaine[64] ; la distance entre le dumping « moral » et le unfair trade[65] ; la formation impartiale des panels[66]. Finalement, cet ouvrage a été référé à quelques reprises ces dernières années par des auteurs d’articles scientifiques, notamment sur des aspects comme la structure de l’OMC et les mécanismes de règlement de différends. Comme quoi le travail de Peter Van den Bossche et de Denise Prévost constitue une excellente ressource sur les fondements et les bases de l’OMC, même pour les plus habitués.