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Les phénomènes observés par la science, tels que l’effritement de la couche d’ozone, l’effet de serre, les pluies acides ou, plus récemment les changements climatiques, ont contribué à la prise de conscience des enjeux environnementaux et à l’internationalisation des mesures visant à limiter l’impact de l’activité humaine sur l’environnement global.

Les défis environnementaux étant de plus en plus pressants, la société civile accompagne, surveille et fait pression sur les États pour tenter de faire en sorte que ceux-ci respectent leurs engagements internationaux et leur cadre normatif national. L’existence d’une politique publique visant à protéger l’environnement n’est pas toujours synonyme de protection effective sur le plan juridique. S’il existe des normes juridiques et des traités internationaux visant explicitement à limiter les effets de l’activité humaine sur l’environnement, les actions des États ne sont pas toujours au diapason avec les attentes élevées des membres de la société civile en matière de protection de l’environnement. En découle une multiplication des contentieux judiciaires environnementaux de manière à forcer l’application des lois et règlements ainsi que des engagements internationaux[1]. C’est une constatation qui a été mise en lumière par plusieurs études et documents officiels, dont le UNEP Global Climate Litigation Report : 2020 Status Review[2], qui souligne avec précision l’inefficacité des recours judiciaires environnementaux.

Dans ce contexte, on peut néanmoins se demander si ce recours à l’arme judiciaire a réellement permis de rendre la protection de l’environnement effective sur le plan juridique. Pour répondre à ce questionnement, deux laboratoires d’analyse ont été privilégiés : celui des recours en responsabilité devant les tribunaux internes aux États-Unis et celui impliquant la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) qui applique la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales de 1950 (Convention EDH)[3].

Les États-Unis représentent un laboratoire d’observation des litiges environnementaux des plus pertinents[4]. Certes, même si plus de mille litiges sont en cours ailleurs dans le monde, cet État concentre l’essentiel de la jurisprudence liée aux changements climatiques[5]. Les États-Unis demeurent également un espace judiciaire particulièrement actif quant à l’évolution de la jurisprudence en matière de responsabilité liée aux enjeux environnementaux, notamment ceux issus des changements climatiques[6]. Dès lors, les citoyens et les villes interpellent les tribunaux afin d’obtenir des réponses à leurs inquiétudes et un rappel à l’ordre des autorités publiques. Le contentieux environnemental états-unien n’est pas un phénomène en voie de disparition[7].

Le second laboratoire d’analyse se trouve en Europe, plus précisément dans la jurisprudence de la Cour EDH. Devant cette Cour, l’invocation de la protection des droits de la personne pour ultimement protéger l’environnement est chose courante[8]. Ce phénomène n’est pas récent, mais sa croissance dans les dernières années pourrait s’expliquer par le renvoi explicite aux droits de la personne dans le préambule de l’Accord de Paris, entré en vigueur en 2016[9].

À partir de ces deux laboratoires d’analyse, américain et européen, cet article cherche à expliquer, sous un angle nouveau, dans un premier temps, comment l’utilisation unique de l’argument juridique de la protection de l’environnement n’est pas suffisante en tant que tel devant les tribunaux puisque son utilisation se solde souvent par un échec. Cela s’explique à la fois par le manque de compétences attribuées aux tribunaux par les législateurs et par le manque de dispositions juridiques visant explicitement à protéger l’environnement (I). Dans un deuxième temps, il sera expliqué comment, depuis de nombreuses années déjà, face à ces échecs judiciaires, les requérants voulant protéger l’environnement font usage d’une méthode décrite ici comme de « l’ingénierie judiciaire » et invoquent des règles juridiques dont la vocation initiale n’est pas la protection de l’environnement[10]. Aussi, cet article illustrera de nouveau que, bien que l’ingénierie judiciaire puisse être utilisée comme solution palliant le manque de dispositions juridiques protégeant explicitement l’environnement, son utilisation fait face à des limites considérables et, à ce jour, il n’en résulte que des victoires ponctuelles devant les tribunaux (II).

I. La protection de l’environnement n’est pas un argument suffisamment efficace en tant que tel et son utilisation mène souvent à des échecs devant les juridictions

Devant les tribunaux états-uniens et la Cour EDH, le recours à la protection de l’environnement comme argument juridique semble peu efficace. Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que ces juridictions considèrent régulièrement qu’elles n’ont pas la compétence pour traiter de cette question (A). Ces décisions d’incompétence sont causées par l’insuffisance ou l’absence de dispositions juridiques permettant une protection efficace de l’environnement (B). Ces constats ont d’ailleurs été mis en lumière par différentes analyses dont celle de l’UNEP[11].

A. Le manque de compétence attribué aux cours : un premier obstacle aux recours environnementaux

Aux États-Unis et devant la Cour EDH, les requérants se heurtent régulièrement à la question de la compétence de la Cour. En effet, puisque les juridictions se déclarent souvent incompétentes pour juger des questions environnementales, les recours s’arrêtent fréquemment à ce stade.

Dans le cas des litiges états-uniens en matière de droit de l’environnement, l’incompétence de la Cour est souvent mise en cause par les défendeurs. Ceci est une constatation démontrée à maintes reprises[12]. Dès lors, les tribunaux refusent régulièrement de juger les affaires qu’ils considèrent comme non justiciables au motif que les enjeux soulevés relèvent de la sphère politique. Ce type de décision est vivement critiqué par plusieurs auteurs qui estiment que le recours trop fréquent à cette doctrine vague afin de rejeter des affaires touchant à l’environnement pourrait élimer la légitimité des tribunaux[13]. Dans l’affaire Juliana v United-States, la Cour d’appel du neuvième circuit a déclaré que les tribunaux états-uniens n’avaient pas la compétence d’émettre une ordonnance forçant le gouvernement à établir un plan de réduction des émissions de CO2[14]. Dans l’affaire American Electric Power Company v Connecticut, la Cour suprême a conclu à l’impossibilité pour les tribunaux de statuer sur des questions concernant les émissions de gaz à effet de serre (GES) par des entreprises. Selon elle, le Congrès avait confié à l’Environmental Protection Agency (EPA) la responsabilité de décider comment les gaz à effet de serre devaient être réglementés. Il n’appartenait donc pas aux tribunaux fédéraux d’édicter leurs propres règles en matière de réglementation. Elle a qualifié cette affaire de politique et de non justiciable, et dès lors, elle s’est déclarée incompétente pour en demeurer saisie[15].

Cette remise en cause de la compétence s’inscrit dans une stratégie couramment employée par la défense puisqu’elle peut avoir pour effet qu’un tribunal leur étant plus favorable soit conséquemment saisi[16]. En effet, dans plusieurs cas, cela se traduit par un renvoi d’un tribunal de la juridiction étatique vers un tribunal de juridiction fédérale, en général plus clément à l’égard des défendeurs dans le cadre de causes environnementales[17]. Les affaires Green Mt Chrysler Plymouth Dodge Jeep v Crombie, Mayor of Baltimore v BP PLC et City of Oakland v BP PLC illustrent bien cette stratégie dans la mesure où les compagnies pétrolières en cause ont soutenu que les revendications des requérants étaient supplantées par le Clean Air Act ainsi que d’autres lois fédérales[18].

La remise en cause de la compétence de la Cour en matière environnementale a également rendu complexe la protection de l’environnement au sein du Conseil de l’Europe. L’argument d’incompétence trouve principalement sa source dans l’absence de disposition spécifique protégeant l’environnement au sein de la Convention EDH. Ainsi, les premiers recours devant la Cour EDH ayant eu pour objet de protéger l’environnement se sont heurtés à des rejets pour incompatibilité ratione materiae[19]. Comme la Cour a eu l’occasion de l’affirmer dans sa décision Kyrtatos c Grèce, « ni l’article 8 ni aucune autre disposition de la Convention ne garantit spécifiquement une protection générale de l’environnement en tant que tel »[20]. Plus récemment encore, la Cour EDH a rendu plusieurs décisions d’irrecevabilité lors de recours visant à protéger l’environnement[21].

Malgré son manque de compétence explicite en ce qui concerne l’environnement, la Cour EDH a tout de même eu l’occasion de développer une jurisprudence environnementale. En effet, dans le cadre de causes relatives à la violation de droits expressément protégés, elle a été amenée à reconnaître des violations dans le cadre d’atteinte à des environnements précis. Par exemple, dans l’affaire Tătar c Roumanie, l’exploitation au cyanure de sodium d’une mine d’or avait pollué l’air et l’eau des alentours et provoqué un déversement d’eau polluée dans une rivière[22]. Cette situation a provoqué une augmentation significative du nombre de maladies respiratoires dans la région. Dans l’affaire Cordella et autres c Italie, la Cour a été appelée à discuter de la pollution de l’air[23]. Ces affaires sont de bons exemples du contexte limité dans lequel la Cour EDH peut se pencher sur une question environnementale[24].

Néanmoins, la jurisprudence environnementale de la Cour EDH s’articule non pas en lien avec la protection concrète de l’environnement, mais bien lorsque des atteintes environnementales mettent en cause d’autres droits. Cela permet à la Cour de se prononcer sur des enjeux environnementaux spécifiques sans que la question de son manque de compétence soit soulevée. Dans les affaires Tătar et Cordella, c’est le droit à la vie privée, prévu à l’article 8 de la Convention EDH, qui était en cause. Dans la mesure où les questions environnementales étaient intrinsèquement liées au droit de jouir de sa vie privée, la Cour demeurait compétente[25].

La Cour EDH agit donc dans le strict cadre de sa compétence, elle ne se prononce pas sur des questions purement environnementales. Les atteintes reconnues à l’environnement apparaissent comme des « ricochets » dans des affaires traitant des droits protégés par la Convention EDH[26]. L’affaire Cordella illustre bien ce constat : la Cour ne se prononce pas sur les questions environnementales ; elle se limite à prendre les conclusions des juridictions nationales pour ce qui concerne les circonstances, et ne juge que des questions liées à sa compétence[27]. La Cour EDH conclut donc parfois à une violation des dispositions de la Convention EDH pour des questions environnementales, mais uniquement en ce qu’elles ont porté atteinte aux droits individuels des requérants et le plus souvent, ceux garantis par l’article 8 de la Convention EDH. Dans ses décisions, la Cour EDH porte une importance certaine à la marge de manoeuvre qu’elle laisse aux États dans la régulation des situations sur leur territoire[28]. Cette marge de manoeuvre vient complexifier la reconnaissance des violations et amoindrit la possibilité de voir les atteintes à l’environnement jugées comme étant des violations à la Convention. En effet, afin d’emporter la compétence de la Cour EDH, les requérants doivent démontrer avoir subi un préjudice suffisant afin de considérer que l’État a dans son ingérence ou sa non-intervention dépassé la marge de manoeuvre dont il bénéficie. Conséquemment, la Cour EDH conclut parfois à la non-recevabilité d’affaires portant sur l’environnement en raison d’une absence de préjudice suffisant pour contester le cadre mis en place par l’État au bénéfice de la collectivité[29].

En somme, la question de la compétence des juridictions représente un obstacle à la défense de l’environnement. La Cour EDH affirme explicitement ne pas avoir pour mandat la protection de l’environnement et les juridictions états-uniennes concluent régulièrement ne pas être compétentes[30]. Tant devant la Cour EDH que devant les juridictions étatsuniennes, les décisions d’incompétences en matière de litiges environnementaux restent fréquentes[31]. Le manque de règle juridique invocable dont l’objet principal est la défense de l’environnement semble expliquer ce phénomène.

B. L’incompétence des tribunaux expliquée par le manque de dispositions juridiques ayant vocation à protéger l’environnement 

L’influence de la politique sur le manque de lois protégeant l’environnement est un phénomène mondial, ancien et bien documenté. Des considérations politiques, sociales et économiques poussent les gouvernements à être plus ou moins tolérants envers les diverses atteintes à l’environnement. Une plus grande tolérance, de manière corollaire, réduit le nombre de nouvelles législations protégeant ce dernier[32]. À cet effet, il est difficile pour les requérants de protéger l’environnement avec l’aide des tribunaux des États-Unis ou devant la Cour EDH. En effet, il existe peu de dispositions juridiques protégeant l’environnement. De plus, les quelques dispositions existantes sont souvent très spécifiques, ce qui ne permet pas aux requérants de protéger globalement l’environnement de manière satisfaisante[33].

Aux États-Unis, il existe certaines lois qui permettent aux organisations environnementales de poursuivre les différents gouvernements afin de forcer ceux-ci à protéger l’environnement. Ces lois concernent, entre autres, le processus d’évaluation d’impact environnemental des projets nécessitant des permis gouvernementaux. Elles peuvent être invoquées par les requérants dans le but de protéger l’environnement, en visant des projets n’étant pas compatibles avec les objectifs de réduction des GES en lien avec la lutte contre les changements climatiques. L’utilisation de ce type de loi dans des recours environnementaux est d’ailleurs chose courante depuis le début des années soixante-dix aux États-Unis[34]. Les litiges basés sur les responsabilités des administrations étatiques et fédérales portent généralement sur des projets d’exploitation de ressources naturelles, de construction de pipelines et de construction d’infrastructures de transport[35]. Dans ces affaires, les plaignants, généralement des organisations environnementales non gouvernementales, soutiennent que les administrations fédérales poursuivies n’ont pas bien pris en compte les impacts sur l’environnement lors de leurs analyses conduisant à l’octroi de permis[36].

Aux États-Unis, les cours fédérales et étatiques ont déterminé que les administrations doivent prendre en compte les changements climatiques dans leurs évaluations menées dans le cadre d’autorisations concernant l’exploitation d’énergies fossiles sur des terrains gouvernementaux. Les administrations doivent ainsi calculer les effets directs et indirects des projets en matière d’émissions des GES, baser leurs analyses sur la meilleure science disponible et considérer la nature changeante des connaissances scientifiques sur les changements climatiques[37]. De plus, les tribunaux ont déterminé que les agences devaient prendre en considération les émissions indirectes liées aux projets étudiés, les impacts du projet sur la consommation d’énergies fossiles ainsi que les coûts sociaux reliés aux émissions découlant des projets[38].

Ces résultats peuvent sembler prometteurs en matière de protection de l’environnement. Toutefois, l’environnement reste insuffisamment protégé par les obligations administratives des autorités états-uniennes[39]. En effet, la majorité des affaires de ce type jugées au fédéral se soldent par des décisions favorables aux autorités[40]. De plus, ces lois ne permettent pas aux requérants de poursuivre directement une compagnie privée. Cela limite donc le champ d’action judiciaire des défenseurs de l’environnement.

Le manque de normes juridiques états-uniennes concrètes pour protéger directement l’environnement dans sa globalité explique les nombreux échecs des requérants en matière de contentieux environnementaux. Cette lacune juridique découle entre autres du fait que les traités internationaux, lorsqu’ils sont ratifiés par Washington, sont très peu souvent cités et ne servent que rarement de fondement pour des poursuites, puisque les États-Unis ont un système mixte oscillant entre le monisme et le dualisme[41]. Par conséquent, les requérants sont limités dans leur utilisation de traités internationaux liés à ces enjeux pour appuyer leur argumentaire dans le cadre de contentieux environnementaux aux États-Unis.

L’aménagement complexe du système états-unien, ainsi que la lourde influence politique qui pèse sur les instances en charge de protéger l’environnement, sont également des facteurs à prendre en compte pour expliquer le manque de normes juridiques en environnement. La transformation de la protection de l’environnement en un enjeu partisan dans les années quatre-vingt-dix aurait exacerbé ce problème[42]. En effet, l’Environmental Protection Agency crée et applique les règlements mettant en oeuvre la législation environnementale, responsabilité déléguée par le Congrès. Ce dernier adopte une loi avec un objectif général en tête, par exemple, un air plus pur dans le pays comme pour le Clean Air Act[43]. Cette loi habilite officiellement l’EPA à publier des règlements sur ce que les entreprises doivent faire pour contribuer à l’assainissement de l’air. Ces règlements de l’EPA ont alors une force obligatoire, mais peuvent toujours être annulés par une loi du Congrès, car celui-ci a préséance en la matière. Le fait que le Congrès soit majoritairement républicain ou démocrate peut aussi entraîner des conséquences concrètes en matière d’environnement puisque les deux partis politiques entretiennent une vision différente vis-à-vis l’importance du sujet[44]. L’administration Obama, favorable à la protection de l’environnement, s’est ainsi vu bloquer la voie par un Congrès plus réticent[45]. La personne dirigeant l’EPA, nommée par le président des États-Unis, influence aussi le travail de l’EPA. Cela a pu être observé sous Reagan, lorsque celui-ci a nommé des agents hostiles à l’EPA à sa tête, mais également plus récemment lorsque Donald Trump a nommé un climatosceptique à la tête de l’agence : Scott Prutt[46]. Par conséquent, l’EPA a joué un rôle actif dans la suppression de normes environnementales pendant les quatre années de la dernière administration[47].

Cette problématique est récurrente, surtout sous des gouvernements républicains. En de rares occasions, les États fédérés ont réussi à poursuivre l’EPA pour la forcer à agir malgré son manque de volonté. Par exemple, en 2007, des États l’ont poursuivie dans l’affaire Massachusetts v EPA, au motif que cette dernière avait la responsabilité de réglementer les émissions de dioxyde de carbone, ce qu’elle refusait de faire en invoquant son manque de compétence. Certes, le Clean Air Act exige de l’EPA qu’elle établisse des normes nationales de qualité de l’air ambiant pour certains polluants communs et répandus sur la base des données scientifiques les plus récentes. Toutefois, le Clean Air Act, qui a été adopté en 1970, ne mentionne pas explicitement le dioxyde de carbone. La Cour a écarté l’argument de l’EPA et a statué que l’agence devait produire un rapport pour déterminer si le dioxyde de carbone et les autres gaz à effet de serre constituaient des polluants dangereux au sens du Clean Air Act, ou produire un meilleur argumentaire expliquant son refus de le faire[48].

De la même manière qu’aux États-Unis, il y a une carence normative concernant l’environnement au sein du système du Conseil de l’Europe. Cette dernière a d’ailleurs été explicitement constatée par la Cour EDH lors de l’affaire Kyrtatos c Grèce[49]. En effet, ni la Convention EDH en tant que telle ni aucun des protocoles additionnels ne contiennent de disposition ayant vocation à protéger directement l’environnement[50].

Pourtant, la protection de l’environnement préoccupe les pays membres du Conseil de l’Europe. Pour preuve, certaines conventions de protection de l’environnement ont été adoptées par le passé[51]. Cependant, elles n’entrent pas dans le champ de compétence de la Cour EDH, qui se limite à la Convention EDH et à ses protocoles, et elles ne possèdent pas non plus d’organe juridictionnel propre[52].

Depuis longtemps, la question de la protection de l’environnement et du droit à un environnement sain est un sujet à l’étude du Conseil de l’Europe. En 2003, l’Assemblée parlementaire adressait la Recommandation 1614 au Comité des ministres afin d’attirer son attention sur la nécessité de protéger l’environnement de manière à garantir l’exercice de certains droits de la personne[53]. À cette occasion, le Comité des ministres relevait que :

Although the European Convention on Human Rights does not expressly recognise a right to the protection of the environment, which, as pointed out by the CO-DBP Bureau, is an international concern that emerged after the coming into force of the Convention, the Committee of Ministers notes that the Convention system already indirectly contributes to the protection of the environment through existing Convention rights and their interpretation in the case-law of the European Court of Human Rights. For the reasons indicated by the CDDH, it does not consider it appropriate to draft an additional protocol to the Convention or a recommendation in this field at this stage[54].

En 2010, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe proposait « l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à un environnement sain »[55]. Le Comité directeur de la culture, du patrimoine et du paysage (CDCPP) affirmait voir « que des avantages à l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme qui reconnaisse le droit à un environnement sain et viable »[56]. Le Comité des hauts fonctionnaires de la Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables de l’aménagement du territoire (CEMAT) s’était également dit favorable à l’élaboration d’un tel protocole[57]. Pourtant, à ce jour, aucun protocole additionnel ayant pour objet la protection de l’environnement n’a été ajouté aux dispositions de la Convention EDH.

Ainsi, malgré les tentatives de certains organes du Conseil de l’Europe et la reconnaissance explicite des lacunes de la Convention EDH en matière environnementale, cette dernière souffre encore aujourd’hui du manque de dispositions juridiques permettant de protéger directement l’environnement.

Néanmoins, le 7 septembre 2020, six ressortissants portugais ont introduit une requête devant la Cour EDH afin d’engager la responsabilité de trente-trois États membres du Conseil de l’Europe relativement à leurs émissions de gaz à effet de serre et des conséquences de ces émissions[58]. La Cour EDH doit désormais se prononcer sur sa recevabilité. Si la Cour EDH venait à donner raison aux requérants, ces derniers auraient réussi à contourner le manque de dispositions juridiques invocables devant la Cour EDH en matière d’environnement.

Cette affaire est atypique à plusieurs titres. D’abord, les requérants souhaitent engager la responsabilité de trente-trois États membres à la fois et non un seul. Or, afin d’engager la responsabilité d’un État devant la Cour EDH, il est nécessaire que ce dernier ait directement causé un préjudice au requérant. Ensuite, afin d’engager la responsabilité de ces États, les requérants leur reprochent le non-respect de « leurs obligations positives en vertu des articles 2 et 8 de la Convention, lus à la lumière des engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 »[59]. La base légale du recours est également ambitieuse puisque les requérants souhaitent invoquer l’Accord de Paris en tant qu’appui principal à leur requête. Pourtant, la Cour EDH n’a pas vocation à vérifier le respect d’autres obligations internationales que celles contractées dans le cadre de la Convention EDH. Finalement les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes, contrairement à ce qui est prévu à l’article 35 de la Convention EDH[60]. Ils justifient la nécessité de recourir directement à la Cour EDH par « l’urgence absolue pour agir en faveur du climat » et ajoutent « que des actions en justice ont déjà été menées par des tiers dans plusieurs États membres à cause de l’omission de se conformer aux obligations contraignantes de réduction des émissions globales »[61].

Cette affaire est une tentative particulièrement ambitieuse, car elle sort totalement du cadre classique des recours devant la Cour EDH. Le caractère atypique de cette requête risque de causer son échec. Dans le cas contraire, il s’agirait d’un changement de paradigme dans l’histoire de la jurisprudence environnementale de la Cour EDH[62]. Dans tous les cas, cette affaire, relayée par différentes ONG de protection de l’environnement et surveillée par une partie de la société civile, servira d’alerte quant à l’urgence de la situation climatique et à la nécessité de réformer nos systèmes juridiques afin de protéger l’environnement[63].

En définitive, que ce soit devant la Cour EDH ou les tribunaux états-uniens, les requérants se butent trop souvent à un manque de dispositions juridiques leur permettant d’invoquer avec succès le défaut d’agir des États. Néanmoins, ils arrivent à trouver des solutions en faisant preuve de ce qui est désigné dans cet article d’« ingénierie judiciaire ».

II. Face à l’échec des recours, les requérants font preuve d’ingénierie judiciaire et invoquent des règles juridiques dont la vocation initiale n’était pas la protection de l’environnement 

Pour faire face au cadre normatif déficient, les requérants se tournent vers des méthodes inventives (A). Ce phénomène n’est pas récent. En effet, le droit de l’environnement des États-Unis aurait même pris naissance dans les années 1960-1970 lorsque des avocats auraient eu recours à des lois ne visant pas l’environnement afin de le protéger[64]. Bien que ces méthodes permettent, dans certains cas, d’atteindre l’objectif prévu, elles sont assorties de limites importantes (B).

A. L’ingénierie judiciaire comme tentative pour pallier l’insuffisante protection de l’environnement

Devant le manque de dispositions permettant aux requérants de saisir les tribunaux pour réagir à l’absence ou à l’insuffisance d’actes étatiques visant à prévenir les changements climatiques, les requérants doivent faire preuve d’ingénierie judiciaire. Si une stratégie est d’employer les lois environnementales les plus anciennes afin de tenter d’élargir leur application, une autre tactique est d’employer des lois n’ayant pas de lien apparent avec l’environnement pour tenter de protéger celui-ci[65]. C’est cette méthode consistant en l’invocation de normes qui n’ont a priori pas de rapport direct avec la protection de l’environnement, et ce, dans l’objectif de remporter des affaires portant sur la protection de l’environnement, qui est désigné dans cet article par l’expression « d’ingénierie judiciaire ». L’ingénierie désignant dans cette expression l’ingéniosité dont font preuve les requérants afin de faire avancer la cause qu’ils défendent tout en utilisant des moyens détournés, et ce, dans le cadre de procédures judiciaires. L’affaire Indigenous Environmental Network c Trump illustre bien ce constat[66]. Dans cette affaire, les organismes en cause cherchaient à faire révoquer le permis présidentiel émis en 2019 autorisant la construction du pipeline Keystone XL[67]. Selon les requérants, le permis avait été délivré de manière irrégulière : il était contraire à la Property Clause dans la mesure où il autorisait une construction sur des terrains publics administrés par le Bureau of Land Management et à la Commerce Clause, outrepassant la compétence du Congrès en matière de commerce étranger et interétatique[68]. Bien que les requérants aient été déboutés de leur requête et que leur appel soit suspendu en raison de l’annulation du permis de 2019 par le nouveau président Biden le 20 janvier 2021, cette affaire illustre parfaitement comment des lois ne concernant pas directement l’environnement peuvent être utilisées afin de le protéger[69].

Aux États-Unis, deux arguments sont régulièrement invoqués pour pallier le manque de clauses précises en matière de protection de l’environnement. Le premier s’appuie sur des questions de nuisance publique. Le second repose sur des questions relatives aux lois des sociétés et aux lois des valeurs boursières.

Le premier argument développé par les collectivités fait appel à l’argument de nuisance publique. Essentiellement, les requérants insistent sur le lien entre les activités des compagnies pétrolières et les changements climatiques. Puisque les collectivités ne peuvent poursuivre les compagnies pétrolières directement pour dommages à l’environnement et contribution aux changements climatiques, les collectivités invoquent les dommages que subissent, ou que subiront, les villes en raison des changements climatiques.

Dans les dernières années, le développement de la science climatique a permis d’établir un lien entre les activités des compagnies pétrolières et les changements climatiques. Les études scientifiques ont déterminé que les grandes compagnies pétrolières font partie des plus grands émetteurs de GES au monde et sont responsables de la majorité des émissions de GES émises depuis le début de l’ère industrielle[70]. Ces données scientifiques établissent un lien de causalité entre les activités des grandes compagnies pétrolières et les changements climatiques, aggravés par les émissions massives de GES[71]. Ces changements climatiques affectent par la suite les villes et celles-ci doivent débourser des sommes importantes afin de s’adapter. En s’appuyant sur ces études, les requérants reprochent aux compagnies pétrolières d’être responsables d’une proportion importante des dommages que subissent ou que subiront les villes. Suivant cette logique, les compagnies pétrolières devraient donc dédommager les villes.

Par exemple, dans l’affaire City of Oakland c BP, les villes d’Oakland et de San Francisco ont poursuivi cinq compagnies pétrolières au motif que les activités de production et de promotion des énergies fossiles de ces compagnies avaient contribué à la montée du niveau de la mer, provoquant des inondations côtières, l’érosion des côtes, des complications pour les systèmes de traitement des eaux des villes, et bien d’autres préjudices. Les compagnies pétrolières contribuaient de ce fait à la nuisance publique, et ce, en allant à l’encontre du cadre législatif californien. Les villes souhaitaient donc obliger les compagnies pétrolières à financer un fonds d’adaptation aux changements climatiques pour la ville d’Oakland afin de permettre l’érection de murs marins de protection, l’élévation de certaines propriétés et la construction d’infrastructures d’adaptation pour la ville de San Francisco. Les compagnies pétrolières ont tenté de renvoyer l’affaire aux cours fédérales. Cette demande a été rejetée par la Cour d’appel du 9e district, considérant qu’aucune question fédérale n’était soulevée de manière substantielle et que le Clean Air Act ne supplantait pas les revendications des deux villes[72]. Cette affaire, toujours en cours, est représentative des stratégies employées par les collectivités.

De manière générale, les demandeurs tentent de baser leurs arguments de nuisance publique sur des lois étatiques. Ce faisant, les demandeurs visent à éviter que les affaires tombent sous la juridiction de lois fédérales[73]. Les arguments reposant sur des lois étatiques incluent, entre autres, des revendications entourant la nuisance publique, la nuisance privée, la négligence, l’intrusion, l’enrichissement injuste, la conspiration civile, la fausse représentation et la violation des lois sur la protection du consommateur étatiques[74]. Les affaires Native village of Kivalina c ExxonMobil et City of New York c BP, qui s’appuyaient sur des arguments de common law fédérale, n’ont pas pu aboutir[75]. Contrairement aux exemples précédents, plusieurs affaires, basées sur des arguments de common law appliquée au niveau des États, n’ont pas été supplantées par des lois fédérales, malgré les efforts des défendeurs[76]. À ce jour, ces quatre affaires sont toujours en cours d’instance, et d’autres villes et États états-uniens ont intenté des poursuites similaires[77].

Le second type de stratégie se base sur des revendications concernant les droits des investisseurs. En vertu de la loi états-unienne, les compagnies ne peuvent fausser l’information disponible au sujet de leurs titres financiers[78]. Dans People c ExxonMobil, les demandeurs ont tenté de démontrer que les compagnies pétrolières visées n’avaient pas rempli cette obligation. En effet, selon les demandeurs, les compagnies n’auraient pas fourni les informations exactes concernant leurs calculs financiers, puisque les risques associés aux changements climatiques auraient dû être pris en compte[79]. Les demandeurs n’ayant pas réussi à fournir la preuve qu’ExxonMobil avait bel et bien commis une fraude, ils ont été déboutés de leur requête.

Cette affaire n’a toutefois pas signé la fin de ce genre de contentieux climatique. En effet, la quantité de contentieux climatiques états-uniens fondés sur des lois des sociétés et des valeurs boursières est en forte hausse depuis 2016[80]. En mai 2020, l’affaire Massachusetts v Exxon Mobil Corporation a d’ailleurs repris une stratégie similaire à la différence que l’État du Massachusetts a basé ses revendications sur des lois étatiques. Les demandeurs ont évité de voir l’affaire déplacée au fédéral et l’affaire n’a toujours pas reçu de jugement de fond[81].

Ce type de contentieux risque de se développer encore plus dans les prochaines années, notamment en mettant l’accent sur le rôle et les responsabilités des dirigeants d’entreprises[82]. Les lois entourant les fonds de pension sont également utilisées dans de nouveaux contentieux environnementaux. Dans au moins deux affaires, des fonds de pension ou des participants à des fonds de pension ont accusé des compagnies pétrolières d’avoir menti aux investisseurs en ne donnant pas les informations exactes sur les risques associés aux changements climatiques[83].

Concernant le cas de l’Europe, il pourrait être envisageable que le droit à la vie, garanti par l’article 2 de la Convention EDH, semble se lier avec la protection de l’environnement ; certaines atteintes à l’environnement, surtout localisées, peuvent en effet avoir des impacts sur la santé des individus et potentiellement menacer leur vie[84]. Or, ce droit n’est pas celui que les requérants invoquent quand la question de l’environnement ou d’un environnement spécifique est en jeu.

Par exemple, dans l’affaire Brincat and others c Malta, une exposition à l’amiante avait causé la mort d’une personne et en avait affecté d’autres, mais la Cour n’a pas conclu que le droit à la vie était nécessairement en cause pour les gens affectés[85]. En fait, si elle a conclu que le droit à la vie avait bien été violé, ce n’était qu’en faveur des héritiers de la personne décédée. Pour les autres, toujours en vie et sans lien avec la personne décédée, la Cour a plutôt conclu à une violation du droit à la vie privée[86]. Dès lors, dans une très grande majorité d’affaires ayant un impact sur l’environnement, c’est le droit à la vie privée qui est invoqué. Dans l’affaire Dubetska and others v Ukraine, l’État avait laissé une mine polluer l’air, l’eau et le sol d’une zone habitable[87]. Considérant l’impact sur la vie des citoyens, la Cour avait conclu à une atteinte à la vie privée et incidemment à l’environnement avoisinant. L’article 8 de la Convention EDH peut donc indirectement servir à forcer la reconnaissance de l’impact de l’être humain sur l’environnement, malgré l’absence de mention à ce sujet dans son libellé. Il s’agit d’une forme d’ingénierie judiciaire.

B. Le recours à des solutions relevant de l’ingénierie judiciaire : des victoires ponctuelles aux limites considérables

Les solutions inventives utilisées devant la Cour européenne des droits de l’Homme et les tribunaux des États-Unis connaissent certaines limites qui viennent grandement diminuer l’impact des jugements des tribunaux.

La première limite est temporelle : la Cour EDH ne peut être saisie qu’en dernier recours[88]. Dès lors, les jugements sont généralement rendus des années après la survenance des faits. Dans le cas d’un environnement local pollué, comme il est souvent question devant la Cour EDH, cela s’avère évidemment un problème majeur, puisque la temporalité ne permet pas à la Cour de faire cesser rapidement la pollution. Aux États-Unis, les compagnies poursuivies devant les tribunaux américains n’hésitent pas à multiplier les procédures, ce qui a nécessairement pour effet de retarder le jugement. Cela est bien souvent à leur avantage puisque pendant toute la durée de la procédure juridique, les compagnies n’ont pas à changer leur comportement et peuvent donc continuer leurs activités potentiellement polluantes.

Une autre limite est le fait que les argumentaires des requérants ne se basent pas sur des dispositions protégeant l’environnement, la Cour EDH et les cours aux États-Unis ne développent pas une réelle jurisprudence environnementale. Dès lors, la décision qui en découle ne permet pas de créer une protection globale de l’environnement[89]. Puisque les décisions concernent les requérants ayant personnellement subi un préjudice découlant de cette pollution, la Cour EDH ne reconnaît jamais l’existence d’un préjudice causé à l’environnement[90]. D’ailleurs, les requérants ne cherchent pas à protéger l’environnement en soi ; leur but se réduit souvent à pallier un problème les affectant.

Découlant aussi de l’absence de disposition concernant la protection de l’environnement dans le système du Conseil de l’Europe, l’environnement et sa protection deviennent secondaires dans les affaires menées devant la Cour EDH. Les décisions de la Cour, quand elles sont favorables aux requérants, impliquent des indemnisations limitées au cadre de la vie privée.

Les tribunaux états-uniens ont, quant à eux, de la difficulté à considérer les questions environnementales comme relevant de leur compétence. En effet, les tribunaux jugent fréquemment ces questions comme trop politiques. Par conséquent, sans nier la pertinence de l’affaire, ils refusent de juger et retournent cette responsabilité vers des instances politiques comme le Congrès. Les questions de procédure contribuent également à limiter l’impact des recours environnementaux aux États-Unis. En effet, les affaires sont très souvent renvoyées vers le palier fédéral du gouvernement où le taux d’échec est encore plus élevé pour les requérants. Certaines études ont même démontré que dans le cas des procédures en lien avec le National Environmental Policy Act, relevant du fédéral, plus de 54 % des verdicts finaux étaient rendus en faveur du gouvernement[91].

Enfin, concrètement, il y a le problème de l’attribution des responsabilités relatives aux changements climatiques tant aux États-Unis qu’en Europe. Pour plusieurs systèmes juridiques, la prévisibilité d’un dommage est la clef permettant d’établir la responsabilité des autorités publiques et des personnes privées[92]. Les méthodes scientifiques peinent encore à ce jour à établir des liens de causalité clairs et à mettre en lumière la part des responsabilités des entreprises afin que ces éléments soient réutilisables par les tribunaux. Il existe cependant des études, comme celles de Richard Heede, qui attribuent les émissions de GES à certains acteurs importants[93]. Ces études et les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat sont d’ailleurs utilisés dans certains recours climatiques[94]. Les données scientifiques établissant un lien entre l’action humaine et les évènements climatiques extrêmes sont de plus en plus nombreuses[95]. Ces données permettent aux scientifiques de déterminer que les risques liés aux évènements climatiques extrêmes vont augmenter dans le futur[96]. Toutefois, il reste difficile de se prononcer sur la proportion de responsabilités attribuables à une personne, privée ou morale, spécifique.

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Il n’est pas nouveau de démontrer que les recours judiciaires s’avèrent souvent inefficaces lorsqu’il est question de protéger l’environnement. Cette inefficacité s’explique par le manque de dispositions juridiques ayant vocation à protéger l’environnement de manière globale. Cet article en fait la démonstration sous l’angle d’analyse des deux ordres juridiques étudiés, où les dispositions protégeant l’environnement n’ont que des vocations très spécifiques. Ainsi, les requérants cherchant à améliorer la protection de l’environnement, tout en basant leurs argumentaires sur les preuves scientifiques de l’urgence de la crise climatique, se voient régulièrement déboutés.

Il a été démontré à maintes reprises qu’en dépit des évolutions récentes, et notamment de différents traités internationaux conclus en la matière depuis la seconde moitié du 20e siècle, l’environnement ne dispose toujours pas d’une protection juridique efficace. Sa protection est trop sectorisée[97]. Pourtant, lutter contre les changements climatiques et protéger l’environnement ou la biodiversité nécessitent une lutte généralisée et intégrée puisque chacun de ces phénomènes est la conséquence de mécanismes globaux.

Cependant, il existe des victoires telles que « l’Affaire du Siècle » en France dans laquelle le tribunal administratif de Paris a condamné le gouvernement français pour non-respect des objectifs de réduction des GES qu’il s’était lui-même fixé[98]. Aussi, le 20 décembre 2019, dans l’affaire Urgenda[99], la Cour suprême néerlandaise a rendu une décision, affirmant que les objectifs de réduction des émissions de carbone de l’État étaient trop bas par rapport à la Constitution des Pays-Bas et aux objectifs fixés par les ententes internationales dans lesquelles l’État néerlandais avait engagé sa responsabilité[100]. De plus, le nombre croissant de recours judiciaires contribuent à médiatiser ce sujet et ses enjeux, ce qui participe à placer la question environnementale au coeur de l’actualité[101].

En définitive, des évolutions sont encore nécessaires afin d’atteindre une protection effective. La consécration juridique de la protection de l’environnement dans sa globalité, en sortant de la sectorisation juridique et en s’appuyant sur des droits de la personne préexistants, pourrait être une solution. En effet, certains droits de la personne comme le droit à la vie, l’égalité entre les individus et les générations, le droit à la non-discrimination, le droit à la vie privée, et bien d’autres, pourraient servir de motivation pour promouvoir un droit environnemental plus ambitieux.