Abstracts
Résumé
S’appuyant sur une assimilation du droit international à un discours que les acteurs du champ juridique international utilisent pour justifier ou critiquer leurs positions respectives, cette étude se déploie en deux temps. Tout d’abord, on montre que l’interprétation extensive de la légitime défense avancée par la Russie, si elle n’est pas novatrice dans son principe, a, comme lors des précédents auxquels elle fait écho, été rejetée par la communauté internationale des États dans son ensemble. Ensuite, on souligne que, dans ce contexte, le droit dit de la « neutralité », forgé à la fin du 19e siècle, prend un sens particulier au regard de la Charte des Nations Unies. Dans un système où le recours à la force est à la fois strictement prohibé sur le fond et encadré par des organes de sécurité collective sur le plan procédural, les États tiers au conflit ont le droit d’assister l’Ukraine dans sa défense contre l’agression russe. Cela ne signifie pas que le principe de neutralité n’ait plus aucune portée. Outre qu’il caractérise encore le jus in bello, il trouve des déclinaisons en jus contra bellum, que ce soit pour caractériser l’usage de la force dans le cadre d’une guerre civile ou pour qualifier les missions d’opérations de maintien de la paix.
Abstract
Based on the assimilation of international law to a discourse that actors in the international juridical field use to justify or criticize their respective positions, this study is divided into two parts. Firstly, it is shown that the expansionist interpretation of self-defense put forward by Russia, while not innovative, has, as in the precedents to which it echoes, been rejected by the international community of States as a whole. Secondly, it should be emphasised that, in this context, the law of "neutrality", forged at the end of the 19th century, takes on a particular meaning in relation to the United Nations Charter. In a system in which the use of force is both strictly prohibited in terms of substance and regulated by collective security bodies in terms of procedure, States that are not part of the conflict have the right to assist Ukraine in defending itself against Russian aggression. This does not mean that the principle of neutrality no longer has any scope. In addition to the fact that it still characterizes jus in bello, it finds declinations in jus contra bellum, whether to characterize the use of force in a civil war or to qualify the missions of peacekeeping operations.
Resumen
A partir de una asimilación del derecho internacional a un discurso que los actores del campo jurídico internacional utilizan para justificar o criticar sus respectivas posiciones, este estudio se desarrolla en dos etapas. En primer lugar, se demuestra que la interpretación amplia de la legítima defensa propuesta por Rusia, si bien en principio no es innovadora, ha sido rechazada como ocurre con los precedentes de los que se hace eco por la comunidad internacional de Estados en su conjunto. Luego, se destaca que, en este contexto, la llamada ley de “neutralidad”, forjada a finales del siglo XIX, adquiere un significado particular en relación con la Carta de las Naciones Unidas. En un sistema en el que el uso de la fuerza está estrictamente prohibido en cuanto al fondo y supervisado por órganos de seguridad colectiva a nivel procesal, los terceros Estados en conflicto tienen derecho a ayudar a Ucrania en su defensa contra la agresión rusa. Esto no significa que el principio de neutralidad ya no tenga importancia. Además de que todavía caracteriza el ius in bello, encuentra declinaciones en el ius contra bellum, ya sea para caracterizar el uso de la fuerza en una guerra civil o para calificar las misiones de las operaciones de mantenimiento de la paz.
Article body
Dans son discours du 24 février 2022, jour du déclenchement de l’« opération militaire spéciale » en Ukraine, le président Poutine ne s’est pas contenté de formuler une argumentation strictement juridique qui, comme on le constatera, se fonde principalement sur la légitime défense basée sur l’article 51 de la Charte des Nations Unies (Charte). Il a aussi engagé une critique plus large sur le statut même du droit international dans l’ordre politique qui s’est imposé après la fin de la guerre froide :
Ce que je dis maintenant ne concerne pas seulement la Russie, et nous ne sommes pas les seuls à nous inquiéter de cette situation. Cela concerne l’ensemble du système des relations internationales, et même dans certains cas les alliés des États-Unis. La chute de l’URSS a, de fait, rebattu les cartes à l’échelle mondiale, et les normes du droit international en vigueur jusqu’alors – y compris les plus importantes d’entre elles, à savoir les normes fondamentales qui avaient été adoptées après la Seconde Guerre mondiale et qui en avaient largement formalisé l’issue – [ont été atteintes]. Il ne faut pas aller bien loin pour trouver des exemples. Tout d’abord, une opération militaire sanglante a été menée contre Belgrade sans l’aval du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, et l’aviation et les missiles ont frappé́ en plein coeur de l’Europe […] Puis est venu le tour de l’Irak, de la Libye, de la Syrie […]. D’une manière générale, il semble que partout ou presque, dans de nombreuses régions du monde, là où l’Occident vient faire régner son ordre, celui-ci laisse des plaies sanglantes et béantes, gangrénées par le terrorisme international et l’extrémisme. Ce ne sont là que les exemples les plus flagrants – mais en aucun cas les seuls – du non-respect du droit international[1].
Même si cette présentation des choses n’a, et c’est un euphémisme, guère séduit au-delà de la sphère de ses alliés les plus proches, il est sans doute un point, et un seul, sur lequel le discours de Vladimir Poutine semble avoir convaincu : c’est précisément la menace que subirait actuellement l’ordre juridique international. L’Ukraine a ainsi dénoncé non seulement une agression russe, mais aussi « une nouvelle tentative de détruire un ordre de droit basé sur la Charte des Nations Unies »[2], tandis que d’autres États affirmaient que l’opération en « sapait » les bases mêmes[3]. La doctrine majoritaire s’est également prononcée en ce sens. L’International Law Association a estimé que la « stabilité de l’ordre juridique international » était menacée[4]; la Société belge de droit international a dénoncé une « flagrante mise en cause des fondations mêmes sur lesquelles les Nations Unies ont été édifiées après les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale »[5] tandis que la Société française pour le droit international a déploré une violation des « principes les plus élémentaires de la Charte des Nations Unies »[6].
L’objet de la présente contribution est d’envisager la question de la licéité, en l’espèce, de l’intervention militaire russe en la mettant en lien avec les évolutions possibles de l’ordre juridique international. À cet égard, une précision d’ordre méthodologique s’impose d’emblée.
Nous ne nous inscrirons pas dans une perspective dite « réaliste » des relations internationales, selon laquelle la fréquence et la gravité des violations d’une norme aussi fondamentale que l’interdiction de l’agression seraient le meilleur signe de l’inexistence même du droit international[7].
Notre point de vue s’appuie plutôt sur une assimilation du droit international à un discours que les acteurs du champ juridique international utilisent pour justifier ou critiquer leurs positions respectives[8], ce que la guerre en Ukraine démontre une nouvelle fois. En ce sens, il est remarquable que le président Poutine, loin de mettre en cause le droit international, se présente comme son plus fervent défenseur. Bien sûr, on peut y voir une posture opportuniste, hypocrite, voire cynique, la déférence au droit se ramenant au « plus grand hommage que le vice rend à la vertu ». Mais, comme il ressort de l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) sur les Activités militaires[9], la dissociation des actes et des paroles est peut-être la seule manière de ramener le droit international à une certaine réalité. La question devient alors de savoir quelles sont les justifications qui sont avancées et quelles sont les réactions qu’elles ont suscitées, avec une possible évolution informelle en cas d’acceptation, même implicite, de nouvelles interprétations voire de nouveaux principes juridiques[10].
C’est en s’appuyant sur cette grille de lecture que le raisonnement se déploiera en deux temps. Tout d’abord, on se concentrera sur le droit de légitime défense comme argument essentiel avancé par la Russie. Nous nous demanderons dans quelle mesure ce précédent peut, mis en lien avec d’autres dans lesquels une conception élargie de la légitime défense aurait déjà été invoquée, être utile pour déterminer quelle a été la réaction de la « communauté internationale des États dans son ensemble », seule à même de faire évoluer le droit international[11]. Ensuite, on se penchera sur le problème incident de la réaction des États tiers au conflit. Dès le 24 février, Vladimir Poutine s’adressait « à ceux qui pourraient être tentés d’intervenir de l’extérieur dans les événements actuels. Quiconque essaiera de nous arrêter, et à plus forte raison de menacer notre pays et notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et entraînera pour lui des conséquences sans commune mesure dans son histoire »[12]. Est ainsi posée, en des termes certes peu juridiques, la question traditionnelle des droits et devoirs des États dits « neutres » face à un conflit armé. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, il s’agira plus spécifiquement de se demander ce qu’il reste aujourd’hui du droit dit « de la neutralité », conçu bien avant l’élaboration de la Charte des Nations Unies et de l’édification d’une interdiction stricte et impérative du recours à la force.
I. Quel droit de légitime défense après son invocation par la Russie?
Comme on l’a signalé d’emblée, c’est le jour même du déclenchement de son opération que la Russie a officiellement envoyé une lettre au Conseil de sécurité en se référant à l’article 51 de la Charte. Dans la mesure où ce dernier indique précisément que « les mesures prises par des membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité »[13], le comportement russe apparaît, au moins sur le plan procédural, comme une application parfaitement orthodoxe de l’article 51 de la Charte des Nations Unies.
On ne peut, et c’est un euphémisme, pas en dire autant si l’on envisage l’argument sur un plan plus substantiel. Même si elle n’est pas si aisée à interpréter – ce qui est en grande partie dû au fait que le représentant russe se contente de renvoyer au discours, à portée principalement politique, de son président – la justification de la Russie semble comprendre deux volets[14]. D’abord, et comme on l’aura sans doute déjà compris en prenant connaissance des extraits reproduits plus haut, il s’agirait d’une légitime défense individuelle, visant à défendre la Russie contre la menace qui pèserait sur elle à partir de l’Ouest. Ensuite, et de manière complémentaire, le déclenchement de l’« opération militaire spéciale » serait en même temps justifié en tant qu’acte de légitime défense collective, visant à protéger les « Républiques de Donetsk et de Luhansk », du moins avant que celles-ci n’aient été annexées par la Russie, le 30 septembre 2022[15].
En suivant ce raisonnement, la Russie n’aurait fait qu’aider ces prétendus États à repousser l’agression d’un troisième, c’est-à-dire l’Ukraine. Ces deux volets seront analysés successivement. Pour chacun d’entre eux, l’objectif sera à la fois de s’interroger sur le caractère exceptionnel (ou au contraire relativement commun) de l’argument russe, et de déterminer s’il est en mesure de susciter une évolution du droit international dans le sens d’un assouplissement de la notion de légitime défense.
A. Une légitime défense individuelle de type préventif
Selon les représentants de la Russie, l’« opération militaire spéciale » en Ukraine « relève de l’autodéfense contre les menaces qui pèsent sur nous »[16]. Cette menace proviendrait d’abord de la « nazification » du régime ukrainien, qui aurait mené à un « génocide » dans la région du Donbass, y compris contre des citoyens russes, ainsi que de la
militarisation des territoires limitrophes de notre pays [qui] si nous laissons faire, se poursuivra pendant des décennies, peut-être indéfiniment, et constituera une menace toujours plus grande et totalement inacceptable pour la Russie[17].
Elle résulterait aussi, plus largement, de l’expansionnisme de l’OTAN, qui se traduirait par des « menaces existentielles que des politiciens occidentaux irresponsables cré[ent] pour notre pays, année après année, étape par étape, avec une brutalité désinvolte »[18]. Se référant à la Seconde Guerre mondiale, le président Poutine regrette que l’Union soviétique ait attendu si longtemps avant d’agir alors que la menace était « imminente »[19]. C’est en tirant la leçon de ce précédent historique qu’aurait été décidée une action préventive en Ukraine.
Au-delà des spécificités terminologiques et stylistiques propres au président russe, une telle rhétorique manque, à l’analyse, de toute originalité. La transformation des ministères de la Guerre en ministères de la Défense n’a fait que symboliser, depuis le début du 20e siècle, le fait que les États qui utilisent la force prétendent généralement ne faire que se défendre.
Les exemples suivants, tirés de l’histoire contemporaine des relations entre les États, démontrent comment la posture susmentionnée peut se traduire par une lecture élargie de la légitime « défense » qui, en dépit de l’oxymore que traduit l’expression, est présentée comme « préventive » :
1. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les puissances de l’Axe avaient une telle compréhension des relations entre les États, et ce, à plus d’une occasion. Dans le mémorandum envoyé à la Belgique et aux Pays-Bas, en mai 1940, l’Allemagne justifiait son invasion de leurs territoires par une « long prepared and now imminent attack against the Ruhr district through Holland and Belgium »[20]. Près d’une année plus tard, le Japon détruisait la flotte aérienne des États-Unis à Pearl Harbour en se prévalant de sa légitime défense, les avions détruits l’étant avant qu’ils n’attaquent eux-mêmes le territoire japonais[21].
2. Israël s’est prévalu d’une légitime défense préventive à plusieurs reprises. Lors de la guerre des Six Jours de 1967, l’un des arguments ayant justifié le bombardement des forces égyptiennes renvoyait au discours belliqueux du président Nasser qui laissait présager du lancement d’une opération militaire massive contre l’État israélien[22]. Quelques années plus tard, en 1981, les autorités israéliennes ont plus précisément développé l’argument juridique de la légitime défense préventive pour justifier la destruction du réacteur nucléaire d’Osirak, en territoire irakien[23]. Selon Israël, une menace (même lointaine) de subir une attaque nucléaire justifierait une action militaire préventive au nom de la légitime défense.
3. Les États-Unis ont repris et relayé la notion de « guerre préventive » à quelques occasions. Le précédent le plus connu est celui de la guerre déclenchée en 2003 au nom d’une autorisation implicite déduite de résolutions du Conseil de sécurité imposant le désarmement de l’Irak, mais aussi sur la base de la menace que feraient peser sur le pays les « armes de destruction massive » mises en place par un régime de Saddam Hussein secrètement allié à des groupes terroristes[24]. Plus d’une décennie plus tard, l’administration Obama reprenait un raisonnement similaire : en se prévalant d’une légitime défense individuelle, les États-Unis justifiaient leurs actions militaires contre l’État islamique en Syrie sur la base de la « menace » que représentait ce groupe terroriste[25]. Parallèlement, les autorités britanniques lançaient une opération contre des djihadistes en Syrie en raison de l’« attaque imminente » qu’ils prépareraient[26].
Les exemples susmentionnés renvoient évidemment à des situations très différentes. Il ne saurait être question de les assimiler purement et simplement. En même temps, lesdits exemples semblent révéler une même ligne juridique d’argumentation : en certaines circonstances au moins, il pourrait être justifié de déclencher une opération de « légitime défense » pour prévenir une attaque future, le cas échéant « imminente ». De ce point de vue, l’argumentation russe s’inscrit dans la lignée d’une série de précédents de sorte qu’on peut se demander si, au-delà des critiques d’ordre factuel qui lui sont adressées (il n’existerait pas de menace réelle contre Moscou), elle ne confirmerait pas une certaine interprétation recevable en droit, et donc sur le principe. Une telle hypothèse s’avère, toutefois, difficilement tenable. Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler les réactions qu’ont suscitées les références à la « légitime défense préventive », dans le cadre de la crise ukrainienne comme dans un passé plus lointain.
Les précédents des puissances de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale sont particulièrement instructifs à cet égard, puisqu’ils ont mené à la rédaction des dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies. C’est en ayant ces événements à l’esprit que les délégations, y compris celle des États-Unis, ont tenu à exclure toute possibilité de se fonder sur une simple menace pour justifier un recours à la force[27]. Le texte de l’article 51 est clair : la légitime défense n’est admise que « dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée »[28]. Une menace, quelle qu’en soit l’intensité, ne suffit pas. La « menace menace » est, certes, interdite dans les relations internationales par le paragraphe 4 de 2 de la Charte, et elle donne compétence au Conseil de sécurité pour prendre toutes les mesures qu’il jugera nécessaires[29], mais elle n’est pas pour autant assimilable à une « agression armée » qui, seule, ouvre la voie à une riposte unilatérale. L’agression est, selon la CIJ, une des « formes les plus graves de l’emploi de la force »[30] d’un État contre un autre État, et non la menace, comme les États l’ont rappelé dans la définition adoptée en 1974 et reprise ensuite pour définir le crime d’agression, au sens du Statut de la Cour pénale internationale[31].
Un tel schéma est loin d’avoir été remis en cause par les autres précédents mentionnés plus haut. Les États n’ont pas consacré l’argument israélien en 1967[32], et l’ont clairement rejeté en 1981[33]; ils ont très fermement condamné la doctrine de la « guerre préventive» de l’administration Bush en 2003[34], et n’ont pas relayé l’interprétation extensive proposée par l’administration Obama et les autorités britanniques en Syrie après 2015[35]. Dans ce dernier cas, la plupart des États intervenants ont préféré s’appuyer sur la légitime défense en riposte à des actions violentes effectivement menées soit sur leur territoire (comme la France[36]) soit contre l’Irak[37]. En tout état de cause, il serait excessif de considérer que ces arguments ont été acceptés à l’échelle universelle.
Toutefois, on l’aura compris, la position russe apparaît pour le moins paradoxale puisque, tout en critiquant les États-Unis pour leur guerre préventive en Irak, elle reprend le même argument pour le transposer à l’Ukraine. Ici encore, ce qui importe est toutefois moins l’argumentation juridique de l’État intervenant que les réactions qu’elle a suscitées. Et, dans le cas de la guerre en Ukraine, le rejet a été particulièrement massif. Après que le Conseil de sécurité ait été bloqué par l’usage du veto de la Russie[38], l’Assemblée générale a adopté, le 2 mars 2022, une résolution intitulée Agression contre l’Ukraine. L’Assemblée, par une majorité de 141 voix contre cinq voix et trente-cinq abstentions, a « [d]éplor[é] dans les termes les plus vifs l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte »[39].
Deux remarques doivent être formulées pour mesurer la portée de cette condamnation en termes d’opinio juris de la communauté internationale :
i) D’abord, comme l’indiquent d’emblée les termes utilisés, la position exprimée ici l’est en des termes spécifiquement juridiques. Il ne s’agit donc pas d’une condamnation générale et de type politique : c’est bien une violation du droit international qui est dénoncée comme l’est, par répercussion, l’argumentation juridique avancée par les autorités russes[40].
ii) Ensuite, et sur un plan quantitatif, l’arithmétique qui pourrait sembler ressortir du seul décompte des voix ne doit pas tromper.
Il serait simpliste et même excessif d’opposer 141 États qui auraient condamné l’argument juridique russe aux quarante États (auxquels on pourrait en ajouter plusieurs qui ont choisi de ne pas participer au vote) qui l’auraient implicitement (en s’abstenant) ou explicitement (en votant contre) approuvé. En examinant les comptes-rendus des débats qui ont eu lieu au sein du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale, il apparaît en effet que ces derniers n’ont que rarement motivé leur réticence sur un plan juridique. Certains États (comme la Chine, les États africains ou les États latino-américains) ont évoqué les obstacles politiques, comme le refus de fustiger trop durement la Russie afin de préserver une possibilité de médiation, ou le caractère déséquilibré du texte qui n’évoquerait pas, même de manière lointaine, une certaine responsabilité des pays occidentaux dans l’aggravation de la crise[41].
Si, par contraste, on se centre sur les références strictement juridiques, bien des États qui n’ont pas voté pour la résolution de l’Assemblée générale paraissent peu convaincus pas l’argument russe : en témoignent les nombreuses références à la nécessité de respecter la souveraineté et l’intégrité des États qui jalonnent les déclarations des États concernés[42]. En fait, seul un d’entre eux, la Syrie, pour ne pas la citer, affirme explicitement que l’opération russe serait conforme à la Charte[43]. C’est dire que l’argument juridique de la légitime défense préventive est loin d’avoir convaincu…
La crise ukrainienne confirme que cet argument demeure contesté. Certes, on pourrait rétorquer que les critiques portent, dans tous ces précédents, davantage sur l’inexistence d’une menace (imminente) que sur l’impossibilité, sur le principe, de s’en prévaloir. Mais l’on ne peut envisager et interpréter cette pratique qu’à partir du texte même de la Charte qui, comme les États membres l’ont confirmé en 2005 à l’occasion des 60 ans de l’Organisation, n’ouvre aucunement la voie à l’existence d’une menace, imminente ou non, comme élément justifiant une action en légitime défense[44]. Ce texte pourrait certes être assoupli par une interprétation évolutive partagée par l’ensemble des parties au traité. Mais, précisément, aucune acceptation d’une nouvelle interprétation n’a jamais été établie. La crise ukrainienne le confirme une fois encore. D’autant, et c’est un autre élément significatif, qu’il n’est pas évident que la Russie elle-même se soit juridiquement fondée sur la légitime défense préventive. Une lecture attentive de son argumentation semble plutôt renvoyer à une légitime défense collective, comme on le constatera dans les lignes qui suivent.
B. Une légitime défense collective pour protéger les nouvelles « Républiques »?
Depuis plusieurs années, les autorités russes dénoncent régulièrement la répression massive que subiraient des mouvements séparatistes dans l’est de l’Ukraine de la part du pouvoir central. Toujours selon ces autorités, cette répression serait devenue tellement excessive (au point de s’accompagner de prétendus actes de génocide) qu’on pourrait la qualifier de violation du droit des deux peuples concernés à disposer d’eux-mêmes[45]. Dans cette logique, l’indépendance des deux Républiques pourrait se justifier sur le fondement du droit international. Ce qui explique pourquoi, le 21 février 2022, les « Républiques de Donetsk et de Luhansk » ont officiellement été reconnues par Moscou[46].
Dans la mesure où les préparatifs de l’« opération militaire spéciale » s’intensifiaient depuis plusieurs semaines, il ne faisait aucun doute que cette reconnaissance ouvrait la voie à un franchissement de la frontière. C’est dans ce contexte que, le 24 février, la Russie affirmait, dans sa lettre envoyée au Conseil de sécurité, agir « en application de l’Article 51 du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies […] conformément aux traités d’amitié et d’assistance mutuelle conclus avec les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk »[47]. On relèvera au demeurant que, sur le plan juridique, l’argumentation russe n’est pas des plus aisées à démêler : elle mobilise en effet des considérations se rapportant au droit de légitime défense collective, mais également à un droit d’intervention « humanitaire » pour protéger les populations russophones de l’est de l’Ukraine, ainsi qu’un droit d’intervention fondé sur le consentement des prétendues Républiques de Donetsk et de Luhansk[48].
Par ailleurs, à partir du 1er octobre 2022 et l’annexion desdits territoires (ainsi que ceux de Kherson et de Zaporizhzhia) par la Russie, celle-ci considère pouvoir invoquer la légitime défense individuelle, dans la mesure où ce serait désormais son propre territoire qui serait atteint par des actions militaires ukrainiennes. Cette annexion a été fermement condamnée par l’Assemblée générale des Nations Unies[49], et on n’envisagera l’argument russe que dans sa version antérieure. Celle qui a prévalu entre le 24 février et le 30 septembre 2022. Si on le compare avec l’argument de la légitime défense préventive étudié plus haut, celui de la légitime défense collective apparaît indéniablement plus original. On ne connaît aucun précédent dans lequel il aurait été invoqué, si ce n’est celui de la Crimée, elle aussi reconnue comme un éphémère « État indépendant » afin de justifier l’envoi de troupes[50].
Pour autant, il serait réducteur d’y voir un raisonnement isolé, spécifiquement russe, qui ne serait pas susceptible d’être repris et transposé à d’autres situations. Sans préjuger d’autres scénarios passés ou futurs, les trois exemples suivants méritent à notre sens d’être soumis à la réflexion :
i) Au début du 20e siècle, un schéma similaire d’argumentation a été retenu par les États-Unis pour justifier l’envoi de troupes dans la zone du canal de Panama[51]. Le Panama était alors une partie intégrante de l’État colombien, mais avec l’appui de Washington, ses autorités avaient déclaré unilatéralement leur indépendance. Les États-Unis l’ont aussitôt reconnue et, s’appuyant sur l’appel des nouvelles autorités, ont déployé leurs soldats sur le territoire panaméen[52]. C’est dans ce contexte que le traité leur conférant des droits à perpétuité dans la zone du canal a été conclu, en dépit des protestations des autorités colombiennes[53].
ii) Plus d’un siècle plus tard, le cas de la reconnaissance du Kosovo par un nombre significatif d’États après la proclamation unilatérale d’indépendance de février 2008 mérite d’être mentionné[54]. Depuis, on le sait, les négociations sont dans l’impasse concernant le sort de ce que la Serbie considère toujours comme l’une de ses provinces. Dans ce contexte, on peut se demander ce qui se produirait si, par hypothèse, la Serbie tentait de recouvrer sa souveraineté par l’usage de ses forces militaires. Il y a gros à parier que des États qui reconnaissent le Kosovo comme État dénonceraient alors une violation de l’interdiction du recours à la force dans les relations internationales, voire enverraient des troupes à son secours au nom de la légitime défense collective.
iii) Un autre sujet de réflexion, moins hypothétique sans doute, renvoie à la situation très particulière de Taïwan[55]. Comment réagiraient les membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) si la Chine déclenchait une opération militaire pour mettre fin à ce qu’elle considère comme une sécession qui perdure sur son propre territoire? Les États-Unis ont fait part de leur détermination à soutenir Taïwan en semblable hypothèse[56]. Mais sur quelle base juridique pourrait être délivrée cette assistance, sachant que les autorités de Taïpei n’ont jamais déclaré formellement l’indépendance de l’île? Il est difficile de le prévoir, mais une hypothèse que l’on ne peut exclure renvoie précisément à un scénario « à l’ukrainienne » : proclamation d’indépendance, reconnaissance immédiate et invocation consécutive de la légitime défense collective.
On le perçoit bien en élargissant la perspective, l’argumentation avancée par la Russie pour justifier son intervention en faveur des « Républiques de Dontetsk et de Luhansk » n’est sans doute pas aussi originale et exceptionnelle que cela. On ne peut l’écarter d’un revers de main et, au contraire, il convient de s’interroger sur sa pertinence au regard du droit international positif.
Un premier obstacle réside, à cet égard, dans la difficulté de se fonder sur une reconnaissance unilatérale – c’est-à-dire non consacrée par une admission au sein d’une organisation universelle comme l’ONU – pour justifier un recours à la force. Le problème a en effet été spécifiquement envisagé par les Nations Unies lors des nombreux et longs débats qui ont mené à la définition de l’agression[57]. À l’époque, il existait plusieurs entités dont la qualité étatique était contestée, comme la République démocratique allemande, le Vietnam du Sud ou encore Israël. Pouvait-on, pour autant, considérer qu’une intervention militaire contre ces entités non reconnues ne serait pas équivalente à une agression? Une réponse négative s’est clairement dégagée, comme en témoigne la « note explicative » jointe à l’article premier de la définition, qui définit cette dernière comme « l’emploi de la force armée par un État contre […] un autre État ». La note précise en effet que « dans la présente définition, le terme ‘État’ […] est employé sans préjuger la question de la reconnaissance ou le point de savoir si un État est membre des Nations Unies »[58].
Les termes laissent peu de doute sur la volonté d’écarter tout argument fondé sur une reconnaissance pour justifier un recours à la force. La logique qui avait alors prévalu entendait contrer l’argument selon lequel il aurait suffi pour un État de ne pas en reconnaitre un autre pour l’attaquer en tentant, sur la base de cette non-reconnaissance, d’échapper à la règle prohibant l’agression. Mais la même logique conduit à écarter un argument selon lequel il suffirait de reconnaître comme État une entité pour justifier un recours à la force. En ce sens, l’épisode des frappes contre l’« État islamique » en Syrie est révélateur : alors que les États occidentaux auraient pu reconnaitre Daesh comme État puis justifier leur intervention sur la base de leur droit de légitime défense individuelle ou collective, ils se sont bien gardés de le faire[59]. C’est que, manifestement, on a estimé qu’une intervention militaire fondée sur une reconnaissance d’une entité sécessionniste était problématique, ce qui confirme l’interprétation généralement acceptée de l’article premier de la définition de l’agression que l’on vient de mentionner.
En somme, pour déterminer si la force a été employée conformément à la Charte, il faut plutôt se fonder sur des critères objectifs qui renvoient en définitive aux éléments constitutifs de l’État. Or, dans le cas des « Républiques de Donetsk et de Luhansk », les plus sérieux doutes peuvent être soulevés sur ce point. Si ces entités ont chacune leur « territoire », leur « population » et leur « gouvernement », ce dernier ne peut assurément être qualifié de « souverain »[60]. Comme l’indique un dictum célèbre, la souveraineté signifie l’indépendance[61], et qui peut qualifier comme telles des autorités dont le pouvoir effectif dépend essentiellement du soutien militaire extérieur apporté par Moscou depuis plusieurs années[62]? En somme, leurs effectivités sont doublement problématiques, à la fois, car elles résultent d’une violation du droit international de la part d’un État tiers[63], et parce qu’elles manquent de stabilité en raison du refus de Kiev de renoncer à son autorité dans ses frontières internationales qui, elles, ont été unanimement reconnues depuis plus de trente ans[64].
Enfin, l’argument russe du droit à l’autodétermination n’est pas de nature à pallier ces obstacles dirimants. Il va sans dire que ces « Républiques » situées à l’est de l’Ukraine ne sont pas « géographiquement séparées » du territoire ukrainien et ne peuvent donc s’inscrire dans le droit de la décolonisation forgé par l’Assemblée générale des Nations Unies[65]. Quant au droit à la « sécession-remède » que semblent en vain invoquer les autorités russes, son existence en droit positif (en l’absence de consécration dans les textes et dans la pratique coutumière)[66] tout comme le respect de ses conditions d’application sont loin d’être établis en l’espèce. Et, même si tel était le cas, cela n’autoriserait pas un État tiers à intervenir militairement pour faire respecter par la force les droits du peuple concerné[67].
On ne s’étonnera donc pas que la ligne de raisonnement proposée par Moscou n’ait, sauf exception notoire, guère trouvé d’écho au sein des Nations Unies. Outre les condamnations générales qui ont été mentionnées plus haut, il est intéressant de souligner le rejet assez large de tout effet juridique susceptible d’être déduit des reconnaissances. Dans les jours qui ont séparé ces dernières du début de l’« opération militaire spéciale », plusieurs États se sont très clairement prononcés en ce sens[68].
À ce stade, deux conclusions intermédiaires peuvent être formulées. D’abord, l’argumentation russe, pour excessive qu’elle puisse paraître, mobilise des arguments tirés d’une certaine pratique. Cette dernière est relativement fournie dans le cas de la légitime défense préventive, et peut être envisagée de manière plus prospective dans celui de la légitime défense collective fondée sur une reconnaissance unilatérale. Ensuite, dans un cas comme dans l’autre, il semble bien que le rejet par la communauté internationale des États dans son ensemble de ces interprétations extensives de la légitime défense se confirme une fois encore. Un autre aspect de la crise, cependant, a davantage suscité certaines interrogations. Que peuvent, ou doivent, faire les États tiers en semblable situation? Sont-ils tenus à un devoir de réserve, voire d’abstention, du moins s’ils souhaitent ne pas devenir parties aux conflits? Qu’en est-il, en d’autres termes, du traditionnel droit de la neutralité après l’intervention militaire russe?
II. Quel (droit de la) neutralité?
Le déclenchement de l’agression de l’Ukraine par la Russie a immédiatement soulevé la question du positionnement des États et organisations internationales tiers au conflit. Si la très grande majorité des États a manifesté un soutien de principe en faveur de l’Ukraine – pays agressé – on a pu constater une assez grande diversité de réactions. Certains États ont fourni une assistance matérielle et financière substantielle, d’autres ont limité leur solidarité à un simple appui politique, d’autres encore ont manifesté un soutien plus prudent et réservé. Une petite poignée d’États s’est, quant à elle, refusée à soutenir l’Ukraine, se rangeant au contraire du côté de la Russie. Dans ce contexte, peut se poser la question de la façon dont le droit international positif encadre les réactions des États tiers en cas d’agression armée.
Existe-t-il une obligation des États à réagir dans un sens déterminé ? Les États peuvent-ils se retrancher derrière le droit dit « de la neutralité » pour renvoyer dos à dos l’État agresseur et l’État agressé? Pour répondre à ces interrogations, on observera d’abord que le droit dit « de la neutralité » constitue une grille d’analyse de la situation qui rencontre un certain nombre de limites qu’il s’agira de mettre en lumière. On constatera ensuite que le jus contra bellum fait effectivement peser des obligations sur les États tiers au conflit, obligations dont on tentera de cerner le périmètre et la portée.
A. Neutralité et belligérance : un débat anachronique?
Les notions de « neutralité » et de « belligérance » sont issues du corpus juridique que l’on qualifie parfois de « droit international de La Haye ». Cette expression renvoie aux grandes conventions de codification conclues au début du XXe siècle, destinées à réglementer l’usage de la force et la résolution des différends entre États, à une époque où n’existait évidemment pas d’organisation internationale comparable à l’ONU. Dans ce contexte, la Convention concernant les droits et devoirs des Puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre fixait un certain nombre de droits et devoirs pour les puissances dites neutres[69]. À la neutralité, qui dans ce contexte s’entend de la non-participation à la guerre, s’attachent certaines garanties dont la principale constitue l’inviolabilité du territoire[70]. La qualité d’État « neutre » était ainsi construite par opposition à celle d’État « belligérant ». Dans cette perspective, il existait donc un véritable « droit » de rester à l’écart d’un conflit armé, droit incarné dans l’institution de la neutralité. Dès avant 1945 – et bien qu’incontestable sur le plan juridique – celle-ci a été travaillée par un certain nombre de critiques : on peut notamment mentionner celle d’Albéric Rolin, qui considérait que la neutralité était « faite d’égoïsme et de lâcheté »[71].
L’adoption de la Charte des Nations Unies, en 1945, a bousculé ce paradigme. Le système de sécurité collective établi au sortir de la Seconde Guerre mondiale, lequel s’articule autour de l’interdiction de la menace et de l’emploi de la force consacrée à l’article 2§4 de la Charte, peut en effet sembler incompatible avec le principe même de la neutralité[72]. Ce constat s’applique à plus forte raison en ce qui concerne l’agression armée qui est, on l’a dit, l’une des « formes les plus graves de l’emploi de la force »[73]. La neutralité semble d’autant moins pouvoir s’appliquer en matière d’agression armée que la Charte confère à certains organes des Nations Unies la possibilité de qualifier une situation d’agression armée. Le Conseil de sécurité dispose de ce pouvoir de qualification au titre de sa responsabilité « principale »[74] du maintien de la paix, tandis que l’Assemblée générale l’exerce de façon résiduelle. C’est précisément ce que l’Assemblée a fait dans sa résolution déjà mentionnée, adoptée dans le cadre d’une session extraordinaire d’urgence, et dans laquelle elle a « [d]éplor[é] dans les termes les plus vifs l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’Article 2 de la Charte »[75].
De plus, il paraît difficilement contestable que l’interdiction de l’emploi de la force soit aujourd’hui devenue du droit impératif. Comme la Commission du droit international (CDI) l’a indiqué dès 1966, « le droit de la Charte concernant l’interdiction de l’emploi de la force constitue en soi un exemple frappant d’une règle de droit international qui relève du jus cogens »[76]. On peut ajouter que la CDI a mentionné « l'interdiction de l'agression »[77] parmi la liste « non exhaustive » adossée à ses projets de conclusions sur les normes impératives du droit international général adoptés en 2022. Or, les conséquences juridiques attachées à la qualité de norme impérative paraissent incompatibles avec l’institution de la neutralité. On imagine en effet mal comment pourrait exister un régime de neutralité en matière d’agression armée, dès lors que son interdiction relève d’une norme impérative ayant, par définition, une portée erga omnes, c’est-à-dire indistinctement applicable à tous les États.
Si le concept juridique de neutralité a été vidé d’une partie de sa substance depuis 1945, en est-il pour autant tombé en désuétude? Il serait sans doute exagéré de le penser pour au moins deux raisons :
i) En premier lieu, si, au regard du jus contra bellum, il est permis de douter de la possibilité qu’aurait un État de se retrancher derrière une prétendue neutralité pour ignorer les conséquences juridiques attachées à l’existence d’une agression armée, la neutralité reste en revanche un concept présent dans d’autres branches du droit international, dont le jus in bello. En ce sens, la première Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949 prévoit un statut de neutralité établi en vue d’améliorer le sort des blessés et prisonniers de guerre[78]. Dans son commentaire sous cette Convention, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) définit « une ‘Puissance neutre’ [comme] un État qui n’est pas partie à un conflit armé international »[79], indépendamment d’ailleurs d’une « posture de prétendu ‘non-belligérant’ »[80].
ii) En second lieu, force est de constater que certains États continuent de se prévaloir de leur statut d’État neutre, y compris dans le contexte de l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie. On peut ici mentionner les deux exemples que sont l’Autriche et la Suisse, deux États qui ont construit leur identité internationale autour du concept de neutralité[81]. Le 23 février 2022, le délégué autrichien a déclaré devant l’Assemblée générale des Nations Unies que : « Dans la mesure où l’Autriche est un État neutre qui ne fait partie d’aucune alliance militaire, sa sécurité repose sur le respect du droit international. L’Autriche ne saurait, dès lors, rester les bras croisés lorsque l’intégrité territoriale et l’indépendance politique d’un pays sont menacées »[82]. Pour sa part, le délégué suisse s’est exprimé en ces termes : « La Suisse est un pays neutre. Mais la neutralité ne nous oblige pas à rester silencieux face aux violations du droit international. Tout au contraire. Il nous appartient de nous engager pour le respect de la Charte »[83].
Ces déclarations montrent que, dans son sens contemporain, la neutralité – qui renvoie essentiellement à la non-appartenance à une alliance militaire – n’est nullement, dans son principe, incompatible avec les obligations internationales découlant du jus contra bellum. Cette neutralité formelle est, au demeurant, la seule qui soit conforme à la Charte, et plus particulièrement au paragraphe 5 de son article 2, lequel oblige les Membres de l’Organisation à donner à celle-ci « pleine assistance dans toute action entreprise par elle conformément aux dispositions de la présente Charte» et à s’abstenir « de prêter assistance à un État contre lequel l’Organisation entreprend une action préventive ou coercitive »[84]. La neutralité ne peut donc, en définitive, être détournée et utilisée comme un moyen d’échapper aux obligations de la Charte et du droit international général, en particulier dans le contexte d’une agression armée. Les conclusions dressées, à cet égard, il y a plus d’un demi-siècle par la doctrine restent d’actualité : « s’il en était ainsi, non seulement l’État neutre pourrait être exclu de l’Organisation, mais même son attitude pourrait valablement être considérée comme une menace contre la paix »[85].
Dans ce contexte, il va de soi que la Russie ne pourrait évoquer une violation d’un prétendu principe de neutralité pour mettre en cause l’aide qu’un État tiers apporterait à l’Ukraine pour mettre fin à l’agression. Cette aide pourrait, en application du mécanisme de la légitime défense collective, prendre des formes variées : soutien politique, fourniture d’armes, voire engagement militaire sur le terrain. Elle ne ferait, pour autant, pas disparaître les droits de l’État concerné à ne pas être lui-même l’objet d’une riposte de la Russie. Car ces droits résultent de la Charte des Nations Unies, et non d’un hypothétique statut de neutralité dont le respect conditionnerait la protection contre une partie au conflit. En somme, en particulier dans une situation où l’agresseur a été nommément dénoncé par un organe compétent de l’ONU, les États tiers ont le droit de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à l’agression, sans pour autant perdre leurs propres droits en vertu de la Charte, parmi lesquels figure la protection de leur intégrité territoriale.
Mais, au-delà de leurs droits, quelles sont les obligations des États dans le cadre de ce conflit? C’est à cette question que l’on répondra dans la suite de notre raisonnement, qui montrera que, en cas d’agression armée, le droit international fixe un certain nombre d’obligations minimales que doivent respecter tous les États, y compris ceux se déclarant neutres.
B. L’obligation de ne pas prêter aide ou assistance au maintien d’une violation grave du droit international général
L’agression de l’Ukraine par la Russie constitue une violation grave du droit international général de laquelle découlent certaines conséquences juridiques pour les États tiers. La principale réside, sans doute, dans l’obligation de ne pas prêter leur aide ou leur assistance à cette violation. Cette obligation, qui peut s’appuyer sur une pratique particulièrement nourrie, comporte deux facettes : elle interdit aux États non seulement d’apporter leur concours direct ou indirect à l’acte d’agression commis par la Russie, mais également de reconnaître comme licites les conséquences de cet acte[86]. Sans revenir en détail sur la portée de cette obligation, on pourra rappeler qu’elle découle tant de la pratique du Conseil de sécurité[87] que de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice[88] ou des travaux de la Commission du droit international[89].
Certains aspects de cette obligation ont d’ailleurs été rappelés par l’Assemblée générale dans le contexte de la guerre en Ukraine. En 2014, l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, à la suite d’un prétendu référendum organisé dans ce territoire, avait en effet conduit l’Assemblée à adopter une résolution dans laquelle il est demandé
à tous les États, organisations internationales et institutions spécialisées de ne reconnaître aucune modification du statut de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol sur la base de ce référendum et de s’abstenir de tout acte ou contact susceptible d’être interprété comme valant reconnaissance d’une telle modification de statut[90].
Plus récemment, le 12 octobre 2022, l’Assemblée générale a adopté une résolution condamnant l’annexion russe de territoires ukrainiens, dans laquelle elle
[d]emande à tous les États, organisations internationales et institutions spécialisées des Nations Unies de ne reconnaître aucune modification par la Fédération de Russie du statut de tout ou partie des régions ukrainiennes de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporijia et de s’abstenir de tout acte ou contact susceptible d’être interprété comme valant reconnaissance d’une telle modification de statut[91].
Au vu de ces éléments, il ne fait guère de doutes que des obligations étendues pèsent sur les États tiers, non pas en vertu d’un droit général de neutralité, mais de principes coutumiers liés à l’interdiction du recours à la force.
Ces obligations sont-elles universellement respectées? Une réponse négative ne fait guère de doute. Certains États méconnaissant de toute évidence leur obligation de ne pas prêter leur aide ou leur assistance au maintien d’une violation grave du droit international général. Trois exemples peuvent ici mériter de retenir l’attention :
i) En premier lieu, le Belarus a manifestement apporté son concours à la préparation de « l'opération militaire spéciale ». Il peut en effet être considéré comme établi que certaines unités russes ont attaqué l’Ukraine depuis son territoire et avec le consentement de Minsk. L’Assemblée générale a d’ailleurs, dans sa résolution du 2 mars 2022, « déplor[é] que le Belarus se soit associé à ce recours illégal à la force contre l’Ukraine et lui [a] demand[é] de respecter ses obligations internationales »[92]. La façon dont le Belarus a « prêté aide ou assistance » à l’agression de l’Ukraine paraît particulièrement grave puisque cet État peut être considéré comme un État co-agresseur au regard de la définition de l’agression telle qu’elle résulte de la résolution 3314 (XXIX)[93]. En effet, l’article 3f) de l’annexe à cette résolution, dont la valeur coutumière est établie[94], indique que constitue un acte d’agression « le fait pour un État d’admettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition d’un autre État, soit utilisé par ce dernier pour perpétrer un acte d’agression contre un État tiers »[95]. Ainsi, les violations du droit international commises par Belarus apparaissent particulièrement sérieuses : outre un manquement manifeste à son obligation de ne pas prêter aide ou assistance à un fait internationalement illicite au sens du droit de la responsabilité internationale, cet État, en tant que co-agresseur de l’Ukraine, a également lui-même violé une obligation primaire de ne pas commettre une agression armée.
ii) Un deuxième cas problématique est celui de la Syrie et de la Corée du Nord, qui ont annoncé, respectivement en juin et juillet 2022, reconnaître l’indépendance des prétendues Républiques populaires de Lougansk et de Donetsk[96]. De telles déclarations constituent d’évidentes méconnaissances de l’obligation de ne pas reconnaître comme licite une situation découlant d’une violation grave du droit international général. Les déclarations d’indépendance de ces deux entités constituent, en effet, un cas d’école de proclamations qui, pour reprendre la terminologie utilisée par la Cour internationale de justice dans son avis consultatif de 2010 sur le Kosovo, vont « de pair avec un recours illicite à la force ou avec d’autres violations graves de normes de droit international général, en particulier de nature impérative (jus cogens) »[97]. Elles sont donc illicites en tant que telles et les États tiers ne peuvent, sans méconnaître leurs propres obligations au regard du droit international général, procéder à leur reconnaissance. Ce constat s’applique à plus forte raison que, à la suite des prétendus référendums organisés du 23 au 27 septembre 2022 par les autorités russes dans les régions de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporijia, l’Assemblée générale a, on l’a vu, réaffirmé l’obligation de non-reconnaissance pesant sur « tous les États, organisations internationales et institutions spécialisées des Nations Unies »[98].
iii) En troisième lieu, la question de la fourniture d’armes par l’Iran à la Russie, rapportée par de nombreuses sources publiques crédibles et concordantes, soulève également un certain nombre de questions au regard de l’obligation de ne pas prêter assistance à une situation résultant d’une violation grave du droit international général[99]. Si elle ne suffit certainement pas à faire de l’Iran un État agresseur, au sens de la résolution 3314 (XXIX) ou même une partie au conflit en Ukraine au regard du jus in bello, la vente d’armes à la Russie – armes dont l’Iran ne peut raisonnablement ignorer qu’elles servent directement à commettre l’agression contre l’Ukraine – peut sans doute être qualifiée de violation de l’obligation de non-assistance. À cet égard, il n’est nullement convaincant de renvoyer dos à dos les États qui fourniraient des équipements militaires à l’Ukraine, d’une part, et à la Russie, de l’autre. Dans un système de sécurité collective où, on l’a vu, le concept de neutralité a depuis 1945 été substantiellement redessiné, la fourniture d’armes à l’État agresseur et à l’État agressé ne peut être analysée selon la même grille de lecture juridique. Les États ont en effet le droit d’assister l’Ukraine dans l’exercice, par cette dernière, de son droit de légitime défense. Ce droit, qui permet l’adoption de mesures de rétorsion assez larges, en pleine conformité avec le droit international, n’implique cependant pas d’obligation de recourir à la force contre l’État ayant perpétré une agression armée.
C. L’absence d’obligation d’entrer en conflit avec l’État agresseur
La portée de l’obligation de ne pas prêter aide ou assistance à l’agression russe de l’Ukraine n’est pas illimitée. Si elle suppose de s’abstenir de tout acte aidant ou facilitant la perpétration de l’agression, elle n’implique en revanche pas une obligation positive de prendre des mesures coercitives contre l’État agresseur. Les mesures prises contre la Russie par certains États et organisations internationales en réaction à l’agression de l’Ukraine – on pense, par exemple, aux sanctions visant la Russie ou bien à son exclusion de certaines organisations internationales – ne procèdent pas d’une obligation internationale, mais de droits que les États et organisations concernés sont libres d’exercer ou non. Dans cette logique, il n’existe pas, au regard du jus contra bellum, d’obligation de recourir à la force contre l’État agresseur. On le constatera d’abord au titre de la légitime défense collective, ensuite au regard du concept de responsabilité de protéger.
Lorsqu’est constatée une agression armée, la liberté des États d’adopter ou de ne pas adopter des mesures au titre de la légitime défense collective demeure entière, sous réserve que l’État agressé ait effectivement et explicitement appelé à une telle aide et sans préjudice des mesures que pourrait, le cas échéant, ordonner le Conseil de sécurité[100]. L’exercice de la légitime défense collective, telle que codifiée par la Charte, constitue en effet une faculté et non une obligation. Certains accords régionaux semblent aller plus loin, en prévoyant des clauses d’assistance mutuelle en cas d’agression de l’une des parties contractantes. L’article 5 de l’acte constitutif de l’OTAN (Traité de Washington) prévoit ainsi que :
Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord [nos italiques][101].
S'inscrivant dans une même logique, l’article 42§7 du Traité sur l’Union européenne dispose :
Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Cela n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres [nos italiques][102].
Mais, comme l’indiquent les termes soulignés, deux éléments sont à distinguer. D’une part, en cas d’agression armée, il existe une obligation d’aider ou d’assister l’État agressé : c’est tout le sens d’une organisation intégrant une dimension de défense collective. D’autre part, cependant, la teneur de cette obligation n’est pas précisée. L’article 5 du Traité de Washington renvoie expressément à la compétence discrétionnaire des États membres (« telle action qu’elle jugera nécessaire »), tandis que le Traité sur l'Union européenne instaure une obligation de moyen, tout en laissant la porte ouverte à des spécificités nationales, et donc à une possible politique de neutralité. Au final, même dans de telles hypothèses, il n’existe jamais d’obligation juridique de mener des actions militaires, même pour défendre un État contre une agression dénoncée comme telle par les Nations Unies.
Qu’en est-il, par ailleurs, au regard de la « responsabilité de protéger »? L’argument mérite sans doute que l’on s’y intéresse, car le concept a été mobilisé, dans le contexte ukrainien, tant en doctrine[103] que par certains États[104]. La situation des civils en Ukraine s’avère critique, et semble s’aggraver à mesure que l’agression se poursuit; c’est d’ailleurs là un des éléments ayant permis à la CIJ de caractériser l’urgence justifiant l’adoption des mesures conservatoires prononcées dans son ordonnance du 16 mars 2022[105]. La responsabilité de protéger peut-elle pour autant, sur le plan juridique, servir de base à une obligation pour les États tiers d’intervenir contre la Russie? Il est, pour le moins, permis d’en douter.
S’il est établi que, au regard du jus in bello, les États ont une obligation de « respecter et faire respecter » le droit international humanitaire, sur le plan du jus contra bellum, aucune obligation d’intervention militaire ne pèse sur les États. Les débats sur la responsabilité de protéger ont montré qu’aucun élément tiré de la pratique des États ne permettait de justifier l’existence d’une obligation d’entrer en conflit armé avec un État violant gravement le droit humanitaire[106]. C’est plutôt la conclusion inverse qui semble devoir être dressée. Les États sont, sur le plan juridique, tenus de s’en remettre aux mécanismes de sécurité collective et donc aux pouvoirs du Conseil de sécurité[107]. Et ce dernier, au regard des pouvoirs extrêmement larges qui lui sont réservés par la Charte, n’est tenu, formellement, par aucune obligation juridique d’autoriser une intervention militaire, même en situation d’urgence humanitaire[108]. Et, s’il ne veut ou ne peut (en raison de l’exercice par un de ses membres permanents de son droit de veto) autoriser une action militaire pour mettre fin à des violations graves des droits de la personne, cela ne génère ni droit ni obligation, d’intervention militaire au profit des États. C’est, au demeurant, ce qui semble également ressortir de l’ordonnance de la Cour internationale de justice du 16 mars 2022. Saisie sur le fondement de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, la Cour a indiqué qu’il était « douteux que la convention, au vu de son objet et de son but, autorise l’emploi unilatéral de la force par une partie contractante sur le territoire d’un autre État, aux fins de prévenir ou de punir un génocide allégué »[109]. Pourtant, la Russie elle-même, si elle avait semblé se prévaloir de l’argument pour justifier son opération du 24 avril (qui faisait prétendument suite à un « génocide perpétré contre les millions d’habitants » de l’est de l’Ukraine)[110], a tenu à préciser que tel n’était finalement pas le cas[111]. En somme, si l’existence d’un droit d’intervenir sans autorisation du Conseil de sécurité est déjà plus que douteuse au vu des textes et de la pratique des États, l’idée d’une véritable obligation de le faire semble totalement exclue dans l’état actuel du droit international positif. On ne peut donc certainement pas reprocher à un État de ne pas intervenir pour mettre fin aux violations du droit des conflits armés ou des droits humains par l’une des parties au conflit.
***
En conclusion, et au-delà des aspects particuliers que l’on vient de traiter, on peut ébaucher quelques pistes de réflexion au sujet de la neutralité. Envisagée dans une perspective historique, celle-ci est essentiellement liée à la sécularisation du droit international et à l’émergence du concept d’égalité souveraine. Tant que, pendant plusieurs siècles, les limitations au recours à la force restaient floues et où, surtout, qu’il n’existait pas d’institutions aptes à départager les interprétations contradictoires, le principe de neutralité occupait une place particulièrement décisive. Si un État estimait qu’une guerre avait été déclenchée contrairement au droit international, il ne pouvait imposer sa qualification; s’il considérait devoir assister l’État selon lui agressé, il sortait du cadre de la neutralité et devenait partie au conflit[112]. Avec la mise en place du système de la Charte des Nations Unies, non seulement les exceptions à l’interdiction du recours à la force sont définies plus précisément et strictement, mais des institutions sont chargées d’en assurer le respect. L’exercice de la souveraineté dans le domaine coercitif est donc doublement limité, et il en va de même du principe de neutralité. Le précédent de la guerre d’Ukraine l’a bien illustré : l’intervention militaire russe va à l’évidence au-delà de l’article 51 de la Charte, et a été spécifiquement qualifiée d’agression par l’Assemblée générale, organe compétent de l’Organisation des Nations Unies. La Russie ne peut dès lors plus se prévaloir d’un principe de neutralité pour échapper à un constat de violation du droit international, et moins encore pour prétendre empêcher des États de soutenir l’Ukraine. Les deux volets examinés dans le cadre de cette étude sont, de ce point de vue, liés.
Cela ne signifie pas que le principe de neutralité ait perdu toute pertinence dans un ordre juridique international encore fondé sur l’égalité souveraine des États. Il guide encore, on l’a vu, plusieurs règles du jus in bello, conçu et fondé sur le principe de l'égalité des belligérants[113]. Mais il occupe aussi une certaine place dans le domaine de l’interdiction du recours à la force. En particulier, celle-ci ne valant que dans les « relations internationales » (pour reprendre la terminologie de l’article 2§4 de la Charte), on considère généralement que l’usage de la force à l’intérieur des États n’est ni interdit ni permis, ce qui est parfois présenté comme un régime de neutralité[114]. Ce constat a longtemps nourri l’idée d’une « neutralité » du droit international face aux phénomènes sécessionnistes; thèse bousculée par des proclamations d’indépendance allant de pair avec des violations graves du droit international général. Car, en effet, la prétendue neutralité du droit international dans les conflits internes reste bienveillante au bénéfice de la partie étatique, qui peut se prévaloir de ses droits souverains (voire d’une obligation déduite de son obligation de respecter, mais aussi de faire respecter les droits de la personne et le droit humanitaire) pour justifier des actions violentes contre des forces irrégulières. Cette compétence discrétionnaire de faire la guerre (ou de mettre en oeuvre la « violence légitime », pour reprendre une expression consacrée en sociologie) sur son territoire est, elle-même, soumise à d’éventuelles résolutions du Conseil de sécurité qui pourront en moduler les conditions d’exercice. Enfin, dans un registre distinct, mais également lié à l’emploi de la force, l’ONU peut déployer des « opérations de maintien de la paix » pour tenter de juguler ou de mettre fin à des conflits internes, et parfois même internationaux. Comme on le sait, l’un des principes qui guident ces opérations est celui d’impartialité, que l’on associe à de la neutralité[115]. Or, l’émergence des opérations dites « d'imposition » de la paix, ne reposant plus exclusivement sur le consentement des parties, mais déployées sur le fondement du Chapitre VII de la Charte, a conduit à un renouveau type de débat sur la nature juridique de ces opérations[116]. Il s’est, en particulier, posé la question de l’articulation de ces mandats d’un genre nouveau avec la neutralité qui constitue l’un de ses principes fondamentaux.
On voit en somme que la neutralité se trouve fondamentalement en tension, comme on a tenté de le montrer par ailleurs[117]. On assiste ainsi à une articulation instable entre invocation générale du principe de neutralité et déclinaisons biaisées de ce dernier sur le terrain. Une tension qui mériterait sans doute d’être interrogée dans l’ensemble de ses composantes…
Appendices
Notes
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[1]
Lettre datée du 24 février 2022 adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Doc off CS NU, Doc NU S/2022/154 (2022) à l'annexe [Annexe à la lettre du Représentant de la Russie].
-
[2]
Lettre datée du 19 février 2022, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de l’Ukraine auprès de l’Organisation des Nations Unies, Doc off AG CS NU, 76e sess, Doc NU A/76/715-S/2022/133 (2022).
-
[3]
Voir par ex Doc off AG NU, 11e sess, 4e séance plén, Doc NU A/ES-11/PV.4 (2022) [AG NU 1 mars 2022]; Doc off AG NU, 11e sess, 1ere séance plén, Doc NU A/ES-11/PV.1 (2022) [AG NU 28 février 2022].
-
[4]
International Law Association, ILA Statement on the Ongoing and Evolving Aggression In and Against Ukraine, 3 mars 2022.
-
[5]
Société belge de droit international, Statement about the situation in Ukraine, March 2022, The President, Vice-Presidents and Secretary-General of the Belgian Society of International Law.
-
[6]
Société française pour le droit international, « Communiqué de la Société française pour le droit international sur l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie » (25 février 2022), en ligne : SFDI <sfdi.org/actualites/communique-de-la-sfdi-sur-lagression-de-lukraine-par-la-federation-de-russie/>.
-
[7]
Voir classiquement Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, 8e éd, Paris, Calmann-Levy, 1984 à la p 719; Olivier Corten, Méthodologie du droit international public, Bruxelles, Éditions Université de Bruxelles, 2009 aux pp 63‑80.
-
[8]
Olivier Corten, Le discours du droit international. Pour un positivisme critique, Paris, Pedone, 2009.
-
[9]
Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, [1986] CIJ Rec 15 au para 186 [Activités militaires et paramilitaires].
-
[10]
Olivier Corten, Le droit contre la guerre, 3e éd, Paris, Pedone, 2020 aux pp 73 et s.
-
[11]
Pour reprendre les termes de l’article 53 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1155 RTNU 331 (entrée en vigueur: 27 janvier 1980), reconnaissant l’existence de règles de droit impératif comme l’est précisément l’interdiction du recours à la force.
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[12]
Annexe à la lettre du Représentant de la Russie, supra note 1.
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[13]
Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, RT Can 1945 n° 7, art 51.
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[14]
Voir à ce sujet Olivier Corten, « L’emploi de la force de la Russie contre l’Ukraine: violation, mise en cause ou réaffirmation de la Charte des Nations Unies? » (2022) 38:6918 J Tribun 711.
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[15]
Voir Intégrité territoriale de l’Ukraine : défense des principes consacrés par la Charte des Nations Unies, Rés AG ES-11/4, Doc off AG NU, 11e sess extraordinaire d'urgence, Doc NU A/RES/ES-11/4 (2022) [Intégrité territoriale de l’Ukraine : défense des principes].
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[16]
Annexe à la lettre du Représentant de la Russie, supra note 1 à la p 7.
-
[17]
Ibid à la p 5.
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[18]
Ibid à la p 1.
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[19]
Ibid à la p 4.
-
[20]
Reproduit dans Keesing’s Contemporary Archives - Weekly Diary of World Events 1937-1940, Londres, Keesing's Limited, 1940 à la p 4043.
-
[21]
Reproduit dans ibid à la p 4923.
-
[22]
Doc off CS NU, 22e année, 1348e séance, Doc NU S/PV.1348 (1967) au para 178. Israël s’est cependant en même temps prévalu d’une légitime défense plus classique, qui ferait suite à des actions armées déjà engagées : ibid aux para 155 et 158. Voir John B Quigley, The Six-Day War and Israeli Self-Defense. Questioning the Legal Basis for Preventive War, Cambridge, C.U.P., 2012.
-
[23]
Yehuda Z Blum, Lettre, en date du 8 juin 1981, adressée au Président du Conseil de sécurité par le représentant d’Israël, DOC off CS NU, 1981, Doc NU S/14510.
-
[24]
Doc off AG NU, 57e sess, 2e séance plén, Doc NU A/57/PV.2 (2002) aux pp 7‑9. Plus généralement voir George W Bush, The National Security Strategy of the United States of America, Washington, The President of the United States of America, 2002 à la p 15, en ligne : The White House President George W. Bush <georgewbush-whitehouse.archives.gov/nsc/print/nssall.html>; John D Negroponte, Lettre datée du 20 mars 2003, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent des États-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations Unies, Doc off CS NU, 2003, Doc NU S/2003/351.
-
[25]
Lettre datée du 23 septembre 2014, adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente des États-Unis d’Amérique auprès de l’Organisation des Nations Unies, Doc off CS NU, 2014, Doc NU S/2014/695.
-
[26]
Samantha J Power, Lettre datée du 7 septembre 2015, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord auprès de l’Organisation des Nations Unies, Doc off CS NU, 2014, Doc NU S/2015/688; Jacques Hartmann, Sangeeta Shah et Colin Warbrick, « UK Materials in International Law 2015 » (2016) 86:1 Brit YB Intl L 324 aux pp 590-95.
-
[27]
Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 aux pp 661 et s; voir Foreign relations of the United States : Diplomatic Papers, Washington, United States Government Printing Office, 1945 à la p 818.
-
[28]
Ibid aux pp 651 et s.
-
[29]
Charte des Nations Unies, supra note 13, arts 39 et 42.
-
[30]
Activités militaires et paramilitaires, supra note 9 au para 191.
-
[31]
Définition de l’agression, Rés 3314 (XXIX), Doc off AG NU, 29e sess, Doc NU A/RES/29/3314 (1974) à l'annexe; Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, 2187 RTNU 3 art 8bis (entrée en vigueur : 1er juillet 2002).
-
[32]
Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 aux pp 690-91.
-
[33]
Résolution 487 (1981), Rés 487, Doc off CS NU, 2288e séance, Doc NU S/RES/487 (1981); Agression armée israélienne contre les installations nucléaires iraquiennes et ses graves conséquences pour le système international établi en ce qui concerne les utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire, la non-prolifération des armes nucléaires et la paix et la sécurité internationales, Rés 36/27, Doc off AG NU, 36e sess, Doc NU A/RES/36/27 (1981).
-
[34]
« Declaration of the Meeting of Ministers of Foreign Affairs of the Non-Aligned Movement », Assemblée générale des Nations Unies, New York, 18 September 2002.
-
[35]
Olivier Corten, « The military operations against the ‘Islamic State’ (ISIL or Da’esh) » dans Tom Ruys, Olivier Corten et Alexandra Hofer, dir, The Use of Force in International Law. A Case-Based Approach, Oxford, Oxford University Press, 2018, 873 aux pp 882 et s.
-
[36]
Nabil Hajjami, « De la légalité de l’engagement militaire de la France en Syrie » (2017) 1 RDP 151.
-
[37]
Olivier Corten, « L’argumentation des États européens pour justifier une intervention militaire contre l’État islamique en Syrie : vers une reconfiguration de la notion de légitime défense? » (2016) Rev b dr Intern 31.
-
[38]
Albanie et al: projet de résolution, Doc off CS NU, 2022, Doc NU S/2022/155; Doc off CS NU, 77e année, 8979e séance, Doc NU S/PV.8979 (2022) [CS NU 25 février 2022].
-
[39]
Agression contre l'Ukraine, Rés ES-11/1, Doc off AG NU, 11e sess, Doc NU A/RES/ES-11/1 (2022) au para 2. Les cinq voix contre sont celles du Belarus, de la République populaire et démocratique de Corée, de l’Érythrée, de la Russie et de la Syrie.
-
[40]
C’est ce que confirment de multiples prises de position des États lors des débats qui ont eu lieu au sein des Nations Unies. Voir AG NU 28 février 2022, supra note 3; Doc off AG NU, 11e sess, 2e séance plén, Doc NU A/ES-11/PV.2 (2022) [AG NU 28 février 2022-2]; Doc off AG NU, 11e sess, 3e séance plén, Doc NU A/ES-11/PV.3 (2022); AG NU 1 mars 2022, supra note 3; Doc off AG NU, 11e sess, 5e séance plén, Doc NU A/ES-11/PV.5 (2022) [AG NU 2 mars 2022]. Voir les développements dans Olivier Corten et Vaios Koutroulis, « The 2022 Russian intervention in Ukraine: what is its impact on the interpretation of jus contra bellum? » (2023) Leiden J Intl L 1.
-
[41]
Voir par ex la position chinoise dans AG NU 2 mars 2022, supra note 40.
-
[42]
Voir par ex la position indienne dans CS NU 25 février 2022, supra note 38.
-
[43]
Voir par ex la position syrienne dans AG NU 28 février 2022-2, supra note 40.
-
[44]
Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 aux pp 674 et s.
-
[45]
Voir la position russe dans Doc off CS NU, 77e année, 8974e séance, Doc NU S/PV.8974 (2022); AG NU 28 février 2022, supra note 3.
-
[46]
Russian Federation, President of Russia, « Address by the President of the Russian Federation » (21 février 2022), en ligne : Kremlin <en.kremlin.ru/events/president/news/69390>; Doc off CS NU, 77e année, 8970e séance, Doc NU S/PV.8970 (2022) à la p 11.
-
[47]
Lettre datée du 24 février 2022, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Doc off CS NU, 2022, Doc NU S/2022/154 à la p 6.
-
[48]
Voir sur cette question Nabil Hajjami, « Le consentement à l’intervention étrangère. Essai d’évaluation au regard de la pratique récente » (2018) 122:3 RGDIP 617.
-
[49]
Intégrité territoriale de l’Ukraine : défense des principes, supra note 15, adoptée par 143 voix pour, cinq contre et trente-cinq abstentions.
-
[50]
Olivier Corten, « The Russian Intervention in the Ukrainian Crisis : was jus contra bellum ‘confirmed rather than weakened’? » (2015) 2:1 J Use Force & Intl L 17.
-
[51]
Richard W Turk, « The United States Navy and the ‘Taking’ of Panama, 1901-1903 » (1974) 38:3 Military Affairs 92.
-
[52]
Gustavo A Mellander, The United States in Panamian Politics : the Intriguing Formative Years, Illinois, Interstate Printers & Publishers, 1971.
-
[53]
Traité de Hay-Bunau-Varilla, Panama et États-Unis,18 novembre 1903, 2234 TS 431 (entrée en vigueur : 26 février 1904); « La République de Panama. Le traité Hay-Bunau-Varilla (18 novembre 1903) » (1904) 68 Annales Géographie 185. L’article premier prévoyait que « les États-Unis garantissent la liberté de la République du Panama ».
-
[54]
Olivier Corten, « Déclarations unilatérales d’indépendance et reconnaissances prématurées : du Kosovo à l’Ossétie du Sud et à l’Abkhazie » (2008) 4 RGDIP 721.
-
[55]
JP Jain, « The Legal Status of Formosa » (1963) 57:1 Am J Intl L 25; James Crawford, The Creation of States in International Law, 2e ed, Oxford, Oxford University Press, 2007 aux pp 146-52; Jonathan I Charney et J.R.V. Prescott, « Resolving Cross-Strait Relations Between China and Taiwan » (2000) 94:3 Am J Intl L 453 aux pp 476‑77; Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 à la p 265.
-
[56]
Voir déjà « United States :Taiwan Relations Act »(1979) 18:3 ILM 873.
-
[57]
Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 aux pp 256 et s.
-
[58]
Ibid à la p 257; Eliav Lieblich, International Law and Civil Wars. Intervention and Consent, Londres, Routledge, 2014 à la p 241.
-
[59]
Olivier Corten, « L’État islamique, un État? Enjeux et ambiguïtés d’une qualification juridique » dans Farah Safi et Arnaud Casado , dir, Daech et le droit, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2016 aux pp 53-70.
-
[60]
Selon les critères reconnus classiquement comme éléments constitutifs de l’État. « Conférence pour la paix en Yougoslavie, Avis n° 1 de la Commission d’arbitrage (la dissolution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie) 1991 » (1992) 96:1 RGDIP 264 à la p 264.
-
[61]
États-Unis d’Amérique c Pays-Bas, (Souveraineté sur l’île de Palmas (ou Miangas)), (1928), 2 RSA 829 à la p 838, (1935) 42 RGDIP 163 (Cour permanente d'arbitrage) (Arbitre : Max Huber).
-
[62]
Il semble à cet égard significatif que, dans son ordonnance du 16 mars 2022, la Cour internationale de justice a demandé à la Russie de « veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction ne commettent d’actes tendant à la poursuite de ces opérations militaires ». Voir Allégations de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c Fédération de Russie), Ordonnance du 16 mars 2022, [2022] CIJ Rec 1 au para 75 [Ukraine c Fédération de Russie].
-
[63]
Sur ce principe, voir Anne Lagerwall, Le principe ex injuria jus non oritur en droit international, Bruxelles, Bruylant, 2016; Anne Lagerwall, « Is the duty not to recognise ‘States’ created unlawfully challenged by States’ practice and ECtHR case law? » dans Wladek Czaplinski et Agata Kleczkowska, dir, Unrecognized Subjects in International Law, Varsovie, Scholar Publishing House Ltd, 2019, 257 aux pp 257-79.
-
[64]
Sur ce critère de stabilité, voir Olivier Corten et al, Une introduction critique au droit international, Bruxelles, Université de Bruxelles, 2017 aux pp 68-71.
-
[65]
Principes qui doivent guider les États Membres pour déterminer si l'obligation de communiquer des renseignements, prévue à l'alinéa e de l'Article 73 de la Charte, leur est applicable ou non, Rés AG 1541 (XV), Doc off AG NU, 15e sess, Doc NU A/RES/1541(XV) (1960); Théodore Christakis, Le droit à l’autodétermination en dehors des situations de décolonisation, Paris, La Documentation française, 1999.
-
[66]
Olivier Corten et Anne Lagerwall, « La doctrine de la “sécession-remède” à l’épreuve de la pratique récente » dans Jean-François Akandji-Kombé, dir, L’homme dans la société internationale. Mélanges en hommage au professeur Paul Tavernier, Bruxelles, Bruylant, 2013, 187.
-
[67]
Mission d’enquête internationale indépendante sur le conflit en Géorgie, Rapport, vol II (2009) à la p 279, en ligne : Cour européenne des droits de l'homme <www.echr.coe.int/documents/d/echr/hudoc_38263_08_annexes_fra>; Olivier Corten, « Le rapport de la mission d’enquête internationale indépendante sur le conflit en Géorgie : quel apport au jus contra bellum? » (2010) 114:1 RGDIP 35 aux pp 35-61.
-
[68]
Voir les positions de nombreux États dans Doc off AG NU, 76e sess, 59e séance plén, Doc NU A/76/PV.59 (2022) [AG NU 23 février 2022].
-
[69]
Convention concernant les droits et les devoirs des Puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre, 18 octobre 1907, 1908 UKTS 6 arts 1-10 (entrée en vigueur : 26 janvier 1910).
-
[70]
L’article premier de la Convention, ibid, dispose que « Le territoire des Puissances neutres est inviolable ».
-
[71]
Cité par Charles Chaumont, Nations Unies et neutralité, recueil de cours, Académie de droit international de La Haye, vol 89, 1956 à la p 14 (A. Rolin, La crise de la neutralité, Académie des Sciences de Bruxelles, 1924).
-
[72]
En ce sens, Hans Kelsen, The Law of the United Nations : A Critical Analysis of Its Fundamental Problem, New York, Frederick A Praeger, 1951 aux pp 91-94; Chaumont, Nations Unies et neutralité, supra note 71 à la p 14.
-
[73]
Activités militaires et paramilitaires, supra note 9 à la p 101.
-
[74]
Charte des Nations Unies, supra note 13, art 24.
-
[75]
Agression contre l'Ukraine, supra note 39 au para 2.
-
[76]
Rapports de la Commission du droit international sur la deuxième partie de sa dix-septième session et sur sa dix-huitième sessions, Doc off AG NU, 21e sess, supp no 9, Doc NU A/6309/rev.1 (1966) à la p 81; voir Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 aux pp 349-67.
-
[77]
Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 73ème session, Doc off AG NU, 73e sess, supp no 10, Doc NU A/77/10 (2022) à la p 93; Olivier Corten et Vaios Koutroulis, « The Jus Cogens Status of the Prohibition on the Use of Force. What Is Its Scope and Why Does It Matter? » dans Dire Tladi, dir, Peremptory Norms of General International Law (Jus Cogens), Leiden, Brill, 2021, 629.
-
[78]
L’article 4 de cette Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, 12 août 1949, 75 RTNU 31 (entrée en vigueur : 21 octobre 1950), dispose que : « Les Puissances neutres appliqueront par analogie les dispositions de la présente Convention aux blessés et malades, ainsi qu’aux membres du personnel sanitaire et religieux, appartenant aux forces armées des Parties au conflit, qui seront reçus ou internés sur leur territoire, de même qu’aux morts recueillis ».
-
[79]
Bruno Demeyere, « Article 4 : Application de la Convention par les Puissances Neutres » dans Knut Doermann et al, dir, Commentaire de la Première Convention de Genève. Convention (I) pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, Paris, Comité international de la Croix-Rouge, 2020, 291 au para 916.
-
[80]
Ibid au para 917.
-
[81]
Sur la neutralité de ces États, voir respectivement Charles Chaumont, « La neutralité de l’Autriche et les Nations Unies » (1955) 1 AFDI 151; Mathias Krafft, « L’attitude de la Suisse à l’égard du droit international » (1991) 2 Eur J Intl L 148.
-
[82]
AG NU 23 février 2022, supra note 68 à la p 13.
-
[83]
Lettre datée du 28 février 2014, adressée à la Présidente du Conseil de sécurité par le Représentant permanent de l’Ukraine auprès de l’Organisation des Nations Unies (S/2014/136), Doc off AG NU, 77e année, 11e sess extraordinaire, Doc NU A/ES-11/PV.8 (2022) à la p 4.
-
[84]
Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 à la p 321.
-
[85]
Chaumont, Nations Unies et neutralité, supra note 71 à la p 55.
-
[86]
Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 aux pp 320-41.
-
[87]
Entre autres exemples, on peut se référer à la Résolution 216 (1965) du 12 novembre 1965, Doc off CS NU, 20e année, Doc NU S/RES/216(1965), dans laquelle le Conseil de sécurité « décide de prier tous les États de ne pas reconnaître ce régime minoritaire raciste illégal de la Rhodésie du Sud et de s’abstenir de prêter aucune assistance à ce régime illégal ». Le paragraphe 7 de la Résolution 541 (1983) du 18 novembre 1983, Doc off CS NU, 38e année, Doc NU S/RES/541(1983), relative à Chypre, « demande à tous les États de ne pas reconnaître d’autre état chypriote que la République de Chypre ». La Résolution 662 (1990) du 9 août 1990, Doc off CS NU, 45e année, Doc NU S/RES/662(1990), adoptée à la suite de l’annexion du Koweït par l’Irak en 1990, « demande à tous les États, organisations internationales et institutions spécialisées de ne pas reconnaître cette annexion et de s’abstenir de toute mesure et de tout contact qui pourraient être interprétés comme une reconnaissance implicite de l’annexion ».
-
[88]
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud Ouest Africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, Avis consultatif, [1971] CIJ Rec 16 au para 119; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, Avis consultatif, [2004] CIJ Rec 136 au para 159; Effets juridiques de la séparation de l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965, Avis consultatif, [2019] CIJ Rec 95 au para 180.
-
[89]
« Projet d’articles sur la responsabilité de l’état pour fait internationalement illicite » (Doc NU A/56/10) dans Annuaire de la Commission du droit international 2001, vol 2, partie 2, New York, NU, 2001, art 41§2 (Doc NUA/CN.4/SER.A/2001/Add.1) [Articles sur la responsabilité de l’État] : « aucun État ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave au sens de l’article 40 [violation grave d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général] ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ».
-
[90]
Intégrité territoriale de l'Ukraine, Doc off AG NU, 68e sess, Doc NU A/RES/68/262 (2014) au para 6.
-
[91]
Intégrité territoriale de l’Ukraine : défense des principes, supra note 15.
-
[92]
Agression contre l'Ukraine, supra note 39 au para 10.
-
[93]
Définition de l’agression, supra note 31.
-
[94]
Activités militaires et paramilitaires,supra note 9 à la p 93.
-
[95]
Définition de l’agression, supra note 31, art 3f).
-
[96]
Reuters, « Syria recognizes independence, sovereignty of Donetsk, Luhansk -state news agency » (29 juin 2022), en ligne : Reuters <www.reuters.com/world/middle-east/syria-recognizes-independence-sovereignty-donetsk-luhansk-state-news-agency-2022-06-29/>.
-
[97]
Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, Avis consultatif, [2010] CIJ Rec 403 au para 81.
-
[98]
Intégrité territoriale de l’Ukraine : défense des principes, supra note 15 au para 4.
-
[99]
On peut également observer que cette fourniture d’équipements militaires pose question au regard du paragraphe 4 de l’Annexe B la Résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité, en date du 20 juillet 2015. Voir Résolution 2231 (2015), Doc off CS NU, 2015, Doc NU S/RES/2231.
-
[100]
Activités militaires et paramilitaires, supra note 9 à la p 110.
-
[101]
Traité de l’Atlantique Nord, 4 avril 1949, 34 RTNU 243 (entrée en vigueur : 24 août 1949).
-
[102]
CE, Version consolidée du Traité sur l'Union européenne [2010], JO, C 83/13.
-
[103]
Rebecca Barber, « What Does the ‘Responsibility to Protect’ Require of States in Ukraine? » (2022) 25 J Intl Peacekeeping 155.
-
[104]
Voir par ex la Croatie dans AG NU 28 février 2022-2, supra note 40 à la p 9; le Nigéria dans AG NU 1 mars 2022, supra note 3 à la p 22; l’Estonie ou la Pologne dans Doc off AG NU, 76e sess, 86e séance plén, Doc NU A/76/PV.86 (2022) aux pp 6-7 et 23.
-
[105]
Ukraine c Fédération de Russie, supra note 62 au para 75.
-
[106]
Document final du Sommet mondial de 2005, Doc off AG NU, 60e sess, Doc NU A/RES/60/1 (2005) aux para 138-39 (et les discussions ayant précédé l’adoption de ces paragraphes); Voir Nabil Hajjami, La responsabilité de protéger, Bruxelles, Bruylant, 2013.
-
[107]
Ibid au para 139 ; Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 aux pp 799-816.
-
[108]
L’article 42 de la Charte permet au Conseil de sécurité d’entreprendre « toute action qu’il jugera nécessaire au maintien de la paix et de la responsabilité internationale », ce qui lui laisse une compétence discrétionnaire particulièrement étendue; Corten, Le droit contre la guerre, supra note 10 aux pp 533-38.
-
[109]
Ukraine c Fédération de Russie, supra note 62 au para 59.
-
[110]
Lettre datée du 24 février 2022, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies, supra note 47 à la p 6.
-
[111]
Fédération de la Russie, « Document (avec annexes) de la Fédération de Russie exposant sa position sur le prétendu “défaut de compétence” en l’affaire » (7 mars 2022), en ligne : Cour internationale de justice <www.icj-cij.org/fr/node/106132>.
-
[112]
Voir au sujet de cette évolution Agatha Verdebout, Rewriting Histories of the Use of Force, Cambridge, C.U.P., 2021.
-
[113]
Vaios Koutroulis, « And Yet it Exists : In Defence of the ‘Equality of Belligerents’ Principle » (2013) 26:2 Leiden J Intl L 449.
-
[114]
Jean Salmon, « Vers l’adoption d’un principe de légitimité démocratique? » dans Olivier Corten, dir, A la recherche du nouvel ordre mondial; Tome I, Le droit international à l’épreuve, Bruxelles, Complexe, 1993, 59 à la p 63. En ce sens, voir aussi Christakis, supra note 65 aux pp 74-77 et Théodore Christakis, « L’État en tant que ‘fait primaire’ : réflexions sur la portée du principe d’effectivité » dans Marcelo G Kohen, dir, Secession, Cambridge, C.U.P., 2006, 138 aux pp 142-43.
-
[115]
Voir déjà Derek Bowett, United Nations Force : A Legal Study, New York/Washington, Praeger, 1964 à la p 78; Nations Unies, « Principes du maintien de la paix » (dernière consultation le 8 juillet 2023), en ligne : Nations Unies Maintien de la paix <peacekeeping.un.org/fr/principles-of-peacekeeping#2>.
-
[116]
Olivier Corten et Pierre Klein, « Action humanitaire et Chapitre VII : la redéfinition du mandat et des moyens d'action des Forces des Nations Unies » (1993) 39 AFDI 105.
-
[117]
Olivier Corten, La rébellion et le droit international. Le principe de neutralité en tension, La Haye, Académie de droit international, Adi-poche, 2015.