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Les mécanismes par lesquels les parties peuvent régler leurs différends concernant l’application ou l’interprétation d’un accord de libre-échange sont une de leurs caractéristiques essentielles. Contrairement à d’autres types de traités, les accords commerciaux internationaux prévoient généralement des mécanismes sophistiqués, qui encadrent la manière dont un État peut invoquer la responsabilité d’un autre État en cas de manquement à ses obligations, de même que les contre-mesures que l’État lésé peut éventuellement vouloir imposer. Les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont accès à l’un des mécanismes de règlement des différends les plus efficaces qui soit en droit international, malgré ses déboires récents avec le blocage de la nomination des membres de son Organe d’appel[1]. Comme les grandes obligations des accords de libre-échange reproduisent celles des accords de l’OMC, il ne faut pas se surprendre si les États préfèrent généralement recourir au mécanisme multilatéral pour régler leurs différends. Pourtant, les accords de libre-échange contiennent des engagements propres pour lesquels le mécanisme de l’OMC ne peut être saisi, ce qui explique pourquoi ces accords continuent de prévoir leur propre mécanisme de règlement des différends. Non seulement un mécanisme général est-il prévu, mais parfois, les accords de libre-échange prévoient aussi un ou des mécanismes spéciaux visant les différends concernant un chapitre spécifique de l’accord, pouvant même dépasser le cadre interétatique pour reconnaître des droits procéduraux aux personnes privées. C’est le cas particulièrement des accords qui comprennent un chapitre sur l’investissement, avec un mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État (RDIE).

Le règlement des différends relatifs à l’Accord de libre-échange nordaméricain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis et le gouvernement du Mexique[2] (ALÉNA) ne faisait pas exception. L’ALÉNA prévoyait non seulement un mécanisme général de règlement des différends, dans son chapitre 20, mais aussi un mécanisme spécial d’examen des droits antidumping ou compensateurs par des groupes spéciaux binationaux dans son chapitre 19, ainsi qu’un mécanisme de RDIE dans son célèbre chapitre 11. Le nouvel Accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique[3] (ACÉUM) remplace l’ALÉNA, mais il reproduit les trois mêmes mécanismes de règlement des différends, avec certaines modifications notables, surtout en matière de travail, d’environnement et d’investissement.

Cet article se penche sur le règlement des différends internationaux économiques en Amérique du Nord sous le nouveau régime de l’ACÉUM. La première partie examine les améliorations apportées au mécanisme général de règlement des différends (I). La deuxième partie étudie le maintien du mécanisme des groupes spéciaux binationaux en matière de dumping et de subventionnement (II). La troisième partie met en lumière le relâchement du mécanisme de RDIE (III). L’article conclut qu’une continuité s’observe entre l’ACÉUM et l’ALÉNA en matière de règlement des différends, en ce qui concerne le mécanisme général et le mécanisme spécial pour le dumping et le subventionnement, alors qu’une rupture nette s’opère en matière d’investissement avec le mécanisme de RDIE.

I. L’amélioration du mécanisme général de règlement des différends

Les ratés du mécanisme général de règlement des différends du chapitre 20 de l’ALÉNA (A) ont conduit à plusieurs améliorations dans celui maintenant prévu dans le chapitre 31 de l’ACÉUM, dont les plus importantes ont été apportées in extremis lors de la renégociation (B).

A. Les ratés du chapitre 20 de l’ALÉNA

Le mécanisme général de règlement des différends de l’ALÉNA, prévu par son chapitre 20, reprenait essentiellement celui mis en place par le chapitre 18 de son prédécesseur, l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis[4] (ALÉ). Le Canada eut souhaité la création d’un véritable tribunal du commerce nord-américain, à l’image de la Cour de justice des Communautés européennes de l'époque, mais il avait dû se plier à la préférence des États-Unis pour un mécanisme de type arbitral beaucoup moins institutionnalisé[5]. La mise en place d’un mécanisme de règlement des différends avait été cruciale pour le Canada, l’inégalité de puissance entre les deux pays rendant tout type de mécanisme plus souhaitable que la simple diplomatie[6].

Le mécanisme prévu par le chapitre 20 ressemblait davantage à celui de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce[7] (GATT de 1947) qu’à son successeur de l'OMC[8]. Aucun organe permanent n’a été créé, les différends étant tranchés par un groupe spécial arbitral ad hoc de cinq membres, sans possibilité d’appel. La Commission du libre-échange nord-américain, organe politique réunissant les ministres du commerce extérieur des trois parties, intervenait à différents stades du processus[9]. Une différence notable avec le mécanisme du GATT de 1947 était que l’institution du groupe spécial était automatique à la demande d’une partie[10]. En revanche, la sélection de ses membres ne l’était pas et fut l’une des principales causes de désaffection du chapitre 20. Le rapport du groupe spécial contenait ses constatations sur la compatibilité de la mesure attaquée avec l’ALÉNA et formulait des recommandations pour le règlement du différend[11]. Contrairement au GATT de 1947, le rapport n’avait pas à être formellement adopté par les parties ou la Commission, mais son contenu n’était pas exécutoire et devait plutôt permettre aux parties de s’entendre sur la solution du différend, consistant si possible en le retrait de la mesure ou encore l’octroi d’une compensation d’ordre tarifaire ou autre[12]. À défaut de règlement amiable, la partie demanderesse pouvait imposer des contre-mesures, dont la proportionnalité avec le préjudice commercial subi pouvait elle-même faire l’objet d’un examen par le groupe spécial, à la demande d’une partie[13].

Malgré son importance pour la conclusion de l’ALÉNA, le mécanisme du chapitre 20 a rapidement été délaissé puisque seules trois affaires ont été soumises à un groupe spécial entre 1994 et 2020, toutes au cours de ses sept premières années d’opération[14]. Cette désaffection s’explique essentiellement par deux facteurs. D’une part, les parties ont préféré s’en remettre au nouveau mécanisme de règlement des différends de l’OMC, jugé plus efficace avec sa juridiction quasi-obligatoire, son Organe d’appel et sa plus grande institutionnalisation[15]. En effet, la plupart des différends commerciaux entre les parties pouvaient être soumis soit à l’OMC, soit au mécanisme du chapitre 20, en raison de l’identité des disciplines fondamentales entre les accords de l’OMC et l’ALÉNA[16]. Toutefois, le chapitre 20 demeurait nécessaire pour le règlement des différends portant sur les engagements propres à l’ALÉNA. D’autre part, les lacunes dans les règles de sélection des membres des groupes spéciaux ont rendu leur formation extrêmement laborieuse.

Le problème résidait dans l’omission des parties de constituer la liste de personnes aptes à agir comme membre des groupes spéciaux, qui devait être adoptée par consensus puis renouvelée aux trois ans[17]. Les parties devaient sélectionner le président du groupe spécial par consensus, à défaut de quoi une partie tirée au sort pouvait le faire, tandis que chaque partie devait choisir deux membres de la nationalité de l’autre partie, à défaut de quoi les membres étaient tirés au sort à partir de la liste[18]. Une partie conservait certes le droit de sélectionner une personne n’apparaissant pas dans cette liste, mais dans ce cas l’autre partie pouvait la récuser sans motif[19]. Le défaut d’adopter ou de renouveler la liste par consensus a d’abord permis aux États-Unis d’étirer la phase de sélection des membres du groupe spécial — censée durer environ un mois — à six mois dans les deux premières affaires, puis quatorze mois dans la troisième, pour ensuite la bloquer complètement dans le conflit du sucre avec le Mexique[20]. Cette dernière affaire illustre les lacunes du chapitre 20 et les problèmes complexes soulevés par l’enchevêtrement des mécanismes de règlement des différends internationaux économiques. Après avoir tenté sans succès de former un groupe spécial pour connaître de sa plainte concernant son accès au marché du sucre aux États-Unis, au titre des engagements pris dans l’ALÉNA, le Mexique a choisi d’imposer des contremesures à ces derniers en frappant d’une surtaxe les boissons gazeuses contenant du sirop de maïs riche en fructose. Ces contre-mesures ont à leur tour été contestées avec succès par les États-Unis, mais cette fois à l’OMC, qui a refusé de décliner compétence malgré les procédures engagées en vertu de l’ALÉNA[21]. Au surplus, trois entreprises américaines du secteur agroalimentaire établies au Mexique ont réclamé avec succès des dommages-intérêts en vertu du mécanisme de RDIE de l’ALÉNA[22]. Pourtant, la plainte initiale du Mexique au titre du chapitre 20 n’a jamais pu être soumise à un groupe spécial en raison de l’obstruction des États-Unis. L’accès à la justice de l’ALÉNA était ainsi grandement miné par ces lacunes techniques concernant la sélection des membres des groupes spéciaux.

B. L’amélioration in extremis du chapitre 31 de l’ACÉUM

Dès le début de la renégociation de l’ALÉNA, les États-Unis ont exprimé le souhait de rendre le mécanisme général de règlement des différends moins contraignant que celui du chapitre 20[23]. Dans cette perspective, le simple fait de maintenir le mécanisme sans le diluer constituait un gain pour le Canada et le Mexique. Cela explique pourquoi le mécanisme initialement convenu le 30 novembre 2018 dans le chapitre 31 de l’ACÉUM est une reproduction du chapitre 20, avec quelques avancées notables. L’utilisation des technologies de l’information est désormais prévue, tout comme la possibilité de convenir d’un groupe spécial de trois membres plutôt que cinq, ou encore de nouvelles règles de preuve et de procédure assurant la publicité des travaux des groupes spéciaux et leur pouvoir d’accepter de recevoir des mémoires d’amicus curiae[24]. À l’instar du mécanisme de l’OMC, un nouveau recours permet aussi à la partie défenderesse de demander au groupe spécial de se prononcer sur l’élimination de la mesure non conforme, lorsque la demanderesse le conteste et maintient ses contremesures[25].

L’avancée la plus notable de la version initiale du chapitre 31 de l’ACÉUM réside cependant dans l’inclusion des différends concernant l’application des chapitres 23 sur le travail et 24 sur l’environnement. La coopération relative à ces deux domaines et leurs liens avec le libre-échange étaient régis par l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail[26] (ANACT) et l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement[27] (ANACDE) qui prévoyaient leur propre mécanisme de règlement des différends distinct de celui du chapitre 20 de l’ALÉNA[28]. Ces accordsparallèles avaient été négociés à la demande de la nouvelle administration Clinton, comme condition à la ratification de l’ALÉNA par les ÉtatsUnis[29]. Ces mécanismes interétatiques spéciaux n’ont jamais été utilisés, mais les particuliers se sont fréquemment prévalus de leur droit de soumettre des communications au Secrétariat de la Commission de coopération environnementale (CCE) ou au Bureau administratif national (BAN) d’une partie en matière de travail[30]. L’ACÉUM suit la pratique ultérieure des États-Unis — et celle plus récente du Canada — de régir ces questions dans un chapitre de l’accord de libreéchange plutôt que dans des accords distincts.

Le chapitre sur le travail oblige les parties à adopter et maintenir les droits énoncés notamment dans la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi[31], alors que celui sur l’environnement les oblige à ne pas omettre d’appliquer et faire respecter de manière effective leurs lois environnementales fédérales par des actions ou des inactions soutenues ou récurrentes[32]. Cette limitation à la législation environnementale fédérale semble marquer un recul par rapport à l’ANACDE en ce qui concerne le Canada, puisque certaines provinces, dont le Québec, étaient aussi visées par celui-ci[33]. Seule la législation fédérale est visée par le chapitre sur le travail en ce qui concerne les ÉtatsUnis et le Mexique, mais pas le Canada, ce qui marque un élargissement de sa portée à toute la législation provinciale, contrairement à l’ANACT qui ne visait que la législation de certaines provinces, incluant le Québec[34]. Tout manquement au chapitre 23 ou 24 peut être soumis par une partie à un groupe spécial, suivant le mécanisme général du chapitre 31, mais uniquement après s’être prêté à des consultations obéissant à des règles spéciales[35]. L’ACÉUM maintient par ailleurs la procédure éprouvée de soumission de communications du public au sujet d’une partie, auprès d’une autre partie dans le domaine du travail, ou du Secrétariat de la CCE dans le domaine de l’environnement[36]. La CCE est d’ailleurs maintenue en place par un nouvel accord allégé qui remplace l’ANACDE, tandis que l’ANACT est simplement éteint[37]. Par conséquent, les différends en matière de coopération dans les domaines du travail et de l’environnement ne sont plus relégués à un mécanisme parallèle, mais sont désormais traités sur le même pied que les différends commerciaux.

La véritable amélioration du mécanisme du chapitre 20 de l’ALÉNA est le fruit des conditions posées in extremis par le Congrès américain dans le processus de ratification de l’ACÉUM. Une série d’amendements au texte initial du chapitre 31 ont été convenus dans un protocole afin de renforcer le mécanisme général de règlement des différends[38]. La pression du Congrès visait surtout à garantir l’application des chapitres sur le travail et l’environnement[39]. Un problème propre à ces deux chapitres est réglé en prévoyant une présomption simple que le manquement d’une partie a un effet sur le commerce ou l’investissement, condition qui a posé des difficultés dans une affaire mettant en cause un autre accord de libre-échange des États-Unis[40].

Deux nouveaux mécanismes de réaction rapide sont aussi créés entre le Mexique et chaque autre partie concernant le déni de certains droits des travailleurs dans des « installations particulières »[41]. Ces dernières sont des entreprises oeuvrant dans les secteurs manufacturier, minier et des services[42]. Les seuls droits visés par ces mécanismes sont le droit à la liberté d’association et le droit à la négociation collective garantis par la législation fédérale mettant en oeuvre le chapitre sur le travail[43]. Une partie peut demander à un groupe spécial de réaction rapide d’examiner si une situation de déni de droits existe au sein d’une installation d’une autre partie et si des mesures correctives appropriées ont été prises[44]. En l’absence de telles mesures, la demanderesse peut frapper spécifiquement l’entreprise fautive de mesures de réparation, pouvant aller de la suspension des préférences tarifaires, à des pénalités, voire au refus d’entrée des produits en cas de récidive[45]. L’utilisation abusive de ces mécanismes bilatéraux peut-elle même faire l’objet d’une plainte au titre du chapitre 31, dont la sanction peut être sa suspension temporaire[46]. Ces nouveaux mécanismes de réaction rapide ne visent donc pas le défaut général de l’État de légiférer dans le domaine du travail, couvert par le mécanisme général du chapitre 31, mais plutôt les pratiques propres à certaines entreprises, ce qui constitue une première dans un accord de libre-échange.

Les autres améliorations apportées in extremis au chapitre 31 répondent aux problèmes du chapitre 20 en facilitant la constitution des groupes spéciaux, ce qui profite cette fois aussi aux différends commerciaux[47]. Les règles concernant l’adoption de la liste des personnes aptes à être nommées membres d’un groupe spécial sont grandement assouplies et ne permettent plus à une partie de l’empêcher[48]. Plutôt que de devoir adopter impérativement la liste entière de trente personnes par consensus, chaque partie doit désigner au plus dix personnes et la liste peut ainsi être constituée d’un nombre moindre même si une partie refuse de le faire. Elle demeure en vigueur trois ans ou tant qu’une nouvelle désignation n’est pas effectuée, ce qui règle le problème de son non-renouvellement. L’obstruction du processus de désignation des membres du groupe spécial est aussi rendue plus difficile, puisqu’en cas d’inaction de la défenderesse dans la désignation des membres, la demanderesse peut le faire à sa place à partir de la liste[49]. Le moyen le plus sûr de régler définitivement ces problèmes aurait sans doute été de désigner une autorité de nomination comme le Secrétaire général de la Cour permanente d’arbitrage ou le Directeur général de l’OMC, mais cette solution n’a pas été envisagée[50]. Enfin, le droit des parties de récuser sans motif une personne ne figurant pas sur la liste est maintenant limité, puisqu’il ne peut être exercé lorsqu’aucune personne qualifiée et disponible sur la liste n’a l’expertise spécialisée nécessaire.

Ces solutions apportées aux problèmes du chapitre 20 de l’ALÉNA subissent déjà le test de la réalité, puisque les deux premiers différends commerciaux soumis à des groupes spéciaux en vertu du chapitre 31 ont conduit à l'adoption de rapports finaux concernant, d'une part, des mesures de sauvegarde imposées par les États-Unis et, d'autre part, certaines modalités de l’accès au marché des produits laitiers au Canada[51]. Washington a aussi déjà activé le nouveau mécanisme de réaction rapide en demandant à Mexico d’examiner des violations alléguées des droits des travailleurs dans une usine automobile située au Mexique[52]. Peu de temps avant, des travailleuses mexicaines ont soumis une première communication au bureau mexicain compétent concernant des manquements allégués des États-Unis au chapitre 23[53]. La désaffection pour le mécanisme général de règlement des différends semble être chose du passé et le chapitre 31 l’ACÉUM pourrait connaître des jours meilleurs que le chapitre 20 de l’ALÉNA.

II. Le maintien des groupes spéciaux binationaux en matière de dumping et de subventionnement

Le mécanisme spécial du chapitre 19 de l’ALÉNA en matière de dumping et de subventionnement a fait l’objet de vives critiques aux États-Unis (II.A), mais il est néanmoins maintenu dans le chapitre 10 de l’ACÉUM.

A. Le mécanisme critiqué du chapitre 19 de l’ALÉNA

Le chapitre 19 de l’ALÉNA prévoyait un mécanisme spécial de règlement des différends unique dans les accords de libre-échange. Il permettait à une partie ou aux personnes privées touchées par l’imposition de droits antidumping ou compensateurs de choisir de demander à un groupe spécial binational de se substituer aux tribunaux nationaux pour exercer le contrôle judiciaire des déterminations finales des organismes d’enquêtes, au regard des critères d’examen du droit administratif de la partie concernée[54]. Ce recours visait donc la conformité des droits avec la législation nationale de la partie les ayant imposés, ce qui diffère de façon importante des recours ouverts à l’OMC pour contester leur conformité ou celle d’une subvention avec les obligations internationales de ses membres[55]. La distinction était importante puisque la décision du groupe spécial binational du chapitre 19 était exécutoire en droit interne comme un jugement des tribunaux nationaux : il pouvait maintenir la détermination finale ou la renvoyer à l’organisme d’enquête national pour qu’il fasse une nouvelle détermination compatible avec la décision[56]. Cela signifie que la décision du groupe spécial binational pouvait mener au remboursement des droits perçus illégalement, contrairement aux droits perçus de manière illicite au regard des accords de l’OMC, qui doivent simplement être retirés pour le futur mais pas remboursés[57]. Aucune disposition ne visait cependant l’articulation entre un recours entrepris sur la base du chapitre 19 et un autre concernant la même mesure soumis à l’OMC, ce qui signifie que les deux procédures pouvaient se chevaucher[58].

Le mécanisme du chapitre 19 était une reproduction quasiment identique du chapitre 19 de son prédécesseur, l’ALÉ[59]. Il a une forte valeur symbolique pour le Canada, puisqu’il est le fruit d’un compromis entre son désir d’être soustrait aux mesures de défense commerciale des États-Unis et le refus ces derniers de l’accepter[60]. L’imposition de droits antidumping et compensateurs demeure un problème commercial majeur pour l’accès des produits canadiens au marché américain et le fait de pouvoir éviter de recourir aux tribunaux américains pour les contester était apparu comme une solution de rechange acceptable pour le Canada, permettant de contourner leur biais présumé et de réduire le coût et les délais des procédures. Ce compromis avait sauvé les négociations de l’ALÉ et le chapitre 19 constituait aussi un élément central de l’ALÉNA[61]. Comme la décision des groupes spéciaux binationaux était finale, sans appel et exécutoire, elle soulevait des préoccupations d’ordre constitutionnel aux ÉtatsUnis et c’est pourquoi une procédure de contestation extraordinaire avait été prévue[62]. Celle-ci permettait à une partie de demander à un comité l’annulation de la décision pour des motifs graves comme l’inconduite d’un membre du groupe spécial, la violation d’une règle fondamentale de procédure ou l’excès de compétence, si cela a sensiblement influé sur la décision et menace l’intégrité du mécanisme du chapitre 19[63]. Par ailleurs, une procédure était aussi prévue en cas de blocage du mécanisme par une partie, permettant à l’autre partie de soumettre la question à un comité spécial, pouvant mener à la suspension du chapitre 19 ou d’autres dispositions de l’ALÉNA à titre de contre-mesure[64].

Contrairement au mécanisme du chapitre 20 de l’ALÉNA, la constitution des groupes spéciaux binationaux n’a généralement pas été problématique et le mécanisme a pu être utilisé fréquemment[65]. Pas moins de 161 demandes d’examen ont été soumises de 1994 à 2020 au titre du chapitre 19 de l’ALÉNA[66]. Les États-Unis ont été quatre fois plus visés par ces demandes (115) que le Canada (23) et le Mexique (23), alors que les demandeurs se sont répartis plus équitablement entre les Mexicains (61), les Canadiens (60) et les Américains (40). La procédure de contestation extraordinaire de la décision d’un groupe spécial binational a été employée seulement trois fois, sans succès, toujours par les États-Unis, la dernière fois remontant à 2004. Les conditions cumulatives strictes de cette procédure sont apparues difficiles à satisfaire pour obtenir gain de cause. Le mécanisme du chapitre 19 est clairement celui qui a été le plus utilisé des mécanismes de règlement des différends de l’ALÉNA, ce qui s’explique à la fois par le volume des affaires de dumping et de subventionnement et par sa saisine à la demande des personnes privées[67]. Compte tenu de la nature des différends et des parties impliquées, les procédures des groupes spéciaux binationaux ont été d’emblée beaucoup plus transparentes que celles des autres mécanismes de l’ALÉNA[68].

Malgré son succès, le chapitre 19 a néanmoins soulevé la controverse, surtout aux États-Unis, après quelques affaires de grande envergure comme la querelle du bois d’oeuvre avec le Canada. La principale critique, venue surtout d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’opposants à l’ALÉNA, visait les membres des groupes spéciaux binationaux, dont la désignation ne respecte pas les exigences du droit constitutionnel américain, alors que certains sont étrangers, sans expérience judiciaire et que tous sont non imputables, contrairement aux juges américains[69]. Cette critique s’est traduite par une série infructueuse de contestations constitutionnelles du chapitre 19 aux États-Unis, au motif que les membres étaient désignés sans l’avis et le consentement du Sénat et que les tribunaux américains étaient privés de leur compétence[70]. Les groupes spéciaux binationaux seraient perçus — avec raison selon une étude empirique — comme étant moins enclins à confirmer les mesures de défense commerciale que le sont les tribunaux américains[71]. Leurs membres examineraient de manière plus approfondie les dossiers factuels, mais seraient moins qualifiés pour appliquer la norme de contrôle appropriée selon le droit national[72]. Par ailleurs, l’étude empirique de la contestation des déterminations finales américaines indique que jusqu’à 2003 toutes les demandes de révision ont été soumises au mécanisme du chapitre 19, alors que les tribunaux américains ont été préférés dans la majorité des cas après cette date[73]. Cette controverse et la perte de popularité relative du chapitre 19 expliquent son abandon initial lors de la renégociation de l’ALÉNA.

B. Le sauvetage du mécanisme dans le chapitre 10 de l’ACÉUM

Dans leur accord de négociation initial, intervenu sans le concours du Canada, les États-Unis et le Mexique sont convenus d’abandonner le mécanisme du chapitre 19 de l’ALÉNA[74]. Cette proposition de Washington a été acceptée sans états d’âme particuliers par Mexico. Il en allait autrement pour Ottawa, pour qui le maintien du chapitre 19 constituait une ligne rouge dans la renégociation, tant pour des raisons symboliques que pour continuer d’offrir ce recours somme toute efficace aux exportateurs canadiens[75]. Le Canada a finalement réussi à sauver ce mécanisme unique dans le chapitre 10 de l’ACÉUM[76]. Bien que le Mexique y ait renoncé dans un premier temps, le mécanisme d’examen par un groupe spécial binational des déterminations finales en matière de dumping et de subventionnement s’applique toujours à toutes les parties.

Compte tenu de son abandon initial et de la tardiveté de son sauvetage dans l’ACÉUM, le mécanisme du chapitre 19 de l’ALÉNA n’a pas fait l’objet d’une révision en profondeur afin de répondre aux critiques qui lui sont adressées[77]. Les conditions cumulatives restrictives de la procédure de contestation extraordinaire sont un exemple d’un problème qui aurait pu être réglé par l’ACÉUM, afin de répondre à certaines critiques des États-Unis, tout comme celui du dédoublement des procédures avec les recours à l’OMC[78]. Seules quelques modifications mineures ont été apportées au chapitre 19, sans toucher au mécanisme d’examen par un groupe spécial binational[79]. Contrairement à son prédécesseur, le chapitre 10 porte désormais sur toutes les mesures de défense commerciale, y compris les mesures de sauvegarde, mais ces dernières ne sont pas visées par le mécanisme des groupes spéciaux binationaux[80]. Il énonce aussi des pratiques exemplaires relatives à la transparence et l’équité des procédures d’imposition de droits antidumping et compensateurs[81]. De nouvelles dispositions sont ajoutées sur la coopération entre les parties pour prévenir l’évasion douanière relative aux mesures de défense commerciale[82]. La renégociation de l’ALÉNA n’aura certes pas permis d’améliorer le fonctionnement du mécanisme des groupes spéciaux binationaux du chapitre 19, mais ce dernier en ressort finalement indemne.

III. Le relâchement du règlement des différends entre investisseur et État

Le mécanisme de RDIE du chapitre 11 de l’ALÉNA ayant soulevé la controverse tant chez les gouvernements qu’au sein de la société civile (III.A), il ne faut pas s’étonner qu’il soit partiellement abandonné par le chapitre 14 de l’ACÉUM sur l’investissement (III.B).

A. La controverse entourant le chapitre 11 de l’ALÉNA

Le chapitre 11 sur l’investissement constituait le chapitre le plus controversé de l’ALÉNA. Son prédécesseur, le chapitre 16 de l’ALÉ, prévoyait certes des règles de fond sur la protection des investissements étrangers — une première pour le Canada — mais aucun mécanisme de RDIE n’avait été inclus et seul le mécanisme général de règlement des différends s’y appliquait[83]. L’inclusion du Mexique dans l’ALÉNA explique principalement pourquoi les parties ont choisi de prévoir le RDIE dans le chapitre 11, tablant sur la pratique conventionnelle bilatérale du Canada et des ÉtatsUnis[84]. Le chapitre prévoyait des règles de fond plus complètes et le mécanisme du RDIE permettait désormais aux investisseurs de la zone de libre-échange nordaméricaine de soumettre directement et sans condition auprès d’un tribunal arbitral leur demande de réparation du préjudice causé par la violation de celles-ci[85]. Les parties consentaient à l’avance à l’arbitrage suivant les règles du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ou de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI)[86]. Comme ses dispositions sur le RDIE étaient très détaillées et comportaient plusieurs innovations juridiques, comme un mécanisme de jonction de plaintes multiples ou la possibilité d’adopter des notes d’interprétations obligatoires[87], le chapitre 11 est devenu un modèle de référence marquant durablement la pratique conventionnelle du Canada, des ÉtatsUnis et du Mexique.

Avec le Traité sur la Charte de l’énergie[88], l’ALÉNA était le premier traité prévoyant le RDIE entre des pays industrialisés et cette caractéristique unique s’est rapidement traduite par un flot important de réclamations, souvent contre des mesures environnementales. L’affaire Ethyl Corporation c. Canada[89], première réclamation fondée sur le chapitre 11 et l’une des toutes premières affaires de RDIE au monde, a soulevé la controverse puisqu’elle visait une mesure restreignant le commerce d’un additif d’essence pour des motifs supposément environnementaux[90]. Cette affaire est la première d’une série d’autres qui ont alarmé les gouvernements et la société civile sur les dérives possibles du chapitre 11 — et plus largement du RDIE — et son incidence sur le droit de légiférer dans l’intérêt général[91]. Le montant élevé des réclamations ou leur caractère parfois frivole, de même que l’interprétation libérale ou souvent contradictoire des obligations des parties par les tribunaux arbitraux, ont alimenté cette controverse. La Commission du libre-échange de l’ALÉNA a dû adopter des notes d’interprétations obligatoires pour rectifier la pratique arbitrale émergente en ce qui concerne la norme minimale de traitement de la personne et des biens étrangers[92]. Le manque de transparence du RDIE a été décrié et des ajustements ont dû être apportés afin de faciliter la publicité des audiences, la soumission de mémoires d’amicus curiae, ainsi que la publication des sentences arbitrales et des autres documents de procédure[93]. Cette méfiance a amené les gouvernements du Canada et des États-Unis à revoir leur pratique conventionnelle ultérieure en renforçant le droit de légiférer dans l’intérêt général dans leur traité-modèle[94]. Elle a même conduit à la contestation infructueuse de la constitutionnalité du mécanisme du RDIE du chapitre 11 au Canada, au motif qu’il usurperait les fonctions traditionnelles des cours supérieures[95].

Le bilan de l’utilisation du mécanisme de RDIE du chapitre 11 est pourtant contrasté. Contrairement aux attentes initiales des parties, le Mexique est loin d’avoir été le seul visé par des réclamations d’investisseurs[96]. Entre 1994 et 2020, c’est le Canada qui a été le plus visé avec vingt-neuf réclamations, toutes soumises par des investisseurs américains, ayant dû verser au total 180 millions de dollars américains à titre de dommage dans sept affaires, au terme de l’arbitrage ou dans le cadre d’un règlement amiable, alors que cinq affaires sont toujours pendantes. L’essentiel de ce montant est attribuable au règlement de 123 millions de dollars américain intervenu dans l’affaire Abitibi/Bowater c. Canada[97] concernant une expropriation directe sans indemnisation par la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Le Mexique a été visé par vingt-quatre réclamations, soumises par des investisseurs américains (20) et canadiens (4), ayant dû verser un total de 186 millions de dollars en dommage au terme de l’arbitrage, alors que sept affaires sont toujours pendantes. À nouveau, il faut souligner que l’essentiel de ce montant, soit 168,80 millions de dollars américains est attribuable à l’indemnisation combinée versée aux trois entreprises agroalimentaires américaines qui ont soumis une réclamation dans le cadre du conflit du sucre entre le Mexique et les États-Unis[98]. Pour leur part, ces derniers n’ont jamais perdu dans les dix-sept affaires qui ont été soumises au titre du chapitre 11 par des investisseurs canadiens (16) et mexicain (1). La réclamation colossale de 15 milliards de dollars américains de la pétrolière albertaine TransCanada, concernant le refus du projet de pipeline Keystone XL par l’administration Obama, montre toutefois que les États-Unis étaient aussi exposés aux risques du chapitre 11 avec leurs mesures environnementales[99]. Même dans les affaires où elles ont eu gain de cause, le mécanisme de RDIE de l’ALÉNA a exigé des parties l’affectation d’importantes ressources humaines et financières afin d’assurer leur défense, sans compter les règlements amiables confidentiels qui pourraient être intervenus. Somme toute, ces chiffres apparaissent modérés lorsque mis en perspective avec les flux d’investissements entre les trois pays et spécialement entre le Canada et les États-Unis.

B. L’abandon partiel du RDIE dans le chapitre 14 de l’ACÉUM

Lors de la renégociation de l’ALÉNA, l’administration Trump s’est inscrite en faux contre la position traditionnelle des États-Unis de promouvoir le RDIE. Plutôt que d’y voir un mécanisme au service des intérêts des entreprises américaines, elle y voyait une menace pour la souveraineté des États-Unis et un encouragement à la délocalisation de ces entreprises et des emplois à l’étranger[100]. La réclamation avortée dans l’affaire du projet Keystone XL a aussi rappelé l’exposition des États-Unis au risque de poursuite pour des mesures environnementales. Le chapitre 14 de l’ACÉUM est le résultat de cette nouvelle position américaine à l’égard du RDIE : il prévoit toujours des règles de fond sur la protection des investissements étrangers, mais il abandonne partiellement le RDIE[101]. Ces règles de fond ressemblent à celles du chapitre 11, avec les améliorations protégeant le droit de légiférer dans l’intérêt général qui se retrouvent dans les accords les plus récents du Canada et des États-Unis et spécialement dans l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste[102] (PTPGP)[103].

La grande nouveauté du chapitre 10 de l’ACÉUM est l’abandon complet du RDIE dans les rapports entre le Canada et les États-Unis[104]. Seul un régime transitoire est prévu, afin de permettre aux investissements réalisés avant cette date de continuer de bénéficier du RDIE du chapitre 11 pour une durée de trois ans à compter de l’extinction de l’ALÉNA[105]. L’ACÉUM ne prévoit certes plus de mécanisme de RDIE dans les rapports entre le Canada et le Mexique, mais celui du PTPGP s’applique toujours entre les deux parties. L’abandon du RDIE, demandé par les États-Unis, constitue un gain net pour le Canada, dans la mesure où il ne sera plus exposé aux réclamations des investisseurs américains. L’investissement entre les deux pays ne disparaîtra naturellement pas, ni les différends relatifs à celui-ci. Les investisseurs lésés devront toutefois s’adresser désormais aux tribunaux nationaux pour obtenir réparation, ou leur réclamation devra être soumise par les parties au mécanisme général de règlement des différends du chapitre 31[106]. Dans le premier cas, la question de l’équivalence de la protection offerte par le droit national se pose et reçoit une réponse négative au Canada, où la propriété privée ne jouit par exemple d’aucune protection constitutionnelle[107]. Les investisseurs pourraient aussi être encouragés à investir davantage par le truchement d’une société située dans un pays tiers lié avec le Canada ou les États-Unis par un accord prévoyant le RDIE. Ce chalandage prévisible des traités rendra encore plus critique l’utilisation de la clause de refus des avantages, permettant de bloquer les réclamations des sociétés n’exerçant aucune activité économique substantielle dans le pays où elles sont constituées[108].

Dans le cas des rapports entre les États-Unis et le Mexique, le RDIE est maintenu, mais en partie seulement. Cela s’explique surtout par la volonté du président sortant Enrique Peña Nieto de protéger les importantes réformes réglementaires apportées par son administration dans de nombreux secteurs-clés de l’économie du Mexique[109]. Mais l’histoire troublée de la protection de la propriété américaine dans ce pays explique aussi sans doute le besoin de préserver le RDIE dans une certaine mesure. Un mécanisme général de RDIE est prévu entre les deux pays en ce qui concerne tous les investissements, mais seulement en cas de violation des clauses du traitement national et de la nation la plus favorisée, à la phase post-investissement, ainsi que de la clause d’expropriation, mais uniquement pour l’expropriation directe[110]. Cette limitation réduit de façon significative l’utilité de ce régime général, puisque les allégations de manquement les plus fréquentes des investisseurs concernent le traitement juste et équitable et l’expropriation indirecte[111]. Une nouvelle disposition ferme le RDIE aux investisseurs détenus par des personnes provenant d’un pays ayant une économie planifiée avec lequel les États-Unis ou le Mexique n’ont pas conclu d’accord de libre-échange, ce qui vise essentiellement la Chine[112]. Une nouvelle condition procédurale vient aussi restreindre l’accès au RDIE : l’investisseur doit désormais soumettre sa réclamation aux tribunaux nationaux et obtenir une décision définitive ou poursuivre ses recours pendant 30 mois avant de pouvoir recourir au mécanisme général de RDIE[113]. Cette innovation, qui représente un ersatz de clause Calvo[114], ralentit et alourdit certes l’accès à l’arbitrage international, mais pourrait aussi permettre le règlement judiciaire de certains différends, tout en éliminant les réclamations les plus frivoles. En revanche, elle risque de créer de nouvelles difficultés avec l’enchevêtrement de recours internes et internationaux[115]. L’ACÉUM codifie par ailleurs les améliorations apportées dans la pratique à l’ouverture et la transparence du RDIE du chapitre 11 de l’ALÉNA[116].

Un mécanisme sectoriel de RDIE s’ajoute au mécanisme général entre les deux pays. Il permet les réclamations concernant la violation de toutes les règles de fond du chapitre 14, mais uniquement si l’investissement est réalisé au moyen d’un contrat d’État dans les secteurs du pétrole et du gaz, de l’électricité, des télécommunications, du transport, ou des infrastructures de transport routier, ferroviaire et des ponts ou canaux[117]. L’exclusion des infrastructures portuaires et aéroportuaires de ce régime est décriée par les milieux d’affaires américains, qui pourraient réévaluer leurs projets d’investissement au Mexique dans ces secteurs[118]. Au surplus, la rareté des contrats d’État dans ces secteurs aux États-Unis fait en sorte que ce mécanisme sera dans les faits fermé aux investisseurs mexicains[119]. L’obligation de s’adresser d’abord aux tribunaux nationaux ne s’applique pas au mécanisme sectoriel de RDIE[120]. Ses conditions d’accès procédurales ressemblent ainsi davantage à celles du chapitre 11 de l’ALÉNA, à l’exception notable qu’il ne demeure ouvert que si la partie visée par la réclamation reste liée par au moins un autre traité prévoyant le RDIE[121]. Si le Mexique ou les États-Unis devaient abandonner le RDIE avec leurs autres partenaires conventionnels, leurs investisseurs perdraient ainsi le bénéfice du mécanisme sectoriel de RDIE de l’ACÉUM.

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Au terme de la renégociation de l’ALÉNA, le règlement des différends internationaux économiques en Amérique du Nord n’apparaît pas fondamentalement transformé. Malgré plusieurs améliorations, particulièrement en matière de travail et d’environnement, le mécanisme général de règlement des différends de l’ACÉUM s’inscrit en continuité avec celui de son prédécesseur, alors que le mécanisme spécial d’examen par des groupes spéciaux binationaux des droits antidumping ou compensateurs est maintenu. En revanche le relâchement du RDIE dans l’ACÉUM constitue une rupture nette avec l’ALÉNA et l’approche habituelle du Canada et des États-Unis. Cette rupture s’inscrit dans la controverse qui entoure le RDIE de façon générale et, plus particulièrement, son adéquation avec les rapports entre pays industrialisés. Sur ce plan, un changement majeur a bien eu lieu et ses impacts restent à voir, tant en Amérique du Nord sur les flux d’investissement et le règlement des différends relatifs à l’investissement, que dans le reste du monde sur l’évolution de la pratique conventionnelle en la matière.