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Il n’est pas rare que l’on parle de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACÉUM)[1] comme du « nouvel ALÉNA[2] » ou de l’« ALÉNA 2.0 »[3]. Si cette appellation fournit une référence rapide et évocatrice, elle constitue un raccourci trompeur. Il est vrai que l’ACÉUM remplace l’ALÉNA[4] et que ses règles de base et sa structure reprennent assez largement celles de son prédécesseur. Mais là s’arrêtent les liens de parenté entre l’ALÉNA et l’ACÉUM.

On ne saurait trop insister sur le fait que le texte de l’ACÉUM n’est pas une réécriture ni une modification de l’ALÉNA. Sauf pour quelques articles dont le libellé est classique et d’un usage quasi uniforme dans les accords d’intégration économique, sauf aussi pour les dispositions clés dont on a voulu s’assurer que leur sens ne serait pas modifié, les libellés qu’on trouve dans l’ALÉNA n’ont pas servi de base à la rédaction de l’ACÉUM.

L’ACÉUM a été négocié dans un contexte et un esprit radicalement différents de ceux qui prévalaient à l’époque de la négociation de l’ALÉNA.

La première moitié de la décennie 1990 annonce les années fastes du libre-échange. Les grandes nations commerçantes s’efforcent alors de relancer et de stabiliser l’économie mondiale par des accords qui apportent ouverture et prévisibilité pour les échanges commerciaux. Les négociations du Cycle d’Uruguay commencées en 1986 débloquent. Elles mènent, à la fin de 1993, au consensus qui permettra la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) le 1er janvier 1995. En Amérique du Nord, le Canada, les États-Unis et le Mexique instaurent la plus grande zone d’intégration économique régionale de l’époque. Avec l’ALÉNA dont plusieurs mécanismes et dispositions sont innovants, ils créent un modèle[5] qui inspirera fortement une trentaine d’autres accords commerciaux régionaux (ACR) qui seront signés du milieu des années 1990 jusqu’au milieu de la décennie 2000. La négociation et l’entrée en vigueur de l’ALÉNA soulèvent, pendant les premières années d’application, de grands espoirs quant à l’intégration économique nord-américaine[6].

Tout à l’opposé, la négociation de l’ACÉUM est forcée par une administration étasunienne dont le représentant au commerce, Robert Lighthizer, est connu pour ses positions mercantilistes et protectionnistes. La menace du président Trump de retirer les États-Unis de l’ALÉNA[7] si « le pire accord de commerce de l’Histoire »[8] n’est pas renégocié entraîne le Canada et le Mexique dans des pourparlers qu’ils ne souhaitaient pas. La réouverture des termes du libre-échange en Amérique du Nord s’amorce à l’automne 2017 dans un contexte qui n’a rien de propice à l’ouverture et à l’intégration des marchés. Huit mois plus tôt, en janvier 2017, les États-Unis se sont retirés des négociations devant mener au Partenariat transpacifique global et progressiste. Une guerre tarifaire entre les États-Unis et la Chine couve alors. Déjà, les tensions sont vives sur les marchés internationaux au sujet du commerce de l’acier et de l’aluminium. Sans compter la crise de l’Organe d’appel à l’OMC, largement provoquée par les États-Unis, qui entre dans une phase critique et qui mènera en décembre 2019 à l’impossibilité pour les Membres de l’OMC de porter efficacement une affaire en appel.

L’ALÉNA et l’ACÉUM constituent tous deux des cadres par lesquels le Canada, les États-Unis et le Mexique ont régi et régissent encore leurs relations commerciales. Mais ces deux accords ont été construits sur des objectifs différents et d’après des visions assez divergentes quant aux vertus de la libéralisation des marchés. Si le premier est, à n’en pas douter, un accord de libre-échange qui vise à créer un marché nord-américain destiné à croître ; le second est plutôt ce qu’il est convenu d’appeler un accord de « commerce géré »[9] dont l’approche régionaliste et surtout mercantiliste est évidente. Quand le préambule de l’ALÉNA parle de

« CONTRIBUER au développement et à l’essor harmonieux du commerce mondial ainsi qu’à l’expansion de la coopération internationale (…) DE CRÉER un marché plus vaste et plus sûr pour les produits et les services produits sur leurs territoires (…) DE RÉDUIRE les distorsions du commerce »[10],

le préambule de l’ACÉUM parle de

« REMPLACER l’Accord de libre-échange nord-américain de 1994 par un nouvel accord de grande qualité adapté au XXIe siècle pour soutenir des échanges commerciaux mutuellement avantageux qui conduiront à des marchés plus libres et équitables et à une croissance économique vigoureuse dans la région ; DE PRÉSERVER ET D’ACCROÎTRE la production et le commerce régionaux en encourageant davantage le recours aux sources d’approvisionnement et la production de produits et de matières dans la région ; D’AMÉLIORER ET DE PROMOUVOIR la compétitivité des exportations et des entreprises régionales sur les marchés mondiaux, ainsi que des conditions de concurrence loyale dans la région »[11]

On a négocié et rédigé l’ALÉNA d’après l’idée que « Free Trade is Good ». On a négocié et rédigé l’ACÉUM pour répondre au slogan « America First », cher au président Trump. Pour faire image, on est passé de l’Accord de libre-échange nord-américain à un accord dont le nom n’évoque ni le libre-échange ni l’Amérique du Nord.

Cette différence de visions entre l’ACÉUM et l’ALÉNA se répercute sur le contenu des accords. L’ambition du présent article est de mettre en lumière trois apports de l’ACÉUM qui traduisent cette différence et, surtout, révèlent la vraie nature du nouveau cadre juridique des relations commerciales Canada-États-Unis-Mexique. Ces trois traits caractéristiques nous apparaissent aussi être révélateurs de tendances lourdes dans le commerce international actuel et de la façon dont plusieurs grandes nations commerçantes conçoivent le libre-échange aujourd’hui. Nous traiterons successivement de l’asymétrie entre les engagements pris par les Parties à l’ACÉUM ; de la procédure de révision de l’accord prévue à son chapitre 34 et du repli de la zone d’intégration économique nord-américaine sur elle-même.

I. Une asymétrie plus forte

Aucun accord d’intégration économique régional ne prévoit une parfaite symétrie entre les engagements pris par ses Parties. Inévitablement, sur chaque marché national, certains produits, certaines activités ou certaines valeurs prendront une importance particulière qui amènera le gouvernement à vouloir faire inscrire dans l’accord des engagements, des exemptions, des réserves ou des exceptions pour mieux profiter de ses intérêts offensifs ou pour mieux protéger ses intérêts défensifs. Les exemples de cette asymétrie ne manquaient pas dans l’ALÉNA.

Pour le Canada, on pense d’emblée, à l’exception culturelle[12], à la défense des systèmes de gestion de l’offre en agriculture[13] ou encore aux services sociaux établis et maintenus à des fins publiques[14]. Pour le Mexique, la question de l’énergie[15], notamment, a amené les négociateurs à insérer des dispositions spécifiques aménageant une place particulière à cet enjeu. Les États-Unis, avec le pouvoir de négociation dont ils disposent, ont pu imposer à leurs partenaires une gamme de dispositions et de réserves ayant pour effet de protéger de façon particulière le commerce du bois, de l’acier et de l’aluminium, le secteur automobile, le transport ou les services financiers, parmi d’autres. À ces exemples, s’ajoute celui de l’accès aux marchés en matière agricole. L’annexe 703.2 de l’ALÉNA illustrait éloquemment que les échanges agricoles en Amérique du Nord découlaient non pas d’une relation trilatérale, mais de trois relations bilatérales bien distinctes.

L’asymétrie entre les engagements des Parties est sans doute plus importante dans la période que nous traversons où les ACR prennent plus que jamais la forme de traités-contrats plutôt que celle de traités-lois[16]. Dit autrement, les partenariats économiques régionaux de signature récente visent moins à poser des règles générales et objectives qui s’imposent de manière uniforme qu’à assurer la réciprocité et l’équilibre entre les prestations différenciées de chaque Partie. On l’a vu, l’ALÉNA était déjà un traité-contrat dont plusieurs dispositions, annexes et réserves permettaient à chacun des Trois Amigos[17] de bénéficier d’un traitement particulier. Mais l’ACÉUM va plus loin. Il renforce, accentue et parfois institutionnalise l’asymétrie des engagements qui lient ou délient les Parties.

C’est sans doute au chapitre 14, quant au règlement des différends investisseur État (RDIE), que les résultats de cette asymétrie renforcée sont les plus spectaculaires dans l’ACÉUM[18]. Le paragraphe de l’article 14.2 prévoit que :

« Il est entendu qu’un investisseur peut soumettre une plainte à l’arbitrage en vertu du présent chapitre uniquement suivant les termes prévus à l’annexe 14-C (Plaintes en instance et plaintes concernant un investissement antérieur), à l’annexe 14-D (Différends en matière d’investissement entre le Mexique et les États-Unis) ou à l’annexe 14-E (Différends en matière d’investissement entre le Mexique et les États-Unis concernant les contrats gouvernementaux visés). »

Le Canada ne saurait donc être visé que par les plaintes soumises en vertu de l’annexe 14-C. Cette annexe couvre les plaintes en instance et les plaintes concernant un investissement antérieur. Les premières sont les plaintes dont les procédures d’arbitrage étaient déjà engagées alors que l’ALÉNA était encore en vigueur[19]. Les secondes sont les plaintes portées après le remplacement de l’ALÉNA par l’ACÉUM, mais qui concernent un investissement établi ou acquis par un investisseur d’une Partie sur le territoire d’une autre Partie alors que l’ALÉNA était en vigueur[20]. Il n’est consenti à ce deuxième type de plaintes que pour une période de 3 ans après l’expiration de l’ALÉNA[21].

L’ACÉUM ne prévoit donc pas de mécanisme de RDIE liant le Canada pour les investissements établis ou acquis à partir du 1er juillet 2020.

Ainsi, il n’existe plus de mécanisme RDIE entre le Canada et les États-Unis. Désormais, les investisseurs qui s’estiment lésés doivent exercer leurs recours devant les tribunaux nationaux du pays d’accueil de leur investissement. Un mécanisme de RDIE s’applique toujours entre le Canada et le Mexique, mais en vertu du Partenariat transpacifique global et progressiste auquel le Canada et le Mexique sont tous deux Parties[22].

L’annexe 14-D prévoit qu’un mécanisme de RDIE s’applique toujours entre le Mexique et les États-Unis, mais uniquement pour les plaintes en cas de manquement aux articles portant sur le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée et l’expropriation (sauf dans les cas d’expropriation indirecte). L’annexe 14-E, quant à elle, permet la soumission à l’arbitrage des plaintes alléguant des manquements à n’importe quelle obligation prévue au chapitre 14, mais uniquement si le demandeur est Partie à un contrat gouvernemental visé par l’annexe.

La différence entre le chapitre 11 de l’ALÉNA et le chapitre 14 de l’ACÉUM est très marquée. Le premier dotait la zone d’intégration économique nord-américaine d’un système de RDIE innovant, intégré, efficace et qui fut plus usité qu’on ne l’avait anticipé lors de l’entrée en vigueur de l’ALÉNA. À l’origine, le chapitre 11 avait pour but premier de favoriser les flux d’investissement en limitant la capacité des États d’accueil, surtout le Mexique, d’imposer des mesures allant à l’encontre de la règle du traitement national, du traitement de la nation la plus favorisée ou de la norme minimale de traitement[23]. Dans les faits, les dispositions du chapitre 11 sur l’expropriation indirecte ont été les plus mobilisées, à l’encontre de mesures environnementales ou sociales, le plus souvent canadiennes, qui réduisaient l’expectative de profits en territoire canadien d’investisseurs étasuniens[24]. On a donc pu, à certains égards, regretter les innovations et l’efficacité du chapitre 11.

Sous le second, le chapitre 14 de l’ACÉUM, le RDIE ne vaut que pour deux des trois Parties à l’accord. Pour les États-Unis, le Mexique et surtout pour leurs investisseurs, les recours toujours ouverts sont largement amputés par rapport à ceux qui existaient sous l’ALÉNA.

On peut se réjouir que l’abandon du chapitre 11 entraîne sans doute un renforcement de la capacité du gouvernement canadien de légiférer et de réglementer dans l’intérêt public, sans s’inquiéter d’un éventuel recours au RDIE de la part d’un investisseur étasunien[25]. On peut aussi s’étonner d’un tel abandon[26] et du renvoi des recours des investisseurs devant les tribunaux nationaux quand on connait l’importance des investissements échangés entre les États-Unis et le Canada. En 2019, les investissements directs étrangers (IDE) au Canada provenant des États-Unis atteignaient $402 milliards. La même année, les IDE canadiens en territoire étasunien totalisaient $581 milliards[27]. À l’évidence, l’intégration économique nord-américaine n’a rien perdu de son intensité quant à la circulation des capitaux. Le RDIE qui avait été instauré par l’ALÉNA était certes polémique. Mais il était un instrument juridique structurant de la régie de cette intégration. Le temps nous dira si le recours aux tribunaux nationaux étasuniens ou canadiens pour entendre les recours d’investisseurs provenant de l’autre côté de la frontière est une meilleure idée.

L’asymétrie renforcée de l’ACÉUM se constate aussi au chapitre 13 qui porte sur les marchés publics. Ce chapitre ne lie que les États-Unis et le Mexique[28]. Il semble que les positions de négociation étasuniennes, intransigeantes aux yeux du Canada, aient amené ce dernier à renoncer à être lié par ce chapitre. Les négociateurs étasuniens se seraient montrés inflexibles quant à l’application des dispositions Buy America et Buy American[29] qui ferment de larges parts de marchés publics aux entreprises canadiennes[30]. Les États-Unis auraient aussi souhaité l’inclusion d’une clause de réciprocité dite « dollar-for-dollar » qui aurait eu pour effet d’ouvrir les marchés publics étasuniens aux entreprises canadiennes et mexicaines uniquement à la hauteur des contrats octroyés aux entreprises étasuniennes par les gouvernements canadiens et mexicains[31]. Si les États-Unis ont finalement renoncé à cette clause, le Canada a tout de même estimé qu’il valait mieux ne pas transiger sur la question des marchés publics au sein de l’ACÉUM et plutôt profiter des ouvertures de marché déjà négociées dans d’autres cadres. En effet, les marchés publics font déjà l’objet d’importants engagements entre le Canada et les États-Unis par le biais de l’Accord révisé sur les marchés publics (AMP) de l’OMC. Cet accord plurilatéral auquel sont parties 48 Membres de l’OMC dont le Canada et les États-Unis couvre des parts importantes des marchés fédéraux, des marchés de 37 États des États-Unis et ceux des provinces et territoires canadiens. Le Mexique n’est pas partie à l’AMP, mais il est partie, comme le Canada, à l'Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste [PTPGP]. C’est donc le chapitre 15 du PTPGP qui prévoit l’ouverture des marchés fédéraux, provinciaux, territoriaux et étatiques entre le Canada et le Mexique.

Le secteur de l’énergie en est un autre où l’ACÉUM a élargi le fossé, certes déjà existant, entre les Amigos et pour lequel l’intégration économique nord-américaine a pris un petit pas de recul. L’ALÉNA conférait déjà un statut particulier au Mexique quant aux hydrocarbures. Il permettait à l’État mexicain de se réserver un grand nombre d’activités stratégiques liées notamment à la prospection, à la transformation, au raffinage, à l’exploitation et à la distribution du pétrole brut, du gaz naturel et des produits pétrochimiques de base[32]. Mais on trouvait dans l’ALÉNA, au moins entre le Canada et les États-Unis, un certain souci de mise en commun des ressources[33]. L’article 605 prévoyait que, si le Canada ou les États-Unis se prévalait des articles XI:2a), XXg), i) ou j) du GATT pour restreindre ses exportations de produits énergétiques ou de produits pétrochimiques de base, cette restriction ne devait pas avoir pour effet de réduire la proportion des exportations par rapport à l’approvisionnement total de la Partie exportatrice, de fixer des prix minimaux plus élevés ou de perturber les voies normales d’approvisionnement.

L’ACÉUM contient un chapitre, d’un seul article, entièrement consacré à la « reconnaissance du droit de propriété direct, inaliénable et imprescriptible des États-Unis mexicains sur les hydrocarbures »[34]. Ce chapitre dont le titre parle de lui-même vise à mettre en exergue la souveraineté du Mexique sur cette catégorie de ressources. L’ACÉUM contient aussi une annexe[35] et une exception[36] qui laissent au Mexique un contrôle considérable sur l’exportation des hydrocarbures et sur l’investissement dans ce secteur d’activités. L’ACÉUM ne contient pas d’équivalent de l’article 605 de l’ALÉNA. On assiste à l’abandon de l’idée d’une certaine responsabilité partagée quant à l’approvisionnement énergétique sur le continent nord-américain. C’est sans doute, heureusement, une certaine responsabilité à l’égard des changements climatiques qui prend maintenant le pas. C’est aussi un peu ce que traduit l’abandon du projet Keystone XL par le président Biden dès son entrée en fonction, abandon qu’a regretté le premier ministre Trudeau en insistant à la fois sur l’importance de combattre les changements climatiques et sur le fait que le Canada pouvait contribuer à la sécurité énergétique des États-Unis[37].

Un mécanisme de règlement des différends nouveau genre, inséré dans le texte de l’ACÉUM par le Protocole d’amendement de 2019, illustre et consacre d’éclatante façon l’asymétrie entre les engagements des Parties. L’annexe 31-A crée un « Mécanisme de réaction rapide applicable à des installations particulières entre les États-Unis et le Mexique ». L’annexe 31-B crée son équivalent entre le Canada et le Mexique. Ces mécanismes identiques s’appliquent quand une Partie « estime de bonne foi que les travailleurs d’une Installation visée sont privés des droits de liberté d’association et de négociation collective »[38]. Ainsi, une Partie qui se porte plaignante peut demander à la Partie défenderesse d’examiner « la situation » quant à un déni de droits dans une « installation visée ». Une installation visée est celle qui « produit un produit ou fournit un service » qui fait l’objet d’un échange entre les Parties ou qui est en concurrence avec les produits ou services d’une autre Partie[39]. Ces installations appartiennent à des secteurs dits prioritaires soit le secteur manufacturier, le secteur des services et le secteur minier. Quand on connait les secteurs où les États-Unis redoutent la compétition amenée par les bas coûts de main-d’oeuvre qui prévalent au Mexique, on ne s’étonne pas que le « secteur manufacturier » inclue notamment les produits aéronautiques, les automobiles et pièces d’automobiles, l’acier, l’aluminium, le verre, le plastique, la forge et le ciment[40]. Si la Partie plaignante n’est pas satisfaite de l’examen mené par la Partie défenderesse ou des correctifs apportés par l’installation visée par la plainte, elle peut requérir la constitution d’un groupe spécial qui mènera une enquête et qui pourra aller jusqu’à procéder à une vérification sur le territoire de la Partie défenderesse.

On voit combien ce mécanisme peut être intrusif. On comprend aisément qu’il n’existe pas un tel mécanisme entre le Canada et les États-Unis. On ne se surprendra pas non plus que le premier recours à ce mécanisme ait été exercé, le 12 mai 2021, par les États-Unis au sujet d’une installation du constructeur automobile General Motors située à Silao, dans l’État de Guanajuato[41].

La force de l’intégration économique nord-américaine n’a jamais reposé sur des règles et disciplines uniformes ni sur la symétrie des prestations et des engagements des Parties. Loin s’en faut. Cette intégration fonctionne parce que chaque partenaire y trouve plus de gains que de concessions pour son économie nationale. Trois économies aussi différentes doivent savoir trouver des termes d’échanges mutuellement avantageux sans que tous ne s’engagent sur chaque enjeu, sans que tous n’adhèrent à une règle commune. Cette asymétrie s’inscrit dans le droit plus fortement que jamais avec l’ACÉUM.

II. Un accord à réviser périodiquement

L’ALÉNA était conçu comme un accord dont les dispositions seraient à ce point précises que la prise de décisions communes serait marginale et rarement utile[42]. Les Parties à l’ALÉNA ont soigneusement évité tout transfert de souveraineté vers une entité proprement régionale[43]. Contrairement à ce que prévoyaient deux autres accords contemporains, le Traité de Maastricht et le Traité du Mercosur qui s’inscrivaient dans une approche supranationale et qui créaient des institutions communes fortes, les Parties à l’ALÉNA se sont contentées de rechercher une certaine convergence de leurs politiques « par l’application d’un cadre normatif contenu dans le texte initial de l’accord »[44].

Seules deux institutions, que d’aucuns ont qualifiées de squelettiques[45], ont été créées par l’ALÉNA. La Commission du libre-échange qui était chargée de la mise en oeuvre, du bon fonctionnement et du développement de l’accord[46] ne s’est prévalue qu’une seule fois de son modeste pouvoir d’interpréter l’accord[47]. Le Secrétariat n’avait quant à lui qu’un mandat essentiellement administratif[48]. Les Parties à l’ALÉNA ont tout misé sur les mécanismes de règlement des différends pour maintenir à jour un accord qui ne prévoyait ni sa renégociation ni son extinction.

Ce pari des Parties à l’ALÉNA ne s’avérera pas tout à fait gagnant. L’incapacité des institutions de l’ALÉNA de créer du droit dérivé et de prendre l’initiative de la modernisation de l’accord ne sera jamais compensée par les décisions des groupes spéciaux chargés de régler les différends[49]. Certains chapitres, ceux sur les mesures d’urgence, les télécommunications et les services financiers de l’ALÉNA ont fini par ne plus correspondre à l’état des marchés nord-américains et sont tombés en désuétude. D’autres dispositions, sur les marchés publics, l’admission temporaire des gens d’affaires, le règlement des différends en matière de droits antidumping et de droits compensateurs ou le règlement des différends interétatiques ont perdu beaucoup de leur efficacité.

Le texte stagnant de l’ALÉNA est devenu à ce point décalé avec la réalité de l’intégration nord-américaine qu’il aura fallu conclure, en marge, entre le Canada et les États-Unis, deux accords sur des thèmes qui tombent en plein coeur de la relation commerciale entre les deux pays : l’Accord sur le bois d’oeuvre résineux[50] et l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis en matière de marchés publics[51].

Il faut bien admettre que l’obstination de l’administration Trump à renégocier l’ALÉNA aura eu ceci de bon qu’elle a forcé le remplacement d’un cadre juridique qui ne vieillissait pas bien. Elle aura aussi eu pour effet de doter le nouveau cadre, l’ACÉUM, d’un processus de révision qui préviendra une lente mise à l’écart d'éléments importants de ce cadre comme cela est arrivé à l’ALÉNA.

C’est le long article 34.7 intitulé « Examen et reconduction » qui force désormais une révision périodique des termes de l’ACÉUM.

Dès le début de la renégociation de l’ALÉNA, en août 2017, l’administration étasunienne s’est donnée pour objectif d’inclure dans le futur accord « un mécanisme d’évaluation périodique des bénéfices de l’accord »[52]. Rapidement, cet objectif général s’est précisé et les États-Unis ont proposé à leurs partenaires une clause crépusculaire ou clause d’extinction de 5 ans[53]. Comme l’a expliqué le Représentant au commerce des États-Unis (USTR) devant le Comité des voies et moyens de la Chambre des Représentants du Congrès, cette clause avait pour but de donner au Président des États-Unis le pouvoir d’évaluer les effets économiques de l’accord après une période raisonnable d’application puis de voir si les termes de l’échange entre les trois pays d’Amérique du Nord devaient être rééquilibrés. Le visionnement du témoignage du Représentant au commerce et des questions et commentaires des membres du Comité montrent très clairement que cette proposition du Représentant au commerce ne soulevait pas l’enthousiasme des élus[54]. Fort heureusement, la délégation mexicaine avait une bien meilleure idée qui s’est avérée être un compromis acceptable pour tous.

Ainsi, tout comme l’ALÉNA[55], l’ACÉUM contient un mécanisme de retrait à son article 34.6. Mais il contient beaucoup plus. L’ACÉUM est aujourd’hui le seul accord commercial signé par les États-Unis[56] et par le Canada (et aussi loin que nous ayons pu vérifier, par le Mexique) qui prévoit son extinction. L’article 34.7, à son paragraphe 1, prévoit que :

« Le présent accord prend fin 16 ans après la date de son entrée en vigueur, à moins que chacune des Parties ne confirme qu’elle souhaite qu’il soit reconduit pour une nouvelle période de 16 ans, conformément aux procédures énoncées aux paragraphes 2 à 6. »

C’est la Commission du libre-échange créée par l’article 30.1 qui est chargée de l’application des procédures de reconduction dont il est question ici.

Un « examen conjoint » du fonctionnement de l’accord est conduit par la Commission à la date du sixième anniversaire de l’entrée en vigueur de l’accord[57]. Dans le cadre de cet examen, chaque Partie confirme si elle souhaite reconduire l’accord pour une autre période de 16 ans. Si c’est le cas, « la durée [de l’ACÉUM] est automatiquement prorogée d’une autre période de 16 ans »[58]. Les compteurs sont alors remis à zéro et la Commission procédera à un nouvel examen conjoint avant la fin de la période de 6 ans qui débute alors.

La procédure prévoit aussi bien sûr le cas où il n’y a pas d’accord de prorogation lors de l’examen conjoint qui intervient après six ans. « Si, dans le cadre d’un examen sexennal, une Partie ne confirme pas son souhait de reconduire [l’accord] pour une période de 16 ans, la Commission se réunit pour procéder à un examen conjoint chaque année jusqu’à l’expiration [de l’accord] »[59]. À tout moment entre la conclusion d’un examen conjoint et l’expiration de l’accord, les Parties peuvent convenir de reconduire celui-ci pour une autre période 16 ans.

On comprend de cette clause d’examen et reconduction que l’ACÉUM est en vigueur pour au moins 16 ans à compter de son entrée en vigueur le 1er juillet 2020. L’« examen sexennal » a pour but de donner aux Parties l’opportunité d’évaluer, de revoir et au besoin de moderniser l’ACÉUM, sans la menace d’une extinction prochaine, en jouissant d’une période tampon de 10 ans.

Quand on le compare aux premières demandes du Représentant au commerce des États-Unis, l’article 34.7 peut assurément être vu comme une victoire pour le Mexique[60]. Mais une majorité d’observateurs considèrent plutôt que l’insertion de cette clause est source d’incertitude et d’instabilité et pourrait avoir un effet dissuasif sur les investisseurs et miner la confiance des opérateurs d’entreprises[61]. D’autres vont encore plus loin et qualifient l’article 34.7 de « bombe à retardement »[62].

Il est difficile de prévoir les impacts de l’article 34.7 sur le commerce et les flux d’investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Il est tout aussi de périlleux de s’aventurer à prédire comment les Parties à l’ACÉUM tireront profit de cette nouvelle possibilité de révision et de modernisation de leur accord d’intégration commun. Mais il s’agit surtout de ne pas être naïf. L’article 34.7 ne protège en rien le Canada et le Mexique contre des pressions politiques du genre qu’a imposées l’administration Trump pour forcer dans l’urgence la renégociation de l’ALÉNA.

L’article 34.7 illustre la vraie nature du libre-échange en Amérique du Nord. Un partenariat économique avec une puissance comme les États-Unis est vibrant, changeant, soumis aux soubresauts des marchés et aux humeurs du Congrès et de l’administration à Washington. Les termes de la relation doivent être revus et corrigés en fonction de droits antidumping, de droits punitifs, de décisions judiciaires ou administratives, de nouveaux objectifs politiques plus ou moins mercantilistes ou protectionnistes. En cela, l’ALÉNA ne correspondait pas à la réalité de l’intégration économique nord-américaine. On ne fixe pas une relation commerciale avec les États-Unis dans un texte immuable. L’ACÉUM et son article 34.7 reflètent mieux la réalité d’une relation trilatérale qui, au fond, est sans cesse en ajustement.

III. Une zone d’intégration régionale tentée par le repli sur soi

Les accords commerciaux régionaux récents témoignent d’une tendance forte au repli sur soi. L’ACÉUM n’est pas le seul à verser dans une certaine forme de protectionnisme régional. Le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) fut signé le 15 novembre 2020 par 15 États d’Asie-Pacifique[63] représentant 30% du PIB mondial et tout près d’un tiers de la population mondiale. Quand il entrera en vigueur, il sera le plus important accord de libre-échange du monde. Déjà, des observateurs de partout tentent d’anticiper les impacts économiques de cet accord. Les premières analyses des engagements des Parties montrent que les Parties au RCEP ont cherché à consolider les chaines de valeur régionales qui font de la Chine le centre de gravité de l’accord[64]. On appréhende donc que cet accord n’entraîne un repli sur soi de cette zone d’intégration et soit moins une source de création de richesse qu’une cause de diversion de commerce qui nuise aux intérêts d’entreprises opérant sur ces marchés, mais qui proviennent d’États qui ne sont pas signataires de ce partenariat.

À des degrés divers, tous les accords commerciaux régionaux (ACR) ont cet effet de diversion que le système GATT/OMC cherche à endiguer par la règle de la nation la plus favorisée et par les critères développés sous l’article XXIV du GATT. Dès lors que les Parties à un ACR souhaitent stimuler l’activité économique et accroître les échanges dans leur zone d’intégration régionale, la tentation est forte de mettre en place des règles qui favoriseront le commerce intrarégional au détriment du commerce provenant de l’extérieur de la zone.

Bien qu’exemplaire à plusieurs égards, l’ALÉNA avait un peu de ce travers. Les annexes 300-A et 300-B qui portaient respectivement sur le secteur automobile et sur les textiles visaient sans détour à mettre le marché nord-américain à l’abri, au moins partiellement, de la concurrence étrangère dans ces deux secteurs[65]. Le secteur de l’énergie était aussi régi de façon extrêmement prudente. La sécurité des approvisionnements, les enjeux de sécurité nationale, l’intervention de l’État, l’origine des investissements, la crainte d’un autre choc pétrolier, le respect des engagements pris à l’OCDE, le mélange de dépendance et de méfiance à l’égard de l’OPEP et l’accès au marché étasunien pour le Canada et le Mexique qui disposent d’importantes capacités d’exportation sont autant de facteurs qui ont amené les Parties à l’ALÉNA à parsemer l’accord de dispositions et de réserves qui rendaient la relation entre les Amigos en matière d’énergie à la fois très privilégiée et très complexe. On pourrait sans doute multiplier les exemples de produits pour lesquels l’ALÉNA prévoyait des dispositions particulières qui avaient pour effet de créer un marché régional bien spécifique. Le sucre et certains produits informatiques entrent assurément dans cette catégorie.

Quelques éléments du contexte dans lequel s’est négocié l’ACÉUM ont amené les Parties à accentuer ce caractère régionaliste ou continentaliste.

À l’ère de la « smile curve » et du raccourcissement des chaines de valeur, les Parties à l’ACÉUM ont renouvelé les conditions de leurs échanges avec pour priorité de renforcer les chaines de valeur régionales[66]. Son préambule que nous avons cité plus haut est très clair quant à cet objectif qui a pu amener les Parties à assimiler intérêts régionaux et commerce géré[67].

Au surplus, l’ACÉUM a été négocié dans une période de tensions commerciales globales. Ces tensions, qui ont débuté avant l’arrivée aux affaires de l’administration Trump, ont amené les États-Unis à chercher à imposer un certain modèle de libéralisation des marchés qui contrecarrerait la montée de l’influence économique chinoise[68]. Au départ la participation des États-Unis aux négociations du PTPGP visait à mettre en place un modèle d’accord comportant des engagements que ne pourrait ratifier la Chine compte tenu de ses politiques économiques. Or, ironie de l’Histoire, on sait que les États-Unis ont renoncé au moins temporairement au PTPGP et que la Chine a demandé, en septembre 2021, son accession à ce partenariat[69]. Il demeure que plusieurs dispositions de cet accord très libéral ont été reproduites dans l’ACÉUM. L’ACÉUM est un cadre juridique qui ne saurait convenir à toutes les économies nationales. Rien qu’en cela, il n’a rien d’un modèle.

Dernier élément de contexte pertinent, l’ACÉUM a été négocié par une administration étasunienne obsédée par l’idée de rapatrier des activités de production, et donc des emplois, dont la délocalisation vers la Chine ou le Mexique aurait été provoquée par des partenaires commerciaux qui abusent prétendument de l’économie étasunienne.

C’est donc dans un environnement économique et politique propice à un certain repli sur soi qu’il aura fallu renégocier l’intégration économique en Amérique du Nord. L’ACÉUM contient donc plusieurs dispositions qui exposent sans trop de retenue cette tendance au repli sur soi.

Dans le secteur des textiles, les dispositions de l’ACÉUM sont, aux yeux mêmes de l’industrie, encore plus protectionnistes que celles de l’ALÉNA[70]. L’approvisionnement en tissus à bas coûts provenant d’Asie est découragée et les exigences de teneur valeur régionale sont haussées par les dispositions du chapitre 6 et par les règles d’origine.

Dans le secteur automobile, d’autres modifications aux règles d’origine empruntent la même voie. Les exigences de teneur en valeur régionale pour plusieurs catégories de véhicules, les exigences quant à la provenance de l’acier et de l’aluminium composant les véhicules[71] et les exigences quant au taux salarial minimum des travailleurs des usines où sont montés les véhicules[72] sont autant de conditions qui tendent à refermer sur lui-même le marché automobile nord-américain.

En agriculture, on peut mentionner, parmi d’autres engagements, l’obligation qu’a contractée le Canada à l’article 3.A.3 d’assurer un suivi auprès des États-Unis de ses exportations mondiales de protéines de lait, de lait écrémé en poudre et de préparation pour nourrissons et d’appliquer, au-delà de certains seuils de ventes, des droits à l’exportation. On sait que ces obligations sont un corollaire obligé du maintien de la gestion de l’offre dans le secteur laitier canadien, mais on peut tout de même voir ici l’acceptation par le Canada d’une forte intrusion étasunienne dans les relations commerciales du Canada avec des partenaires hors ACÉUM.

S’ajoutent à ces exemples pointus, le fameux article 32.10 qui complique singulièrement toute négociation de libre-échange entre un des pays de l’ACÉUM et la Chine. Cet article original et sans précédent exige qu’« une Partie informe les autres Parties de son intention d’amorcer des négociations en vue de conclure un accord de libre-échange avec un pays n’ayant pas une économie de marché », au moins trois mois avant le début des négociations[73]. En clair, l’article 32.10 force toute Partie à l’ACÉUM qui entend négocier un accord de libre-échange avec un pays qui n’a pas une économie de marché à obtenir l’approbation des autres Parties à l’ACÉUM pour ce faire. Le paragraphe 3 prévoit une obligation de fourniture de renseignements, applicable en cours de négociation, sur demande d’une autre Partie. Le paragraphe 4 exige qu’on donne aux autres Parties la possibilité d’examiner le texte intégral de l’accord, dès que possible et au plus tard 30 jours avant la fin de la négociation.

Une fois que les deux autres Parties à l’ACÉUM ont analysé le contenu et les effets de l’accord de libre-échange conclu par une Partie à l’ACÉUM avec un pays n’ayant pas une économie de marché, les autres Parties pourront mettre fin [à l’ACÉUM] moyennant un préavis de six mois, et remplacer [l’ACÉUM] par un accord bilatéral entre elles[74].

Les négociateurs mexicains et canadiens ont bien tenté de minimiser l’importance et le sens de cette clause en arguant qu’une clause de retrait existait déjà dans l’ALÉNA[75]. Cette sous-évaluation de l’article 32.10 est trompeuse. Cette clause permet d’expulser un pays de l’ACÉUM, ce que l’ALÉNA n’a jamais prévu. Un ancien diplomate canadien condamne vivement le libellé de l’article 32.10 et souligne qu’un pays comme le Canada pourrait être « kicked-out » de l’ACÉUM s’il devait signer avec la Chine un accord commercial qui ne plaise pas aux États-Unis[76].

La définition qu’offre l’article 32.10 de ce qu’est « un pays n’ayant pas une économie de marché » est plutôt inhabituelle :

« 1. Pour l’application du présent article :

un pays n’ayant pas une économie de marché est un pays qui, à la fois :

a) à la date de signature du présent accord, est considéré par une Partie comme n’ayant pas une économie de marché aux fins de la législation sur les recours commerciaux de la Partie en question

b) n’a conclu d’accord de libre-échange avec aucune des Parties. »

On constate que cette définition est, en fait, laissée à chaque Partie à l’ACÉUM. Or, il s’avère que les États-Unis ont leur définition de ce qu’est « un pays n’ayant pas une économie de marché » aux fins de l’application de leur législation relative aux droits antidumping et aux droits compensateurs. À ce jour, 11 pays ont été désignés comme tels par le Département du Commerce[77]. La Chine, le Vietnam et 9 autres pays qui sont tous d’anciens pays du Bloc de l’Est figurent sur cette liste. Il faut remarquer que le Vietnam ne pourrait être couvert par la définition énoncée à l’article 32.10. Le deuxième critère de la définition exclut le Vietnam qui est partie au PTPGP.

Les observateurs s’accordent à dire que l’article 32.10 vise les accords de libre-échange avec la Chine et vise à bâtir un front commun contre elle[78].

Bien qu’elle soit sans précédent, l’inclusion d’une clause comme l’article 32.10 n’est pas si surprenante. Depuis l’accession de la Chine à l’OMC en 2001, les administrations étasuniennes, démocrates comme républicaines, ont toutes exprimé de nombreux griefs à l’égard de la politique commerciale chinoise. Les subventions, les entreprises d’État, la manipulation de la devise monétaire, la propriété intellectuelle et le contrôle gouvernemental sur les secteurs stratégiques sont les principales questions au sujet desquelles les États-Unis prétendent que les pratiques chinoises sont incompatibles avec le système commercial multilatéral. Bien avant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, les États-Unis soulignaient la nécessité de réviser les pratiques commerciales chinoises[79]. Comme il est apparu impossible, au moins à court terme, de gagner cette bataille dans l’enceinte de l’OMC, les États-Unis se sont engagés dans une guerre tarifaire avec la Chine et transposé leur bataille dans l’arène régionale. Ainsi, l’article 32.10 fait partie de ces dispositions de l’ACÉUM qui visent à combattre la politique économique chinoise sur des enjeux comme la manipulation de la monnaie, les pratiques commerciales des entreprises d’État, la transparence ou les règles de localisation des données.

Une chose est sûre, l’article 32.10 n’est certes pas de nature à aider à bâtir des ponts entre la zone d’intégration nord-américaine d’une part et la Chine et sa zone d’influence économique qui tend à s’élargir d’autre part. Il sera fort intéressant de voir comment cet article sera appliqué à la suite de la demande d’accession de la Chine au PTPGP auquel sont parties le Canada et le Mexique.

***

Au fond, le texte de l’ACÉUM est un fidèle reflet de la véritable nature et des caractéristiques premières de la zone d’intégration économique nord-américaine. Les Parties y assument et y explicitent des réalités que l’ALÉNA ne nommait pas. Les relations commerciales entre le Canada, les États-Unis et le Mexique sont foncièrement asymétriques. L’ACÉUM gère au fond trois relations bilatérales. Ces relations ne sauraient être figées dans des règles immuables. Elles sont en constante modification et leur mise à jour périodique est essentielle. Enfin, la zone d’intégration nord-américaine est de plus en plus repliée sur elle-même.

Ces caractéristiques de l’ACÉUM sont loin de lui être propres. Les mêmes constats et les mêmes griefs pourraient être faits à l’égard de plusieurs ACR de signature récente. L’ACÉUM est donc aussi un fidèle reflet de ce que devient la mondialisation économique bâtie par la voie du régionalisme.