Abstracts
Résumé
L’article reprend les propos tenus lors du lancement en 2013 de l’ouvrage de Daniel Turp, La Constitution québécoise. Il retrace le cheminement depuis un demi-siècle de l’idée d’une loi fondamentale, dans le prolongement de la Révolution tranquille, définissant des compétences accrues dans les domaines économique, social et culturel. Plusieurs premiers ministres du Québec rejettent des tentatives de réforme de la Constitution canadienne. En 1975 l’Assemblée nationale du Québec adopte une Charte des droits et libertés de la personne avant que le Canada ne constitutionalise la sienne. Après la perte du référendum de 1980, suivie du « rapatriement » de la Constitution canadienne en 1982, sans l’accord du Québec, les efforts de conciliation des Accords du Lac Meech en 1987 et de Charlottetown en 1992 échouent à faire accepter le Québec comme « société distincte ». Un projet de constitution d’un Québec autonome, rédigé en 1985 à la demande de René Lévesque, par l’auteur et un comité de juristes, figure dans le stimulant ouvrage de Daniel Turp, qui montre le chemin vers la préparation d’une nouvelle constitution, sur la base des chartes déjà adoptées, de l’expérience parlementaire et de la participation populaire.
Abstract
The article echoes the comments made at the 2013 launch of Daniel Turp's book, The Quebec Constitution. It traces the development over the past half-century of the idea of a fundamental law, in the continuity of the Quiet Revolution, defining increased competencies in the economic, social and cultural fields. Many Quebec premiers rejected attempts to reform the Canadian Constitution. In 1975 the Quebec National Assembly adopted a Charter of Human Rights and Freedoms before Canada constitutionalized its own. After the loss of the 1980 referendum, followed by the "patriation" of the Canadian constitution in 1982 without Quebec's agreement, efforts at conciliation through the Meech Lake Accord in 1987 and the Charlottetown Accord in 1992 failed to gain recognition for Quebec as a "distinct society". A draft constitution for an autonomous Quebec, written in 1985 at the request of René Lévesque by the author and a committee of jurists, is included in Daniel Turp's stimulating book, which shows the way to the preparation of a new constitution, based on the charters already adopted, parliamentary experience and popular participation.
Resumen
El artículo hace eco de las reflexiones realizadas en 2013 en la presentación del libro de Daniel Turp, La Constitution québécoise (La Constitución quebequense). Traza el desarrollo del último medio siglo, de la idea de una ley fundamental, a raíz de la Revolución tranquila, que define mayores poderes en los ámbitos económico, social y cultural. Varios primeros ministros de Quebec rechazaron los intentos de reformar la Constitución canadiense. En 1975, la Asamblea Nacional de Quebec aprobó una Carta de Derechos Humanos y Libertades antes de que Canadá constitucionalizara la suya. Tras la pérdida del referéndum de 1980, seguida de la "patriación" de la Constitución canadiense en 1982, sin el acuerdo de Quebec, los esfuerzos de reconciliación del Acuerdo de Meech Lake en 1987 y del Acuerdo de Charlottetown en 1992 no consiguieron la aceptación de Quebec como "sociedad distinta". El proyecto de constitución para un Quebec autónomo, redactado en 1985 a petición de René Lévesque por el autor y un comité de juristas, se encuentra en el estimulante libro de Daniel Turp, que muestra el camino para la elaboración de una nueva constitución, basándose en las cartas de derechos ya adoptadas, la experiencia parlamentaria y la participación popular.
Article body
Depuis des années, mon estimé collègue et ami Daniel Turp et moi-même faisons la proposition d’une constitution pour le Québec; c’est le projet qui nous rapproche le plus. C’est pourquoi je me permets de reprendre les propos que je prononçais lors du lancement en 2013 de son ouvrage La Constitution québécoise, dans lequel il réunit des textes consacrés à ce grand projet.
Voici que paraît un ouvrage attendu depuis l’époque où l’idée de doter le Québec d’une constitution écrite et formelle, d’une loi fondamentale, a été proposée, il y a plus d’un demi-siècle. Plus qu’un simple exercice de rédaction juridique, c’est en quelque sorte le retour aux sources et objectifs de la Révolution tranquille, dans la période difficile que vit le Québec, enfermé comme il l’est dans une véritable impasse constitutionnelle, imposée par le pouvoir fédéral depuis le « rapatriement » de la Constitution canadienne[1] en 1982.
Le projet de constitution a pris son essor au milieu des années soixante, dans ce grand chantier de modernisation du Québec et de mise à jour sociale, économique, culturelle et politique du pays. L’idée de travailler à une nouvelle constitution se présente comme un effort de gestation intellectuelle d’un Québec nouveau, comme le parachèvement de la mutation entreprise dans les années soixante, ou comme un programme de développement de la société québécoise qu’on doit adapter sans cesse aux réalités nouvelles. C’est bien ce qui ressort des propos d’hommes politiques comme Paul Gérin-Lajoie et Daniel Johnson qui, venus de partis opposés, appuient l’idée d’adopter une nouvelle constitution québécoise, en vue de compétences accrues, provoquant déjà la réaction négative d’un État fédéral, qui aspire à se donner le rôle prépondérant dans les domaines économique, social et même culturel.
Nous sommes en présence, depuis un demi-siècle, d’un affrontement entre deux projets de « nation-building », fondés chacun sur des actions concrètes, comme celles de la Révolution tranquille au Québec, et sur les grands desseins contraires que sont le rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne en 1982 et le travail effectué en vue du projet de doter le Québec d’une constitution formelle. Ayant été témoin et parfois acteur de cette lutte inexpiable depuis les années soixante, j’ai pu observer le lien étroit qui s’est tissé entre la Révolution québécoise inachevée et l’idée de la prolonger dans l’avenir par l’élaboration d’une loi fondamentale débattue et adoptée non seulement par l’Assemblée nationale, mais aussi par la société civile. L’exercice est bien connu des Québécois : depuis le milieu des années soixante, ils ont participé à plusieurs « États généraux » portant sur les principaux aspects de leur vie collective. Les premiers n’ont-ils pas conclu, justement, en 1966, que la source des problèmes du Québec se trouve dans la Constitution canadienne, qui ne lui reconnaît pas les pouvoirs dont il a besoin pour réaliser ses aspirations.
D’où l’idée d’établir une assemblée constituante, laquelle soumettrait des propositions au peuple par voie de référendum. Trois ans plus tard, les mêmes États généraux concluent que s’impose une « Charte de la société nouvelle », comprenant une constitution écrite, une charte des droits de l’homme et « la définition des objectifs fondamentaux du peuple du Québec », y compris le principe de « la suprématie de la Constitution sur toutes les autres lois » et le droit d’initiative populaire en vue de modifier la Constitution ou les lois ordinaires.
Très tôt, on le voit, la « société nouvelle » issue de la Révolution tranquille et la constitution formelle deviennent des projets coextensifs, presque interchangeables. Très tôt apparaît aussi l’affrontement avec le pouvoir fédéral, par exemple dans le refus de Jean Lesage, en 1965, d’accepter la « formule FultonFavreau » de modification constitutionnelle, qui eût empêché toute évolution significative du British North America Act[2] en faveur des aspirations du Québec. Cet affrontement devient permanent lorsque le premier ministre Johnson déclare devant le Comité de la Constitution de l’Assemblée nationale, en 1968, que le Québec doit « refaire sa propre constitution » et qu’il songe à la « convocation éventuelle d’une assemblée constituante », attitude qui entraîne un accrochage mémorable avec Pierre Elliot Trudeau lors de la conférence fédérale-provinciale subséquente.
Depuis lors, quel que soit le parti au pouvoir à Québec, le fossé constitutionnel ne cesse de s’élargir. Robert Bourassa refuse en 1970 le compromis de Vancouver relatif aux modifications constitutionnelles et fait adopter par l’Assemblée nationale en 1975 une Charte des droits et libertés de la personne[3], qui prend des allures de loi fondamentale, avant même qu’Ottawa ne réussisse à constitutionnaliser sa propre Charte. En 1977, le gouvernement de René Lévesque fait adopter la Charte de la langue française[4], qui a valeur à ses yeux de loi fondamentale, mais que la jurisprudence de la Cour suprême fédérale viendra partiellement invalider.
La perte du référendum de 1980 par les tenants de la souveraineté permet au pouvoir fédéral de déployer la contre-offensive du « rapatriement » de la Constitution canadienne, lequel aboutit en 1982, en dépit de l’opposition du Québec, après qu’Ottawa eût réussi à l’isoler des sept autres provinces regroupées contre les manoeuvres fédérales auprès des autorités britanniques.
Les trente années écoulées depuis cette époque n’ont fait qu’approfondir l’impasse dans laquelle les dirigeants fédéraux ont tenté d’enfermer le Québec, se disant non à tour de rôle en dépit d’efforts de conciliation comme les Accords du lac Meech, en 1987, ou ceux de Charlottetown, en 1992, qui n’ont pu trouver l’appui requis à la reconnaissance du Québec en tant que « société distincte ».
Cet antagonisme ne pouvait que renforcer l’opinion de ceux qui favorisaient l’adoption d’une nouvelle constitution du Québec, que ce soit en tant que pays devenu souverain ou comme État autonome dans le cadre fédéral. Aussi, René Lévesque me demanda-t-il de former un comité de juristes en vue de rédiger un projet de constitution d’un Québec autonome. Il avait le souci qu’il restât quelque chose de tous ces événements et voulait savoir à quoi pourrait ressembler un tel document. Le rapport lui fut remis en mai 1985, mais il quittait le pouvoir et la vie politique un mois plus tard. Rendu public en 2008, il fait partie des projets publiés dans l’ouvrage du professeur Turp.
Les années 1980 et 1990 voient apparaître des commissions parlementaires ou itinérantes qui étudient tous les aspects d’une constitution québécoise écrite et formelle. Cette fois encore, le pouvoir fédéral choisit de contre-attaquer par une Loi sur la clarté[5] dont l’effet est de conférer à la Chambre des communes le pouvoir de déterminer si une question référendaire est suffisamment claire.
Devant pareille impasse, où les deux peuples défendent chacun leur objectif de « nation-building », que peut-on faire, du point de vue québécois, pour retrouver l’élan des années 60 et 70? Comment réaffirmer l’identité québécoise, le caractère distinct de cette société et de ses valeurs? Revenant à la métaphore du début de mon propos, j’ai acquis la conviction, à la lumière du demi-siècle écoulé, que c’est en renouant avec la Révolution tranquille et ses sources.
La méthode la plus prometteuse me paraît être de travailler à préparer une nouvelle constitution formelle du Québec dans la foulée des Chartes déjà adoptées, des nombreuses conclusions des Commissions parlementaires ou nationales qui se sont penchées depuis un quart de siècle sur ces questions et le projet de loi sur l’avenir constitutionnel (no191 de 2007)[6]. Cet exercice crucial, qui devrait faire appel à l’expérience parlementaire et à la participation populaire, nous permettra, grâce également à l’ouvrage si stimulant de mon collègue Daniel Turp, de préparer l’avenir des Québécois et de leur État.
Appendices
Notes
-
[1]
Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
-
[2]
Loi constitutionnelle de 1867 (RU), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, annexe II, no 5.
-
[3]
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.
-
[4]
Charte de la langue française, RLRQ c C-11.
-
[5]
Loi sur la clarté référendaire, LC 2000, c 26.
-
[6]
PL 191, Constitution du Québec, 1e sess, 38e lég, Québec, 2007.