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À l’occasion de son départ à la retraite en tant que professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal (UdeM), plusieurs voudront souligner à juste titre la carrière académique prolifique de Daniel Turp. Ses enseignements et recherches ont indéniablement contribué au fil des années à la formation de nombreuses cohortes étudiantes ainsi qu’au rayonnement des disciplines du droit international public et du droit constitutionnel bien au-delà des forums universitaires. D’autres insisteront sur son implication active dans la vie politique québécoise et canadienne en rappelant son engagement indéfectible pour l’indépendance nationale de la belle province. Nous souhaitons joindre nos voix au concert d’éloges en lui rendant hommage pour le rôle bienveillant qu’il a toujours joué en tant que collègue et « doyen » du petit cercle de juristes internationalistes à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, où il a oeuvré en tant que professeur pendant près de quarante ans.
Daniel détient une licence en droit (LL.L. 1977) de l’Université Sherbrooke et une maîtrise en droit (LL.M. 1978) de l’Université de Montréal. Grâce à son certificat d’aptitude à la profession d’avocat, il devient membre du Barreau du Québec en 1979. Il plie alors bagage pour le Vieux Continent afin de poursuivre des études supérieures au Royaume-Uni et en France où il obtient un Diploma in International Law (1981) de l’Université Cambridge, un diplôme d’études approfondies (D.E.A. 1980) puis un doctorat d’État en droit (Summa cum laude) (1990) de l’Université de droit, d’économie et de sciences sociales de Paris (Paris II). Ajoutons à cette liste de hauts faits un accomplissement académique dont Daniel est particulièrement fier : celui d’être le premier Québécois diplômé de la prestigieuse Académie de droit international de La Haye en 1989. Plus tard, dans les années deux mille, il y sera d’ailleurs invité pour agir en tant que professeur et directeur d’études.
Daniel a débuté sa carrière comme professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal en 1982. Son expertise en droit international et constitutionnel des droits fondamentaux étant fort recherchée parmi les institutions universitaires, il a été professeur invité à plusieurs reprises tout au long de sa carrière, notamment aux Universités de Paris X (Nanterre), Jean Moulin (Lyon III), libre de Bruxelles, de Genève, de Paris XI (Paris-Sud) et à l’Institut international des droits de l’Homme de Strasbourg.
L’intérêt marqué de Daniel pour le droit et les relations internationales était avant-gardiste. Avec ses collègues de la Faculté de droit de l’UdeM JacquesYvan Morin et Francis Rigaldies, il s’est évertué à faire du droit international une discipline centrale dans la formation des juristes au Québec. À l’époque, très peu de facultés au Canada proposaient dans leurs programmes d’études de premier cycle un enseignement en droit international public. À notre connaissance, aucune n’avait encore fait de cette matière un cours obligatoire dans le cadre du baccalauréat en droit. Auprès de ses collègues et de l’administration, Daniel a inlassablement défendu le principe suivant lequel le cours de droit international public général soit dispensé par un professeur de carrière afin d’assurer une cohérence et une pérennité aux enseignements dans ce domaine à la Faculté de droit de l’UdeM.
En tant que collègues, nous souhaitons rendre un hommage tout particulier à Daniel pour son dévouement en tant qu’enseignant et pour les qualités pédagogiques qui en font un grand professeur. Daniel a toujours désiré partager sa passion pour les affaires du monde. Il voulait que les étudiants soient en mesure d’appréhender le droit international et acquérir une perspective critique dans la compréhension des enjeux planétaires. Il cherchait constamment à stimuler leur développement intellectuel, à enrichir leur culture générale et à mobiliser leurs capacités analytiques pour être mieux outillés face aux défis de la justice. Daniel aimait enseigner, malgré les exigences inhérentes de la tâche, à tous les cycles d’études, à des petits ou des grands groupes, à des juristes comme des profanes.
Daniel a ainsi offert aux étudiants qui avaient la chance de suivre ses cours l’opportunité rarissime de mettre leurs connaissances du droit international public à l’épreuve de la réalité dans le système judiciaire canadien. Le 13 janvier 2012, Daniel et une équipe d’étudiants sous sa direction, l’Équipe Kyoto, déposent à la Cour fédérale un « avis de demande de contrôle judiciaire visant à faire déclarer illégale la décision du Canada de retirer le pays du protocole de Kyoto ». Mentionnons aussi l’initiative Droits blindés lancée en 2016 par Daniel et un groupe d’une vingtaine d’étudiants en vue de contester devant la Cour fédérale la légalité de la vente par le Canada de véhicules militaires à l’Arabie saoudite à la lumière du droit international humanitaire.
Grâce à ces initiatives pédagogiques novatrices aux conséquences tangibles pour les sociétés civiles canadienne et québécoise, Daniel a su transformer la devise de la Faculté, Pro jure patrio stamus (Nous prenons partie pour nos droits), en un objectif concret pour les étudiants. Sa volonté d’accompagner des jeunes juristes dans l’acquisition d’une formation académique au service de la collectivité a renforcé de belle façon les ponts entre l’université et la pratique.
Si Daniel a toujours eu le souci de transmettre les notions fondamentales du droit à ses étudiants, il a aussi voulu éveiller en eux la curiosité et l’ouverture d’esprit nécessaires pour appréhender les questions sociétales. Féru d’actualités internationales, il leur proposait spontanément d’en débattre en classe et de réfléchir au rôle du droit dans le monde qui les entoure. Homme de grande culture suivant la tradition humaniste – il a par ailleurs obtenu une maîtrise de la Faculté de musique de l’UdeM – Daniel sait déployer des moyens ingénieux pour frapper les esprits et pousser à une réflexion critique approfondie. Pour ne donner qu’un seul exemple, c’est à travers la musique et l’opéra que les étudiants ont été amenés à débattre de la question de la peine de mort dans le cadre de son cours sur les droits des personnes.
L’une d’entre nous, Isabelle pour ne pas la nommer, est en mesure de témoigner de l’intégration judicieuse de la théorie et la pratique dans l’enseignement de Daniel, car elle a eu le privilège d’être l’une de ses anciennes étudiantes au baccalauréat dans le cours Droit des relations économiques internationales. Elle se rappelle avec bonheur – ce qui est tout de même incongru lorsque l’on évoque les sentiments étudiants liés aux fins de session universitaire – de la rédaction d’un travail combinant des perspectives constitutionnaliste et internationaliste pour une meilleure mise en oeuvre de l’accord du libre-échange nord-américain en territoire canadien.
Un autre exemple de mariage pédagogique réussi entre la théorie et la pratique, tout comme des efforts incessants de Daniel afin de promouvoir la discipline du droit international en français, est la création du Concours Charles-Rousseau, une initiative francophone de procès simulé en droit international qui confronte les étudiants à la complexité des cas sur le terrain. Depuis sa création en 1985, plus d’une centaine d’institutions universitaires provenant d’une trentaine de pays, aussi différents que l’Algérie, l’Allemagne, le Brésil ou la Russie, y ont participé. Les épreuves orales ont réuni entre 150 et 200 personnes (équipes étudiantes, instructeurs, juges et jurys constitués d’universitaires et de praticiens), de Sherbrooke à Beyrouth. Avec les années, le Concours Charles-Rousseau s’est taillé une solide réputation dans les milieux spécialisés compte tenu du niveau élevé des exigences scientifiques requises ainsi qu’auprès des étudiants en raison de ses bienfaits pédagogiques.
Certes, l’engagement de Daniel pour la promotion du droit international public dans le monde francophone s’est illustré par le biais de la création du Concours Rousseau, mais aussi par son implication soutenue dans l’Association québécoise de droit constitutionnel (AQDC) et la Société québécoise de droit international (SQDI). Il a d’ailleurs généreusement accepté d’agir en tant que président de chacune de ces associations et a longtemps siégé au conseil d’administration du Réseau francophone de droit international (RFDI), voué à promouvoir l’étude et la recherche francophones en droit international, notamment par l’organisation de rencontres et de colloques scientifiques internationaux. Il est désormais membre du « Comité d’honneur », un statut octroyé aux personnes pour leur contribution exceptionnelle aux activités du RFDI.
« Ah! Voilà mes collègues préférées » « Bonjour estimées collègues! » Nous n’entendrons plus ces phrases lancées par Daniel lorsque nous avions le plaisir de le croiser dans les corridors de la Faculté ou de le rencontrer en assemblées ou pour siéger à un comité. Le silence est lourd après les avoir entendues pendant plus de vingt ans. C’est d’ailleurs sûrement avec l’une d’entre elles qu’il a souhaité la bienvenue à une jeune Suzanne lors de son entrée en fonction en 1988 en tant que professeure dans une Faculté aux forces internationalistes alors amoindries. L’accueil de Daniel a été enthousiaste et généreux. Il a été un collègue charmant, à l’écoute, heureux de partager le fruit de ses expériences ou une bonne blague pour redonner du coeur au ventre. Avec le départ à la retraite de Daniel, l’équipe internationaliste a perdu un joueur précieux, de la première heure. Il ne nous reste plus qu’à reprendre le flambeau et promouvoir le droit international en français à la Faculté de droit de l’UdeM.