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Si l’Organisation des Nations Unies (ONU) a d’abord été conçue pour être le centre de la diplomatie multilatérale dans la politique mondiale de l’après-Deuxième Guerre mondiale, il ne faut jamais perdre de vue le fait que cette organisation a été pensée pendant la guerre comme un outil de paix. À ce titre, le tout premier considérant du préambule de la Charte des Nations Unies est éloquent : « Nous, peuples, des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances »[1]. En définitive, avant toute chose, les Nations Unies cherchent à préserver la paix, ce qui inclut le respect des droits fondamentaux, la création de conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect du droit international et le développement du progrès social. L’étude de la pratique onusienne permet dorénavant d’affirmer qu’elle intervient en toute matière dont certes la paix et la sécurité internationales, mais également les changements climatiques, le développement durable, les droits fondamentaux, le désarmement, le terrorisme, les crises humanitaires et sanitaires, l’égalité entre tous, le commerce, la gouvernance, la production alimentaire, etc. Dorénavant aucun thème n’échappe aux Nations Unies !

Ainsi, le système onusien a été créé en 1945 et repose aujourd’hui sur une architecture complexe, qui n’a pas été développée de manière linéaire, mais bien selon les besoins et les problématiques du moment. Cette contribution présente cette construction unique en son genre pour ensuite aborder quelques aspects qui le lient aux normes de droit international. Finalement, les principaux défis que cette organisation internationale à vocation universelle rencontre encore à ce jour, plus de 75 ans après sa création, seront étudiés.

I. L’architecture institutionnelle des Nations Unies

La création de l’ONU repose sur la Charte des Nations Unies. Ce traité fondateur prévoit l’ensemble des normes générales sur lesquelles s’appuient les Nations Unies.

Pour arriver à ses fins, il est précisé au préambule de la Charte, qu’il importe d’être tolérant, de vivre en paix dans un esprit de bon voisinage, d’unir nos forces pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales, d’accepter les principes et les méthodes de règlement des différends sans le recours aux armes, mais plutôt aux institutions internationales, notamment pour favoriser le progrès économique et social de tous.

Le libellé des articles 1 et 2 de la Charte énonce les principes fondateurs de la gouvernance mondiale. Ceux-ci s’expriment à travers des principes que les Membres doivent respecter. D’abord, l’ONU est fondée sur l’égalité souveraine des Membres, lesquels doivent remplir leurs obligations de bonne foi. Ceci implique la résolution de différends par des moyens pacifiques, l’abstention du recours à la menace ou à l’emploi de la force, contre le territoire ou l’indépendance d’un État. Dans la réalisation de ces principes, les Membres se doivent assistance et s’abstiennent d’assister un État contre lequel une action est menée. Finalement, aucune disposition de la Charte ne doit s’interpréter comme une autorisation d’intervention dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale des États. En résumé, en devenant Membre des Nations Unies, les États doivent s’abstenir de recourir à la force armée et ne doivent en aucun cas intervenir dans les affaires intérieures des uns et des autres, tout en choisissant des moyens pacifiques pour régler leurs conflits.

L’ONU est une organisation internationale à vocation universelle, c’est-à-dire à laquelle tous les pays peuvent appartenir. S’ils étaient 51 au moment de sa création, ils sont dorénavant 193 auxquels s’ajoutent deux Membres observateurs, sans droit de vote, le Vatican et la Palestine. Peuvent devenir Membres tous les États qui acceptent le libellé de la Charte et qui sont capables de remplir les obligations qui y sont prévues[2]. Après recommandation du Conseil de sécurité, c’est l’Assemblée générale qui décide, suivant un vote à majorité, d’admettre des États candidats. Un Membre peut être suspendu ou exclu ; si l’Assemblée générale a déjà suspendu un Membre temporairement (par exemple en 2011, la Lybie a été suspendue du Conseil des droits de l’homme), aucun d’entre eux n’a été exclu. Un Membre peut également perdre son droit de vote à l’Assemblée générale si le montant de ses arriérés est égal ou supérieur au double de sa cotisation ; plusieurs États, dont les moyens financiers sont modestes, se sont retrouvés dans cette situation au fil du temps[3].

En définitive, l’ONU consiste en un forum où les Membres peuvent exprimer leurs points de vue à travers le dialogue et la négociation, confirmant d’autant qu’elle agit tel un forum permettant aux États membres de trouver des solutions et de résoudre des problèmes de manière pacifique. Pour réaliser cet ambitieux programme, le système onusien, également nommé la « famille onusienne », est construit autour de six organes principaux, qui s’appuient sur le travail de nombreux organes subsidiaires, institutions spécialisées et entités diverses.

A. Les six organes principaux des Nations Unies

La Charte des Nations Unies prévoit la création de six organes principaux afin d’assurer sa mise en oeuvre : l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Conseil économique et social (ECOSOC), le Secrétariat, la Cour internationale de justice et le Conseil de tutelle. Chacun d’eux détient des pouvoirs et occupe des fonctions précises, est différemment composé et procède selon des normes spécifiques.

L’Assemblée générale – conformément au chapitre IV de la Charte, l’Assemblée générale consiste en un organe délibérant où siègent tous les Membres des Nations Unies[4].

L’Assemblée générale a pour principale fonction de discuter de toutes questions ou affaires qui relèvent de la Charte ou des pouvoirs et des fonctions des autres organes principaux des Nations Unies, pour être à même de formuler des recommandations aux Membres et au Conseil de sécurité[5]. Elle détient ainsi une fonction d’étude, de recommandation et de coordination générale sur tous les enjeux qui touchent de près ou de loin les Nations Unies. Plus précisément, cinq fonctions lui sont explicitement dévolues par la Charte. Premièrement, elle peut étudier et porter à l’attention du Conseil de sécurité et des Membres toute question susceptible de mettre en danger la paix et la sécurité internationales. Elle peut se saisir elle-même de ces questions ou être saisie par le Conseil de sécurité ou un Membre[6]. Le Secrétaire général, avec l’accord du Conseil de sécurité doit porter à la connaissance de l’Assemblée générale, toute affaire relative au maintien de la paix et de la sécurité internationale[7]. Deuxièmement, l’Assemblée générale doit mener des études et faire des recommandations afin de développer la coopération internationale en matière politique, économique, sociale, culturelle, intellectuelle, éducationnelle, et de santé publique, et elle doit encourager le développement progressif et la codification du droit international. Elle doit également faciliter la jouissance des droits de la personne et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction[8]. Troisièmement, elle reçoit et étudie les rapports annuels et spéciaux des entités onusiennes et de certaines institutions spécialisées, y compris le Conseil de sécurité[9]. Quatrièmement, elle est tenue de préparer et d’approuver le budget onusien[10]. Cinquièmement, elle supervise la question relative aux privilèges et immunités de l’Organisation et de la fonction publique internationales[11].

Au sein de l’Assemblée générale, chaque Membre des Nations Unies bénéficie d’un vote. Alors que la plupart des décisions sont prises à la majorité simple, les questions importantes sont prises à la majorité des deux tiers des Membres présents. Les questions relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’élection des Membres non permanents du Conseil de sécurité, l’élection des Membres de l’ECOSOC, l’admission de nouveaux Membres dans l’Organisation, la suspension des droits et privilèges de Membres, l’exclusion de Membres, les questions relatives au fonctionnement du régime de tutelle et les questions budgétaires sont considérées comme importantes[12].

Concrètement les travaux de l’Assemblée générale sont essentiellement réalisés au cours de la session annuelle régulière qui se tient chaque automne pour un minimum de trois mois. La session annuelle débute par l’élection d’un président et de 21 vice-présidents, puis se poursuit avec les déclarations officielles des chefs d’État, des premiers ministres et des ministres des Affaires étrangères qui s’expriment devant l’Assemblée à tour de rôle. En plus de la session annuelle qui a lieu depuis 75 ans, il y a eu trente sessions extraordinaires pour traiter de problématiques spécifiques telles que les enfants en 2002 ou le trafic de drogue en 2016 et 10 sessions extraordinaires d’urgence qui ont porté sur des situations de crise politique ou humanitaire au sein de certains pays ou certaines régions. On y retrouve la Hongrie en 1956, le Congo en 1960, l’Afghanistan en 1980.

Concrètement, le travail de l’Assemblée générale est effectué au sein de six commissions, dont les mandats sont circonscrits et où siègent tous les Membres, celle-ci se détaille comme suit :

  • première commission : questions de désarmement et sécurité internationale ;

  • deuxième commission : questions économiques et financières ;

  • troisième commission : questions sociales, humanitaires et culturelles ;

  • quatrième commission : questions politiques spéciales et de la décolonisation ;

  • cinquième commission : questions administratives et budgétaires ;

  • sixième commission : questions juridiques.

En définitive, si l’Assemblée générale agit à l’image d’un parlement, elle ne produit, a priori, ni législation internationale ni droit international contraignant. Les résolutions qui y sont adoptées sont non contraignantes. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont le fruit de la volonté d’une majorité d’États et peuvent avoir un impact important sur la création de normes juridiques contraignantes. Il s’agit ainsi de ce qui se rapproche certainement le plus de la diffusion des priorités et des visions d’une communauté internationale, si telle communauté existe.

Le Conseil de sécurité – Le Conseil de sécurité a pour seule et unique fonction la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationale, une tâche qu’il doit accomplir dans le respect des buts et des principes des Nations Unies[13]. Cette tâche est lourde de conséquences, car elle nécessite d’identifier les menaces à la paix et à la sécurité internationale en qualifiant des situations politiques précises, d’élaborer une réponse internationale appropriée, et de tenter de construire un consensus international quant à ces menaces et ces réponses. Contrairement aux résolutions de l’Assemblée générale, l’article 25 de la Charte prévoit que toutes les décisions du Conseil de sécurité sont contraignantes pour les États membres et ces derniers sont tenus de les respecter et de contribuer à leur mise en oeuvre. Si cette interprétation est parfois encore à ce jour contestée, on peut affirmer qu’au minimum, les décisions prises en vertu du Chapitre VII sont, elles, bel et bien contraignantes.

Le Conseil de sécurité est composé de 15 Membres : cinq sont permanents, dix sont non permanents. Les Membres permanents comprennent les cinq vainqueurs tels qu’ils étaient perçus au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Quant aux dix Membres non permanents, ils sont élus par l’Assemblée générale sur la base de la représentation régionale : cinq Membres des États d’Afrique et d’Asie, y incluant les pays du Moyen-Orient, un Membre de l’Europe orientale, deux membres de l’Amérique latine et des Caraïbes, et deux membres de l’Europe occidentale et des autres États (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, et Turquie). Cinq Membres sont élus chaque année pour un mandat de deux ans. Ils ne sont pas immédiatement rééligibles. Fait à noter, les groupes régionaux consistent en une pratique onusienne développée aux fins d’élections représentatives. Dans les faits, chaque groupe désigne son ou ses candidats qui seront soumis au vote de l’Assemblée générale. Chaque Membre du Conseil de sécurité est tenu d’avoir un représentant en tout temps au siège de l’ONU, car ses travaux doivent être exercés de manière permanente et parfois en urgence[14].

Théoriquement, chaque Membre dispose d’un droit de vote exprimant une voix et chaque décision doit être prise à la majorité de neuf voix positives. En pratique, chaque décision de fond, par opposition à une décision de procédure, doit soit être appuyée du vote des cinq Membres permanents soit ne pas se voir imposer de veto. En effet, chaque Membre permanent dispose d’un droit de veto absolu sur les décisions de fond qui permet à un seul Membre permanent de bloquer l’action du Conseil de sécurité. Toutefois, ce Membre permanent peut s’abstenir de voter ce qui ne représente pas l’expression de son droit de veto. En définitive, cela signifie qu’aucun veto ne doit être exprimé pour qu’une décision soit adoptée et ainsi que l’abstention n’équivaut pas veto[15].

En définitive, le travail du Conseil de sécurité est quotidiennement alimenté par l’actualité, ponctuée de réunions entre les représentants des Membres qui doivent prendre des décisions concernant toutes situations qui peuvent consister en une menace ou une rupture de la paix et de la sécurité internationales.

Le Conseil économique et social – Le Conseil économique et social, mieux connu par son abréviation « ECOSOC », a été créé en vertu du chapitre X de la Charte. Il a pour principale fonction la réalisation d’études et de rapports dans les domaines économique, social, culturel, intellectuel, éducationnel, de santé publique et tout autre domaine connexes. À ce titre, il peut faire des recommandations en ces matières, mais également en matière de droit de la personne, et ce, afin d’en assurer le respect effectif pour tous. L’ECOSOC a également le pouvoir de préparer des projets de convention internationale qu’il peut soumettre à l’Assemblée générale et de convoquer des conférences internationales, le tout dans le respect de son champ de compétence[16]. Plus encore, l’ECOSOC voit à la coordination du travail des Nations Unies avec celui des institutions spécialisées et il travaille de concert avec le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale en leur fournissant de l’information. Il s’assure finalement de l’exécution des recommandations de l’Assemblée générale[17]. En 2013, à l’occasion de l’adoption de différentes réformes du système onusien par l’Assemblée générale, il a été décidé que l’ECOSOC doit dorénavant adopter une démarche de travail

davantage axée sur des questions précises afin de renforcer son rôle de premier plan qu’il joue en identifiant les nouveaux problèmes qui se posent, en encourageant la réflexion, le débat et l’innovation et en assurant une intégration équilibrée des trois dimensions du développement durable [c’est-à-dire les dimensions économique, sociale et environnementale][18].

Pour réaliser ces fonctions, l’ECOSOC a le pouvoir de créer des commissions, des comités et des groupes d’experts pour les questions économiques et sociales ainsi que pour la promotion des droits de la personne[19]. Tout Membre des Nations Unies, représentant des institutions spécialisées ou des organes onusiens, peut être invité à participer aux travaux de l’ECOSOC. Ce dernier est de plus invité à consulter les organisations non gouvernementales (ONG), internationales ou nationales, pertinentes[20]. À noter qu’il s’agit du seul organe onusien qui travaille en collaboration directe avec les ONG et entretien ainsi un rapport avec la société civile. À ce titre, bien que ces non-Membres de l’ECOSOC n’aient pas le droit de vote lors de la prise de décisions, ils apportent leur point de vue et certainement leur expertise aux travaux de l’ECOSOC.

L’ECOSOC est aujourd’hui composé de 54 Membres élus par l’Assemblée générale pour trois ans, renouvelable au tiers chaque année et directement rééligible. Chaque Membre dispose d’une voix et les décisions sont prises à la majorité simple[21]. À l’image des Membres du Conseil de sécurité, les Membres de l’ECOSOC sont géographiquement répartis ainsi.

En définitive, l’ECOSOC consiste en un mécanisme central de coordination des activités des Nations Unies en matière économique et sociale, notamment en raison de son rôle de conseiller auprès des autres organisations.

Le Secrétariat – Le Secrétariat fait office d’administration publique internationale. Il se compose du Secrétaire général et des fonctionnaires internationaux nécessaires pour mener à bien les tâches et les activités de l’ONU.

Le Secrétaire général est le plus haut fonctionnaire de l’ONU. Ce faisant, il est à la fois le gestionnaire principal chargé de diriger le secrétariat, préparer le budget des Nations Unies, soumettre un rapport annuel à l’Assemblée générale et superviser les études commandées par les principaux organes onusiens. Il est également le premier diplomate des Nations Unies, car il assure les relations entre l’organisation et les États membres. De plus, l’article 99 de la Charte l’autorise à attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui pourrait mettre la paix et la sécurité internationales en danger[22]. Ainsi, le Secrétaire général occupe une fonction de coordination et de représentation.

Le Secrétaire général est élu pour un mandat de cinq ans, renouvelable sur recommandation du Conseil de sécurité et des deux tiers de l’Assemblée générale. Le processus de nomination est éminemment politique – et secret – puisque les Membres permanents du Conseil de sécurité y tiennent un rôle clé en raison de leur droit de veto. Ainsi, les États élisent l’administrateur en chef de l’ONU et ne souhaitent pas y voir une personne qui leur soit défavorable ou hostile. C’est bien là une des raisons pour laquelle les secrétaires généraux, tous des hommes au nombre de neuf, ont été issus d’États qui n’ont pas de siège permanent au Conseil de sécurité. Tous ont été élus pour deux mandats à l’exception de Boutros Boutros-Ghali et de l’actuel Secrétaire général en cours de premier mandat.

Tableau 1

Les Secrétaires généraux des Nations Unies

Les Secrétaires généraux des Nations Unies

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Au fil du temps, le Secrétaire général a souvent joué un rôle politique important en tant que porte-parole de l’organisation, d’organisateur de groupes d’experts, de commissions et de groupes d’études chargés de définir les problèmes, d’orienter les recherches et de définir les choix, et en tant que médiateur s’inspirant de l’esprit de la Charte pour prendre des initiatives.

Le Secrétaire général doit de plus veiller à la bonne administration de la fonction publique internationale, composée de plus de 37 500 personnes, dont 36,8 % sont des femmes[23]. En date du 1er janvier 2019, elle était ainsi répartie[24] :

Figure 1

Répartition géographique de la fonction publique onusienne

Répartition géographique de la fonction publique onusienne

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Le personnel du Secrétariat est normalement recruté sur la base de la compétence, de l’intégrité et de la diversité géographique[25]. En leur qualité de fonctionnaires internationaux, les employés onusiens, tout comme le Secrétaire général, ne doivent rendre des comptes de leurs activités qu’à l’ONU ; ils prêtent d’ailleurs serment en ce sens. Ils ne peuvent ni solliciter ni recevoir d’instructions de gouvernement ou de toute autre autorité[26]. Finalement, en cas de conflit de travail entre un fonctionnaire international et l’Organisation, ceux-ci peuvent faire appel au Tribunal administratif des Nations Unies.

La Cour internationale de justice – La Cour internationale de justice (CIJ) est le principal organe judiciaire internationale. Tous les Membres des Nations Unies sont automatiquement Membre de la CIJ. Ce tribunal international répond non seulement de la Charte, mais également de son Statut[27]. Conformément au chapitre XIV de la Charte, la CIJ tranche les différends découlant de la Charte et du droit international qui opposent les États. Les Membres des Nations Unies s’engagent à se conformer aux décisions adoptées par la CIJ lorsqu’ils sont partis à un litige ; en cas de non-respect, il est possible de recourir au Conseil de sécurité afin de faire exécuter l’arrêt de la CIJ[28]. De plus, les Membres peuvent choisir de recourir à toute autre solution, y incluant d’autres tribunaux, pour régler leur différend[29]. C’est dire que le recours à la CIJ n’est en rien obligatoire au titre de la Charte. Finalement, l’Assemblée générale, elle-même ou une institution spécialisée qu’elle aura préalablement autorisée à procéder, ou le Conseil de sécurité, peut demander à la CIJ son avis sur toute question juridique ; cela consiste en une consultation[30]. Ainsi, la Charte onusienne est laconique quant aux différentes modalités qui façonnent la Cour ; il faut pour comprendre cette institution, s’en remettre au Statut de la CIJ qui précise le mode d’organisation de la Cour, la compétence de celle-ci, les procédures à suivre ainsi que les règles relatives aux avis consultatifs.

Le Conseil de tutelle – Conformément au chapitre XIII, le Conseil de tutelle a été créé pour superviser la transition des territoires sous tutelle en territoires autonomes. En 1945, ces colonies représentaient 750 millions de personnes. Le Conseil de tutelle avait ainsi pour mandat de veiller à ce que les intérêts des habitants de ces territoires non autonomes soient placés en avant-plan du processus de décolonisation. Pour se faire, les Membres du Conseil de tutelle se réunissaient afin de débattre des stratégies de décolonisation et de surveiller les effets du processus sur les populations. Si, dans les années 1960, il a joué un rôle central dans la décolonisation, le Conseil de tutelle est aujourd’hui obsolète. En effet, en 1994, constatant que la plupart des territoires sous tutelle avaient acquis leur autonomie ou accédé à l’indépendance, soit en État indépendant soit par association avec un État existant, et alors que les îles Palaos ont acquis leur indépendance des États-Unis, le Conseil de tutelle a d’abord suspendu ses activités. Toutefois, c’est l’indépendance du Timor-Leste en 2002 qui a définitivement mis un terme à la liste des territoires sous tutelle. Finalement, les chefs d’États et de gouvernements réunis en 2005 lors du Sommet mondial des Nations Unies ont convenu de mettre un terme définitif aux activités du Conseil de tutelle[31]. Toutefois, cet arrêt n’aura certainement pas mis fin aux réclamations des peuples encore colonisés à ce jour.

B. Le système onusien : la multiplication désorganisée de ses entités

Conformément au schéma onusien reproduit au présent chapitre, si la famille onusienne est chapeautée par les quatre des cinq organes principaux en fonction, ceux-ci ne sont pas seuls : 17 institutions spécialisées et huit organisations apparentées coopèrent aux travaux de l’Organisation alors qu’un nombre important d’organes subsidiaires, de commissions, de fonds et de programmes, d’organes de recherche et de formation, de départements et de bureaux ainsi que d’autres organismes non catégorisés participent à la mise en oeuvre des activités des Nations Unies.

Les institutions spécialisées sont des organisations internationales qui oeuvrent dans des secteurs intellectuel, social, économique ou technique, et dont le travail est coordonné avec celui de l’ONU par le biais de l’ECOSOC et de son Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies (CCS). Les institutions spécialisées sont juridiquement indépendantes des Nations Unies, disposant d’un budget qui leur est propre et provenant de leurs Membres. Elles répondent de leur charte constitutive, de leurs règles de fonctionnement et procèdent au recrutement de leur personnel. Certaines institutions spécialisées, telles que l’OIT ou l’UPU, préexistaient l’ONU et ont souhaité rejoindre la famille onusienne par un accord conclu conformément aux articles 57 et 62 de la Charte[32].

Tableau 2

Liste des institutions spécialisées

Liste des institutions spécialisées

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Il importe de préciser que l’autonomie des institutions spécialisées est telle qu’elles participent certes aux travaux onusiens en général, mais elles n’ont aucune obligation formelle de prendre des décisions analogues ou cohérentes avec celles de l’ONU. Les États membres à la fois de l’ONU et d’institutions spécialisées peuvent ainsi se trouver en porte-à-faux et la coopération multilatérale peut être difficile à défendre dans un tel contexte.

Les institutions de Bretton Woods sont un exemple éloquent de la fiction proposée par le schéma onusien. Le FMI et le Groupe de la Banque mondiale – soit la BIRD, l’IDA, la SFI, qui sont également désignées comme institutions spécialisées, l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) et le Centre international de règlements des différents relatifs aux investissements (CIRDI) – disposent de leurs propres ressources financières, matérielles et humaines, de règles d’adhésion des Membres et de promotion de leur personnel, et entretiennent des relations avec les ministères des Finances et non des Affaires étrangères comme le font généralement les instances onusiennes. Qui plus est, les institutions de Bretton Woods sont soumises à leurs actionnaires ! En définitive, peu de choses ne relient ces institutions dites spécialisées à l’ONU si ce n’est que la production d’un rapport annuel des unes vers l’autre.

En revanche, la FAO et l’UNESCO par exemple, sont deux institutions spécialisées fondées en 1945, dans la foulée de la création des Nations unies afin, respectivement, d’éliminer la faim et d’assurer la coopération des États en matière d’éducation, de science et de culture dans le but de préserver la paix. Elles travaillent de pair avec plusieurs organismes onusiens. À titre d’exemple, la FAO travaille de concert avec le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’UNESCO collabore avec le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). Toutefois, malgré leur appellation onusienne, leur autonomie reste entière. Cela a été bien illustré par l’effet de l’adhésion de la Palestine à titre de Membre de l’UNESCO le 31 octobre 2011 qui a d’abord provoqué l’annulation immédiate du financement américain à cette institution, puis le retrait complet des États-Unis à titre de Membre. À noter toutefois que les États-Unis avaient déjà quitté l’UNESCO sous l’administration Reagan, puis réintégré celle-ci ultérieurement.

Huit organisations apparentées relevant de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité font également partie de la famille onusienne :

Tableau 3

Liste des organisations apparentées

Liste des organisations apparentées

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L’expression « organisation apparentée » doit être comprise comme une formule par défaut qui catégorise les organisations dont l’accord de coopération avec les Nations Unies a de nombreux points communs avec celui des institutions spécialisées, mais ne fait pas référence aux articles 57 et 62 de la Charte des Nations Unies relatifs aux institutions spécialisées. Aucune d’entre elles ne répond des mêmes critères. Par exemple, l’AIEA, l’OIM et l’OMC font partie du CCS, ou encore, seules l’AIEA et l’OIAC font rapport à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité à la fois. Un autre exemple : l’OMC n’a aucune obligation de faire rapport ni à l’Assemblée générale ni au Conseil de sécurité, mais collabore aux travaux de cette dernière et de l’ECOSOC. En définitive, il faut se rapporter à chaque accord et à chaque acte constitutif de chacune de ses organisations apparentées pour être à même de comprendre l’étendue de sa coopération avec les Nations Unies.

Le système onusien est complété par les organes subsidiaires, les fonds et programmes, les entités de recherche et de formation, les commissions techniques et régionales, et les départements et bureaux ainsi que d’autres organismes non catégorisés. Toutes ses entités doivent être différenciées des institutions spécialisées et des organisations apparentées, car elles ont toutes été engendrées par les organes principaux des Nations Unies. Règle générale, ces entités sont créées par une résolution ou une décision de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité, du Secrétariat général ou de l’ECOSOC et répondent d’un mandat précis. Elles sont financées majoritairement ou entièrement par des contributions volontaires des États membres des Nations Unies.

Officiellement, l’appellation « organes subsidiaires » est réservée à certaines entités créées par une résolution de l’Assemblée générale ou du Conseil de sécurité, en distinction des organes principaux créés par la Charte. Pour plusieurs auteurs, l’ECOSOC détient également le pouvoir de créer des organes subsidiaires qui ont toutefois reçu l’appellation de « Commission »[33]. Généralement, ces organes subsidiaires se voient déléguer des pouvoirs, à certaines conditions, sans pour autant accroitre les obligations de l’organe principal ou des Membres des Nations Unies.

Les organes subsidiaires de l’Assemblée générale sont notamment divisés en commissions, comités, groupes de travail et groupes d’experts ; plus de 55 entités composent la liste des organes subsidiaires de l’Assemblée générale. Ces organes se voient déléguer des fonctions précises relatives à un thème (par exemple la Palestine, la consolidation de la paix, l’environnement), une procédure ou à la gestion (par exemple le Comité des conférences, le Comité de l’information) ou au personnel onusien (par exemple la Commission de la fonction publique internationale). Chacune de ces entités répond de critères propres ; il importe de consulter la résolution fondatrice de chacune d’elle pour en connaitre le mandat, les règles de fonctionnement ainsi que les relations qu’elles entretiennent avec l’Assemblée générale.

Conformément à l’article 29 de la Charte, le Conseil de sécurité peut créer des organes subsidiaires ; leur mandat consiste soit dans le traitement de questions de procédure, soit de questions de fond, auxquels s’ajoutent les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ainsi que leur mécanisme résiduel, et les opérations de maintien de la paix. Les nombreux Comités des sanctions sont l’exemple type d’un organe subsidiaire du Conseil de sécurité. Ceux-ci ont la tâche de faire pression sur les États ou les entités Daech ou Al-Qaida par exemple, afin qu’ils se conforment aux décisions prises par le Conseil de sécurité sans recourir à la force armée. Ces sanctions sont imposées en raison de la qualification de menace à la paix et à la sécurité internationale d’une situation donnée ; elles consistent en des mesures ciblées telles que des embargos sur les armes, des interdictions de voyage, la saisie de biens et de fonds, jusqu’à la rupture complète des relations diplomatiques, commerciales et économiques[34].

Les commissions techniques et régionales relèvent de l’ECOSOC. Les commissions techniques sont au nombre de huit. Leurs mandats consistent essentiellement à fournir de l’information et produire de la recherche indépendante sur des thèmes tels que les conditions de vie des femmes, le développement social, les forêts, la justice pénale, les stupéfiants ou encore les statistiques en toute matière. Les commissions régionales, au nombre de cinq, soit une par région géographique, sont des avant-postes régionaux des Nations Unies. Elles partagent les objectifs suivants : favoriser l’intégration économique régionale, promouvoir la mise en oeuvre régionale des objectifs de développement convenus au niveau international et soutenir le développement durable régional en contribuant à combler les écarts économiques, sociaux et environnementaux entre leurs pays membres et leurs régions.

Les fonds et programmes ont été créés par l’Assemblée générale pour répondre à des besoins qui n’ont pas été abordés en 1945, tels que l’aide au développement, l’aide alimentaire, le soutien à l’enfance ou l’environnement. Ils sont subordonnés aux Nations Unies, mais comme ils sont immédiatement contrôlés par des organes intergouvernementaux distincts et que la plupart de leurs ressources financières sont externes au budget onusien, ils sont similaires aux institutions spécialisées. De plus, leurs activités sont de natures opérationnelles. Toutefois, les programmes et les fonds appliquent les règles et les règlements des Nations Unies dans le domaine de l’administration et du personnel.

Les instituts de recherche et de formation ont été créés par l’Assemblée générale ou l’ECOSOC pour la réalisation d’analyses, d’études, d’enseignement et de formation, sur des thèmes variés, le tout de manière indépendante. Elles relèvent en tout point de ces organes principaux.

Les départements et les bureaux subdivisent le Secrétariat général. Ils exercent des responsabilités spécifiques essentiellement opérationnelles. Ils s’assurent de la mise en oeuvre des décisions prises par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité. Ils veillent également à la mise en oeuvre des décisions prises par le Secrétaire général, notamment quant à la gestion de la fonction publique internationale. Leur travail se fait en concordance afin d’assurer la cohésion des travaux de l’ONU, particulièrement entre le siège, situé à New York, et les offices et bureaux, au nombre de huit, situés sur chacun des continents. Ces départements et ces bureaux se décomposent en une centaine d’entités, avec plus ou moins de pouvoirs en fonction de leur niveau d’autonomie. Toutefois, elles agissent toutes sous la gouverne du Secrétaire général.

De nombreuses entités ne sont pas classifiées au sein de la famille onusienne, certaines relevant de l’Assemblée générale, d’autres de l’ECOSOC, d’autres encore de ces deux dernières à la fois. À titre d’exemple, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HRC) ou l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU-Femmes) se retrouvent dans cette catégorie, car elles ne sont ni totalement autonomes tels des institutions spécialisées, ni des organes subsidiaires créés par un organe principal.

En définitive, il est faux de penser que le système onusien a été créé selon une logique quelconque ; ce système, s’il en est un, répond plutôt de l’idée de la famille recomposée, à laquelle s’ajoutent des Membres ici et là, plus ou moins proche et liée entre eux, en fonction des besoins, des crises et des défis du moment rencontrés par les États membres des Nations Unies.

II. Les Nations Unies et le droit international

L’ONU entretient une relation étroite avec le droit international. Plus précisément et comme toute organisation internationale, les Nations Unies bénéficient de la personnalité juridique, disposent de privilèges et immunités, et répondent de la responsabilité internationale.

La personnalité juridique des organisations internationales – Les organisations internationales (OI) ont une personnalité juridique distincte de celle des États qui en sont Membres. Toutes les OI sont titulaires de droits et de devoirs internationaux et ont la capacité de faire valoir ces droits sur la scène internationale[35]. Cela signifie qu’elles ont la capacité de conclure des traités, qu’elles peuvent entretenir des relations diplomatiques entre elles, et entre elles et les États, qu’elles doivent respecter leurs engagements et qu’elles peuvent également agir sans l’aval de ces Membres le moment venu de procéder à une réclamation internationale. Les OI ont ainsi des pouvoirs normatifs (par exemple l’OMS et la déclaration d’une pandémie), opérationnels (par exemple le HCR et la gestion des camps de réfugiés) et de surveillance (par exemple le Comité des droits de l’homme contrôle la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques).

Les privilèges et immunités – Comme les ressortissants des États, les Nations Unies et ses fonctionnaires internationaux bénéficient de privilèges et d’immunités ; il s’agit là de l’un des principes les plus anciens du droit international. Dès sa création, il a été convenu que tant l’ONU que ces représentants et ces fonctionnaires doivent se voir accorder des privilèges et immunités, nécessaires à l’exercice de leur travail en toute indépendance[36]. L’étendue de ces privilèges et immunités, similaires à ceux accordés aux ambassades et à leur personnel, a été précisée à la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies[37] adoptée en 1946. Suivant cette convention, les Nations Unies jouissent d’une immunité totale quant à leurs locaux et leurs biens. Cela n’a jamais été réellement remis en question. Les statuts des officiers des Nations Unies ont eux soulevé d’importantes questions relatives aux privilèges et immunités. Le Secrétaire général et les autres secrétaires généraux adjoints bénéficient de privilèges et immunités à l’image des ambassadeurs. Toutefois, le personnel onusien ne bénéficie de privilèges et immunités que dans le cadre de leur fonction, c’est-à-dire pour les gestes posés dans le cadre de leurs compétences officielles. Ces limites imposées aux privilèges et immunités entraînent d’importantes questions quant à la responsabilité des fonctionnaires internationaux[38].

La responsabilité internationale – Il semble manifeste que la violation du droit international entraîne la responsabilité et l’obligation d’accorder une certaine forme de réparation ; à ce titre, les États sont responsables des faits internationalement illicites qui peuvent leur être imputés. La responsabilité internationale des organisations internationales comme les Nations Unies soulève des questions complexes concernant l’attribution des actes des individus et des États à l’organisation. Dans certains cas, il peut être difficile de déterminer si la responsabilité d’un fait internationalement illicite doit être attribuée à une OI ou aux États qui agissent par son intermédiaire[39]. À ce jour, les Nations Unies refusent d’indemniser les victimes d’actes commis par les membres des forces de maintien de la paix dans le cadre de leur fonction telle que respect d’un ordre du supérieur hiérarchique qui entraîne des blessures graves, mais reconnaissent leur responsabilité pour les actes commis en dehors des actions normales de la mission comme en témoigne le pillage par exemple.

Les liens qui s’opèrent entre la personnalité juridique internationale, la reconnaissance de privilèges et immunités et la responsabilité internationale pour fait internationalement illicite ainsi que la problématique qui en découle sont bien illustrés par l’épidémie de choléra qui sévit Haïti depuis 2010. Pour rappel, Haïti a été frappé par un important tremblement de terre le 12 janvier 2010 et les premiers cas de choléra ont été découverts au mois d’octobre de la même année ; aucun cas de choléra n’avait été répertorié auparavant. Un premier rapport est produit en novembre 2010 qui confirme que l’épidémie provient de la mauvaise gestion des fosses septiques du camp de la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti), précisément du camp népalais des Casques bleus. Une compagnie privée haïtienne a été embauchée pour assurer l’évacuation des déchets de la fosse septique. Or, on apprendre que cette entreprise a tout simplement déversé les déchets près dans une rivière qui alimente le fleuve Artibonite lequel fourni en eau une grande partie de la population.

En 2011, la commission d’enquête onusienne conclut qu’elle ne peut affirmer avec certitude que l’épidémie provient de la mission népalaise, mais elle se ravise en 2013 et affirme que la source la plus probable de l’épidémie de choléra est bien ladite mission. L’épidémie aura fait plus de 10 000 morts et au moins 800 000 personnes auront été infectées. Ce n’est qu’en août 2016 qu’un officiel des Nations Unies, le Secrétaire général de l’époque, Ban Ki-moon, reconnait pour la première fois l’implication onusienne dans la propagation du choléra à Haïti. Toutefois, le Secrétaire général s’est empressé de rappeler que les Nations Unies ainsi que son personnel bénéficient de l’immunité totale et fonctionnelle, rejetant du même coup la réclamation d’indemnisation des victimes et de leur famille. Suivant ce rejet, les membres des familles de 5000 victimes haïtiennes ont saisi la justice américaine laquelle refuse, une première fois, d’entendre leur cause, car elle reconnait l’exercice de l’immunité juridictionnelle des Nations Unies. Le 1er décembre 2016, Ban Ki-moon a présenté ses excuses au peuple haïtien et maintien que les Nations Unies n’ont aucune responsabilité juridique internationale eu égard à l’épidémie de choléra. En 2017, les derniers recours collectifs entamés par les familles des victimes devant la justice américaine échouent, faute pour les Nations Unies d’accepter de lever leur propre immunité qui protège tout le personnel onusien contre les procédures judiciaires pour des actes commis en fonction[40].

En définitive, bien que les Nations Unies se voient octroyer la personnalité juridique, ce qui permet d’ester en justice, mais impose également des obligations, leur responsabilité juridique internationale peut être difficilement mise en oeuvre en raison des privilèges et immunités largement consentis.

A. Les défis organisationnels persistants et le besoin de réforme des Nations Unies

Les Nations Unies sont à la fois un lieu de négociation de la politique mondiale, essentiellement composé d’États membres dont les intérêts et les valeurs divergent, et une entité où des fonctionnaires internationaux, ayant eux aussi leur propres intérêts, valeurs et préférences, ont la capacité de prendre des décisions et de mettre en oeuvre les politiques de manière autonome. Ce regard sur les Nations Unies ne saurait être complet sans qu’il ne soit tenu compte de l’apport des acteurs qui travaillent avec les différentes entités onusiennes tels que les ONG, les experts indépendants et les entreprises[41]. Par conséquent, les défis rencontrés par les Nations Unies sont à la hauteur de ce schéma : ils se déroulent à plusieurs niveaux et répondent d’une complexité certaine. Ces défis concernent particulièrement la réforme des entités onusiennes, la coordination de ses activités essentiellement par le Secrétariat général, et son financement. Ces défis sont non seulement récurrents dans l’histoire de la construction onusienne, mais également d’actualité.

Tout changement dans la composition des organes principaux nécessite une modification de la Charte. Cela ne s’est produit qu’à deux reprises. D’abord, en 1963, lorsque le nombre de Membres du Conseil de sécurité est passé de onze à quinze, sa majorité au vote de sept à neuf, et les Membres de l’ECOSOC qui sont passés de dixhuit à vingt-sept. Une deuxième modification est survenue en 1971 lorsque l’ECOSOC a été élargi à cinquante-quatre membres. À l’image de plusieurs constitutions, la Charte des Nations Unies est difficilement modifiable. Conformément aux articles 108 et 109, toute modification doit être approuvée et ratifiée par les deux tiers des États membres de l’ONU, y compris les cinq Membres permanents du Conseil de sécurité[42]. Deux principales réformes qui nécessiteraient une modification à la Charte consiste à modifier à nouveau le Conseil de sécurité, une réforme particulièrement controversée, ainsi que le Secrétariat général.

Théoriquement, tous s’entendent à dire que la taille, la composition et la qualification des Membres du Conseil de sécurité devraient être modifiées afin que plus d’États y siègent et que ceux-ci assurent une meilleure représentativité du monde tel qu’il se présente aujourd’hui. En effet, les cinq Membres permanents ne représentent plus la majorité de la population mondiale comme en 1945. L’Europe, et l’Occident en général, est surreprésentée, la Chine est le seul pays d’Asie et aucun pays africain ne détient de siège permanent. Plus encore, l’Allemagne et la Japon contribuent plus financièrement que tous les Membres permanents à l’exception des États-Unis, mais n’ont pas de siège au Conseil de sécurité. Il se pose également la question du maintien de la distinction entre Membre permanent et non permanent ainsi que son corolaire, le droit de veto.

À ce jour, ces questions demeurent non résolues, et ce, malgré de nombreuses propositions et actions menées au cours des dernières décennies. En effet, si les premières réformes ont été acceptées par les Membres, depuis les années 1990, aucun accord n’a été trouvé en ce sens.

D’abord, il n’y a pas d’accord sur le processus ou la formule à utiliser pour déterminer quels seraient les États qui obtiendraient de nouveaux sièges, permanents ou non, au sein du Conseil de sécurité. À titre d’exemple, trois candidats africains – le Nigeria, l’Égypte et l’Afrique du Sud – et un candidat américain – le Brésil – se détachent du lot pour des raisons démographiques, économiques, et politiques. Ensuite, des États comme l’Italie et le Pakistan s’opposent à l’ajout de nouveaux sièges au Conseil de sécurité, car des États rivaux, respectivement l’Allemagne et l’Inde, sont susceptibles d’être candidats. Plus encore, les États-Unis auraient été favorables à l’octroi de sièges permanents à l’Allemagne et au Japon, mais se sont opposés à l’Allemagne lorsqu’ils ont condamné l’invasion américaine en 2003. Depuis, ils sont contre ces additions. S’ajoute aux débats la Chine qui s’oppose à l’ajout de sièges pour le Japon et l’Inde[43].

Plus encore, le Brésil, l’Inde, l’Allemagne et le Japon ont fait publiquement campagne pour l’obtention de nouveaux sièges permanents avant la réunion annuelle de l’Assemblée générale en 2005, moment charnière du 60e anniversaire de l’organisation, des efforts qui n’ont pas abouti. Certains observateurs ont même suggéré que tout nouveau membre du Conseil de sécurité ne soit pas un État, mais bien une organisation régionale telle que l’Union européenne, en remplacement de la France et de la Grande-Bretagne, et l’Union africaine[44]. En définitive, les États s’entendent sur le fait qu’ils ne s’entendent pas sur la réforme du Conseil de sécurité !

De 300 personnes en 1946, le Secrétariat compte maintenant plus de 35 000 fonctionnaires provenant de 187 pays[45]. Cette croissance s’explique à la fois par l’augmentation du nombre de Membres au sein des Nations Unies et par la prolifération des programmes et des activités, que ce soient des missions de maintien de la paix, des fonds d’aide à l’assistance technique, etc. Avec cet élargissement de la fonction publique sont venus des accusations de partialité et d’inefficacité, particulièrement de la part des plus grands contributeurs, au premier rang desquels les États-Unis. En effet, alors que la taille, les dépenses et les priorités de la fonction publique onusienne sont largement critiquées, la plupart s’accordent à dire qu’elle est nécessaire pour mettre en oeuvre les objectifs et les politiques adoptées en réponse aux différents problèmes mondiaux rencontrés.

Plusieurs réformes ont été entreprises afin de limiter la croissance du Secrétariat, mais également afin d’accroitre l’efficacité des programmes de ce dernier. Par exemple, en 1997, le Secrétaire général de l’époque, Kofi Annan, va réduire la taille du Secrétariat de 25 %, fusionner plus de trente départements en quatre grands secteurs de travail, créer son cabinet, un groupe de réflexion avec pour mandat de fournir des analyses et des recherches indépendants et regrouper certaines entités en matière de droits fondamentaux. Puis, en l’an 2000, à la suite du Rapport Brahimi[46], le nombre d’employés oeuvrant au Département des opérations de maintien de la paix sera augmenté de 50 % en raison des besoins identifiés pour soutenir les opérations sur le terrain[47]. En 2002, le Secrétaire général mettra en place de nouveaux systèmes de recrutement fondés sur le mérite et la compétence, puis en 2005, il tentera de réformer le Conseil de sécurité, mais surtout il présentera une réforme des instances de prévention et de promotion des droits fondamentaux ; à la demande générale, la Commission des droits de l’homme sera abolie et remplacée par le Conseil des droits de l’homme. Puisque l’ensemble de ces réformes n’auront visé que les organes subsidiaires et les autres entités, évitant soigneusement les organes principaux, aucune modification à la Charte n’a été nécessaire.

À l’automne 2019, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté un budget de trois milliards de dollars américains afin de couvrir l’année 2020. Pour comparaison, le budget de la seule ville de New York est estimé à 70 milliards de dollars américains. De plus, le budget onusien exclut d’importante dépense soit les coûts des opérations de maintien de la paix, des fonds spécialisés (par exemple : UNICEF, HCR) et des institutions spécialisées ; par conséquent, ces différents budgets se font compétition ! En effet, si le budget des Nations Unies est calculé en fonction de la contribution de chaque États Membres, les trois autres types de budgets se fondent essentiellement sur les contributions volontaires des États. Ce faisant, les critiques émises contre le financement onusien sont directement liés aux différentes réformes qui ont ou non eu lieu, mais également aux défis de coordination de l’ONU, et ce, malgré son financement famélique.

Ces défis de coordination et de gestion des activités onusiennes sont aujourd’hui d’une grande priorité pour les Nations Unies, ainsi que certains grands contributeurs financiers. Le problème de la multiplication des entités aux mandats similaires sans coordination consiste en un sujet récurrent au sein du système onusien. Karns, Mingst et Stiles soutiennent que non seulement cette problématique est présente depuis la création des Nations Unies, mais elle est le fruit de la conception des fondateurs[48] ; ceux-ci l’auraient construite de manière décentralisée afin d’accroitre la capacité de participation des Membres tout en minimisant le potentiel de politisation des décisions. Or, les questions aujourd’hui abordées par les Nations Unies ne s’inscrivent plus strictement en vase clos ou en fonction des secteurs d’activités ou des régions d’opération.

Finalement, une ultime problématique persiste au sein de la famille onusienne soit l’absence quasi complète des acteurs non étatiques. L’importance de la contribution de la société civile entendue largement n’est plus à démontrer. En effet, il est dorénavant bien acquis que les ONG et les entreprises privées sont largement impliquées dans la réalisation des programmes et des activités onusiennes. Or, celles-ci ne sont pas intégrées au sein du système, elles n’y ont pas même une place d’observateur qui serait largement acquise. Certes, plusieurs initiatives ont été entreprises depuis les années 1990 et plusieurs sommets et réunions mondiales ont été organisés pour favoriser la coordination des activités de la société civile et des Nations Unies. Il n’en demeure pas moins qu’encore à ce jour la participation des acteurs non étatiques aux activités onusiennes demeure une question épineuse[49].

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En définitive, le système onusien offre un encadrement institutionnel unique en son genre, permettant à la fois d’assurer un minimum de prévisibilité et d’efficacité et dans la réponse coordonnée à une problématique internationale. Les Nations Unies ont toutefois vécu d’importantes crises et scandales : la corruption du programme pétrole contre nourriture en Irak par exemple et elle s’est avérée inefficace pour régler certaines situations catastrophiques tels que l’inaction récurrente du Conseil de sécurité en temps de conflit comme au Darfour ou en Syrie. Pour ces raisons, certains pensent que l’ONU est inutile et doit être abolie. Or, il faut garder à l’esprit que si l’ONU est constamment remise en question, pour le moment, force est d’admettre qu’elle remplit, de manière bien imparfaite, son mandat premier de préserver la paix et la sécurité internationale. Comme l’affirmait Dag Hammarskjöld, le deuxième Secrétaire general : « The UN was not created to take mankind to heaven, but to save humanity from hell. »[50].