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Le 15 juillet 2018, la France a remporté pour la deuxième fois de son histoire la Coupe du monde de football. Les scènes de liesse populaire largement relayées dans les médias nationaux ont prouvé, si besoin en était, l’importance du sport pour la cohésion nationale et la pérennité du sentiment national. Ainsi, l’existence d’une équipe nationale de football sert indéniablement à l’affirmation de la nation, mais également de l’État. Dans cette perspective, le sport en général, et le football en particulier, est le témoin des bouleversements géopolitiques mondiaux. À titre d’exemple, la Croatie n’aurait pas pu être vice-championne du monde avant les années 1990 pour la bonne et simple raison que cet État n’existait pas avant 1992. Avant cette date, les joueurs croates étaient réunis sous la bannière de la République yougoslave. Autrement dit, les bouleversements politiques et territoriaux ont une incidence sur le panorama du sport mondial.

Sans parler pour autant de critère constitutif de l’État, il semblerait assez logique d’admettre, au vu de la pratique étatique, que la constitution d’une équipe nationale de football présume l’existence d’un État souverain.

Pourtant, il existe depuis 2013 une confédération des associations de football indépendantes[1] (ou CONIFA), qui a vocation à rassembler un certain nombre de peuples dont les associations de football ne sont pas membres de la Fédération internationale de football association (ou FIFA), cette dernière faisant figure d’institution de référence en matière de football mondial.

La dernière édition de la coupe du monde organisée par la CONIFA s’est tenue quasiment concomitamment à la « vraie » coupe du monde et a vu l’équipe de la minorité hongroise de l’Oblast de Zakarpattia, située dans le sud-ouest de l’Ukraine, l’emporter trois buts à deux aux tirs au but face à l’équipe de Chypre Nord[2]. Pour schématiser, la CONIFA a vocation à intégrer les fédérations des entités non étatiques, tandis que la FIFA a pour objet l’intégration des fédérations de football relevant d’États souverains, bien que cette frontière entre les deux institutions ne soit pas totalement étanche.

La CONIFA et la FIFA ne sont pas des organisations internationales au sens du droit international. En effet, ces deux organisations sont formellement des associations de droit privé enregistrées respectivement en Suède et en Suisse. Il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent être considérées comme des objets juridiques hybrides puisqu’en dépit de leur statut régi par le droit interne, elles sont chargées d’organiser des activités à vocation internationale. Ce statut, bien qu’hybride, n’est pas unique puisque le Comité international olympique (CIO) fonctionne de la même façon. En effet Patrick Clastres considère à propos du CIO que « [s]es prétentions à "gouverner le sport mondial" le situent donc dans un "hinterland juridique" entre droit interne suisse et droit international »[3]. Dans d’autres secteurs, des organisations non gouvernementales ont pour mission de régir, voire de réguler des activités internationales, c’est notamment le cas de l’International Air Transport Association (ou IATA) chargée de réglementer le secteur du trafic aérien[4].

L’objet de cette contribution est de démontrer qu’en dépit de leurs statuts, non régis par le droit international, ces deux associations sont susceptibles de soulever des questions qui concernent directement la géopolitique et le droit international. La question qui se pose est de savoir si la participation de certaines entités dont le statut juridique est contesté aux manifestations sportives internationales ne serait pas de nature à légitimer leurs prétentions politiques et juridiques et à favoriser leur reconnaissance internationale. En effet, si le droit du sport international peut être considéré comme un droit transnational, puisqu’il régit les comportements d’acteurs privés appartenant à des ordres juridiques nationaux différents[5], il s’agira de s’interroger sur le fait de savoir si les États, en laissant des manifestations sportives impliquant des associations représentant des entités frappées d’une obligation de non-reconnaissance se dérouler sur leur sol, ne violeraient pas une obligation internationale. Il conviendra également de s’interroger sur une éventuelle responsabilité de ces fédérations internationales quant à la légitimation de certaines prétentions territoriales illégales.

Plus généralement, cette contribution aura pour but de revenir de manière ludique sur le droit international relatif à la reconnaissance d’État. L’une des questions qui se posera est celle du degré d’intégration dont les entités non reconnues peuvent jouir sur la scène internationale. La participation d’une entité à des compétitions sportives pourrait peut-être équivaloir à une reconnaissance ou, à tout le moins, serait de nature à légitimer certaines prétentions politiques et territoriales.

La reconnaissance est, par principe, discrétionnaire. James Crawford explique en ce sens que « sovereignty was a legal principle applying to entities identified by the purely political and discretionary act of recognition »[6]. La vision de l’auteur précité exprime l’idée selon laquelle une entité - dès lors qu’elle est reconnue en tant qu’État - bénéficie de la souveraineté. Autrement dit, c’est seulement une fois qu’elle sera reconnue qu’elle détiendra la capacité de nouer des relations diplomatiques, commerciales ou encore culturelles et sportives avec l’État reconnaissant. Cependant, dans l’hypothèse d’entités dont les circonstances de naissance sont problématiques, les États peuvent être tenus par une obligation de non-reconnaissance[7], auquel cas le fait d’entretenir des relations avec cet État pourrait être considéré comme une violation du droit international, selon le degré et l’intensité de ces relations. Dans un tel cas, la question qui se pose est celle qu’évoquait Stefan Talmon en ces termes : « the question of what kind of cooperation is excluded by non-recognition cannot be answered in general. It depends on what type of recognition is to be avoided »[8]. En effet, si les entités frappées d’une obligation de non-reconnaissance venaient à être représentées par une équipe « nationale » dans les compétitions internationales de football, il serait légitime d’estimer que les fédérations organisant de telles compétitions dépasseraient alors leur objet purement sportif pour entrer dans la sphère politique, voire juridique. N’oublions pas, en ce sens, que les États ont non seulement l’obligation de ne pas reconnaitre les États nés d’une violation d’une norme de jus cogens, mais également celle de ne pas leur porter aide et assistance[9]. Le problème général est de savoir si (et le cas échéant, comment) des organisations de droit privé, non soumises au droit international, peuvent, par leurs règles internes, aller à l’encontre du droit international relatif à la non-reconnaissance d’État et si les États, en laissant de telles compétitions se dérouler, violent ou non leurs obligations internationales.

L’approche retenue prendra quelques libertés vis-à-vis du pur formalisme juridique afin de déterminer l’éventuelle remise en cause du droit international du fait de la prépondérance des entités de facto sur la scène internationale, et plus particulièrement, dans les compétitions de football mondiales[10]. Cette réflexion s’inscrit en effet dans le contexte d’une société internationale en pleine transformation et dans laquelle les États, s’ils gardent une place prépondérante, sont désormais concurrencés par d’autres acteurs, et ce, dans tous les domaines. En particulier, les acteurs privés et les organisations non gouvernementales jouissent d’un rôle de plus en plus important. C’est ce qui explique l’importance accordée à la FIFA et dans une moindre mesure, à la CONIFA, dans l’organisation de compétitions de football.

En conséquence, il s’agira de démontrer d’une part que la FIFA, instance assimilable à une organisation internationale, a vocation à intégrer en son sein uniquement les fédérations des États reconnus, même si ce principe souffre d’un certain nombre d’exceptions (I) avant de voir que le but de la CONIFA est de donner de la visibilité à des entités non reconnues, ce qui est de nature à poser la question d’une reconnaissance implicite de ses membres. L’idée d’une reconnaissance implicite peut s’avérer problématique lorsque les entités dont il est question sont nées d’une violation d’une norme de jus cogens (II).

I. Les problèmes liés à la participation d’entités au statut étatique contesté à la FIFA

Il s’agira de démontrer que la FIFA, en tant qu’instance de référence en matière de régulation du football international, a vocation à intégrer en priorité les fédérations issues d’États reconnus, ce qui en fait une instance assez similaire à une organisation internationale (A), mais qu’en dépit de cette présence étatique indéniable, des problèmes de nature juridique et politique ont pu émerger à cause de l’adhésion d’un certain nombre de fédérations issues d’entités au statut contesté (B).

A. La FIFA : une quasi-organisation internationale

La FIFA est une association de droit suisse qui organise les compétitions internationales officielles de football, comme la Coupe du Monde qui s’est déroulée du 14 juin au 15 juillet 2018. À ce titre, elle est l’organisation de référence en matière de football, ce qui lui confère un rôle quasi législatif pour édicter et modifier les règles relatives aux compétitions mondiales de football. De par sa renommée ainsi que son prestige, l’on serait tenté de penser que seules les fédérations des États reconnus sont susceptibles d’adhérer à la FIFA. En réalité, les dispositions des statuts de l’organisation sont ambigües sur ce point. En effet, les règles des statuts de la FIFA relatives à l’admission de ses membres prévoient que :

[p]eut devenir membre toute association responsable de l’organisation et du contrôle du football et de toutes ses variantes dans son pays. Il est donc recommandé à toutes les associations membres d’impliquer tous les acteurs du football dans leur propre structure. Sous réserve des exceptions prévues aux al. 5 et 6 ci-après, la FIFA reconnait comme membre une seule association par pays[11].

La FIFA reconnait donc que les associations de football membres doivent être responsables de l’organisation du football dans leur pays, la FIFA s’abstenant d’utiliser le terme « État », il n’est pas possible à ce stade de déterminer ce que le terme « pays » signifie, celui-ci ne revêtant aucune réalité juridique au sens du droit international. De la même façon, la fin de l’article prévoit que la FIFA ne reconnait qu’une seule association par pays. Cependant, à notre sens, les statuts de la FIFA doivent être interprétés comme ne pouvant s’appliquer qu’aux fédérations reconnues comme telles dans un État. La FIFA elle-même, sûrement consciente des difficultés qui auraient pu s’élever en raison de l’ambiguïté des termes utilisés, a tenu à clarifier sa position dans le volet « définition » de ses statuts, en expliquant que le mot « pays » devait être entendu comme « tout État indépendant reconnu par la communauté internationale »[12]. Autrement dit, un État ne peut être représenté que par une seule association, ce qui empêcherait une entité revendiquant la souveraineté sur un territoire d’être admise au sein de la FIFA si une autre association est reconnue comme exerçant sa compétence sur le territoire en question. À titre d’exemple, la fédération française de football (FFF) est l’association qui représente la France au sein de la FIFA. Dès lors, si un mouvement régional voulait former sa propre association et devenir membre de la FIFA, les statuts de l’association ne le permettraient pas, car la FFF est compétente sur le territoire de ladite région. C’est d’ailleurs la question qui se pose actuellement pour la Corse, qui ambitionne de rejoindre la FIFA, et qui, pour ce faire, a entamé des pourparlers avec la FFF[13].

Cette conviction est renforcée par l’alinéa 6 de l’article 11 des statuts qui prévoit que « [a]vec l’autorisation de l’association membre du pays dont elle dépend, une association d’une région n’ayant pas encore obtenu l’indépendance peut également demander l’admission à la FIFA »[14]. C’est en vertu de cette disposition que la Nouvelle-Calédonie (entre autres) a pu adhérer à la FIFA.

Quoi qu’il en soit, la FIFA tente avec ces dispositions de se mettre à l’abri des éventuelles tensions politiques susceptibles d’émerger en raison de l’adhésion de certaines associations. En effet, de la même façon que seule l’effectivité est susceptible de donner une validité juridique à l’existence d’un État ou d’un gouvernement[15] (à l’exclusion des hypothèses d’États créés en violation de normes de jus cogens[16]), seule la capacité effective d’organiser les activités footballistiques sur un territoire est susceptible d’entrainer l’adhésion d’une association à la FIFA. Dès lors qu’une association exerce sa compétence sur l’intégralité du territoire d’un État, toute autre association est par principe empêchée d’adhérer à la FIFA pour représenter une partie du territoire. Cependant, ce principe souffre de certaines exceptions, et on constate à titre d'exemple que le Pays de Galles, l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande du Nord bénéficient chacun d’une association membre de la FIFA, alors qu’aux termes de l’article 11 des statuts une seule association aurait dû représenter l’ensemble du Royaume-Uni.

Au vu de ce qui a été démontré, il est indéniable que le statut d’État n’est pas tout à fait étranger à l’adhésion à la FIFA, même si ce principe peut faire l’objet d’un certain nombre d’exceptions. Là encore nous pouvons établir un parallèle avec le statut d’État. En effet de la même façon qu’il sera plus difficile pour une entité sécessionniste d’obtenir le statut d’État en l’absence du consentement de son État d’origine[17], l’association de football d’une entité indépendantiste ne pourrait valablement représenter son entité au sein de la FIFA sans l’accord préalable de l’association représentant son État de rattachement.

Malgré cela, on s’aperçoit que parmi les associations membres de la FIFA, certaines représentent des entités dont le statut étatique n’est pas universellement reconnu. Pour prendre trois exemples particulièrement emblématiques, on constate que le Kosovo, la Palestine, ou encore Taiwan (sous le nom de Chinese Taipei) sont tous trois membres de la FIFA. Ces trois entités ne sont pas universellement reconnues pour diverses raisons. En ce qui concerne le Kosovo, certains États estiment que cette province albanaise enclavée au sein de la Serbie ne bénéficiait pas d’un droit à se constituer en État, car elle n’avait pas le statut d’un État fédéré de Yougoslavie et qu’au contraire elle était considérée au sein de l’ex-Yougoslavie comme une province autonome, en conséquence de quoi sa sécession ne pouvait intervenir sans violer l’intégrité territoriale de l’ex-République fédérale yougoslave (RFY). Par conséquent, pour les tenants de cette théorie, cette entité n’aurait pu en principe accéder à l’indépendance au cours du processus de dissolution de la Yougoslavie en raison de l’application du principe de l’uti possidetis juris[18]. Quoi qu’il en soit, le statut d'État de cette entité est aujourd’hui reconnu par plus de cent États dans le monde[19]. La Palestine quant à elle s’est vue reconnaitre un droit à l’autodétermination externe dans le cadre de la décolonisation. En effet, l’Assemblée générale a voté un plan de partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe[20]. La Palestine est d’ailleurs reconnue par au moins cent trente-cinq États à travers le monde[21]. Par ailleurs, la Palestine est un État au sens de l’Organisation des Nations unies (ONU) puisqu’en 2012, cent trente-huit États au sein de l’Assemblée générale ont voté en faveur de l’attribution du statut d’État observateur non membre de l’Organisation à la Palestine[22]. Enfin Taïwan est un cas particulier, car il s’agit d’une entité dont le gouvernement revendiquait sa compétence sur l’intégralité du territoire chinois. Le gouvernement de Taiwan n’exerce sa compétence que sur le territoire de l’île de Taiwan et n’est plus reconnu que par dix-sept États dans le monde[23].

Ainsi, la FIFA accueille en son sein certaines associations dont l’entité d’origine n’est pas reconnue en tant qu’État par l’intégralité des États dans le monde, ni même par l’intégralité des associations membres de la FIFA. Cette situation peut poser un certain nombre de problèmes[24]. Par ailleurs, comme cela a été dit précédemment, la FIFA ne semble devoir accueillir en son sein que les associations membres d’États reconnus par la communauté internationale. Ici encore, l’expression consacrée ne va pas sans poser de problèmes d’un point de vue juridique. En effet, la communauté internationale n’est pas une entité identifiable en droit international, par conséquent se pose la question de savoir si les membres de la FIFA doivent être unanimement reconnus, s’ils doivent être largement reconnus, auquel cas se poserait la question du nombre de reconnaissances nécessaires, ou s’ils doivent simplement être reconnus par un autre État. Cette dernière hypothèse impliquerait à titre d’exemple que la République turque de Chypre Nord (RTCN) serait autorisée à adhérer à la FIFA alors même qu’elle n’est, aujourd’hui encore, reconnue que par la Turquie, du fait de l’obligation de non-reconnaissance qui frappe cette entité[25].

À côté de ces entités dites contestées, il existe un certain nombre d’autres membres de la FIFA qui, sur les plans politique et juridique, disposent d’un statut non étatique. À cet égard il est assez intéressant de constater que certains territoires d’outre-mer des États membres ainsi que certains territoires non autonomes possèdent une fédération membre de la FIFA. En effet, disposent d’une association membre de la FIFA des territoires sous souveraineté néerlandaise comme les îles d’Aruba ou de Curaçao, des territoires sous souveraineté néozélandaise (îles Cook), sous souveraineté danoise (îles Féroé) ou encore sous souveraineté chinoise (Macao). Par ailleurs disposent également d’une association membre de la FIFA la quasi-totalité des territoires figurant sur la liste des Nations unies des territoires non autonomes comme les Bermudes, les îles Vierges Britanniques, les îles Caïmans, Montserrat, les îles Turques et Caïques, les îles Vierges américaines, les îles Samoa américaines, le territoire de Guam ou encore le territoire de Gibraltar et les territoires français de Tahiti et de Nouvelle-Calédonie[26]. En réalité, cette référence faite aux territoires non autonomes n’est pas étonnante, car ces territoires se sont vu reconnaitre par l’ONU un droit à se constituer en État[27]. En effet, il convient de se référer à la Résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations unies qui est le texte de référence en matière de droit à l’autodétermination. Le paragraphe 5 de la Résolution dispose

[d]es mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs voeux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes[28].

Il est donc on ne peut plus clair que les territoires non autonomes bénéficient d’un droit à l’autodétermination externe.

En la matière, les règles de la FIFA ne se distinguent pas de celles de la CONIFA puisque celle-ci prévoit expressément dans ses statuts la possibilité pour les associations des territoires placés sur la liste des territoires non autonomes des Nations unies d’adhérer à la fédération, comme c’est le cas du Sahara occidental[29].

Pour conclure, la FIFA accueille ses membres en suivant un critère d’étaticité. Néanmoins, ce principe n’est pas absolu puisqu’ont pu adhérer à la FIFA des États non reconnus de manière universelle (Taiwan, Kosovo et Palestine), mais également des territoires non autonomes, voire de simples territoires administrativement rattachés à des États souverains (Gibraltar, îles Cook, etc…). Reste à voir que la participation d’un certain nombre d’États contestés est parfois source de tensions politiques interétatiques.

B. La FIFA et la participation d’États contestés

Comme cela a déjà été mentionné, la FIFA (à l’inverse de la CONIFA) a vocation à accueillir en son sein des associations dont l’entité d’origine est un État, en dehors des exceptions énumérées précédemment[30]. Pourtant, certaines associations membres sont issues d’entités dont le statut d’État est contesté. Cette contestation au sein même d’une organisation ayant vocation à rassembler des équipes nationales peut poser un certain nombre de problèmes d’ordre politique et juridique. Nous nous attacherons à l’étude de deux cas particuliers que sont d’une part l’exemple du Kosovo et d’autre part le cas de la Palestine.

Le Kosovo est affilié à la FIFA depuis 2016 seulement[31], et n’est toujours pas membre de l’ONU[32], malgré la proclamation de son indépendance en 2008. Il convient de faire un bref rappel des faits qui ont conduit à l’indépendance de facto du Kosovo puis à sa (non-) reconnaissance partielle. Au cours du processus de dissolution de l’ex-Yougoslavie, la minorité albanaise du Kosovo, province de l’ex RFY, a fait valoir ses velléités indépendantistes qui ont été violemment réprimées par le régime de Belgrade mené par Milosevic[33]. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est intervenue afin de pacifier la situation, à la suite de l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la Résolution 1244[34]. Cette résolution de l’ONU a eu pour objet l’envoi de missions civile et militaire destinées à accompagner la mise en place d’institutions au Kosovo[35]. Ce processus de pacification a abouti à la déclaration d’indépendance du Kosovo en 2008, déclaration qui, bien que n’ayant pas fait l’unanimité parmi les États, n’a pour autant pas été considérée illégale en elle-même par la Cour internationale de justice[36]. Le Kosovo est aujourd’hui reconnu par cent-seize États sur les cent-quatre-vingt-treize États membres de l’ONU, la Barbade étant le dernier État à l’avoir reconnu[37].

Pour en revenir au football, l’adhésion du Kosovo à l’Union européenne des associations de football (UEFA) et à la FIFA ne s’est pas faite sans plainte de la part de la Serbie. En effet, si une immense majorité de membres de la FIFA a voté en faveur de l’adhésion du Kosovo à la FIFA, la Serbie a fait un recours devant le Tribunal arbitral du sport afin de faire invalider cette adhésion[38]. Le Tribunal arbitral du sport a finalement rejeté l’objection serbe et l’adhésion du Kosovo à l’UEFA et par suite à la FIFA a été confirmée[39]. La participation du Kosovo continue de soulever certains problèmes, le dernier en date s’étant déroulé durant la coupe du monde de football au cours du match opposant la Suisse à la Serbie. En effet, les joueurs de l’équipe nationale suisse Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, tous deux d’origine kosovare, ont écopé d’une amende infligée par la FIFA pour avoir célébré leur but en mimant avec leurs mains l’aigle bicéphale, emblème de l’Albanie[40]. Le sélectionneur de l’équipe serbe en réaction à cet incident aurait également déclaré « que l’arbitre allemand Felix Brych devait être “envoyé à La Haye” pour y être “jugé” »[41]. L’existence d’un lien entre le football, la politique et le droit international, qui a servi d’hypothèse de travail pour cet article est donc reconnue par les protagonistes du monde du football. Il est d’ailleurs assez révélateur qu’un article du site Internet de la Radio télévision belge francophone (RTBF) retraçant l’histoire du Kosovo explique que :

la République du Kosovo en dix ans d’indépendance, a cependant solidement consolidé sa souveraineté sur la scène internationale, de facto et de jure, comme en atteste son adhésion à diverses institutions et organisations internationales politiques, économiques, sécuritaires, culturelles et sportives[42].

Cela démontre que la participation d’une équipe à une compétition internationale organisée par la FIFA n’est pas un fait anodin et qu’au contraire elle peut être considérée comme un instrument de légitimation de l’État sur la scène internationale.

L’article susmentionné semble même opérer un amalgame entre organisation internationale et organisation non intergouvernementale (comme la FIFA). En effet, l’article en question met en avant que :

la République du Kosovo est aussi devenue membre à part entière de pratiquement toutes les institutions et organisations internationales sportives telles que […] l’Union européenne des associations de football (UEFA) ou encore la Fédération internationale de football association (FIFA)[43]

avant d’ajouter que « [l]’adhésion à l’ONU demeure le principal défi de l’État kosovar »[44]. Adhésion à l’ONU et adhésion à la FIFA ne se confondent pourtant pas. Si l’adhésion à l’ONU a pour conséquence d’attribuer à l’État admis la reconnaissance de la part de tous les États qui ont voté en faveur de son adhésion[45], on ne peut pas en dire autant de la procédure d’admission au sein de la FIFA. Il convient en effet de rappeler que la FIFA n’accueille pas en son sein des États à proprement parler, mais des associations, des fédérations de football qui représentent des États. Par conséquent, les relations au sein de la FIFA ne sont pas des relations interétatiques, dès lors il est difficile d’envisager que le simple fait d’entretenir des relations avec les représentants de la fédération kosovare implique une reconnaissance du Kosovo.

En revanche, les symboles, les emblèmes qui entourent les équipes nationales sont de nature à renforcer les prétentions d’une entité revendiquant le statut d’État. En effet, comment un État pourrait-il justifier jouer une compétition internationale contre une équipe représentant un État qu’il ne reconnait pas quand avant la rencontre les drapeaux sont brandis et les hymnes chantés? C’est ce paradoxe qu’entretient la FIFA qui, bien qu’étant une association ayant — peut-être malgré elle — une portée politique, réfute ce rôle-là. Quoi qu’il en soit, l’élément le plus important dans la reconnaissance d’État demeure l’intention. Ker-Lindsay explique cela en citant Lauterpacht : « As the eminent legal scholar Sir Hersch Lauterpacht noted in the late 1940s: "Recognition is primarily and essentially a matter of intention" »[46]. Par conséquent un État qui nierait la reconnaissance d’un État tiers pourrait très bien permettre à son équipe nationale d’affronter l’équipe dudit État, cet affrontement purement sportif n’équivaudrait pas à une reconnaissance.

Le problème a également pu se poser à l’égard de la Palestine. Nous ne reviendrons pas sur le statut juridique complexe de la Palestine qui est un territoire à qui l’ONU a donné le droit de se constituer en État par l’adoption d’un plan de partage entre d’une part un État juif et d’autre part un État arabe[47], qui a exercé son droit à l’autodétermination en proclamant son indépendance en 1988[48] et qui, aujourd’hui, en dépit de son statut d’État observateur non membre de l’ONU[49] est toujours occupé illégalement sur certaines portions de son territoire par Israël[50] et demeure non reconnu par une part non négligeable de la communauté internationale.

Cette situation d’occupation juridiquement qualifiée du point de vue du droit international a eu des répercussions dans le milieu sportif puisque certaines équipes israéliennes sont implantées dans les colonies israéliennes en territoire palestinien. Ce cas d’espèce sort du champ d’études de cet article puisqu’il n’est pas, à proprement parler, question de reconnaissance d’État. Toutefois, la situation nous semble intéressante, car elle est de nature à démontrer la tentative de légitimation de certaines revendications territoriales illégales par le biais de la participation à des manifestations sportives. La FIFA, par l’intermédiaire de son président Gianni Infantino a refusé de prendre position sur la question et de prononcer des sanctions à l’encontre d’Israël[51]. Une fois encore nous pouvons constater que le football est instrumentalisé à des fins juridico-politiques, ce qui est dommageable, le sport devant être avant tout un objet de rassemblement et de consensus plutôt que dispute et de dissensions.

Pour conclure cette sous-partie, nous pouvons affirmer que bien que la FIFA ait vocation à accueillir des associations issues d’États souverains, certains problèmes peuvent émerger du fait de la non-reconnaissance partielle de certains États. Ces États sont représentés au sein de la FIFA par leur fédération et sur le terrain par une équipe « nationale » ce qui pose la question de la reconnaissance implicite d’État par le biais des manifestations sportives. Nous avons vu que si l’adhésion à l’ONU pouvait valoir reconnaissance de la part des États ayant voté en faveur de ladite adhésion, l’adhésion d’une association à la FIFA n’implique aucune reconnaissance de son État d’origine, la FIFA n’étant pas une organisation internationale au sens juridique du terme. Toutefois il est indubitable que la présence d’une fédération au sein de la FIFA conforte au moins symboliquement, au vu du sentiment national que véhicule le sport en général et le football en particulier, le statut étatique de l’entité d'origine de la fédération en question. Quoi qu’il en soit, les controverses qui peuvent émerger du fait de la participation d’une équipe nationale aux compétitions de la FIFA peuvent être atténuées par le fait que ces cas « critiques » sont très peu nombreux et qu’aucune des trois entités mentionnées (Taiwan, Kosovo et Palestine) n’est frappée par une obligation de non-reconnaissance. La situation des membres de la CONIFA eu égard à cette dernière considération est en revanche tout autre.

II. L’éventuelle reconnaissance implicite d’entités illégales par leur adhésion à la CONIFA

À l’inverse de la FIFA dont les membres sont quasiment tous des fédérations provenant d’États reconnus, la CONIFA donne la possibilité aux entités contestées de se voir octroyer le statut de membre (A), ce qui pose la question d’une éventuelle reconnaissance implicite des entités sanctionnées par une obligation de non-reconnaissance (B).

A. La CONIFA, foyer des entités de facto

Les statuts, ou plutôt la « Constitution » de la CONIFA édicte les règles relatives à l’admission des membres actifs et associés de l’organisation. Plus particulièrement les statuts disposent que :

[a]ny Football Association, Confederation, League and/or Club which represents a Nation, People, Ethnicity, Minority or a geographically or sportingly isolated territory population, defined by the Internal Regulations for membership, may become an Active and/or Associated member of CONIFA[52].

La CONIFA n’a donc pas vocation à accueillir en son sein des États, mais des associations de football qui représentent une nation, un peuple, une minorité, une ethnie, ou la population de territoires sportivement isolés. Ces critères sont des plus vagues et nous en déduisons que si les entités étatiques ont la possibilité d’adhérer à la CONIFA, elles ne sont pas les seules habilitées à déposer une candidature auprès de celle-ci.

Si l’on se réfère ensuite aux règles plus spécifiques de la CONIFA en ce qui concerne l’admission de nouveaux membres, on se rend compte que les candidats peuvent avoir des statuts très différents. En effet, dans un premier temps, les règles énoncent que les associations dépendant de membres du CIO, des confédérations membres de la FIFA, de l’association des fédérations internationales reconnues par le CIO ou encore de l’International Organization for Standardization peuvent être reconnues[53]. En réalité ces critères s’adressent plutôt à des États ou à des entités assez largement reconnues puisqu’à quelques exceptions près, seuls les États sont membres de telles instances. À titre d’exemple les comités nationaux olympiques kosovar et palestinien sont reconnus par le CIO[54], même si leur statut étatique est contesté. Ces dispositions peuvent également tout à fait s’appliquer à des États possédant une association reconnue par la FIFA, même si cette situation est une hypothèse d’école puisque les associations membres de la FIFA n’ont aucun intérêt à intégrer la CONIFA. La Constitution de la CONIFA tient d’ailleurs compte de cette éventuelle critique puisqu’elle contient des dispositions qui affirment que l’un des buts de l’organisation est « [to] prepare its affiliated members for international competitions, and for arranging administrative structures and matches to fulfill the conditions of the FIFA Admission rules »[55]. Par conséquent, ces différentes dispositions ont vocation à s’appliquer dans l’hypothèse où des associations membres des différentes confédérations de la FIFA (telle que l’UEFA dans le cadre européen, à titre d’exemple) essaieraient d’adhérer à la CONIFA, à défaut de pouvoir être membre de la FIFA, ce qui réduit considérablement le champ des possibles.

En réalité, l’originalité de la CONIFA vient des dispositions suivantes, car elles énumèrent différentes catégories d’entités non étatiques pouvant prétendre à une adhésion à la fédération. Ces différentes catégories correspondent en substance aux États de facto, aux territoires non autonomes et aux minorités culturelles et religieuses.

En effet, la Constitution de la CONIFA reconnait dans un premier temps la possibilité aux entités de facto d’adhérer à la confédération, ce qui constitue a priori une véritable originalité vis-à-vis du système de la FIFA, même si cette dernière a accepté l’adhésion de certaines entités contestées[56]. Autrement dit, ce qui différencie la FIFA de la CONIFA est que la première a — par essence — vocation à accueillir des fédérations provenant d’États reconnus, même si l’adhésion de certaines fédérations a pu être contestée, tandis que la deuxième ne prend pas du tout en compte la nécessité d’intégrer des fédérations sportives provenant d’États souverains. La CONIFA reconnait en effet à une pléiade d’entités ne constituant pas des États la possibilité de participer aux compétitions qu’elle organise. Certaines catégories d’entités font d’ailleurs l’objet d’une attention particulière de la doctrine internationaliste. En effet, l’article 5 du règlement sur l’admission des nouveaux membres prévoit qu’une entité peut se voir représentée par une association au sein de la CONIFA si « [t]he entity represented by the Football Association is a de facto independent territory »[57]. Cette mention est particulièrement intéressante, car elle recouvre les hypothèses d’États de facto, c’est-à-dire d’entités remplissant les critères constitutifs de l’État contenus dans la Convention de Montevideo, à savoir un territoire, une population et un gouvernement[58], mais qui du fait de leur non-reconnaissance quasi généralisée peinent à exister sur la scène internationale. Autrement dit, ces États de facto

seek international recognition and view themselves as capable of meeting the obligations of sovereign statehood. They are, however, unable to secure widespread juridical recognition and therefore function outside the boundaries of international legitimacy[59].

Cette disposition (entre autres) permet notamment au Somaliland, à l’Abkhazie, à l’Ossétie du Sud, à Chypre Nord, au Nagorny-Karabakh et à la Transnistrie de faire partie de la CONIFA. Toutes ces entités sont contestées sur le plan international en raison de considérations politiques ou bien de la légalité douteuse voire de l’illégalité manifeste des circonstances qui ont poussé à leur indépendance de facto[60]. La CONIFA ne prend pas en compte les critères de légalité puisque seul le contrôle effectif du territoire semble permettre l’adhésion d’une entité à la CONIFA.

La CONIFA permet également aux associations des territoires non autonomes d’adhérer à l’association. En ce sens, l’article suivant de l’« internal regulation » prévoit qu’une entité peut disposer d’une association affiliée à la CONIFA si « [t]he entity represented by the Football Association is included on the United Nations list of non-self-governing territories »[61]. Ce point intéresse directement le droit international. Peuvent donc rejoindre la CONIFA les associations des peuples non autonomes disposant d’un droit à l’indépendance[62]. Cette disposition bénéficie au peuple du Sahara occidental qui figure dans la liste des territoires non autonomes depuis 1963[63] et a pu adhérer à la CONIFA. Il est même expressément inscrit sur le site de la CONIFA que l’équipe du Sahara occidental représente « the Sahrawi Arab Democratic Republic (SADR) »[64], ce qui est une prise de position assez marquée et osée même s’il est vrai que la République arabe sahraouie démocratique était reconnue à la fin des années 1990 par plus de soixante-dix États dans le monde[65]. Le peuple sahraoui n’a toujours pas eu l’opportunité d’exercer son droit à l’autodétermination puisqu’après le retrait de l’Espagne, puissance colonisatrice, en 1975, le Maroc a envahi cette partie du territoire sur laquelle il continue de revendiquer sa souveraineté[66].

Les dernières dispositions de l’« internal regulation » sont intéressantes, car elles identifient une dernière catégorie d’entités non étatiques admises à être représentées par une association au sein de la CONIFA. Il s’agit des minorités culturelles, linguistiques et religieuses qui peuvent être présentes au sein d’un État. C’est ainsi que les points 8, 9 et 10 disposent :

[t]he entity represented by the Football Association is a member of UNPO and/or FUEN. The entity represented by the Football Association is a minority included in the World Directory of Minorities and Indigenous Peoples. The entity represented by the Football Association is a linguistic minority, the language of which is included on the ISO 639.2 list[67]

Ici, les critères d’identification des entités habilitées à adhérer à la CONIFA sont beaucoup plus opaques. En effet, la confédération semble se limiter au critère de la minorité linguistique et légitime ce critère par l’utilisation de listes non officielles dans lesquelles figurent certaines minorités identifiées sans que l’on sache exactement les critères qui ont été utilisés. Il est fait référence notamment à l’« unrepresented nations & peoples organization », à la « Federal Union of European Minorities », à la « Minority Rights Group International », ainsi qu’à la « International Organization for Standardization »[68]. Ces trois dernières dispositions permettent notamment aux Rohingyas ou encore aux Tamouls du Sri Lanka de constituer une équipe et de participer aux compétitions de la CONIFA.

En revanche, certaines entités faisant partie de la CONIFA ne semblent appartenir à aucune des catégories précédemment mentionnées, les dispositions du règlement étant sans doute interprétées de manière extensive afin de permettre la création du plus grand nombre possible d’équipes. En effet, figure parmi les membres de la CONIFA l’équipe de Padanie, qui représente les régions du nord de l’Italie. Cette entité ne représente pas une région autonome, ni même une minorité culturelle ou linguistique, elle n’a aucune existence administrative en Italie. Tout au plus peut-on constater que figurent, au sein de la liste des minorités tenue par l’organisation non gouvernementale « minority rights » à laquelle renvoie la CONIFA, les « South Tyrolese German-speakers » ainsi que les « French and Franco-Provençal-speaking Aostans »[69].

En conclusion de cette sous-partie, il est possible de dire que la CONIFA a vocation à intégrer des entités aux statuts très variés, qu’il s’agisse d’États comme Monaco, d’États de facto comme la Transnistrie ou Chypre Nord, de minorités nationales ou linguistiques, mais également d’autres entités au statut hybride (Padanie). Ces critères d’adhésion extrêmement inclusifs s’expliquent par les buts que l’organisation s’est assignés à savoir « to Promote and celebrate people all over the world through football and cultural activities, Strengthen people, Strengthen identity of people, for nations, ethnicities, minorities and sportingly isolated territories, Respect differences, Contribute to world peace »[70]. La CONIFA n’est pas une organisation internationale au sens du droit international, ce qui implique qu’elle n’est pas tenue d’admettre en son sein uniquement des États ou d’autres entités disposant de la personnalité juridique internationale. Par conséquent, son rôle est plutôt de promouvoir l’existence voire le rayonnement de certains peuples oubliés au niveau international. À première vue, son rôle semble donc extrêmement éloigné de celui de la FIFA qui est l’instance de référence au niveau du football mondial. Malgré le caractère louable de toutes ces considérations, il n’en demeure pas moins que la CONIFA met sur le devant de la scène les prétentions politiques de certaines entités à la légalité douteuse.

B. La CONIFA et la légitimation d’entités créées illégalement

Même si la CONIFA est une instance nouvelle dont le rayonnement est encore tout relatif, il n’en demeure pas moins que ses règles d’admission semblent très clairement promouvoir la reconnaissance d’entités non étatiques dont certaines sont frappées d’une obligation de non-reconnaissance en raison de l’illégalité originelle qui a conduit à leur création.

Comme cela a été dit précédemment, l’objet même de la CONIFA est d’accueillir en son sein l’ensemble des peuples ostracisés et isolés dans le but de promouvoir la paix. Pour autant, si ce but peut paraitre louable de prime abord, la participation de certaines entités ne va pas sans poser de problèmes. En effet, certaines entités dont les associations sont membres de la CONIFA sont sanctionnées d’une obligation de non-reconnaissance. Il est vrai que dès lors qu’une entité est créée en violation d’une norme de jus cogens, comme celle de l’interdiction du recours à la force ou du droit à l’autodétermination, les États tiers et l’ensemble de la communauté internationale ont l’obligation non seulement de ne pas reconnaitre ladite entité, mais également de ne pas lui porter une quelconque assistance. Comme l’a écrit Djamchid Momtaz :

[l]a jurisprudence internationale semble confirmer la cristallisation d’une norme obligeant les États à ne pas prêter aide et assistance au maintien d’une situation créée par la violation d’une norme impérative du droit international général. Une telle obligation se trouve d’ailleurs incluse dans le projet d’articles sur la responsabilité des États pour fait illicite adopté par la cdi qui peut désormais être considéré comme codifiant le droit international en la matière[71].

L’auteur fait ici référence à l’article 41 du projet d’article de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité des États pour fait internationalement illicite qui dispose à son deuxième alinéa « [a]ucun État ne doit reconnaitre comme licite une situation créée par une violation grave au sens de l’article 40, ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation »[72].

En l’occurrence, le problème se pose avec acuité en ce qui concerne les membres de la CONIFA puisque l’association de Chypre Nord bénéficie du statut de membre, or, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est saisi de la sécession du nord de Chypre dès 1983 et a considéré comme nulle la déclaration d’indépendance de la République turque de Chypre Nord[73]. L’invalidité de la sécession était bien entendu liée au fait que cette dernière était le fruit de l’invasion du territoire insulaire par l’armée turque, ce fait constituant une violation de la règle d’interdiction du recours à la force[74]. Le Conseil de sécurité a assorti sa décision d’une obligation de non-reconnaissance de « l’État » de la RTCN[75].

D’autres entités membres de la CONIFA posent des problèmes juridiques similaires, même si elles ne sont pas formellement frappées d'une obligation de non-reconnaissance. En effet, la Transnistrie et le Nagorny-Karabakh possèdent tous deux une association membre de la CONIFA, or ces deux entités ont déclaré leur indépendance dans des circonstances assez douteuses. En ce qui concerne la région de la Transnistrie, celle-ci faisait partie de la République socialiste soviétique de la Moldova et a déclaré son indépendance en 1990 dans l’espoir d’être rattachée à l’URSS. Cette situation a là encore abouti à un conflit puis à l’entérinement d’une situation en inadéquation avec le droit international puisque la Russie a grandement contribué à l’indépendance de facto de la Transnistrie[76]. La Moldova étant devenue indépendante au cours du processus de dissolution de l’URSS, il est assez évident aux yeux du droit international que l’aide militaire russe ainsi que la présence russe (qui a encore cours aujourd’hui) sont constitutives d’une atteinte au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de la Moldova. Enfin en ce qui concerne le Nagorny-Karabakh, cette province azerbaïdjanaise est habitée par une majorité de personnes d’origine arménienne. Un mouvement irrédentiste a vu le jour dans les années 1990 dans cette partie de l’Azerbaïdjan, mouvement très largement appuyé par l’Arménie. Comme le relève la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt Chiragov c Arménie de 2015,

l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, notant que des ‘parties importantes du territoire azerbaïdjanais’ demeuraient occupées par les forces arméniennes, a réaffirmé que l’indépendance et la sécession d’un territoire ne devaient pas être la conséquence de ‘l’annexion de fait du territoire concerné par un autre État’[77].

L’illégalité de l’aide apportée par l’Arménie aux sécessionnistes de Stepanakert est indéniable et a été soulignée à la fois par le Conseil de sécurité de l’ONU et par la doctrine[78].

En conséquence, il est légitime de se poser la question de la légalité de l’adhésion de ces entités à la CONIFA et de la légalité de leur participation à de telles compétitions internationales. La CONIFA, étant une association de droit privé et non pas une organisation internationale, n’est pas constituée d’États, par conséquent ses membres ne sont pas tenus à une quelconque obligation de non-reconnaissance. Pour autant, nous pensons qu’une association qui a vocation d’organiser des compétitions internationales et qui compte parmi ses membres des associations représentant des États reconnus (Monaco) ne peut faire l’économie du respect de la légalité internationale, eu égard aux répercussions politiques et médiatiques de telles manifestations sportives. Par ailleurs, il est de notre avis qu'il n'appartient pas à une fédération internationale de qualifier telle ou telle situation territoriale. En effet la CONIFA à cet égard semble jouer un rôle politique, car en plus d’intégrer des entités au statut contesté, elle apprécie également le statut de ses membres, ce qui peut s’avérer problématique d’un point de vue juridique. C’est ainsi que l’on trouve dans le descriptif du Nagorny-Karabakh un blason, ainsi qu’une présentation de l’entité en question où il est écrit « Nagorno-Karabakh is a de facto independent state in the Caucasus region. Regardless its status of not being recognized the region between Armenia and Azerbaijan is governed by its own government »[79]. Cette présentation est problématique, car la CONIFA fait une appréciation de l’étaticité du Nagorny-Karabakh, qu’elle considère comme un État de facto. Autrement dit, la CONIFA considère que le Haut-Karabagh satisfait les critères constitutifs de la Convention de Montevideo et qu’en dépit de la non-reconnaissance généralisée de cette entité, cette dernière peut constituer une équipe nationale. La CONIFA fait fi avec une telle description de l’ingérence arménienne dans la création de cette entité de facto et du droit au respect de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan.

L’objet de cet article n’est pas de détailler les circonstances de création de l’ensemble des entités dont les associations sont membres de la CONIFA, pour autant deux cas ont attiré notre attention : il s’agit de l’admission de la République du peuple de Donetsk et de la République du peuple de Lougansk. Ces deux régions à majorité russophone de l’Ukraine ont déclaré leur indépendance à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie. Les sécessionnistes de ces régions ont été encouragés par la Russie, ce qui pose le problème du respect de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de l’Ukraine[80]. Pourtant les associations de ces deux entités ont été admises au sein de la CONIFA, et celle-ci affirme à propos de la région sécessionniste de Lougansk : « Ukraine declares that the Luhansk People’s Republic is a part of Ukraine. Regardless of the official status of recognition the LPR is today de-facto independent and self-governed, and thus fields a national team as well »[81]. Il est difficile d’interpréter ces appréciations de la CONIFA autrement que comme une volonté de soutenir au moins indirectement les prétentions territoriales des entités membres. Il est fort probable que de telles entités demandent leur adhésion à la CONIFA dans un but politique, afin de gagner en visibilité. De la même façon, l’acceptation des candidatures par la CONIFA ainsi que les descriptions visant à qualifier les équipes de ces entités d’équipes « nationales » peuvent difficilement être interprétées autrement que comme un soutien de la part de la CONIFA.

La CONIFA est d’ailleurs consciente de cette critique, puisque des contestations se sont fait jour à propos de l’équipe du Sahara occidental. Comme nous l’avons dit précédemment le Sahara occidental est un territoire qui demeure à décoloniser, par conséquent il jouit d’un droit à l’autodétermination externe, c’est-à-dire d’un droit à l’indépendance. Pour autant, le Maroc continue de revendiquer sa souveraineté sur le territoire du Sahara occidental. Puisque les rencontres sportives ont une portée symbolique assez forte et sont liées, comme nous l’avons dit en introduction, à un sentiment national, certains symboles comme les hymnes ou les drapeaux sont susceptibles de heurter la sensibilité des États souverains ou se disant souverains sur les territoires des entités contestées. C’est ainsi que le Maroc s’est opposé au hissage du drapeau de la République arabe sahraouie démocratique durant les rencontres impliquant le Sahara occidental. Il est d’ailleurs inscrit sur la « fiche pays » du Sahara occidental sur le site de la CONIFA: « The Sahrawi national football team and federation had to face a deal made between the Kurdistan Regional Government and the Government of Morocco, which consisted of avoiding the display of the SADR flag »[82].

Certains symboles présents dans les compétitions sportives internationales sont indubitablement liés au statut étatique des entités que les équipes en question représentent. Par conséquent le fait de hisser un drapeau, de chanter un hymne ou d’appeler une équipe « équipe nationale » n’est pas anodin. C’est d’ailleurs pourquoi les entités sécessionnistes ont pour premier réflexe à la suite de leur proclamation d’indépendance de définir les symboles « nationaux ». C’est ainsi, en ce qui concerne le Nagorny-Karabakh que :

[i]ndependence, and the ability to conduct international relations, is further set out in the actual Declaration of Independence, which followed a 1991 referendum. The Declaration invokes self-determination by name, lists symbols of Karabakh statehood (flag, emblem and anthem)[][83].

En ce qui concerne le droit de la reconnaissance d’État, les mots et les symboles ont un sens, c’est pourquoi les États évitent toujours d’attribuer le titre de « président » au leader d’une entité non reconnue, ou qu’ils tentent de réfuter toute reconnaissance aux symboles et au vocabulaire évoquant dans les esprits la qualité étatique d’une entité. C’est ainsi que « [o]ne obvious method is to avoid the use of any titles that could suggest recognition. For example, in the case of engagement with Northern Cyprus, the title President or Prime Minister of the TRNC is officially avoided »[84]. Il est évident que si le fait d’appeler le leader d’une entité contestée « président » n’équivaut pas à une reconnaissance, il est indéniable que cela contribue à accorder une légitimité à l’entité en question.

La question juridique la plus sérieuse qui se pose est celle de savoir si un État pourrait ou non être tenu responsable d’avoir soutenu une entité frappée d’une obligation de non-reconnaissance lorsqu’une compétition impliquant une telle entité est organisée sur son sol. La plupart des compétitions organisées par la CONIFA le sont précisément sur le sol d’entités de facto, ce qui permet d'éviter ce type de problématiques juridiques. À titre d’exemple, la coupe d’Europe de football organisée par la CONIFA a eu lieu du 1er au 9 juin 2019 au Nagorny Karabakh[85]. Il convient cependant de rappeler que la dernière coupe du monde organisée par la CONIFA s’est tenue à Londres. Par conséquent, se pose sérieusement la question d’une éventuelle violation par le Royaume-Uni de son obligation de « due diligence »[86], puisqu’en laissant une compétition de football impliquant une entité frappée d’une obligation de non-reconnaissance se dérouler sur son sol, l’inaction britannique pourrait être considérée comme une violation du principe en vertu duquel les États ne doivent pas prêter aide ou assistance à une entité frappée d’une obligation de non-reconnaissance[87]. La manifestation ayant fait l’objet de reportages à la télévision, il est fort peu probable que les autorités britanniques n’aient pas été informées de la tenue de cet événement. La même problématique se pose à propos de la Suède, qui est l’État d’enregistrement de la CONIFA et l’État sur le territoire duquel s’est déroulée la première coupe du monde organisée par la CONIFA, en 2014. Cet État pourrait également être tenu responsable d’une violation du principe de « due diligence » en ce que son inaction aurait contribué à prêter aide ou assistance à certaines entités créées en violation d’une norme de jus cogens, en méconnaissance de l’article 41 du projet de l’article sur la responsabilité de l’État pour fait international illicite de la Commission du droit international[88].

Si la question de la légalité de tels comportements mérite d’être posée, il nous semble qu’une mise en jeu de la responsabilité de ces États sur ce fondement est plus qu’improbable. En effet, il ne faut pas oublier que dans son célèbre Avis consultatif relatif à la situation en Namibie, la Cour internationale de justice a conclu que l’obligation de non-reconnaissance de l’administration sud-africaine en Namibie ne « devrait pas avoir pour conséquence de priver le peuple namibien des avantages qu’il peut tirer de la coopération internationale »[89]. En l’espèce il est assez difficile de déterminer si la participation d’entités frappées d’une obligation de non-reconnaissance à des compétitions mondiales de football poursuit le but légitime d’inclure les populations desdites entités dans la société internationale ou si, au contraire elle a pour vocation de promouvoir des prétentions territoriales illégales. Au vu de l’absence de réaction de la part des États dont l’intégrité territoriale est violée par l'existence de ces entités contestées, il serait légitime d’en conclure que cette forme de coopération internationale ne constitue pas une atteinte à la règle d’obligation de non-reconnaissance.

En conclusion de cette sous-partie, nous pouvons dire que la participation de certaines entités au statut étatique contesté à des compétitions internationales est de nature à renforcer la visibilité et la légitimité de telles entités dans la recherche d’une reconnaissance internationale. Ceci est d’autant plus vrai que les compétitions sont organisées sur le sol d’États souverains qui souvent ne reconnaissent pas lesdites entités. La dernière édition de la coupe du monde de la CONIFA s’est tenue en Angleterre, or le Royaume-Uni ne reconnait pas la République turque de Chypre Nord, entité dont l’équipe a atteint la finale du tournoi. La participation d’entités contestées aux compétitions organisées par la CONIFA n’est pas suffisante pour reconnaitre le statut d’État auxdites entités, pour autant la visibilité médiatique et politique qu’acquièrent ces entités en participant aux compétitions de la CONIFA est de nature à encourager le fait sécessionniste ou annexionniste et donc à affaiblir l’intégrité territoriale des États.

***

La coupe du monde organisée par la CONIFA accueille des équipes représentant les entités et les peuples mis au ban de la société internationale. Si, a priori, cet objectif semble louable, il ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes de nature juridique. En effet, même si à première vue l’existence de telles compétitions peut sembler folklorique, il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre d’entités (RTCN, Transnistrie, République de Lougansk, etc.) se voient légitimer par le biais de l’adhésion à la CONIFA et de leur participation aux compétitions organisées par elle. Même si la CONIFA ne prétend pas accueillir en son sein uniquement des États, on constate que le statut étatique de certains de ses membres est indéniable (Monaco). Par conséquent, la portée politique de l’adhésion à la CONIFA ne doit pas être mésestimée. De plus, la CONIFA ne distingue pas les entités ayant des velléités indépendantistes de celles qui n’en ont pas. Parmi les entités qui revendiquent le statut d'État, la CONIFA ne distingue pas celles qui sont nées d’une violation de normes impératives du droit international (Chypre Nord) de celles qui peuvent légalement et légitimement prétendre au statut étatique (Sahara occidental). Bien que la CONIFA ne soit pas une organisation internationale, cette situation pose des problèmes de nature juridico-politique, car elle tend à justifier au moins symboliquement certaines atteintes au droit international en méconnaissance du principe ex injuria jus non oritur. La question se pose également d’une mise en jeu de la responsabilité des États accueillant les compétitions organisées par la CONIFA, lorsque ceux-ci accueillent l’équipe d’une entité frappée d’une obligation de non-reconnaissance. Il ne s’agit pas, bien entendu, de prétendre que les peuples de ces entités contestées devraient se voir refuser toute représentation internationale, mais plutôt d’estimer que les États, comme les fédérations sportives internationales ne devraient pas soutenir des prétentions territoriales, qu’elles soient légales et légitimes ou non. En ce qui concerne la FIFA, le statut étatique de la majorité des entités dont sont issues les associations membres ne fait aucun doute. Pour autant on constate qu’un certain nombre d’États partiellement non reconnus ont une association membre de la FIFA. Les deux cas les plus emblématiques sont ceux du Kosovo et de la Palestine. Ces deux entités sont reconnues par une grande majorité des États dans le monde, l’une d’entre elles s’étant même vu reconnaitre le statut d’État observateur non membre de l’ONU (Palestine). Cependant, cette situation de non-reconnaissance partielle entraine là encore des tensions politiques et des problèmes d’ordre juridique, ces entités s’appuyant sur leur appartenance à la FIFA pour faire valoir leur statut d’État au sens du droit international. Pour autant la CONIFA et la FIFA n’étant que des personnes juridiques de droit privé, elles n’accueillent pas directement des États, mais des associations de football, celles-ci ne disposant pas de la capacité de reconnaitre le statut d’État à une quelconque entité. La portée symbolique du football dans la création d’États ne doit toutefois pas être sous-estimée, et les deux organisations mentionnées devraient faire attention à se conformer, autant que faire se peut au droit international, afin de préserver la sensibilité des États et de ne pas légitimer certaines prétentions contraires au droit international.