Conclusions

L’intégration européenne à la croisée des chemins. Synthèse et conclusion[Record]

  • Peter Leuprecht

Peter Leuprecht, professeur au département des sciences juridiques de l’UQAM, ancien Directeur des droits de l’homme et Secrétaire général adjoint du Conseil de l’Europe, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour les droits de l’homme au Cambodge de 2000 à 2005.

Alors que nous étions assis ici pendant deux jours, la phrase du film d’Audiard « Un taxi pour Tobrouk » m’est venue à l’esprit : « Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche ». J’ose espérer que nous sommes des intellectuels qui marchons. Dans quelle direction ? Et quelle sera la direction de l’Europe « à la croisée des chemins » ? Je tâcherai de résumer ce qui a été dit, en m’abstenant d’affubler les interventions d’adjectifs tels que lucide, magistral, percutant, convaincant, sublime… J’ajouterai des remarques sur ce qui n’a pas été dit, mais qui aurait pu et peut-être aurait dû être dit, et je prendrai la liberté de le dire, avec un peu de cette méchanceté à laquelle le professeur Delas s’attend de ma part. J’espère ne pas le décevoir. Nous avons eu droit à un tour d’horizon des défis auxquels l’Union européenne est confrontée et des moyens pour les surmonter. Il y a eu des constats et des interrogations. J’en retiens 20 points essentiels : Quelle société européenne voulons-nous ? Une société européenne à la Keynes ou à la Hayek ? Robert Schuman, dans un livre publié en 1963, l’année de sa mort, intitulé « Pour l’Europe », posait la question : « Avons-nous fait fausse route ? » Sa réponse était nuancée. Que dirait-il aujourd’hui ? Je m’abstiendrai de spéculer là-dessus ; il est délicat de faire parler les morts. Personnellement, j’estime que l’Europe fait fausse route, principalement pour trois raisons. Dans la mythologie grecque ancienne, Europa est une princesse aimée de Zeus qui l’a enlevée après s’être transformé en taureau. Or, l’Europe d’aujourd’hui se laisse emporter par le taureau de l’idéologie panéconomique. Les dirigeants européens ont accepté, voire encouragé une dérive ultralibérale. Ils ont accepté la supériorité du marché sur ce qui devait être un projet politique au sens noble du mot. La malsaine proximité entre les institutions européennes et la sulfureuse banque Goldman Sachs (voir Draghi et surtout Baroso) en est une des tristes illustrations. Dans cette Europe, quelle est la place de l’humain et des droits de l’homme ? Le modèle social européen est, ou était, l’idée selon laquelle progrès économique et progrès social doivent aller de pair, que l’Europe entend garantir et développer tous les droits de l’homme, y compris les droits sociaux. Or, dans une entrevue qu’il a accordée au Wall Street Journal le 24 février 2012, Mario Draghi (ancien de Goldman Sachs), défendant des programmes d’austérité draconiens, a déclaré que le modèle social européen « has gone ». Au moins, il a le mérite de la franchise. Je donne juste un exemple de la scandaleuse incohérence des institutions européennes : le Comité des droits sociaux, organe de contrôle de la Charte sociale européenne, traité élaboré dans le cadre du Conseil de l’Europe, a constaté des violations de la Charte par la Grèce résultant de mesures imposées par la troïka. Les inégalités se creusent et la pauvreté est une réalité croissante en Europe. On estime à largement plus de 20 000 le nombre de personnes qui depuis 1998 sont mortes aux frontières de l’Europe. La Méditerranée est devenue un grand cimetière de migrants et de réfugiés. La réaction de l’Europe face au phénomène migratoire et au flux de réfugiés a été purement défensive et répressive. Je me bornerai à mentionner quatre aspects de cette politique aberrante : L’accord Union — Turquie sent mauvais. Le 28 février 2017, la Cour de Justice de l’Union s’est déclarée incompétente dans cette affaire, en arguant qu’il s’agissait d’un acte non de l’Union, mais de ses États membres ; elle s’en est …

Appendices