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L’Union européenne (UE) est-elle assez proche de ses citoyens ? Le fossé continue-t-il de se creuser entre l’Union européenne d’en haut et l’Union européenne d’en bas ? Ce sont là des questions dignes du café du commerce. Y répondre, sans se prendre les pieds dans le tapis des poncifs, reste un exercice bien délicat, qui invite à beaucoup de modestie et d’humilité. Beaucoup de choses ont été dites et redites et aussi mal dites. Et puis la distance est-elle la même à Varsovie, Paris, Berlin, Madrid ou Budapest ? Est-elle la même à Paris, Valenciennes, Agen, Saint-Denis ou Fort-de-France ? Cela va sans dire, mais va mieux en le disant : il y a distanciation et distanciation.

Au-delà de ces prolégomènes surgit la question derrière la question : l’Union européenne sait-elle parler à ses citoyens ? L’Union européenne leur parle-t-elle encore ? L’Union européenne reste-t-elle un projet up to date ou devient-elle une réalité has been ? Le projet européen est-il rentré dans le rang ? Fait-il encore rêver ? The European dream demeure-t-il?

Mais que l’Union européenne ne fasse plus rêver, c’est une chose. Que l’Europe ne fasse plus rêver, c’en est une autre. C’est pourquoi, résonne dans les esprits la phrase de François Mitterrand : « La France est notre patrie, l’Europe notre avenir » qui exprime comme un principe, « l’euro-enthousiasme ». Elle fut prononcée au moment de la ratification du Traité de Maastricht[1], qui reste probablement comme la première période de grand désamour entre naguère la Communauté européenne et ceux qui en sont ressortissants. Cette formule aux accents incantatoires demeure-t-elle pertinente ? Serait-elle répétée ? L’Europe est-elle devenue synonyme d’idées qui ne correspondent plus aux aspirations des peuples qui la composent, d’où la rupture ?

C’est une vraie question, surtout après le résultat aux dernières élections au Parlement européen en 2014 et le « séisme eurosceptique » qu’il a provoqué : 27 % des sièges sont allés vers des formations politiques qui marquent une certaine distance, voire qui veulent quitter l’Union. C’est sans précédent. Ce faisant, le premier tour des élections présidentielles en France, au mois d’avril 2017, confirme le désenchantement. L’addition des totaux réalisés par Marine Le Pen, Jean-Luc Mélanchon, Nicolas Dupont-Aignan, Philippe Poutou indique que, sur 37 millions de votants, 17,1 millions de Français[2] ont exprimé un vote en faveur d’un candidat qui porte un programme de défiance nette et claire à l’égard de l’Union ; presque un sur deux ! Être dans le vent désormais, c’est être eurosceptique. C’est le nouveau mainstream. L’eurosceptique, jadis à la périphérie de la scène politique, est désormais au centre de cette dernière.

L’élection présidentielle fait aussi apparaître que sur onze candidats, quatre portent une ligne clairement anti Union européenne, allant de la sortie de l’Euro à la sortie de l’Union et trois souhaitent que Paris reprenne le pas sur Bruxelles. Cette orientation est résumée par le slogan porté par Jean-Luc Mélanchon : « L’Europe la changer ou la quitter ». Les quatre plus radicaux prônent le rétablissement des quatre souverainetés : monétaire, budgétaire, législative et territoriale. Les trois autres cultivent le retour vers des méthodes moins supranationales et crient « stop à la dénationalisation des compétences » ! C’est un fait, l’Europe, l’Union et plus largement les questions européennes (jusqu’à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord) forment un point clivant. Grande marche arrière ou petite marche arrière, le discours stop the clock « Europe » prospère. Les projets politiques pour l’Europe, chez la plupart des candidats, se résument à du rétropédalage…

« Je t’aime moi non plus » : c’est ainsi que se caractérise la distance entre l’UE et ses citoyens. Demeure au moins depuis le Traité de Maastricht en 1992, un hiatus, une cassure, une rupture entre l’Union et ses citoyens, voire un désamour… Il ne faut pas oublier que le référendum, en France, avait approuvé de justesse la réforme envisagée des traités. Se découvrit à cette occasion une usure des dimensions idéaliste et ambitieuse. L’Union européenne moteur de jeunesse, de paix et d’avenir, ça ne marche plus bien et cela depuis 25 ans...

Cela explique pourquoi le Président de la Commission européenne Romano Prodi, en 2001, clame qu’il faut « Rendre l’Europe aux Européens ». Mais cela ne suffit bien évidemment pas à dissiper l’eurodoute, l’eurodistance, l’eurofrilosité. Le chaud et le froid soufflent sur l’Europe. La phrase de Romano Prodi sonne pourtant comme un aveu. De toute évidence, le contrat social européen est en difficulté. On assiste à la fin du consensus permissif sur l’Union européenne. L’idée selon laquelle seule l’Union européenne garantit la prospérité et que cela justifie qu’on lui pardonne toutes ses dérives n’a plus cours. L’abri « anti-critique » a disparu… Un des fondements du soutien populaire disparaît.

Mais en même temps, n’oublions pas que poser ce genre de question montre en soi que l’Union est bien autre chose qu’une organisation internationale. Personne ne pose ce type de question ou presque du déficit démocratique de ces dernières. Ce qui montre que l’Union est plus qu’une créature des États qui la composent et qu’elle entretient un rapport à l’individu, qui fait que ce dernier devient créancier d’une sorte d’espace public européen. Faut-il s’en plaindre ? En même temps, l’Union n’est pas un État et la conception étatique de la démocratie ne peut lui être transmise ex nihilo.

Tout en sachant d’ailleurs que l’approche de la démocratie dans les États se modifie au moment où l’Union nait en 1957. La démocratie devient à cette époque post-majoritaire, pour consacrer une approche libérale, centrée sur les droits des individus protégés par des textes indérogeables, qui freinent les excès éventuels des politiques issus du plus grand nombre. Le fait majoritaire n’est plus le seul label de la démocratie. La majorité peut mal faire. Aussi ne peut-on faire grief à l’Union de ne pas être fondée sur la seule idée de démocratie majoritaire. La démocratie c’est bien autre chose. Et est-ce que c’est bien autre chose qui a pris résidence dans l’Union ? Ou demeure-t-elle une démocratie imparfaite, donc en déficit démocratique ?

L’Union européenne demeure mal comprise, incomprise même. L’opinion publique est critique, car le citoyen peine, voire ne parvient pas à comprendre pourquoi, par qui et comment sont prises au niveau de l’Union des décisions qui ont souvent un impact important sur la vie quotidienne. C’est l’Europe des chefs de Bureau qui est stigmatisée. Le malaise entre le citoyen et l’Union va croissant du fait d’une « bureaucratie bruxelloise », des eurocrates de l’euro-cratie, de la technocratie bruxelloise, de l’euroligarchie. Les qualificatifs ne manquent pas pour illustrer ce « divorce à l’italienne ».

Ce qui a poussé Jacques Delors à affirmer que « L’Europe est une construction à allure technocratique et progressant sous l’égide d’une sorte de despotisme doux et éclairé[3] ». Tout cela alimente la prise de distance et même engendre l’euroscepticisme. En même temps, l’euroscepticisme n’est pas quelque chose de nouveau. Il y a eu plusieurs vagues. Dans les années 1970, on parlait d’eurosclérose. Depuis, on a régulièrement eu des hauts et des bas dans la manière dont l’Union européenne était perçue. Il y a des cycles dans l’euroscepticisme. C’est ainsi qu’une nouvelle remise en question a lieu depuis la deuxième moitié des années 2000. L’euroscepticisme a donc toujours existé, de manière plus ou moins larvée. Simplement, il fleurit plus que jamais aujourd’hui, avec la multiplication des crises. C’est ainsi qu’a été énoncée par Jean-Claude Junker la théorie des « polycrises[4] ».

Du coup, nous nous situons dans un débat, qui n’est pas apaisé. Et ce d’autant plus que la réponse donnée aux thuriféraires de l’UE par les qualificatifs de souverainistes, voire nationalistes, anti-européens, euro-frileux, euro-li-garchie, archéosouverainistes, ne sont pas de nature à calmer les esprits. Ce florilège de termes marque un certain dédain, doublé de condescendance de l’UE à l’égard de ceux qui la critiquent. Ce qui n’améliore pas le problème. C’est ainsi qu’Hubert Védrine, dans la préface de son ouvrage Sauver l’Europe ! en décembre 2015, nous dit : « Pour sauver le projet européen il faut le libérer du dogme européiste[5] ». Le problème ne va pas se réduire. Dès la rentrée politique 2018, en effet, le porte-parole du gouvernement parle d’« … opposer à l’axe des nationalistes une alliance des progressistes[6] » dans le cadre d’une élection européenne « référendum pour ou contre l’Europe Orbanienne[7] ». L’emploi de ce type de formule réductrice ne contribue pas à la cause des européanistes et n’apaise pas le débat…

Il est vrai que l’Europe est devenue la cible des populismes. Les populismes rejettent les élites et l’extérieur. L’ouverture sur le monde et le leadership européen sur les réformes nationales en font une cible toute trouvée. Elle est devenue « bouc émissaire », comme le décrit le discours appelant à une raison européenne de François Hollande, le 16 avril 2017 : « … L’Europe a su nous prémunir de la guerre et de conflits, préservons-là plutôt que d’en faire le bouc émissaire de nos renoncements[8] ».

La distanciation se double d’une crispation entre le citoyen et l’Union. Les débats la concernant manquent de sérénité. Tout un ensemble de sujets fâchent : travailleurs détachés, Partenariat transatlantique du commerce et d’investissement (PTCI), Accord économique et commercial global (AECG), l’austérité induite par la zone euro, privatisation des services publics, deux tiers de l’énergie que nous produisons part en Allemagne, l’harmonisation sociale ne se fait que par le bas, contribution nette de la France trop élevée (avec des rumeurs faisant état de 8 milliards de solde négatif), les flux migratoires, etc.

Probablement, il y a avant le Traité de Maastricht et après celui-ci. Depuis le début des années 1990, même « l’europhile » parle de déficit démocratique au sens où l’Union ne progresse pas assez vite et le Parlement européen ne monte pas assez en puissance. « L’eurosceptique », qui se dit volontiers « euro réaliste », parle de déficit démocratique, dénonçant une montée en puissance de l’Union sans contrepoids démocratique, sans rendez-vous par lequel le peuple est consulté. Leur discours est simple : les États et les peuples se font détrousser de leur compétence « en douce », sans être à même de se prononcer sur le bienfondé de l’européanisation des normes.

Aussi convient-il de procéder à l’autopsie de l’euroscepticisme. Pourquoi devient-on eurosceptique ? Quel est le terreau ? Quelles sont les causes ? À la louche, les réponses sont les suivantes : 1) L’UE est insuffisamment démocratique ; 2) Des lois européennes trop contraignantes et d’autant mal vécues que l’UE n’est plus synonyme de prospérité (les eurorègles pour des europains – d’où retour aux valeurs nationales si l’effort pour se mettre aux normes européennes ne rapporte plus) ? L’Union européenne réglemente trop ; 3) Libéralisme et désengagement de l’État synonymes d’austérité et de régression sociale : l’Europe concentrée de critique de la mondialisation ; 4) L’érosion de l’identité nationale.

L’euroscepticisme est nébuleux. En fonction de différents paramètres, une catégorisation des eurosceptiques devient possible. Des études de science politique la résument à trois tentations : Défection, protestation, loyauté.

La défection rime avec exit, « euroscepticisme dur », « europhobie ». Ad minima, il faut sortir de l’Union économique et monétaire (UEM), de Schengen. Sortir de l’UE est sérieusement envisagé. Ici on est sur le terrain plutôt l’extrême droite européenne, hostile à l’intégration européenne.

La protestation rime avec mécontentement, désenchantement, avec appel à une réforme parfois profonde. C’est moins l’idée européenne qui est contestée que le contenu qu’elle a pris. On retrouve ici l’extrême gauche et une certaine droite « classique ». On est plus au sud de l’Europe qu’au nord (Podemos en Espagne par exemple). Cet ensemble est extrêmement hétérogène, mais se résume à « autre Europe ». Cette « autre Europe » stigmatise à tout va le déficit démocratique. Au moins depuis le Traité de Maastricht, cela reste le sujet sensible, qui montre que l’impopularité de l’Union européenne relève de l’émotion. Derrière cette dernière se trouve une quête jamais terminée vers « l’espace public européen ». L’idée « d’espace public » nous vient de Kant : lieu d’échanges et de délibérations fondateur d’une communauté politique. Le savoir ne saurait en aucun cas primer l’opinion. Or c’est ce qui est reproché à l’Union européenne. Ainsi surgissent de grandes incompréhensions qui érodent le consensus. Le concept de « concurrence libre et non faussée » en fut un avatar, parmi tant d’autres, au moment de feu le projet de constitution européenne…

Au croisement de la défection et de la protestation prospèrent des coalitions hétérogènes illibérales, europhobes et protectionnistes opposées à l’alliance des démocrates, des libéraux et de tous les pro-Européens progressistes. C’est dans cette opposition que se dérouleront les élections 2019 au Parlement européen. Ce manichéisme doit être analysé comme le résultat de trente ans d’élargissement et d’approfondissement de la construction européenne analysés par les détracteurs comme une période où les compétences et les choix politiques majeurs ont été trop automatiquement captés par les décideurs européens. L’ensemble hétérogène des thuriféraires de l’Union stigmatise une forme de dépossession irréfléchie de leur souveraineté au sens où ils ne considèrent pas avoir consenti, au sens « rousseauiste » du terme, à cet état des choses. Ce diagnostic est posé depuis longtemps et la quête aux remèdes se poursuit depuis des années.

Parmi ceux-ci, mais probablement « faux bon remède » à la distanciation, figure la « subsidiarité ». Le concept appartient à l’Europe « maastrichienne ». Il est accompagné d’un slogan à forte résonnance politique : « moins d’Europe pour mieux d’Europe ». Le principe de subsidiarité est conçu pour rapprocher la prise de décision du citoyen européen. Il s’inscrit dans une logique de proximité politique de l’UE. Il vise à lutter contre le centralisme bruxellois, mais il est aussi habité d’un gros malentendu, quasiment génétique.

Une décision peut être prise à Bruxelles, tout en étant en proximité dans ses effets. Une décision peut être prise en proximité en étant incapable de répondre aux besoins de proximité. Il y a un problème entre la forme et le fond. Deux visions de la subsidiarité ont toujours cohabité : une version fédérale et une version souverainiste. Pour les seconds, les compétences strictement dévolues à l’Union sont réduites au strict minimum. Pour les premiers, le lot commun représente les compétences partagées où le principe de subsidiarité agit en régulateur pour ventiler entre les 28 États et l’Union.

Mais le problème, dans le fond, n’est pas là. Il réside dans une simple question : qui est le régulateur des compétences ? Qui fait parler la subsidiarité ? Qui fait agir le principe pour, au final, faire atterrir une compétence dans les filets de l’Union ou la maintenir dans les mains des États ?

Le principe de subsidiarité n’a pas suffi à réduire les fractures ; ce d’autant plus que les États alimentent le désamour et la distanciation avec un discours qui vise à reporter sur Bruxelles les mesures impopulaires. Par exemple, toute mesure d’austérité économique est imputée à la zone euro et donc à l’Union européenne. Le « bashing » anti-européen est même devenu une manière d’exercer le pouvoir national, à l’image de ce qui cimente en 2017/2018 la Ligue et le mouvement cinq étoiles en Italie. En toile de fond tourne toujours la même chanson du fonctionnaire européen, décideur, bien que dépourvu de légitimité politique. Gouvernement des experts, gouvernement des juges, confiscation du pouvoir ; tout y passe.

Mais le gouvernement des juges ou des experts, ce n’est ni une invention ni une exclusivité européenne. Les gouvernements des États délèguent régulièrement leurs pouvoirs à des institutions telles que les cours constitutionnelles, banques centrales, organes de régulation et ministère public. Leur en fait-on le grief ?

Le président Emmanuel Macron, lors de la campagne présidentielle de 2017, mit en avant « L’Europe ce n’est pas le problème, c’est la solution ». Certains y croient encore !... Mais pour y croire, sur quels circuits faut-il agir ? Quel souffle politique impulser ? Comment restaurer la confiance et donc réduire la distance ? Car tel est bien le problème !... Plus de démocratie directe (I) ? Repenser les ressorts de la démocratie représentative (II) ? Développer à suffisance la démocratie participative (III) ?

I. La démocratie directe ; remède illusoire à la distance

L’eurosceptique, dans la plupart des cas, appelle au référendum et à une dose de démocratie directe. Pourquoi pas ? Mais quelle forme de démocratie directe ? Sachant, par ailleurs, que reste répandue la conviction que le résultat de la démocratie directe serait plus légitime que celui de la démocratie représentative, simplement parce s’exprime la souveraineté populaire… Dans cette perspective réductrice, le rapport de l’Europe au référendum reste empreint de malentendus. S’exprime souvent de la part des électeurs un sentiment d’exclusion et donc de défiance. Ce qui lui confère une portée souvent mortifère pour les projets européens. Est-ce un problème lié au principe même du référendum ou aux procédures utilisées pour le mettre en oeuvre (A) ? Ce n’est pas la démocratie directe qui est en cause, mais la manière dont elle agit. L’Union européenne est souvent victime, non pas de cette dernière, mais de son instrumentalisation. D’ailleurs loin de lui tourner le dos, elle lui donne sa place depuis Lisbonne avec la mise en place de l’Initiative citoyenne européenne, nouvelle ligne directe entre les citoyens européens et Bruxelles (B).

A. Le référendum : fausse bonne idée

Est-ce le remède ou tout au moins un remède au déficit démocratique au sens où cela redynamise l’espace public ? L’Union européenne est-elle soluble dans le référendum ? Probablement, la réponse doit être nuancée et doit distinguer entre référendums et référendums. Tout est affaire de circonstances. Poser la question du « référendum européen », ramène à de nombreuses déconvenues. La première d’entre elles remonte au 2 juin 1992 et au « non » danois à Maastricht, révélateur de l’incompréhension d’un peuple face à la construction européenne. Cela inspira à Michel Rocard dans l’« International Herald Tribune », en juillet 1992, ces mots qui résument le problème : « Ce qui n’était pas prévu, c’est que les peuples puissent refuser ce que proposent les gouvernements ».

Il y a beaucoup à dire sur le référendum et l’Union européenne. Force est en premier lieu de souligner que seuls quatre États n’y ont jamais recouru quant à la construction européenne : Allemagne, Portugal, Bulgarie et Belgique. En deuxième lieu, l’Europe apparaît comme « un bon client » de la technique référendaire, au sens où les États recourent le plus souvent sur la question européenne et pas d’autres (en Irlande toutefois, le référendum s’impose du moment que le nouveau traité européen modifie la constitution). En troisième lieu, la consultation populaire a eu trois sens : 1) Référendum sur l’adhésion ou le retrait ; 2) Référendum sur l’élargissement ; 3) Référendum sur l’approfondissement du projet européen (rubrique dans laquelle se classe le référendum néerlandais d’avril 2016, qui a eu pour résultat le rejet de l’accord entre l’Union européenne et l’Ukraine).

Dans ces deux derniers cas, c’est toute l’Union qui est otage du vote d’une fraction nationale par référendum. Outre ce premier problème qui fait dépendre la progression de la majorité du bon vouloir d’une minorité, les limites de cette procédure sont faciles à égrener.

D’abord, il est plus commode de trouver une majorité dans la somme des mécontentements qui ont des fondements divers, que dans le oui qui, lui, est forcément rassembleur d’une majorité homogène. Le camp du « non » est hétéroclite et se cartellise facilement. Les dés sont pipés. Ensuite, le référendum polarise, alors que l’Union européenne pluralise. Le référendum fonctionne pour des questions simples et concises ; le recours qui en été fait par exemple sur le Traité de Maastricht ou encore le traité constitutionnel ne correspond pas à ces vertus. Enfin, toutes les initiatives référendaires ont reposé sur des procédures nationales pour un enjeu européen : la contradiction reste un peu insurmontable. C’est ainsi que Valéry Giscard d’Estaing, dans les colonnes du Monde le 6 mai 2005, écrit : « C’est une bonne idée d’avoir choisi le référendum, à condition que la réponse soit oui[9] ». La remarque a ceci de visionnaire que le référendum dans son ensemble a moins porté la construction européenne qu’il ne l’a freinée. L’observation des différents scrutins montre en revanche et à décharge de cette constatation qu’il a été la plupart du temps mis en en oeuvre « dans la précipitation, sans information adéquate des citoyens, pour des motifs de politique interne, dans une optique électoraliste ou à la demande, voire sous la pression de mouvements populistes[10] ».

Il faut donc probablement se questionner sur la procédure référendaire plus que sur le principe du référendum. Pourquoi le référendum est-il organisé discrétionnairement en fonction de la conjoncture ? Pourquoi ne relève-t-il pas plutôt d’un pouvoir lié par la constitution, qui définit les hypothèses dans lesquelles il s’impose à l’Union européenne ? Faut-il, enfin, poser des règles de participation pour valider le résultat ?

Le référendum a pour le moment plus éloigné que rapproché… Les résultats des travaux de Lawrence Lessig, professeur de droit constitutionnel à Harvard, sont dans cette perspective européenne fort instructifs. Il démontre que le référendum mobilise des comportements qui relèvent moins de la raison que de l’émotion ; ce qui fausse la valeur du résultat. La démocratie directe et le référendum posent le problème de l’ignorance du sujet sur lequel on interroge les citoyens. Le problème de l’Union européenne est ici : l’ignorance, la méconnaissance de ce qu’elle est. Donc, la distance ne se résoudra pas avec une dose de démocratie directe décidée dans l’urgence. La démocratie directe n’est pas un palliatif ou un « pompier » de la démocratie représentative. La mobiliser dans la hâte ne sert à rien sauf à la desservir. L’Union européenne a besoin de didactique, pas de précipitation.

Reste enfin la plus évidente des questions : pourquoi rester sur un périmètre national pour une question continentale ? Pourquoi ne pas interroger le continent le même jour sur la même question, de manière à créer les bases d’un contrat social européen fondé sur l’unanimité des États et la majorité des peuples ?

La distance se réduira, si loin de la contester par la démocratie d’opinion, on répare la démocratie représentative, qui n’est pas assez représentative. L’Union européenne est en crise de démocratie représentative. Mais c’est là un mal qui ne lui est pas propre comme le montrent encore les travaux de Lawrence Lessig[11]. Partout, il faut redonner aux électeurs des raisons de croire que la démocratie agit pour eux. Alors, ils se remettront à croire au projet qu’on leur propose. L’attrait du référendum s’explique d’abord par l’échec de la démocratie représentative européenne, qui ne parvient pas à prendre place dans l’esprit des citoyens. Mieux vaut réparer la démocratie représentative européenne[12] que lui opposer la démocratie directe.

B. L’ICE : une réforme symbolique plus qu’une avancée démocratique

Pour réduire la distance entre l’Européen et l’Europe est apparu, dans les traités fondateurs au moment de Lisbonne, l’article 11 § 4 du Traité de Maastricht :

Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités[13].

Par cette mécanique juridique, la démocratie directe se manifeste autrement. Elle ne correspond pas à une tradition constitutionnelle commune aux États membres. C’est une création ex nihilo en faveur du « légiférer direct ». Il faut cependant être attentif au vocabulaire. L’initiative de la loi européenne n’est pas donnée aux citoyens constitués en groupe suffisamment significatif. Est simplement proposée la faculté d’inviter la Commission européenne à faire une proposition de loi européenne. C’est dans cette configuration que s’est imposée l’initiative citoyenne européenne (ICE) qui est devenue réalité juridique le 1er avril 2012 avec le règlement UE n° 211/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011[14].

Pour initier une ICE, il est nécessaire de constituer un « comité de citoyens » d’au moins sept organisateurs, provenant d’au moins sept États membres de l’Union. La proposition est ensuite enregistrée par la Commission européenne après vérification des documents et de la proposition. Il s’agit simplement d’en vérifier la recevabilité juridique. L’initiative intervient dans le champ de compétences de l’Union. Elle doit respecter les valeurs fondamentales de celle-ci, notamment celles qui sont énoncées dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[15]. Tout ce qui manifestement contraire aux traités ou à connotation raciste ou xénophobe est écarté de manière à éviter toute pollution du débat public. En d’autres termes, la Commission peut s’opposer à l’ICE. Ce qu’elle a d’ailleurs déjà fait : abolition de la tauromachie, interdiction de la prostitution, arrêt de l’énergie nucléaire, espéranto comme langue officielle de l’hymne européen, « stop the TTIP ». Ce dernier refus lui a été reproché en dépit du motif juridique, qui ne paraissait pas contestable au sens où l’ICE ne peut jouer que s’il y a pour enjeu une proposition de loi européenne, ce qui n’est pas le cas ici… Dans un arrêt du 3 février 2017, le Tribunal de l’Union rappelle l’obligation de motivation qui incombe à la Commission européenne lorsqu’elle refuse l’enregistrement d’une proposition d’initiative citoyenne européenne[16]. Le rôle du juge ne peut guère aller plus loin.

L’étape du filtrage étant franchie, il faut encore qu’au moins un million de personnes soutiennent l’initiative. Elles doivent se manifester dans un délai de douze mois, à partir du moment où l’initiative est enregistrée auprès de la Commission, en provenance d’au moins un quart des États membres (donc sept États). Chaque État est tenu d’avoir une autorité compétente pour vérifier l’authenticité des déclarations. L’autorité a trois mois pour apporter un certificat indiquant le nombre de déclarations de soutien valable pour l’État concerné. Une fois les certificats obtenus, l’initiative peut être présentée. Dans un délai de trois mois, la Commission européenne rend publiques ses conclusions juridiques et politiques, l’action qu’elle compte entreprendre ou non ainsi que les raisons d’entreprendre ou non l’action. Si la Commission valide l’ICE, elle entre alors dans le processus décisionnel de l’UE.

Parmi les trois initiatives entre 2012 et 2015 qui ont dépassé le million, One of Us[17] (contre la recherche sur l’embryon humain) a été largement stimulée par les réseaux catholiques. Ce qui donne le sentiment que l’ICE fonctionne auprès de citoyens déjà structurés de groupes préétablis. Les collectifs de citoyens sont autrement difficiles à créer. Demeure une fracture entre l’initiative isolée qui fait boule de neige et les initiatives structurées par des organisations « professionnelles ».

Que penser de l’ICE six ans après ? Remède à l’éloignement de l’Union à l’égard de ses citoyens ? Un lien direct entre les citoyens et l’Union ? Expression des minorités ? Émergence du concept de citoyenneté active ? Le fait que le projet doive être transnational vise à faire remonter des problématiques d’intérêt de même nature pour contribuer à l’espace public européen et sortir de la revendication trop nationale à l’égard de l’UE. L’idée de mobilisation paneuropéenne habite incontestablement le mécanisme.

L’heure des premiers bilans fait apparaître que quatre initiatives citoyennes ont abouti en ayant recueilli plus d’un million de signatures chacune et la Commission a déjà mis en oeuvre des actions de suivi pour trois d’entre elles. La toute première ICE à avoir recueilli l’ensemble des signatures : Right for water demande un accès universel à l’eau et d’assainissement au sein de l’UE. Elle s’est transformée d’abord en consultation publique sur la directive « Eau potable ». Elle est depuis 2018 en arrière-plan de la proposition publiée le 1er février quant à la modification de la directive « Eau potable ».

Après cinq ans sans procédure aboutie, le 6 octobre 2017, une initiative citoyenne européenne intitulée « Interdire le glyphosate et protéger la population et l’environnement contre les pesticides toxiques[18] » a été soumise à la Commission, avec les déclarations de soutien de 1 070 865 Européens. L’une des demandes de l’initiative était d’améliorer la transparence des études scientifiques soumises à l’Autorité européenne de sécurité des aliments et de renforcer la commande d’études par les pouvoirs publics. La Commission va prochainement publier ses premières propositions en la matière.

L’ICE, mise en place à l’origine pour donner un nouveau souffle démocratique en Europe, affiche donc un bilan en demi-teinte[19]. Peu de procédures arrivent à terme. Et quand c’est le cas, les propositions de la Commission restent très en retrait des attentes placées dans l’ICE. Cet outil, intéressant et original, relève à l’arrivée, moins du quotidien démocratique que de l’événement civique. Or c’est sur le premier point que se joue le problème de la distance de l’Europe aux Européens. C’est pourquoi les enjeux du sujet paraissent se situer moins dans la démocratie directe que dans ses volets représentatif et participatif.

II. Démocratie représentative : le vrai sujet

Article 10 du Traité de Maastricht :

1. Le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative. 2. Les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen. Les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs parlements nationaux, soit devant leurs citoyens. 3. Tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union. Les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens. 4. Les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union[20].

A. Le Parlement européen

Avec la démocratie représentative, c’est bien évidemment la question du Parlement européen et de l’eurodéputé qui est posée. Et à cet égard, les dernières nouvelles ne sont guère rassurantes. Les 22 et 25 mai 2014 a eu lieu la 8e élection du Parlement européen au suffrage universel direct. Le résultat fait ressortir une conclusion, sans complaisance, mettant en relief une « Abstention sanction » et/ou un « Vote sanction ». Dans les deux cas, la « sanction » domine, car le premier comportement fait le jeu du second… L’élection a mobilisé le mécontentement. Elle n’a guère été porteuse pour le projet européen. L’abstention l’a même une fois de plus dépréciée. Quoi de pire en effet que le désintérêt pour un idéal ?

C’est une déception, car lors de cette élection, pour la première fois le président de la Commission devait procéder du vote au Parlement et de la majorité qu’il dégagerait (« Spitzenkandidat » - voir infra). Cela devait personnaliser le scrutin, de manière à donner à ce dernier un surcroît d’intérêt. La désillusion est d’autant plus grande que, jamais le Parlement européen n’a eu autant de pouvoirs que depuis le Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne[21]. Il est d’ailleurs assez désespérant de constater que la participation devient une fonction inverse de la progression des pouvoirs.

Le glissement de l’eurodéputé à l’eurodépit est palpable… En France, 56 % d’abstention en 2014 contre 59 % en 2009 : ce qui la situe dans la moyenne européenne qui est à 57,39 %. Notons que pour les municipales, un taux de 36 % c’est la norme !... L’élu de proximité mobilise ; pas l’élu européen…

La « Victoire » est revenue au PPE, sur la base d’une majorité relative. Ce qui a valu à Jean-Claude Junker d’être nommé président de la Commission. Mais cette issue ne doit pas faire perdre de vue que le premier parti d’Europe : c’est le parti « eurosceptique ». Si on additionne les différentes forces politiques animées par ce sentiment, cela représente 210 eurodéputés anti-européens, soit environ un tiers. Un député européen sur trois n’est pas favorable à l’Union européenne. Le paradoxe est à son comble… Ce faisant, l’anti Europe au Parlement européen n’est pas homogène : entre les anti-immigrés, les anti-euros, les anti-austérités, les illibéraux. Il demeure que Marine Le Pen est devenue la seule Française chef de groupe politique, donc seule Française assistant à la conférence des présidents... La marginalisation de la France au sein du Parlement européen est devenue palpable. Il y a un problème français avec le Parlement européen qui nous ramène à Victor Hugo : « L’Europe ne peut être tranquille tant que la France n’est pas contente ». Mais ce n’est pas qu’un mal français. Le problème est général. Il concerne l’Union dans son ensemble.

Et les choses ne prennent pas le chemin de l’amélioration. En vue des élections de 2019, le Parlement européen a proposé, le 11 novembre 2015, une nouvelle proposition de réforme de la loi électorale de l’Union européenne visant à définir des règles électorales communes à tous les États membres pour les élections européennes. Cette dernière est restée sans écho, alors qu’elle comporte probablement quelques pistes, à même de réduire la distance entre l’élu et l’électeur européen.

Cette résolution proposait de

renforcer la dimension démocratique et transnationale des élections européennes et la légitimité démocratique du processus décisionnel de l’Union, de renforcer le concept de citoyenneté de l’Union et l’égalité électorale, de promouvoir le principe de la démocratie représentative ainsi que la représentation directe des citoyens de l’Union au Parlement européen conformément à l’article 10 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Pour ce faire, outre des actions en faveur d’une plus grande visibilité des élections européennes au sein des États membres, les principes suivants ont été présentés : 1) la fixation de délais communs de dépôt des candidatures et la mise en place d’un seuil obligatoire commun de 3 % à 5 % ; 2) la création d’une « circonscription électorale commune » à l’échelle de l’Union européenne, pour laquelle les listes seraient conduites par le candidat ou la candidate de chaque parti politique européen à la Commission européenne, selon la logique du « Spitzenkandidat » ; 3) la possibilité pour les citoyens de l’Union, y compris ceux qui travaillent ou résident dans des pays tiers, de voter aux élections européennes, afin de « donner à tous les citoyens de l’Union le même droit de vote aux élections européennes dans les mêmes conditions, quels que soient leur lieu de résidence ou leur citoyenneté » ; 4) le maintien de la procédure dite du « Spitzenkandidat », qui a été expérimentée en 2014, et qui implique que les partis politiques européens désignent leurs candidats au poste de président de la Commission européenne ; 5) une meilleure représentation des femmes aux élections européennes, en vue de respecter le principe de parité inscrit dans le cadre juridique constitutionnel de plusieurs États membres, dont la France ; 6) une représentation appropriée des minorités ethniques, linguistiques et autres lors des élections européennes. Mais ces propositions, pourtant non irréalistes, ont buté sur les réflexes nationaux. Cette situation invite à relire le discours prononcé par Simone Veil le 17 juillet 1979 lors de sa prise de fonction comme présidente du Parlement européen : « Notre Parlement aura pleinement satisfait les espoirs qu’il a fait naître si, loin d’être le lieu de résonance des divisions internes de l’Europe, il parvient à exprimer et à faire percevoir par la Communauté l’élan de solidarité si nécessaire aujourd’hui[22] ». Pour se réaliser, l’élan, ici évoqué, passe par l’identification de différents problèmes et surtout par leur apporter un traitement adéquat.

1. Problème numéro 1 : pas d’unité du corps politique

Certes l’article 14§2 du Traité de Maastricht[23] abandonne la référence aux « représentants des peuples d’États membres », notion en parfaite contradiction avec l’idée de corps politique européen. Mais reste absente la référence au « peuple de l’Union européenne ». Le Parlement européen est composé de « représentants des citoyens de l’Union ». La formule exprime un progrès, mais reste dans l’entre-deux. Elle demeure insuffisante, pour accréditer l’unité du corps politique et ce d’autant plus que la répartition des sièges est calculée par État et non par nombre d’électeurs…

De fait, le Parlement européen représente toujours les peuples des États dans l’Union, ce qui génère par ailleurs certaines aberrations… Un député est élu pour 850 000 habitants en France, contre un pour 75 000 au Luxembourg. Ce qui a fait dire au juge constitutionnel allemand qu’il y avait sur ce point un « déficit démocratique structurel »[24]. Les clés de la représentation populaire sont, en d’autres termes, faussées par la préoccupation visant à préserver les équilibres souverains, au-delà des peuples. Il faudrait inventer un découpage électoral européen ou recourir à un scrutin de listes transnationales à l’échelle européenne. Cette idée de listes transnationales a effleuré en 2017/2018, pour une part des sièges laissés vacants par le Brexit.

Mais cette unité du corps politique ne se réalise pas non plus, du fait de l’attitude des parlements nationaux. Le coeur du coeur du déficit démocratique est probablement ici. Le glissement, dès les années 1960 du pouvoir législatif national vers un pouvoir exécutif collectif à Bruxelles (le Conseil des ministres – Voir infra), n’a jamais été digéré. La Communauté économique européenne s’est en effet retrouvée à l’époque « complice » d’un processus, par lequel les exécutifs nationaux préféraient négocier avec leurs homologues européens plutôt que composer avec leurs parlements nationaux. Pour résoudre ce problème, qui a fait que le transfert de compétences à Bruxelles profitait au pouvoir exécutif national bien plus qu’au législatif, le Parlement européen n’a cessé de monter en compétence et donc puissance. Mais cette manière de résoudre par le haut le déficit démocratique n’a jamais été comprise ni même acceptée par les députés nationaux.

Cette unité du corps politique ne s’est enfin jamais réalisée, car la composition du Parlement européen ne s’est jamais déconnectée du jeu politique national. Il en est même, encore aujourd’hui, l’otage. Les élections de 2019 l’annoncent et/ou le confirment… Dès l’automne 2018, certaines forces politiques françaises prophétisent que cette élection doit être un référendum « national » sur l’Union européenne : prendre le pouls européen de la France. Comment dans ces conditions parler d’espace public européen ?

2. Problème numéro 2 : pas de vrais partis politiques européens

La mainmise des forces politiques nationales sur le scrutin européen demeure. Ce dernier est plombé par le débat national. C’est ainsi que l’élection de 2019 est déjà présentée en France comme le premier test électoral de la République en marche, deux ans après les présidentielles ; en d’autres termes un test national sur le dos de l’Union… Or, une élection européenne devrait au contraire sanctionner, dans un sens ou un autre, un pouvoir politique européen et non pas étalonner les pouvoirs politiques nationaux…

Ce détournement des objectifs politiques européens perdurera, tant que les formations européennes demeurent des confédérations de partis nationaux, sans aucune identité propre. Ici encore, la procédure est facteur de distanciation. Pour être reconnu « parti européen », il faut des membres dans quatre parlements nationaux ou régionaux ou avoir obtenu dans quatre États membres au moins 3 % des voix aux élections européennes. Une dizaine de partis européens sont de cette manière reconnus. Mais qui les connait ? Qui peut définir le Parti populaire européen, première force politique à Strasbourg ? Qui sait que ce n’est rien d’autre que la fédération de familles politiques nationales autour de la démocratie chrétienne allemande et de son crédo, l’économie sociale de marché ?

Les « partis européens » ne sont que des conglomérats de forces politiques nationales, sans organisation politique intégrée. Alors que faire ? 1) Admettre l’adhésion individuelle à un parti politique européen pour que prospère du militantisme européen ; 2) En finir avec l’idée de l’adhésion indirecte par l’appartenance à un parti national. Sur ces bases, les partis ainsi constitués pourraient désigner un chef, candidat à la présidence de la Commission aux termes par exemple de primaires, de manière à créer un débat politique européen. Le parti politique européen, c’est le chaînon manquant de l’espace public européen.

3. Problème numéro 3 : manque de personnalisation du scrutin — quel avenir pour le Spitzenkandidat ?

Article 17 § 7 du Traité de Maastricht :

En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Si ce candidat ne recueille pas la majorité, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose, dans un délai d’un mois, un nouveau candidat, qui est élu par le Parlement européen selon la même procédure[25].

Cette disposition introduite par le Traité de Lisbonne a fait prospérer l’idée, dès 2014, du « Spitzenkandidat », tête de liste informelle, la même dans chaque État, désignée au terme d’une primaire européenne au sein de la force politique qui confédère les partis nationaux et qui est destiné à devenir président de la Commission européenne en cas de victoire aux Européennes. La démarche est simple autant que séduisante : permettre aux Européens de voter indirectement en faveur de la présidence de la Commission européenne. Faire en sorte que les citoyens pèsent sur la désignation de l’exécutif européen, qu’ils manifestent leur emprise sur une institution qu’ils stigmatisent comme trop éloignée paraissait de nature à les « réveiller » !... Personnaliser le scrutin pour mobiliser les électeurs : tel est l’enjeu. En 2014, Jean-Claude Juncker « gagne » les élections européennes en tant que tête de liste du Parti populaire européen. Sur la base du système dit du « Spitzenkandidat », inspiré par le Traité de Lisbonne et opérationnel pour la première fois en 2014, il est proposé à la présidence de la Commission européenne par le Conseil européen.

Mais l’expérience de 2014 a montré que les Spitzenkandidat sont restés très peu connus du public. Les partis nationaux mettent surtout en avant leur candidat. Aujourd’hui, le « risque » de devoir désigner quelqu’un qui n’est pas (ou n’a pas été) un chef d’État ou de gouvernement, ou pire de devoir désigner le candidat de partis eurosceptique ou extrémiste, inquiète les exécutifs européens, pour la plupart frileux à l’idée du « Spitzenkandidat ». Ce faisant, la décision du Parlement européen du 7 février 2018 affirme que le principe dit du « candidat en tête de liste », en tant que nouvelle étape dans le renforcement de la dimension parlementaire de l’Union, ne pouvait être infirmé. Toute proposition de candidat à la présidence de la Commission qui n’a pas été désigné comme « candidat en tête de liste », en amont des élections européennes, sera probablement rejetée[26]

4. Problème numéro 4 : des modes de scrutin inaptes à réduire les distances

La loi française n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen prévoit que « la République forme une circonscription unique[27] ». Elle met un terme au système des circonscriptions régionales mis en place avec la loi 2003-327 du 11 avril 2003[28], considéré comme ayant creusé le déclin de la participation des électeurs au cours des trois scrutins de 2004/2009 et 2014. Pourtant, le découpage de la France en huit territoires électoraux avait pour louable ambition de combler « le fossé entre l’élu et l’électeur ». Mais les députés européens sont restés inconnus de leurs électeurs, sans réel ancrage territorial. À qui la faute ? À cela plusieurs réponses : 1) la réforme de 2003, sur le principe, était habitée des meilleures intentions et apparaissait empreinte de bon sens ; 2) mais sur la modalité, c’est un échec, car les circonscriptions ne correspondaient à aucune autre et ne comportaient aucune signification politique pour les électeurs (hormis peut-être pour les outre-mers) ; 3) les forces politiques nationales n’ont jamais joué la carte de l’ancrage territoriale du fait de pratiques de parachutages locaux tous azimuts ; 4) quant à faire une réforme, il aurait mieux fallu repenser la carte électorale française.

Il n’en est rien, le législateur est revenu au principe de la circonscription électorale unique. La machine à éloigner l’élu du citoyen européen est donc remise en route ; ce qui va creuser un peu plus le hiatus avec le Parlement européen. Renationaliser la procédure facilite les choses pour les forces politiques en mal d’ancrage local, crée des députés européens qui rendent des comptes moins aux électeurs qu’aux chefs de parti, risque d’exclure certains types d’intérêt tel les outre-mers, risque enfin de renforcer les accents populistes de la campagne électorale. Ce retour à la case départ correspond à tout type d’arrière-pensées électorales se présente comme une fausse bonne solution et montre que le déficit de démocratie représentative européen est creusé par les États eux-mêmes…

Rien n’empêche, ce faisant, que les choses évoluent encore. Le traité prévoit même, à cet égard, une procédure de révision simplifiée (article 223 § 1[29]). Beaucoup pensent, en écho à ces prescriptions conventionnelles, à un mode uniforme de scrutin à la proportionnelle, identique dans l’ensemble de l’Union. Mais doit-on se limiter à cette procédure quant à la réflexion à mener en la matière ? N’est-il pas temps de s’éloigner de « l’idéologie proportionnelle », qui fait le lit des populismes anti-européens ? Ne faudrait-il pas, au contraire, inventer un scrutin de circonscription uninominal majoritaire à deux tours ? La potion anti-distance ne se situe-t-elle pas dans cette optique, avec un résultat qui lie l’Eurodéputé à un territoire local ? « Les listes nationales pour les élections européennes : c’est un contresens absolu. (…) La France a droit à 79 députés européens, le meilleur moyen serait de diviser en 79 circonscriptions européennes[30] ».

B. Au-delà du Parlement européen

La démocratie représentative ne se limite pas au Parlement européen. Le Conseil est tout autant concerné, puisqu’il est colégislateur et parfois législateur. Mais il est habité d’une ambiguïté génétique, au sens où il délibère la « loi européenne », alors qu’il réunit des représentants des exécutifs nationaux… Des compétences de nature législative à Paris sont exercées par des exécutifs à Bruxelles… Cet aspect du déficit démocratique est bien compris et depuis fort longtemps. Les politiques cherchent le remède, qui permet de faire monter les parlements nationaux, sans toutefois remettre en cause les prérogatives du Conseil. Leur imagination a été en ce sens fertile. C’est ainsi que Jacques Chirac, dans son discours sur l’avenir de l’Europe le 4 octobre 2001 indique :

C’est également sur le plan d’un approfondissement de la démocratie, je crois, qu’il faudra faire plus, pour que l’Europe apparaisse comme plus démocratique. Aujourd’hui, c’est vrai, beaucoup de gens ignorent quels sont leurs représentants au Parlement de Strasbourg. Je crois qu’il faut améliorer cette situation. On peut le faire dans plusieurs directions. On peut par exemple, je crois que c’est essentiel, avoir une deuxième Chambre dans l’Europe, qui soit une Chambre avec des représentants des Parlements nationaux et dont la fonction essentielle, essentielle aussi pour l’enracinement de la démocratie, serait d’être l’élément d’alerte permanent sur la mise en cause du principe de subsidiarité, qui doit être à la racine même de notre Constitution européenne[31].

Il a été, en ce sens, précédé par Tony Blair qui, le 6 octobre 2000 à Varsovie, déclare que :

le moment est venu d’associer les représentants des parlements nationaux en dotant le Parlement européen d’une deuxième chambre. Celle-ci serait principalement chargée d’analyser les travaux de l’UE, en se fondant sur une charte de compétences. Cette chambre pourrait également contribuer à assurer la supervision démocratique, au niveau européen, de la politique étrangère et de sécurité commune.

Ces deux opinions viennent en écho du discours de Joschka Fischer à Humboldt, prononcé le 12 mai 2000 :

Pour combler le déficit démocratique de l’Union, il faut renforcer le rôle du Parlement européen. La solution pourrait résider dans un système à deux chambres, une première chambre européenne, élue directement par le peuple, et une seconde chambre nationale. Ainsi, la subsidiarité serait garantie. Il n’y aurait pas d’antagonisme entre le niveau national et le niveau européen, entre l’État-nation et l’Europe [...][32].

Que reste-t-il de ces idées ? Le Traité de Lisbonne n’en a formalisé aucune. Mais chacune se retrouve, quelque part dans le Protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité[33], qui confère à chaque parlement national la possibilité d’un contrôle politique, autant que juridique de la manière dont une compétence partagée glisse vers un exercice européen. Un complément de démocratie représentative de la sorte s’est installé et surtout fonctionne !

III. Démocratie participative (ou délibérative) : l’autre vrai sujet

D’autres outils démocratiques existent pour réduire la distance ! Mais sont-ils connus ou reconnus ? Ainsi en va-t-il de l’article 11 du Traité de Maastricht. Il ouvre la troisième voie de rapprochement du citoyen européen de l’Union en valorisant la démocratie participative par un dialogue accru entre la société civile et les institutions européennes.

  1. Les institutions donnent, par les voies appropriées, aux citoyens et aux associations représentatives la possibilité de faire connaître et d’échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines d’action de l’Union.

  2. Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile.

  3. En vue d’assurer la cohérence et la transparence des actions de l’Union, la Commission européenne procède à de larges consultations des parties concernées.[34]

La démocratie européenne est donc devenue grandement participative. Cette logique s’est formalisée avec le Traité de Lisbonne. C’est probablement ici qu’elle réduit le mieux les distances avec ses citoyens. L’Union européenne, par des voies diverses exprimées par l’article 11 du Traité de Maastricht[35], prend en permanence le pouls de l’opinion publique européenne. Les outils participatifs à disposition des institutions européennes sont, dans cette perspective, nombreux. Ils sont dématérialisés et concourent à l’idée « d’e-gouvernement » ou tout au moins « d’e-gouvernance ». Dès 2003, le site internet « Your voice in Europe[36] » se développe, pour permettre aux citoyens, aux entreprises et à toutes les autres parties intéressées de communiquer à la Commission leur avis sur les nouvelles initiatives politiques. S’est alors imposée, l’idée d’élaboration interactive des politiques. Le Commissaire chargé du marché intérieur, Frits Bolkestein, exprima à cette occasion :

Nous devons prêter une oreille attentive aux entreprises et aux citoyens qui sont concernés par nos politiques. C’est en restant à leur écoute que nous contribuerons à asseoir nos nouvelles initiatives politiques sur une base solide. La Commission a toujours cherché à s’appuyer sur un large éventail d’opinions pour élaborer ses politiques. Toutefois, dans un monde de plus en plus affairé, nous avons besoin d’utiliser de nouvelles technologies pour permettre aux citoyens de nous dire ce qu’ils pensent d’une manière aussi simple et pratique que possible. Le portail "Votre point de vue sur l’Europe" constituera à cet effet un atout précieux[37].

Avec ces horizons techniques ouverts par le numérique, la consultation publique s’est imposée dans le jardin de la bonne gouvernance comme un outil indispensable. La « e-participation » aux politiques publiques européennes est devenue réalité pour une « démocratie e-participative ». Aujourd’hui les citoyens et les parties intéressées peuvent donner leur avis sur l’ensemble du travail législatif ou presque. Sont concernés 1) les feuilles de route et les analyses d’impact initiales, dans lesquelles la Commission présente de nouvelles idées de politiques et de législations ou d’évaluations des politiques existantes ; 2) certains aspects des analyses d’impact, dans lesquelles la Commission analyse les éventuelles incidences économiques, sociales ou environnementales d’une proposition ; 3) les propositions législatives, une fois qu’elles ont été approuvées par la Commission ; 4) les projets d’actes qui complètent ou modifient certains éléments de la législation en vigueur (actes délégués) ou qui définissent des règles visant à garantir l’application uniforme des actes législatifs dans toute l’Union (actes d’exécution) ; 5) certains éléments des évaluations et des « bilans de qualité » des politiques et législations en vigueur ; 6) les moyens d’améliorer la législation de l’UE en vigueur. Entre 2014 et 2018, il y a eu 485 consultations publiques.

C’est ainsi que la consultation sur le changement d’heure a recueilli, en huit semaines, 4,6 millions de contributions au cours de l’été 2018. Le chiffre de la participation a impressionné et manifeste en lui-même un indicateur du possible élan de l’opinion publique sur certaines questions. Mais ce résultat reste isolé et tout à fait exemplaire. La participation demeure la plupart du temps modeste au point qu’on est droit de s’interroger sur la portée de telles procédures en résumant les choses par cette simple formule : outil démocratique ou alibi démocratique ? Ce qui pose le problème de l’analyse et de l’interprétation.

Il demeure que les consultations font partie du « mouvement de rapprochement de l’Union européenne de ses citoyens, d’ailleurs prévu dans les traités depuis le traité de Lisbonne[38] ». Mais la procédure reste confidentielle, sauf s’il s’agit d’un sujet hautement médiatique, tel le changement d’heure.

Le plus souvent, seules les parties intéressées, les spécialistes et les lobbies répondent. La démarche reste insuffisamment inclusive et cela pour deux raisons : trop de sujets techniques et l’obstacle de la langue. Mais quand cela concerne des thèmes qui touchent plus directement le citoyen, le grand public se manifeste. Indépendamment du degré de technicité du sujet, les personnes les plus concernées peuvent déposer des documents et agir en lobby, à travers les consultations. S’il s’agit d’associations, donc de lobbyistes professionnels, avant de pouvoir répondre à une consultation, ils doivent s’inscrire au registre de transparence[39] de manière à ce qu’on sache exactement qui ils sont. Ce qui revient à distinguer la « participation grand public » de la « participation publique ».

Le lobbying fait à cet égard un peu figure de « démocratie participative de couloir ». Il défend des intérêts particuliers souvent. Mais il peut aussi relayer les prétentions de la société civile dans le sens de l’intérêt général. Dans les deux cas, il est inscrit comme un acteur à part entière de la fabrique des politiques publiques européennes, comme le confirme l’Accord interinstitutionnel du 23 juin 2011 PE/Commission[40], qui a créé le « registre de transparence commun », avec un code de déontologie régissant l’activité des lobbys (8 000 entités sont enregistrées comme telles).

La boîte à outils est là. Mais la mécanique est-elle comprise ? Un effort de pédagogie doit encore être mené, pour que se réduise encore la distance, pour que la démocratie délibérative européenne ne soit considérée ni comme un ersatz de démocratie ni comme un mauvais palliatif à la critique de déficit démocratique.

***

A. 1re chose : les théories centrifuges : tentation de la sortie et/ou tentation de la marche arrière

Il convient dès lors de mesurer les effets d’une telle prise de distance. Quel serait notre quotidien sans l’Union européenne, sans monnaie unique, avec des contrôles des personnes au passage des frontières, sans couverture maladie commune, sans concurrence aérienne, sans interconnexion des systèmes routiers, etc. ? Avant de faire croire que la solution est ici, il faudrait écrire sérieusement le scénario des conséquences de la « non Union européenne » et faire apparaître qu’il y a tout à perdre et rien à gagner.

Outre la sortie, la distance peut se traduire en marche arrière. C’est la vision d’Hubert Védrine exprimée dans son ouvrage sorti début 2017, Sauver l’Europe ![41], selon laquelle une bonne marche arrière est préférable à une mauvaise marche avant[42]. La théorie de la « relégitimation politique » fonde son approche. Elle implique de faire une pause (après la pause dans l’élargissement, la pause dans l’approfondissement), de lancer une conférence type « Messine » sans le Parlement, sans la Commission, et d’opérer sur ces bases la refondation.

B. 2e chose : Conviction centripète — la potion anti-distanciation, dite « potion Macron »

Selon le programme « Emmanuel Macron » lors de la présidentielle :

Nous proposerons des conventions citoyennes dans toute l’Europe dès la fin de l’année 2017 pour redonner un sens au projet européen. Ces conventions aboutiront à un projet qui sera ensuite adopté par tous les pays qui le souhaitent. Aucun État membre n’aura le pouvoir de bloquer cette nouvelle étape[43].

Il milite pour une intégration différenciée, portée par l’idée qu’un seul État ne peut bloquer l’ensemble et qu’un groupe pilote pourrait représenter l’avant-garde de la convergence fiscale, sociale et énergétique. Cette idée impliquerait un ministre de l’économie et des finances, un Parlement et un budget de la zone euro. L’ensemble plaide en faveur d’une réduction du centre nerveux de l’Union pour renforcer son crédit et réduire par là même la distance qui s’est creusée. Ces idées ont été ensuite traduites en appel aux partenaires européens dans le discours de la Sorbonne prononcé le 26 septembre 2017 :

Si nous voulons avancer à nouveau, je souhaite que nous passions par des conventions démocratiques qui feront partie intégrante de la refondation européenne. Remettre les choses dans le bon ordre, au lieu de demander, en fin de course, perclus de fantasmes et d’incompréhension, si c’est oui ou si c’est non, sur un texte illisible, écrit dans le secret, organisons un débat ouvert, libre, transparent, européen pour construire ce projet qui donner enfin un contenu et un enjeu à nos élections européennes de 2019[44].

Les consultations citoyennes sont en place depuis avril et cela jusqu’à la fin octobre 2018, avec des débats et des exercices de démocratie participative dans 27 pays européens. La restauration du lien entre les peuples et la construction européenne est au coeur de cette démarche. Une restitution globale aux chefs d’État et de gouvernement est prévue en amont du Conseil européen de décembre 2018.

L’intention politique est forte comme l’a souligné Jean-Yves Le Drian à l’occasion des Voeux au corps diplomatique le 30 janvier 2018 : « Les consultations citoyennes voulues par le Président Macron seront un moment central pour réduire la distance qui s’est installée entre les citoyens et les institutions européennes depuis de trop nombreuses années[45] ».

Qu’en restera-t-il ? Mettre en débat public l’Union européenne, ce n’est pas nouveau. Créer l’événement pour réduire la distance, c’est tout à fait louable. Mais le rapprochement aboutira que lorsqu’existera un sentiment réel d’appartenance commune à l’Union européenne, un « peuple européen ». Pour réduire la distance avec ses habitants, l’Union européenne n’a pas besoin de supplément de règles et de suppléments de procédure. Elle a besoin d’un supplément d’âme. Elle a probablement aussi besoin de quelqu’un capable de l’incarner pareillement aux quatre coins de l’Europe. Autrement dit l’Union a besoin d’un leader, en lequel chacun puisse se reconnaître. C’est pourquoi la question du « SpintzenKandidat » reste centrale.

C. 3e chose entre les forces centripètes et les forces centrifuges : une dernière citation à méditer :

« L’Europe est trop grande pour être unie ; Mais elle est trop petite pour être divisée. Son double destin est là ». (Daniel Faucher - 1882)