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Alors que la mondialisation place les États souverains dans une situation d’interdépendance et freine leur capacité normative[1], l’auteur rappelle l’urgent besoin d’élaborer de nouvelles normes qui seraient acceptées « par tous les acteurs et susceptibles de répondre aux véritables défis de la gouvernance globale[2] ». Son ouvrage s’avère alors une tentative de surmonter l’insuffisance de la norme moderne par la proposition d’une solution : une gouvernance globale démocratique, supérieure à tout autre ordre juridique, qui saurait répondre aux besoins mondiaux en s’appuyant sur les intérêts collectifs des différentes nations[3] Concrètement, l’ouvrage du professeur Karim Benyekhlef[4] se divise en trois titres principaux : la norme moderne (I), la norme pré-moderne (II) et la norme postmoderne (III).

I. La norme moderne

Après avoir fait un survol de la modernité et des présupposés du positivisme juridique, l’auteur présente les attributs du droit moderne[5]. Il montre la nette insuffisance[6] du droit présenté comme étant autonome, formé de règles générales et abstraites, hiérarchisé et organisé de manière systémique et dont la légitimité s’assoit sur son origine démocratique[7]. Le professeur Benyekhlef met ainsi de l’avant les limites de la théorie positiviste à saisir la complexité des normes contemporaines. Pour y pallier, il propose le pluralisme juridique comme « concept clé[8] » capable de « décrire correctement les effets de la mondialisation sur le droit » et apte à « constituer un vecteur de résolution des divergences internormatives[9] ». Partant, l’auteur annonce la diminution inévitable du monopole normatif de l’État, donc de sa souveraineté, dans des circonstances où la mondialisation impose un ensemble de limites à sa capacité d’élaborer le droit[10].

L’ouvrage fait ensuite minutieusement état des limites de la norme moderne[11]. Pour montrer concrètement ses « insuffisances théoriques et pratiques[12] », l’auteur présente tour à tour deux domaines de droit où la souveraineté subit une indubitable pression normative : les droits de la personne et le commerce international. Ce volumineux chapitre peut a priori paraître démesuré lorsqu’il est comparé aux autres. Cependant, la disproportion semble nécessaire puisque les limites présentées permettent de mieux comprendre la transition de la norme, dévoilée dans les titres suivants.

D’abord, les droits de la personne, élaborés dans un premier temps au niveau national[13], ont maintenant pris des dimensions internationales[14], mondiales[15] et même globales[16] et s’imposent à une majorité d’États souverains en encadrant leur compétence législative[17]. L’auteur invoque d’ailleurs différents cas concrets[18] qui permettent de réaliser la pression normative que subit un État qui désire prendre part à la communauté internationale. Il illustre également par un schéma le résumé des « quatre temps d’évolution » qu’ont connus les droits de la personne[19]. Pareillement, le commerce international impose ses propres règles et limite tout autant la capacité normative des États souverains[20]. Pour éclairer ses propos, l’auteur présente certains instruments juridiques « capables de plier l’État » et d’atteindre sa faculté d’élaborer des règles de droit[21].

Bref, l’insuffisance du positivisme juridique à décrire les effets de la mondialisation sur le pouvoir normatif des États souverains montre qu’il y a lieu d’adopter une conception pluraliste du droit contemporain. Pour permettre à ses lecteurs d’en connaître davantage sur les sujets qu’il aborde dans le premier titre, l’auteur fournit à plusieurs endroits des listes contenant des sources supplémentaires[22].

II. La norme pré-moderne

Au regard du contexte historique (chapitre I), le professeur Benyekhlef rend d’abord compte du caractère autonome de la norme. Selon lui, elle n’est pas créée par la seule volonté du législateur[23], mais bien par une multitude de facteurs distincts les uns des autres. De plus, il soutient que ses sources sont multiples, démontrant encore une fois fidèlement son adhésion au concept de pluralisme juridique[24]. Cette direction s’éloigne en effet de la conception positiviste traditionnelle du droit, encore solidement ancrée dans le monde actuel des juristes[25]. Toutefois, cette posture est loin d’avoir un effet révolutionnaire, puisqu’elle est tout de même reconnue par de multiples auteurs contemporains qui adoptent également une conception large de la normativité[26]. Ainsi, en survolant le droit marchand (chapitre II)[27] et le droit royal (chapitre III)[28], l’auteur parvient à présenter les différentes allures qu’a pris la norme juridique au cours de l’époque qui s’étend du XIe au XIIe siècle[29].

Ce regard sur la culture juridique historique permet d'accroître notre connaissance des origines et des causes associées aux « présupposés théoriques et autres attributs du droit moderne », et ainsi nous permettre de nous défaire « plus aisément de ceux-ci[30] ». En effet, cette deuxième partie, moins volumineuse que les deux autres, ne perd pas en utilité dans la mesure où elle peut bénéficier à tout lecteur qui maîtrise plus ou moins bien les événements historiques juridiques. En présentant de la sorte le contexte normatif de l’époque, l’auteur offre une transition agréable vers une vision du droit plus fidèle, selon lui, à la réalité dans laquelle la mondialisation place aujourd’hui la norme[31].

III. La norme postmoderne

Cette dernière partie, qui semble être le coeur de l’ouvrage, appelle à une redéfinition non seulement du droit, mais également de notre manière de nous comporter et de réfléchir, afin de les harmoniser avec les importants changements contemporains[32]. En opérant une rupture avec l’héritage historique de la modernité, tout en conservant certains de ses traits de caractère importants, l’auteur montre qu’il serait possible de trouver « l’heureux équilibre d’un droit susceptible de saisir le présent[33] ».

Le premier chapitre démontre l’insuffisance du droit international public comme réponse normative aux phénomènes de la mondialisation[34]. Selon le professeur Benyekhlef, en raison notamment de son objectif même (conservation de l’indépendance des États)[35], ou encore de la provenance de ses sources formelles[36], le droit international public ne peut pas avoir l’effet d’un droit global qui serait en mesure de rivaliser avec les droits nationaux. Il faut chercher plus loin pour trouver une solution. C’est alors que l’auteur fait état de la nécessité de repenser la notion de souveraineté en lui attribuant de nouvelles configurations qui seraient davantage adaptées aux transformations de la postmodernité[37]. Selon lui, les approches dogmatiques traditionnelles de la souveraineté ne conviennent plus[38]. Il présente donc des nouveaux modèles de gouvernance globale.

En guise d’introduction à cette présentation, l’auteur expose les différents sens que peut porter en elle la notion même de gouvernance. Ce choix apparaît judicieux, puisque le droit de la gouvernance revisite actuellement l’ensemble des textures de la norme, notamment par l’exposition de la diversification de ses sources[39]. Par la suite, et sans exclure la possibilité qu’il en existe d’autres[40], il nous présente lesdits modèles. Il débute par deux doctrines théoriques sur lesquelles peut reposer la gouvernance globale: le cosmopolitisme[41] et le constitutionnalisme[42]; et termine par un « support heuristique »[43] à une théorie des rapports normatifs et politiques, le réseau[44].

D’abord, l’auteur définit le cosmopolitisme comme un droit « [f]ormé de règles émanant d’une pluralité de sources et [comprenant], d’une part, des normes visant à réguler les activités transnationales et, d’autres part, des normes qui s’articulent autour des principes de la démocratie et des droits de la personne[45] ». Selon lui, ces normes pourraient faire l’objet d’un contrôle judiciaire national et international et bénéficieraient d’un statut supérieur à celui des normes émanant de tout type d’ordre juridique (national, international, transnational)[46]. Ensuite, le constitutionnalisme réfère à une constitution globale, qui établirait par secteur « le fonctionnement et les rapports des organes du pouvoir »[47] et limiterait leur action de manière à assurer le respect des droits et libertés des individus[48]. L’auteur avance finalement, comme l’ont précédemment fait François Ost et Michel Van de Kerchove[49], qu’un changement de paradigme s’opère entre le modèle pyramidal des normes juridiques (la validité de chaque norme étant conditionnelle à sa conformité à sa norme supérieure) vers un paradigme de réseau (interactions constantes, relations horizontales et non subordonnées entre les normes)[50]. À son avis, ce nouveau modèle permettrait d’assurer la complémentarité des différents ordres normatifs[51].

Par la suite, l’auteur propose des modes contemporains de régulation qui se distinguent du droit positif par leur diversité et leur souplesse et offrent, à son avis, des solutions appropriées pour les besoins des acteurs qui demeurent non comblées par le droit étatique[52].Il présente donc en premier lieu un « inventaire partiel » de normes dites alternatives, pour analyser en second lieu les phénomènes d’internormativité qui en découlent[53].

En proposant l’inventaire des normes alternatives, l’auteur aborde certaines de leurs techniques de production[54]. Dans un premier temps il présente l’autorégulation, qui suppose l’élaboration de règles par les acteurs eux-mêmes, qui assurent également leur application.[55] La deuxième technique, celle de la corégulation, réfère quant à elle à « un lieu d’échange, de négociation entre les parties prenantes et les titulaires de la contrainte légitime où se comparent les bonnes pratiques, afin de les ériger en recommandations[56] ». Ensuite, l’auteur dévoile différents classements pour les normes alternatives, certains visant à standardiser les comportements des acteurs[57] et d’autres cherchant à « introduire une certaine éthique dans les pratiques commerciales[58] ». Il s’agit donc de nouveaux modes de régulation qui s’avèrent davantage effectifs pour subvenir aux besoins normatifs causés par le phénomène de la mondialisation.

La deuxième et dernière section traite de l’internormativité, concept qui « postule » en lui-même le pluralisme juridique[59] et qui réfère à l’incorporation d’une norme issue d’un ordre normatif qui lui est complètement distinct[60]. Cette notion d’internormativité a d’ailleurs fait l’objet de différentes études théoriques antérieures[61]. L’auteur propose pour sa part de séparer, pour les fins de son exposé, l’internormativité en amont de celle en aval. La première renvoie à l’élaboration de la règle : l’État assure la concertation et la participation des acteurs dans le processus d’élaboration de la norme, prenant en compte les intérêts et objectifs de chacun, tous plus différents les uns que les autres[62]. La deuxième, quant à elle, concerne l’application de la norme : l’internormativité en aval permet de traiter le conflit ou encore la complémentarité d’une norme avec une autre norme alors qu’elles sont issues de deux ordres normatifs distincts[63]. Il s’agit en bref d’une manière de réfléchir la normativité au-delà du cadre juridique traditionnel, en intégrant des éléments qui lui sont externes, le tout pour permettre d’adapter notre vision du droit aux réalités contemporaines.

Cette visite historique et contextuelle au travers les diverses transformations qu’a connues et que connaît encore aujourd’hui la norme nous permet d’éclairer non seulement sa texture contemporaine théorique, mais aussi sa réalité pratique au niveau global. Voilà donc la contribution réflexive de l’auteur face à l’insuffisance des concepts modernes du droit pour répondre aux divers phénomènes de la mondialisation[64]. En concluant, Karim Benyekhlef assigne une mission aux juristes confrontés à la norme postmoderne : celle de réfléchir un droit global qui permettrait de surpasser les résistances nationales et ainsi voir à « concilier les différences » en assurant un « dialogue non hiérarchique […] entre les multiples ordres juridiques et normatifs[65] ».

En expliquant fidèlement les transformations du droit, l’ouvrage pose très bien le constat de la nécessité de repenser la théorie de la norme. En effet, il semblerait que nous assistions, comme le dirait Daniel Mockle, à un « brouillage des catégories juridiques[66] ». L’auteur rend habilement compte des changements qui s’opèrent, notamment par le phénomène de la mondialisation. Il prend ainsi part au mouvement de chercheurs qui tentent de faire état de l’insuffisance du positivisme juridique pour répondre à la réalité complexe du droit contemporain[67]. En nous renvoyant au droit global[68] ou encore au pluralisme juridique[69], l’auteur nous invite à réfléchir et ouvrir notre rationalité à de nouveaux modes de régulation. Or, il nous laisse sans réponse quant à la question de savoir comment relever le défi auquel les juristes d’aujourd’hui font face, soit celui de retravailler la théorie du droit et, plus particulièrement, la théorie de la norme. D’ailleurs, de multiples chercheurs se sont déjà mis à la tâche en entamant des travaux en ce sens. Il s’agit concrètement de repenser son formatage[70], revisiter ses sources[71] et réinterroger sa force normative[72].