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L’instinct de survie et de conservation n’est pas le propre des animaux sauvages. L’homme partage aussi cet instinct avec les autres êtres vivants. Cependant, pour les animaux sauvages, le cadre d’expression de prédilection de leurs instincts est la jungle où règne la loi du plus fort ou celle du « sauve qui peut ». Pour l’homme, cet instinct, d’une part, prendra plusieurs dénominations[1] et, d’autre part, se manifestera dans diverses situations[2]. Ainsi, en est-il de la légitime défense, qui peut s’exercer tant dans la vie ordinaire qu’en période de conflit. En période de conflit cependant, lorsqu’elle est le fait des individus[3], la légitime défense peut se révéler difficile à circonscrire, voire à distinguer, d’autres concepts voisins, notamment, celui de la participation directe aux hostilités. Celui-ci, bien que n’étant pas une prohibition expresse du droit international humanitaire (DIH)[4], n’est pas non plus un droit des civils, tandis que la légitime défense peut être envisagée à certaines conditions comme un droit des civils[5]. Dès lors, distinguer la participation directe aux hostilités de la légitime défense des civils et/ou d’autres concepts ne sera pas un exercice aisé, précisément sur le champ de bataille[6]. Cela s’explique par le fait que la légitime défense s’exerce généralement et en principe dans un contexte de violence illégale, alors que la participation directe aux hostilités, notion de DIH, a lieu dans un contexte de violence autorisée, sinon légale, du moins conforme au DIH, dans la plupart des cas[7] (dépendamment de plusieurs critères). C’est pour pallier ce risque de confusion et pour mieux protéger les civils qui sont de plus en plus impliqués dans les conflits contemporains[8], que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a élaboré un Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international humanitaire[9] (Guide interprétatif ou Guide). Ce guide, quoique controversé[10], sera le point de départ de notre analyse en ce qui concerne la participation directe aux hostilités (PDH).

S’agissant de la légitime défense, dont la distinction d’avec la notion de participation directe aux hostilités sera l’objet de cette réflexion, nous la considèrerons selon l’article 31, §1 c), du Statut de Rome de la Cour pénale internationale[11]. Au regard des risques de confusion entre ces deux notions en dépit de leurs fonctions radicalement différentes, comment distinguer la légitime défense des civils de leur participation directe aux hostilités ?

Le Guide interprétatif définit la notion de participation directe aux hostilités en élaborant les critères d’une telle participation et précise que la légitime défense n’est pas une participation directe aux hostilités[12], mais sans plus, en dehors des « précautions pratiquement possibles » à prendre en cas de doute, ce qui constitue à notre humble avis, plutôt un autre problème[13], qu’une solution.

Cet article se voudrait une analyse critique des interactions entre ces deux notions, relevant les difficultés tant théoriques que pratiques de la distinction tout en ébauchant des esquisses de solutions et/ou des pistes de réflexion. L’intérêt de la distinction étant la protection des civils contre les attaques directes ou par erreur lorsqu’ils ne participent pas directement aux hostilités. Les difficultés de la distinction, apparaissent surtout lorsqu’un civil agit en légitime défense alors qu’il a ou qu’il y a un doute sur la légalité ou l’illégalité de l’acte contre lequel il entend se défendre, défendre autrui ou défendre des biens[14]. Ce qui peut conduire à de nombreuses interrogations : l’attaque ou l’agression contre laquelle est admise la réaction en légitime défense doit-elle être objectivement illégale ou faut-il admettre que le civil, en toute bonne foi, puisse présumer d’une telle illégalité ? Le DIH est-il la seule mesure de la légalité/l’illégalité ? Quid lorsque le civil croyait que le danger était illégal alors qu’il était conforme au DIH ? Y a-t-il des critères pour trancher ces situations d’incertitudes [15]? Autant de difficultés peuvent être rencontrées lorsqu’une distinction doit être faite entre la participation directe aux hostilités et la légitime défense des civils, et la liste n’est pas exhaustive. Notre travail sera cependant limité à une analyse critique sur la seule base du concept de « civils ordinaires[16] » participant directement aux hostilités dans l’entendement du CICR et sur la base du concept de légitime défense au sens du Statut de Rome.

Pour ce faire, nous allons démontrer que le Guide interprétatif n’a ni épuisé ni résolu tous les problèmes relatifs à la PDH en mettant en exergue les difficultés de la distinction et en prenant des hypothèses précises et particulières qui ne prétendront pas à l’exhaustivité (II). Nous relèverons également les défis de la pratique avec quelques pistes de réflexion/solutions que nous proposerons (III). Mais au préalable, une brève clarification des différents concepts clés de notre analyse nous parait à propos avant le vif du sujet (I).

I. Les définitions conceptuelles

Cette partie sera consacrée à la clarification des deux principaux concepts formant l’ossature de notre étude. Conséquence et préalable au principe fondamental de distinction[17], la notion de participation directe aux hostilités est un carrefour incontournable de la protection des civils en DIH. Quoique, employée dans diverses dispositions tant coutumières que conventionnelles[18], elle ne sera définie que par le Guide interprétatif, comme aboutissement d’un long processus[19] initié par le CICR. Cette acception du CICR de la notion de participation directe aux hostilités sera présentée succinctement (A) avant d’aborder la notion de légitime défense au sens de l’article 31(1)(c), du Statut de Rome (B).

A. La notion de PDH[20] selon le CICR

La position du CICR sur la notion de PDH, se résume en dix recommandations accompagnées de commentaires. Mais d’emblée, il convient de rappeler la démarche qui a consisté d’abord à définir le concept de civil, puis à circonscrire la conduite constitutive d’une PDH avant d’en déterminer les conséquences.

Ainsi, « aux fins du principe de distinction, les personnes civiles sont définies comme étant les personnes qui bénéficient de l’immunité contre les attaques directes, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation[21] ». Ce sont dans les conflits armés internationaux (CAI), « toutes les personnes qui ne sont ni des membres des forces armées d’une partie au conflit ni des participants à une levée en masse [22]» et dans les conflits armés non-internationaux (CANI), « toutes les personnes qui ne sont pas des membres des forces armées d’un État ou de groupes armés organisés d’une partie au conflit[23] ». La situation des sous-traitants privés et employés civils est traitée par la troisième recommandation et ne sera pas développée dans notre analyse. Il en sera de même pour les compagnies privées de sécurité et les forces de maintien de la paix.

De même, selon le Guide interprétatif, découlant de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève, « la notion de participation directe aux hostilités se réfère à des actes spécifiques commis par des individus[24] dans le cadre de la conduite des hostilités entre les parties à un conflit armé[25] » et qui ont pour conséquence, lorsqu’il s’agit de civils, la perte de l’immunité accordée à ceux-ci, contre lesquels, le DIH interdit les attaques directes[26]. Le commentaire précise que cette notion est composée de deux éléments constitutifs : « hostilités[27] » et « participation directe[28] ».

La notion de PDH est définie par la recommandation n° V dont la teneur se lit comme suit :

Pour constituer une participation directe aux hostilités, un acte spécifique doit remplir les critères cumulatifs[29] suivants :

1. L’acte doit être susceptible de nuire aux opérations militaires ou à la capacité militaire d’une partie à un conflit armé, ou alors l’acte doit être de nature à causer des pertes en vies humaines, des blessures et des destructions à des personnes ou à des biens protégés contre les attaques directes (seuil de nuisance), et ;

2. il doit exister une relation directe de causalité entre l’acte et les effets nuisibles susceptibles de résulter de cet acte ou d’une opération militaire coordonnée dont cet acte fait partie intégrante (causation directe), et ;

3. l’acte doit être spécifiquement destiné à causer directement des effets nuisibles atteignant le seuil requis, à l’avantage d’une partie au conflit et au détriment d’une autre (lien de belligérance)[30].

Il s’en suit que pour qu’il y’ait PDH de la part d’un civil, il faut trois conditions cumulatives : un seuil de nuisance, une causation directe et un lien de belligérance.

S’agissant du seuil de nuisance requis, « un acte spécifique doit être susceptible de nuire aux opérations militaires ou à la capacité militaire d’une partie à un conflit armé, ou alors l’acte doit être de nature à causer des pertes en vies humaines, des blessures et des destructions à des personnes ou à des biens protégés contre les attaques directes[31] ». La qualification d’un acte en tant que participation directe exige, non que la matérialisation des effets nuisibles atteigne un certain seuil, mais qu’il existe simplement une probabilité objective que l’acte provoque de tels effets[32]. Les effets nuisibles sur le plan militaire devraient être interprétés comme englobant non seulement l’infliction de pertes en vies humaines, de blessures ou de destructions au personnel et aux biens militaires, mais aussi toute conséquence nuisant aux opérations militaires ou à la capacité militaire d’une partie au conflit[33].

Concernant le lien de causalité, « il doit exister une relation directe de causalité entre un acte spécifique et les effets nuisibles susceptibles de résulter soit de cet acte, soit d’une opération militaire coordonnée dont cet acte fait partie intégrante[34] ». Dans cette optique, causer directement des effets nuisibles devrait être compris comme signifiant que les effets en question sont le résultat d’une seule et même étape causale[35].

Pour que le lien de belligérance soit établi, « un acte doit être spécifiquement destiné à causer directement des effets nuisibles atteignant le seuil requis, à l’avantage d’une partie au conflit et au détriment d’une autre[36] ».

Par ailleurs, en se référant à la qualité et au degré de l’implication individuelle d’une personne dans les hostilités, le Guide interprétatif fait une distinction entre participation directe et participation indirecte[37], et aussi entre conduite des hostilités[38], effort général de guerre[39], et activités en soutien à la guerre[40]. Le Guide pour finir, précise les modalités régissant la perte de la protection des civils comme conséquences de leur participation directe aux hostilités : « Les civils perdent leur protection pendant la durée de chaque acte spécifique constituant une participation directe aux hostilités[41] ». De même « des précautions et présomptions dans les situations de doutes[42] », des « limitations à l’emploi de la force lors d’une attaque directe[43] » ainsi que « les conséquences de la restauration de la protection accordée aux civils[44] » sont examinées par le CICR, pour parer à toute éventualité. Après cet aperçu de la notion de PDH selon le Guide interprétatif, il convient maintenant de cerner la notion de légitime défense au sens du Statut de Rome, avant d’en montrer les difficultés de la distinction avec la notion de PDH.

B. La notion de légitime défense dans le Statut de Rome

L’article 31[45], du Statut de Rome de la CPI qui traite des « Motifs d’exonération de la responsabilité pénale » dispose en son alinéa 1er, (c), que : 

Une personne n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement en cause : […] Elle a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou, dans le cas des crimes de guerre, pour défendre des biens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, d’une manière proportionnée à l’ampleur du danger qu’elle courait ou que couraient l’autre personne ou les biens protégés. Le fait qu’une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa.

La légitime défense qui constitue « an inherent part of all domestic legal orders, and is thus a general principle of law[46] », apparait à la lecture de cette disposition comme le droit de réagir contre un recours imminent et illicite à la force, par une violence proportionnée, qui serait elle-même illégale, n’eût été l’existence des circonstances obligeant à agir en défense. « Indeed (non-mistaken) self-defence is often a paradigmatic justification of conduct[47] ». Elle a aussi été reconnue par la jurisprudence[48]. De même selon les commentaires (Triffterer et Cassese), « The principle enshrined in this provision, as aptly summarized by the ICTY in Kordic, reflects provisions found in most national criminal codes and may be regarded as constituting a rule of customary international law[49] ». Telle que formulée, cette disposition exonèrerait[50] de sa responsabilité pénale toute personne qui aurait commis un crime relevant de la compétence de la cour, si ce crime a été commis en légitime défense. Cependant, comme tout droit subjectif, l’exercice du droit à la légitime défense est soumis à des conditions qui, si elles sont réunies exonèrent la personne ayant ainsi agi de sa responsabilité pénale. Ainsi, « as to its elements, it is beyond doubt that an unlawful attack against a protected interest (life, physical integrity, and property), a proportional reaction and the actor’s knowledge of acting in self-defence are required[51] ». De la disposition précitée et des commentaires[52] du Statut de Rome, trois conditions sont nécessaires pour invoquer la légitime défense :

1) A person (not merely) involved in a defensive operation;

2) An imminent and unlawful use of force against legally protected interests or unlawful use of force producing a danger to a person or property;

3) And "an appropriate defence against it" or a "reasonable and proportionate reaction to avert the danger.

S’agissant de la première condition, elle permet de limiter le champ d’application de la légitime défense selon le Statut de Rome qui, en tant que motif d’exonération de la responsabilité pénale individuelle ne doit pas être confondue avec la légitime défense étatique :

This distinction between self-defence on the levels of international criminal and of public international law and their terminological designations is additionally confused by the fact that article 51 UN Charter distinguishes between "individual self-defence of a Member State (in case of an armed attack) and "collective self-defence" rendered by other Member States (in support of the attacked State) [] sentence 1 (of article 31, 1 c) is in fact, justifying only "private " self-defence as distinct from "operational" self-defence carried out within or in course of a collective action[53].

Cette condition consacre une sorte d’autonomie et d’indépendance de la légitime défense individuelle par rapport à celle étatique, puisque « […] the legality or illegality of a collective defence operation is independent of the recognition or rejection of self-defence in an individual conflict taking place within the framework of this operation[54] ».

En ce qui concerne la seconde condition[55], qualifiée souvent de condition relative à l’agression ou à l’attaque, c’est l’exigence préalable d’un recours imminent et illicite à la force comme acte déclencheur de la réaction en légitime défense. La force concernée doit être interprétée largement allant de la force physique à la menace psychologique. Le recours à cette force doit être imminent et c’est le cas « if it is immediately antecedent, presently exercised or still enduring... Thus, a defender neither has to wait until a danger has become present, nor is it allowed to use pre-emptive or even preventive means to circumvent a use of force, nor is it permitted to retaliate against an already passed attack[56] ». Le recours à la force doit également être illicite, illégal. Et comme le précise le commentaire :

The unlawfulness of the use of force under paragraph 1 (c) must not be confused with the legality or illegality of a collective engagement. Paragraph 1 (c) is concerned with the unlawfulness of the individual attack, whilst it is indifferent to this attack’s being part of a legal or illegal collective campaign. Thus, the use of force is unlawful if it is not justified for its part by law or any other legally valid permission or order[57].

Cet usage illicite de la force doit mettre en danger la vie, l’intégrité physique, ou la liberté d’autrui contre lequel il est dirigé et ouvre droit à la fois à la légitime défense de soi-même et à celle d’autrui comme motif d’exonération de la responsabilité pénale pour tout crime relevant de la compétence de la cour. Pour les crimes de guerre exclusivement, la disposition précitée admet la légitime défense à l’égard de certains biens : ceux qui sont essentiels à la survie de la personne en risque d’une attaque illicite et ceux qui sont essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire[58]. Cette extension de la légitime défense à la propriété par le Statut de Rome a toutefois fait l’objet de nombreuses critiques[59]. Pour terminer avec cette condition, « [T]he use of force as well as the danger to person or property must be objectively given and may not only exist in the subjective belief of the defender[60] ». Cette exigence signifie que si la personne a simplement cru raisonnablement qu’elle serait victime, d’une attaque qui, en réalité n’est pas illicite, elle ne pourrait pas être exonérée de sa responsabilité pénale pour le crime commis sur la base de la légitime défense ; elle devrait plutôt invoquer l’erreur de fait.

Enfin, s’agissant de la troisième condition[61], qui est aussi souvent qualifiée de condition relative à la défense, elle concerne les mesures prises en légitime défense, qui doivent être concomitantes à l’agression, raisonnables et proportionnées[62] au but de la légitime défense, c’est-à-dire repousser l’attaque/l’agression ou y mettre fin. Raisonnable renvoie à l’idée de nécessaire dans le contexte de légitime défense. Ainsi,

[R]easonable means that the defence must be necessary and adequate to prevent or avert the danger. Thus, a reasonable reaction must only create the harm to the aggressor necessary to repel the danger and the means applied must not be inept or inefficient. Even if the defence is reasonable, it must still be proportionate, i.e., it may not cause disproportionately greater harm than the one sought to be avoided[63].

La légitime défense, à la lumière de cette condition n’est pas un droit illimité, mais un droit confiné dans le prisme du principe de proportionnalité. Une lecture conjointe des articles 31 (3) et 21 du Statut de Rome à la loupe des principes généraux en droit comparé, révèle que la légitime défense requiert également un élément subjectif.

It is generally recognized that the defender must at least know about the attack; it is controversial whether he or she must also be motivated by this knowledge… the subjective element is an additional requirement, which lends stronger legitimacy to the defender’s claim that his or her conduct was justified and lawful… In sum the use of force cannot be justified by a mere objective standard; it also requires that the defender acted in good faith, believing that he or she was entitled to use self-defence[64].

À ce stade, on pourrait déjà faire une comparaison et déduire que la PDH et la légitime défense sont deux notions qui se rapprochent en ce qui concerne leurs actes constitutifs, autrement dit leurs éléments matériels, mais qui se distancent du point de vue de leur objectif, but, ou encore leur élément intentionnel, leur champ d’application et leurs conséquences (l’une entrainant la perte de l’immunité contre les attaques directes et l’autre une exonération de la responsabilité pénale). La PDH se distinguerait alors de la légitime défense parce qu’elle vise à nuire à une partie à un conflit au profit d’une autre tandis que, en cas de légitime défense, il n’y a qu’un seul but : la défense de soi-même, d’autrui ou de la propriété. Cette comparaison facile est cependant théorique et superficielle dans la mesure où elle n’est pas aussi évidente sur un champ de bataille et si l’on prend en compte les controverses entourant la notion de légitime défense en matière pénale.

De ce fait, les différents concepts ayant été clarifiés, notre tâche consistera maintenant à les confronter pour relever les difficultés lorsqu’il s’agit de tracer leurs frontières respectives, tant sur un champ de bataille qu’in abstracto. L’instrument d’un tel tracé sera constitué par quelques hypothèses que nous examinerons à présent.

II. Les difficultés de la distinction : une analyse critique

Pointer du doigt les « grey areas » de la distinction entre PDH et légitime défense des civils avec en toile de fond une analyse critique du Guide interprétatif et de l’article 31 (1) (c) du Statut de Rome, sera l’objet de cette seconde partie de notre étude. Ainsi, nous ferons un tour d’horizon non exhaustif de ces zones d’ombres, en partant de la situation contextuelle par excellence de légitime défense (A) à l’hypothèse d’une « légitime défense contre une PDH » (C). Cette analyse prendra également en compte l’hypothèse d’un doute sur l’illégalité/légalité de l’attaque[65] contre laquelle une réaction en légitime défense est envisagée (B).

A. L’hypothèse de l’attaque illégale

Conformément aux conditions[66] de la légitime défense, la réaction proportionnée doit viser à repousser ou à mettre fin à une attaque/agression illégale. Toutefois, même dans une situation d’attaque ou d’agression illégale, faire une distinction entre légitime défense et PDH peut s’avérer difficile notamment lorsqu’il s’agit de défense d’autrui ou de défense des biens[67]. Prenons l’exemple d’un civil (A) qui veut défendre un civil (B) contre une attaque directe de la part d’un combattant[68] (C) dans un CAI, les deux civils étant sur le territoire de leur État sur lequel se trouvent aussi les forces armées ennemies[69]. La difficulté de savoir si le civil (A) participe directement aux hostilités ou agit en légitime défense ne saurait se poser par rapport au combattant (C) puisque, en tant qu’auteur d’une attaque illégale contre le civil (B), il ne pourrait que s’attendre à la réaction défensive de celui-ci, à qui le civil (A) apporte son soutien (défense d’autrui). Par contre la difficulté apparait nécessairement lorsqu’on considère un autre combattant (D) vis-à-vis du civil (A) et même du civil (B). Comment le combattant (D) qui, soudainement tombe sur son compagnon (C) aux prises avec les deux civils peut-il savoir s’il s’agit de civils qui se défendent et non qui participent directement aux hostilités ? Et par suite, comment va-t-il s’y prendre pour ne pas violer l’immunité contre les attaques directes reconnue aux civils ? Ces questions trouvent leur fondement dans le fait que le combattant (D) ignore que c’est son collègue (C) qui a attaqué illégalement et injustement le civil (B), c’est-à-dire qu’il n’en sait rien. Cet exemple, quoique fruit de notre imagination, prouve que même lorsqu’une attaque est illégale et que les autres conditions de la légitime défense sont réunies, la distinguer de la PDH ne sera pas toujours aisée. Autrement dit, le combattant (D) de notre exemple pourrait en toute bonne foi venir aussi en renfort à son collègue (C) en prenant pour cibles les civils (A) et (B) alors que ceux-ci ne participent pas directement aux hostilités, si l’on applique les trois critères cumulatifs. Il se rendrait ainsi coupable d’une violation du DIH[70]. Malheureusement le Guide interprétatif à notre humble avis ne permet pas de trancher une telle situation avec ses critères abstraits. Tels que le seuil de nuisance[71] et la causation directe[72] ont été définis[73], ils pourraient probablement être satisfaits dans notre exemple, tandis qu’il sera difficile d’affirmer qu’il existe un lien de belligérance entre les deux civils (A et B) et leur État (une partie au conflit). Cette hypothèse avec les mêmes circonstances, peut être transposée également mutatis mutandis, dans le cas d’un CANI et la difficulté juridique soulevée sera identique. Et, elle sera d’autant plus grande si le nombre de civils/combattants impliqués dans de tels comportements augmente.

Une autre situation propice à une réaction en légitime défense, mais qui peut rendre la ligne de démarcation entre PDH et la légitime défense difficile à cartographier, est celle d’une attaque/agression illégale couverte par un fait justificatif ou par une cause d’irresponsabilité[74]. Dans le premier cas, l’attaque ou l’agression illégale est rendue légale par l’existence du fait justificatif et n’ouvrirait en principe pas droit à une réaction en légitime défense, selon l’article 31 du Statut de Rome de la CPI. C’est l’exemple d’un combattant qui agit (commet un crime de guerre) sous la contrainte, sous un état d’intoxication ou sous un état de déficience mentale au sens de l’article 31(1)(a), (b) et (d) du Statut de Rome de la CPI[75]. Par contre, dans le cas d’une cause d’irresponsabilité, puisqu’elle joue au niveau de la peine et non au niveau de la qualification de l’acte qui reste illégal, il serait possible d’admettre une réaction en légitime défense[76]. Il faudrait avoir reconnu aux civils des vertus et compétences à la fois prophétiques et divinatoires[77] pour considérer qu’ils pourraient être en mesure de connaitre le caractère légal d’un acte justifié (en droit international pénal), mais pouvant porter atteinte à leur vie, intégrité physique ou à des biens essentiels à leurs survies ! Faut-il le rappeler! Le civil ordinaire n’est pas un spécialiste du DIH. Pourtant, réagir concomitamment face à un tel acte, de la part d’un civil, ne serait pas une PDH, puisqu’il n’y aurait aucun lien de belligérance prima facie. Cet acte ne remplirait pas non plus la seconde condition de la légitime défense selon l’article 31 du Statut de Rome précité… Que d’actes juridiquement inqualifiables, on pourrait rencontrer si l’on s’en tient uniquement à une application mathématique et bornée des éléments constitutifs de la PDH tels qu’envisagés par le CICR !

Sans la prétention d’avoir envisagé toutes les hypothèses (puisque nous n’avons donné aucun exemple concernant la défense des biens) qui peuvent s’inscrire sous ce libellé, nous terminerons par celle dans laquelle, un civil profite du contexte d’un CANI pour s’en prendre à un membre des forces armées gouvernementales à des fins personnelles[78], mais en feignant de défendre un autre civil (soupçonné simplement par le gouvernement d’avoir des accointances avec le mouvement rebelle qu’il combat) au moment où il fait l’objet d’une attaque illicite de la part du militaire (« ennemi » de notre civil défenseur). Le civil agit ici au fond pour des raisons purement personnelles (haine, jalousie, colère, antipathie, vengeance, etc.), mais il le fait en se servant de la défense d’autrui. Mais en réalité l’élément intentionnel de la légitime défense et de la PDH (lien de belligérance) font défaut, car cette attitude cache plutôt des motivations personnelles. Il profite en fait d’une situation objective de légitime défense pour régler ses comptes à un militaire qu’il guettait depuis longtemps. Serait-ce une légitime défense ? Comme on peut le constater à travers les exemples cités ci-dessus, même dans la situation de prédilection par excellence de la légitime défense, pouvoir la distinguer de la PDH n’est pas une évidence surtout quand on connait la célérité avec laquelle les décisions (d’attaquer ou non) se prennent sur un champ de bataille justement par instinct de survie. Mais la situation la plus complexe est celle que nous allons maintenant examiner.

B. L’hypothèse d’un doute sur l’illégalité/légalité de l’attaque imminente : la légitime défense putative

Cette hypothèse est de loin celle où les incertitudes frontalières entre la légitime défense et la notion de PDH sont les plus prononcées. En effet, il apparait que des situations mêmes conformes au DIH, peuvent s’avérer préjudiciables à des civils qui vaquent tranquillement à leurs occupations, c’est-à-dire qui ne participent pas directement aux hostilités au départ, mais qui vont par la suite accomplir des actes qui échappent à toute qualification ou du moins qui s’y prêtent difficilement. Ainsi, selon l’article 51, al 5, b) du PA II[79] :

Seront, entre autres, considérés comme effectués sans discrimination les types d’attaques suivants :

[…] les attaques dont on peut s’attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu.

Cette disposition est on ne peut plus claire sur sa signification : causer des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux civils, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages n’est pas interdit par le DIH pour autant que ces pertes et dommages ne soient pas excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. C’est le fameux principe de la proportionnalité en DIH, qui est un principe fondamental dans la conduite des hostilités et la protection des civils[80].

La pertinence de cette disposition pour cette partie de notre analyse, tient au fait qu’elle met en exergue des difficultés lorsqu’on veut faire une distinction entre PDH et légitime défense. La première difficulté est relative au préjudice que pourraient subir les civils soit en leurs propres personnes soit à travers leurs biens et qui, de ce fait, pourraient vouloir agir (c’est-à-dire riposter par des actes qui pourraient aussi porter atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui) pour éviter cela. Serait-il juste que les civils subissent de tels préjudices sans se défendre parce que cela est conforme au DIH ? La seconde difficulté, elle, est relative à la qualification juridique, si l’on se place du côté des civils, de l’attaque susceptible de produire de tels préjudices, dont ces civils, victimes potentielles, ne sauraient être sûrs. On ne saurait non plus in casu leur reprocher d’avoir cru que l’attaque était illégale et dirigée contre eux. Serait-il juste alors de demander à ces civils de rester passifs, devant une telle menace, au motif qu’elle est conforme au DIH [81]? On est donc en présence d’une situation où un ou des civils (nous parlons de ceux qui ont été pris en compte dans le calcul de la proportionnalité) peuvent sentir leurs(s) vie(s), leur(s) bien(s) ou ceux d’autrui menacés, sans savoir si la menace imminente est légale ou illégale, dirigée contre eux ou non. C’est donc l’hypothèse d’un doute sur la légalité/l’illégalité d’une attaque/agression du point de vue des civils, (l’acte étant objectivement conforme au DIH). L’hypothèse de l’attaque/agression illégale[82] ayant été déjà abordée, nous ne traiterons plus dans cette partie que de l’hypothèse d’une attaque légale.

Au regard de l’imminence de la menace pour un civil dans une telle situation, on ne saurait lui reprocher d’avoir tenté de « sauver sa peau » même si, ce faisant, il commet un acte spécifique qui pourrait satisfaire au critère du seuil de nuisance et même à celui de la causation directe. Une telle réaction ne serait cependant pas une PDH, car il n’y’aurait pas de lien de belligérance[83]. De même, il ne s’agirait pas d’une légitime défense selon l’article 31 du Statut de Rome, car il n’y’aurait pas eu au préalable un recours illicite à la force. Mais en rester là, donnerait un gout d’inachevé à notre démarche, car cela reviendrait à ignorer la théorie de la légitime défense putative[84] qu’il convient d’examiner à présent, car elle ne facilite pas non plus la distinction entre PDH et la légitime défense.

La légitime défense putative correspond à la situation où « [t]he conflict between aggressor and defender does not take place in the real word but only in the mind of the defender, who mistakenly believes that he is attacked, his reaction is necessary, etc[85] ». C’est la situation où une personne croit par erreur être attaquée alors qu’elle ne l’est pas en réalité. Elle découle donc d’une erreur qui peut porter soit sur les faits c’est-à-dire la condition de l’attaque illicite (une personne croit raisonnablement être attaquée alors qu’elle ne l’est pas en réalité), soit sur l’imminence de l’attaque, etc[86]. Elle se distingue de la légitime défense (au sens de l’article 31) objective, celle dans laquelle l’agression est réelle et illégale. L’examen de la légitime défense putative, et de sa distinction d’avec la PDH, nous renvoie inéluctablement aux controverses sur les concepts de légalité/légitimité et situation objective/subjective de légitime défense.

Concernant le débat légalité/légitimité, il faut d’emblée relever que légalité et légitimité entretiennent des relations étroites et complexes[87]. En effet, comme le fait remarquer Julien Detais :

Dans leurs sens communs, ces deux mots sont souvent considérés comme synonymes quoique leurs définitions ne permettent pas de les intervertir à souhait. Selon leurs sens les plus courants, la légalité renvoie à l’idée de conformité à la loi alors que la légitimité s’entend comme quelque chose qui « est juridiquement fondé, consacré par la loi ou reconnu conforme au droit et spécialement au droit naturel ». Du point de vue du droit international, la légitimité se définit comme la « qualité de ce qui est légitime. [Elle] se distingue de la légalité ou de la licéité, qualités qu’une institution ou une norme tirent de leur conformité à une règle de droit positif ». La notion de légitimité semble donc être plus large que celle de légalité, car la seconde parait devoir se rattacher exclusivement au droit positif. Ce qui est légal est conforme à la loi en vigueur. La première si elle reprend cette idée parait moins restrictive dans le sens où ce qui est légitime n’est pas uniquement ce qui est conforme à la loi en vigueur, mais également, et peut-être surtout, ce qui correspond à une certaine équité ou une certaine justice.[88]

Nous allons plus loin en disant que ce qui est légitime, c’est aussi ce qui est généralement acceptable, moralement fondé, logiquement raisonnable et juridiquement envisageable, ce pour quoi, pencherait le plus grand nombre de personnes[89]. Sans aller plus loin par rapport à ce débat, et en se contentant de ce qui précède, il ne serait donc pas erroné de dire que le caractère légitime d’une défense va au-delà de sa conformité au de lege lata.

S’agissant du débat situation objective/subjective il convient de rappeler que même si le Statut de Rome a opté pour un critère objectif, il serait prématuré en l’état actuel de dire que la jurisprudence de la CPI serait constante en la matière. En effet, comme le font remarquer les commentateurs du Statut de Rome, en matière de légitime défense, le critère subjectif prévaut dans les systèmes de common law et c’est au terme d’un compromis que l’article 31 a été libellé dans sa formulation actuelle[90]. Il ne serait donc pas exclu qu’au fil du temps des juges influents issus du système de la common law, en vertu de l’article 21[91] du Statut de Rome, appliquent la notion de légitime défense putative devant la cour[92]. En ce qui nous concerne d’ailleurs, nous pensons que l’objectivité de la légitime défense ne devrait pas être mesurée par rapport à la réalité de l’existence d’une attaque illégale, mais plutôt à la réalité de l’existence d’une menace contre la vie, l’intégrité physique ou des biens importants, qu’elle soit dirigée ou non contre la victime d’une telle menace. Ainsi pour nous, si des circonstances réelles, légales ou non, créent la certitude ou même l’impression que l’on se trouve devant une menace à sa propre vie, à celle d’autrui ou à des biens (essentiels à sa survie), il est possible d’agir en défense à condition que la menace soit effective, même si ces circonstances sont conformes à la loi (c’est la situation des civils qui ont été pris en compte dans le calcul de la proportionnalité et qui voudraient se défendre). Les défenses putatives pourraient donc être acceptées si l’atteinte semble réelle et vraisemblable. Dans un tel cas, la défense est commise sans culpabilité grâce à l’erreur sur les circonstances qui ont déclenché la légitime défense. De ce fait, le caractère pénal sera écarté par l’erreur de fait (et non par l’argument de la légitime défense) et la personne ne serait en principe pas pénalement responsable. « In sum, the use of force cannot be justified by a mere objective standard; it also requires that the defender acted in good faith, believing that he or she was entitled to use self-defence »[93].

Revenant à notre hypothèse, et par application de notre entendement du concept de légitimité, il serait généralement acceptable, moralement fondé, logiquement raisonnable et juridiquement envisageable de reconnaitre la légitimité de la réaction d’une personne qui agit pour se défendre sur la seule base d’un critère subjectif (en droit interne surtout). Toutefois, ayant choisi pour cette analyse d’utiliser la notion de légitime défense telle que prévue par le Statut de Rome, nous n’en dirons pas plus[94] sur la légitime défense putative qu’il ne reconnait pas expressément, d’autant plus que les règles pénales sont d’interprétation stricte.

Cette hypothèse de l’attaque/agression légale a permis une fois de plus de montrer la difficulté de la distinction entre PDH et légitime défense, mettant ainsi en exergue une situation qui, sans être une légitime défense (au sens du Statut de Rome) ne serait pas non plus une PDH (selon le Guide) dont les trois critères cumulatifs ne seraient pas remplis, faisant ainsi la part belle à une sorte de comportement sui generis.

En effet, la riposte des civils prise en compte dans le calcul de la proportionnalité, si elle porte atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des militaires, pourrait être de nature à nuire aux opérations militaires ou à la capacité militaire d’une partie à un conflit armé, atteignant ainsi le seuil de nuisance requis[95]. Ce qui ne serait pas le cas si leur réaction consiste par exemple à fuir et à se mettre à l’abri des risques encourus. De même, le lien de causalité pourrait être établi parce que l’on pourrait raisonnablement attendre des actes spécifiques en question commis par les civils, qu’ils causent directement des effets nuisibles atteignant le seuil requis[96] (surtout dans le cas où plusieurs civils et combattants sont concernés par l’hypothèse décrite plus haut). Cependant, il serait difficile d’établir le lien de belligérance[97] dans la mesure où ce comportement ne viserait pas spécifiquement à causer des effets nuisibles à l’avantage d’une partie à un conflit armé et au détriment d’une autre[98].

Comme on le voit, certains comportements de civils se révèlent inadaptés aux critères de la PDH et à celui de la légitime défense, et cette situation peut également s’étendre à des comportements dans lesquels seuls des civils sont en cause au cours d’hostilités opposant des belligérants.

C. L’hypothèse d’une légitime défense contre une PDH[99] : Affrontements entre civils

Au cours de la conduite des hostilités, il peut arriver que des civils, soit, appartenant à différentes parties au conflit (CAI), soit, appartenant à une même partie au conflit s’affrontent entre eux, soit, aux côtés d’une partie au conflit, soit, de leur propre chef et pour des raisons liées ou non aux hostilités. Ces cas de figure ne sont pas non plus de nature à rendre la distinction entre PDH et la légitime défense aisée à faire. Imaginons un CAI, dans lequel les civils d’une partie P1 au conflit commettent des actes spécifiques constitutifs d’une PDH contre les civils appartenant à l’autre partie P2 qui, eux, ne participent pas directement aux hostilités et bénéficient donc en principe de l’immunité contre les attaques directes. En rappel, selon le Guide, le fait d’infliger des pertes en vies humaines, des blessures ou des destructions à des personnes ou à des biens protégés contre les attaques directes, constitue des actes qui atteignent le seuil de nuisance requis[100]. Lorsque ces civils (de la partie P2 au conflit), victimes de conduites constitutives de PDH (de la part de civils de la partie P1) ripostent contre les actes dont ils seraient victimes, par des actes similaires, la question pourrait se poser de savoir, s’ils le font pour se défendre ou s’ils le font également en soutien à la partie au conflit dont ils relèvent. Une autre situation dans laquelle la distinction entre légitime défense et PDH ne serait pas facile à faire. Cette hypothèse ressemble un peu à celle examinée au point précédent[101] dans la mesure où la PDH en tant que telle n’est pas interdite par le DIH[102], mais elle s’en éloigne en se dirigeant vers la première hypothèse[103] en ce sens que même si la PDH n’est pas interdite par le DIH, les actes commis pendant une telle PDH, eux, peuvent l’être, en l’occurrence le fait d’attaquer directement des civils qui ne participent pas directement aux hostilités. Nous retombons alors dans la situation où des civils seraient en face d’une attaque illégale. S’ils (civils de la partie P2) ripostent en retour en commettant des actes spécifiques qui pourraient porter atteinte à la vie ou à l’intégrité physique de leurs agresseurs (civils de la partie 1), il ne s’agirait pas en principe d’une PDH, (mais bien d’une légitime défense) et comme tel, ils bénéficieraient toujours à en croire le CICR[104] de l’immunité contre les attaques directes. Ce qui serait normal d’un point de vue logique et théorique. Mais nous ne sommes cependant pas certains, que ces civils (de la partie P1), qui, les premiers par leurs PDH, ont commis des actes spécifiques illégaux respecteraient cette immunité. La situation peut se compliquer d’ailleurs si l’on considère le scénario où les combattants que ces civils (de la partie P1) participant directement aux hostilités ont voulu aider, leur viennent en renfort en retour. Ils (ces combattants) prendraient pour cible des civils qui ne participent pas directement aux hostilités tout simplement parce qu’ils ne seraient même pas en mesure de connaitre la qualification juridique des actes de ces civils de la partie P2.

L’intérêt de cette hypothèse réside dans le fait que les civils en participant directement aux hostilités perdent leur immunité contre les attaques légales et deviennent de ce fait des cibles militaires légitimes pour les combattants (uniquement) qui ont le droit de PDH. Or dans notre exemple, ils sont face à d’autres civils (P2), qui, conformément au DIH, n’ont pas reçu expressément le droit de participer aux hostilités. Leur riposte ne pourra donc être envisagée que sous l’angle d’une légitime défense, et il faudrait comme nous l’avons déjà démontré, qu’il y’ait eu une attaque illégale dirigée contre eux au préalable.

Plus incertaine sera encore la distinction lorsque les affrontements opposent des civils qui appartiennent à une même partie à un CAI pour des raisons liées au conflit[105]. Par exemple lorsqu’il s’agit d’un conflit qui a une origine religieuse ou ethnique opposant un État (A) à un État (B) et que des civils de l’État (A) s’en prennent à d’autres civils du même État (A) qui sont perçus comme ethniquement ou religieusement rattachés à l’État (B). Les premiers à lancer l’offensive le font-ils en soutien à la partie (A) au conflit ? Comment qualifier la riposte de ces civils (de la même partie A) attaqués ? Réagissent-ils pour se défendre ou pour soutenir leur État d’ethnie ou de religion (B) ? Peut-être aussi qu’il s’agirait d’un CANI qui existerait parallèlement au CAI. Autant d’écheveaux que les critères du Guide ne permettent pas de démêler avec dextérité ni certitude.

En mettant au grand jour la difficulté de la distinction entre légitime défense et PDH aux hostilités, ces exemples illustrent, comme l’ont fait d’autres[106] au paravent, l’imprécision et l’imperceptibilité des critères du Guide. Pour notre part, distinguer la PDH d’autres types de comportements au cours des hostilités est difficile parce que le seuil de nuisance, la causation directe et le lien de belligérance ne se lisent pas ni ne s’aperçoivent pas dans la seule conduite au cours des hostilités. Selon une critique précédente d’ailleurs « à force de vouloir trop préciser le contenu de la participation directe aux hostilités, on rend la compréhension de cette notion encore plus difficile, en raison de la subtilité et de l’imprécision qui caractérisent ses éléments constitutifs[107] ». De ce fait nous regrettons que le CICR n’ait pas profité de l’élaboration du Guide pour conceptualiser les autres types de participation aux hostilités, après avoir défini la PDH. D’où notre proposition de conceptualisation des comportements sui generis examinés dans la seconde partie de notre analyse, aux fins de dégager des indices réalistes de la distinction entre légitime défense et PDH, lesquels pourraient servir aux autres situations (autres comportements a priori sans qualification juridique précise).

À la fin de cette partie, la confusion semble être maintenant à son point culminant tant les limites frontalières entre la PDH et la légitime défense résistent toujours à tout tracé clair et précis. Comme on peut le constater, une telle entreprise doit se faire in concreto et le Guide interprétatif n’en est pas à lui tout seul, la panacée. Il nous semble d’ailleurs moins une solution en matière de PDH qu’un point de départ pour déterminer d’autres indices pouvant servir au principe de distinction et partant, à la double protection des civils et des combattants, qui, bien que cibles légitimes (bien entendu et uniquement pour ceux qui ont le droit de participer directement aux hostilités : les combattants au sens large), méritent aussi à notre sens une protection contre les actes hostiles non autorisés des civils. Examiner d’autres indices pour une distinction plus opérante entre PDH et légitime défense sera maintenant l’objet de notre dernière partie.

III. D’autres indices de distinction et les défis de la pratique : une suggestion de précaution pratiquement possible

Cette partie se voudrait une réponse à notre question de base : comment distinguer la PDH de la légitime défense des civils ? Pour ce faire, une requalification générique de la légitime défense dans la conduite des hostilités en tenant compte des difficultés et des situations de comportement mixtes ou hybrides relevées plus haut nous semble séante (A) afin de dégager d’autres pistes qui pourraient faciliter la distinction (B). Toute chose qui implique des conséquences et des défis à relever dans la pratique (C). Une précaution ultime pour un meilleur respect de l’immunité des civils pourrait être aussi envisagée en dernier recours (D).

A. Les cas de légitime défense putative : une « participation instinctive[108] » aux hostilités

À suivre le CICR qui affirme sans ambages que la légitime défense n’est pas une PDH, c’est le lien de belligérance qui permet de faire cette distinction[109]. Dans les situations de doute comme celles que nous nous sommes attelés à signaler dans la seconde partie de notre étude, il préconise que : « Toutes les précautions pratiquement possibles[110] doivent être prises au moment de déterminer si une personne est une personne civile et, en ce cas, si cette personne civile participe directement aux hostilités. En cas de doute, la personne doit être présumée protégée contre les attaques directes[111] ». Cette solution est bien idéale, mais pas très réaliste, car l’on ne saurait s’attendre à ce que les combattants respectent cette présomption de l’immunité contre les attaques directes, lorsqu’ils sont en face de civils qui pourraient porter atteinte à leur propre intégrité physique ou à leur vie, eussent-ils un doute sur le fait qu’ils participent directement aux hostilités ou pas. Pour nous donc, puisque c’est le lien de belligérance[112] qui distingue fondamentalement la PDH de la légitime défense et d’autres types de comportements au cours des hostilités, la distinction devrait reposer essentiellement sur une approche téléologique de la participation. Partant de ce postulat, nous construisons l’image suivante à l’effet de regrouper toutes les situations d’incertitude : les comportements au cours des hostilités formeraient une médaille à double facette : la première représentant les implications dans les hostilités avec un lien de belligérance comme condition sine qua non et raison de la participation ; l’autre représentant les implications sans lien de belligérance. La première facette de la médaille correspond à la notion de PDH telle que définie par le Guide interprétatif, tandis que nous appellerons « participation instinctive » la seconde facette de la même médaille constituée par une autre forme de participation aux hostilités et qui est toutefois quasi consubstantielle à la notion de PDH. La participation instinctive regrouperait tous les actes d’hostilité des civils qui ont lieu au cours des hostilités entre les parties, mais sans un lien de belligérance : il s’agit des actes accomplis pour se défendre même si les conditions de la légitime défense ne sont pas réunies comme nous l’avons déjà vu en cas de légitime défense putative, et des actes commis par état de nécessité (entendu ici au sens du Statut de Rome)[113] etc. qui ne sont rien d’autre que des manifestations de l’instinct de survie. Ce sont les comportements téléguidés par l’instinct de conservation ou de survie et pas plus. La légitime défense et les autres types de comportements examinés dans notre deuxième partie sont des participations instinctives et comme telles, elles se distinguent a priori de la PDH par leur but : se défendre sans intention de nuire, ni de favoriser l’un des belligérants. En revanche, toute participation instinctive aux hostilités n’est pas une légitime défense au sens du Statut de Rome.

Tout acte d’hostilité d’un civil au cours des hostilités, autrement dit, toute participation aux hostilités serait soit directe/indirecte telle que définie dans le Guide, soit instinctive lorsque commandée par l’instinct de survie (en l’absence d’un lien de belligérance). Cette sorte de summa divisio ne vise qu’une meilleure protection. Lorsque tous les éléments de la PDH ne sont pas réunis, il s’agirait alors d’une participation instinctive et comme telle, elle ne porte pas atteinte à l’immunité contre les attaques directes. De même, la mort d’un participant instinctif aux hostilités ne devrait pas être considérée comme un dommage collatéral, mais plutôt comme un acte répréhensible passible de poursuites pénales lorsqu’elle a été occasionnée sans nécessité[114] par ses auteurs. Enfin, la participation instinctive aurait vocation à être une cause d’irresponsabilité pénale lorsqu’elle a été strictement proportionnelle au but de défense ou de protection. Elle pourrait dans le cas contraire être au moins une circonstance atténuante. La distinction ne saurait cependant être faite qu’au cas par cas en se servant d’indices qui ne sont pas autosuffisants ni des recettes magiques.

B. Des indices pour une distinction plus opérante

En sus des critères proposés dans le Guide pour cerner la notion de PDH aux fins de la distinguer d’autres comportements se produisant au cours des hostilités, il nous semble qu’il existe des éléments qui pourraient être pris en compte pour rendre plus efficaces ces critères en comblant leurs lacunes, en l’occurrence aux fins de la distinction entre PDH et légitime défense des civils. Toutefois, comme cela a été illustré par nos différentes hypothèses, il n’y a pas de critères universellement applicables et opérants dans toutes les circonstances. Cependant, des éléments indicatifs peuvent être exploités au cas par cas pour la distinction entre PDH et la légitime défense. Sans prétendre à l’exhaustivité ni à une hiérarchie entre eux, nous en examinerons successivement quelques-uns.

1. Le contexte

Le contexte nous semble un indice assez déterminant pour distinguer le civil qui participe directement aux hostilités de celui qui exerce son droit à la légitime défense. En effet, dans un contexte d’attaques illégales (directes) généralisées et d’assauts régulièrement lancés contre la population civile, il serait plus indubitable, du fait de l’existence d’un tel contexte de considérer les civils de cette population comme agissant en légitime défense plutôt que, comme prenant part aux hostilités. Lorsque des combattants, systématiquement s’en prennent aux civils, soit qu’ils pillent leurs biens, soit qu’ils se livrent à des viols, ou à d’autres crimes (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide ou même crimes de droit interne)[115], les actes hostiles commis par ces civils en retour seront plus facilement identifiables comme légitime défense et non comme une participation directe aux hostilités, puisque ces derniers ne commettent de tels actes que tant qu’ils sont l’objet d’attaques directes. Ainsi de même que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ont dans de nombreuses décisions, d’abord établi l’existence d’un contexte de politique génocidaire avant de qualifier certains comportements de génocide, par extrapolation, l’établissement d’un contexte d’attaques directes dirigées contre les civils, pourrait être de nature à faciliter une meilleure qualification du comportement des civils dans un tel contexte.

Par contre dans un contexte où les belligérants respectent au mieux le DIH et s’en prennent rarement, sinon jamais aux civils, l’on serait tenté de croire à l’existence d’un lien de belligérance lorsque ceux-ci commettent des actes d’hostilités. Cependant, cela ne saurait être le cas des civils qui sont pris en compte dans le calcul de la proportionnalité et qui sont considérés comme dommages collatéraux. Dans un tel cas, une présomption à tout le moins non irréfragable de lien de belligérance peut être soutenue, mais l’idéal serait d’accorder à ces civils (dommages collatéraux), l’immunité contre les attaques. Toutefois, même si cela est souhaitable, il ne serait pas réaliste de s’attendre à ce qu’une partie au conflit qui a choisi délibérément de violer le DIH, respecte au moins la règle de l’immunité des civils contre les attaques directes dans un tel contexte. En rappel, le contexte n’est qu’un indice et ne saurait être un critère magique, voire « passe-partout » jouable dans toutes les situations. Il pourrait être évalué avec d’autres éléments tout aussi non autosuffisants.

2. Le lien avec les hostilités

La PDH est une notion qui recouvre les actes spécifiques commis dans le cadre de la conduite des hostilités,

[n]otion intrinsèquement liée à des situations de CAI ou CANI. Par conséquent, la notion de participation directe aux hostilités ne peut pas faire référence à une conduite intervenant en dehors de situations de conflit armé (par exemple, en période de troubles intérieurs et de tensions internes, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues). Qui plus est, même en période de conflit armé, toute conduite ne fait pas nécessairement partie des hostilités[116].

Cela suppose une qualification claire au préalable de la situation générale qui prévaut avant la qualification du comportement individuel. Le lien avec les hostilités permet d’écarter très rapidement de la notion de PDH, les actes de violence commis en dehors des hostilités entre les parties à un conflit, c’est-à-dire en l’absence de « recours (collectif) par les parties au conflit à des méthodes et moyens de nuire à l’ennemi[117] ». Déterminer si une conduite individuelle a un lien ou s’inscrit dans le cadre des hostilités pourrait contribuer ainsi à bien distinguer la PDH de la légitime défense. Lorsqu’il est établi que la conduite s’inscrit dans la conduite des hostilités, on pourrait prendre en compte le contexte et aussi « les circonstances qui prévalent au moment et à l’endroit en question[118] » pour une définition plus certaine du comportement en cause.

3. Les circonstances du moment

Une évaluation des circonstances qui prévalent au moment de la conduite d’un civil est importante afin de qualifier cette conduite. En effet, si au moment où un civil accomplit des actes hostiles, il y a d’autres actes hostiles accomplis concomitamment par les combattants d’une partie au conflit à l’égard des civils, il serait plus facile et logique d’inscrire l’acte du civil soit parallèlement aux actes hostiles des combattants (en ce sens qu’il vise à soutenir ceux des combattants) soit transversalement (en ce sens qu’il vise à contrecarrer les actes hostiles des combattants) à ses actes. Cela permettrait d’établir l’existence d’un lien de belligérance. En sus de l’existence concomitante d’actes hostiles commis par des combattants, la cible attaquée et la nature de l’attaque au moment de la conduite d’un civil peuvent aider à établir l’existence ou non d’un lien de belligérance.

Concernant la cible attaquée, lorsqu’elle est un objectif militaire au sens de l’article 52, al 2 du PA I[119] ou une autre cible légitime telle qu’un combattant adverse, l’acte hostile d’un civil à ce même moment (qu’il facilite ou il vise à contrecarrer une telle attaque) pourrait être une indication de sa volonté de nuire à une partie au profit d’une autre. S’agissant de la nature de l’attaque, lorsqu’elle est conforme au DIH, (ou à d’autres corps de règles pertinentes en l’espèce) en ce sens qu’elle est dirigée contre une cible légitime dans le respect de la règle de proportionnalité et de précautions, les actes des civils au même moment seraient moins considérés comme une légitime défense et plus comme une PDH. Par contre lorsqu’il s’agit d’une attaque clairement contraire au DIH (soit qu’elle est indiscriminée ou directement dirigée contre des civils), la légitime défense serait plus envisageable. Ces circonstances objectives à prendre en compte s’étendent aussi à celles qui prévalent au lieu de la conduite en question.

4. Les circonstances relatives à l’endroit

Objectivement, les circonstances qui prévalent à l’endroit où un civil accomplit un acte hostile peuvent aider à l’identification du lien de belligérance, nécessaire pour distinguer la PDH de la légitime défense des civils. Notamment lorsque cet endroit est celui où les hostilités entre parties au conflit ont cours. La conduite d’un civil qui a lieu à l’endroit où les parties s’affrontent activement serait de nature à révéler un lien de belligérance, c’est-à-dire qu’elle pourrait être considérée comme spécifiquement conçue pour soutenir une partie au détriment d’une autre. Par contre les actes de violence commis par un civil à un endroit éloigné du lieu des hostilités (même si c’est en période de conflit) feraient difficilement partie du « recours collectif par les parties à des méthodes et moyens de nuire à l’ennemi »[120]. Une application au cas par des cas de ces éléments pourrait servir à la distinction entre PDH et légitime défense. Quid des conséquences de cette distinction ?

C. Les conséquences de la distinction et les défis de la pratique

La distinction entre PDH et légitime défense des civils aboutit à une identification claire et nette des cibles militaires légitimes conformément au principe cardinal de distinction, permettant ainsi une meilleure protection des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités. En outre, une autre conséquence de la distinction entre PDH et légitime défense des civils, c’est qu’elle va entrainer l’application de deux régimes juridiques différents. À la PDH s’appliquera le DIH, tandis que le DIDH, les règles relatives au maintien de l’ordre et au recours à la force létale, au droit international pénal ainsi que le droit pénal interne s’appliqueront aux cas de légitime défense (en plus éventuellement du DIH dès lors que la légitime défense se situe dans un conflit armé).

L’application du DIH aura pour effet que, lorsque des civils sont identifiés comme participant directement aux hostilités, ils perdent leur immunité contre les attaques directes et ne seront pas de ce fait pris en compte dans le calcul de la proportionnalité. Ils deviennent des cibles militaires légitimes et les nécessités militaires peuvent commander de ne pas les épargner, cette perte de protection étant toutefois temporaire, car elle ne remet pas en cause leur statut de civils[121] : c’est l’effet « porte tournante » de la protection accordée aux civils. Par ailleurs,

outre les limitations imposées par le DIH à l’emploi de certains moyens et méthodes de guerre spécifiques, et sous réserve de restrictions additionnelles pouvant être imposées par d’autres branches applicables du droit international, le type et le degré de force admissibles contre des personnes n’ayant pas droit à une protection contre les attaques directes ne doivent pas excéder ce qui est véritablement nécessaire pour atteindre un but militaire légitime dans les circonstances qui prévalent[122].

En outre lorsqu’ils sont capturés, les civils qui participent directement aux hostilités peuvent être pénalement poursuivis pour le simple fait d’avoir participé directement aux hostilités si cela est contraire à leur droit national[123] et indépendamment des crimes (crimes de guerre notamment) qu’ils auraient pu commettre lors d’une telle participation ; ce qui les rendra également passibles de sanctions pénales au plan international. De même, « toutes les précautions pratiquement possibles doivent être prises au moment de déterminer si une personne est une personne civile et, en ce cas, si cette personne civile participe directement aux hostilités. En cas de doute, la personne doit être présumée protégée contre les attaques directes[124] ». Les précautions pratiquement possibles sont définies comme celles qui sont « praticables ou qu’il est pratiquement possible de prendre eu égard à toutes les conditions du moment, notamment aux considérations d’ordre humanitaire et d’ordre militaire[125] ». Comme nous l’avions déjà fait remarquer, le respect de cette présomption d’immunité de protection des civils est obligatoire, seulement elle peut aussi mettre en danger la vie ou l’intégrité physique des personnes sur lesquelles elle pèse, si bien qu’il ne sera pas réaliste de la respecter dans tous les cas.

La légitime défense, elle, s’accommodera d’une application des normes relatives au maintien de l’ordre, au recours à la force létale, au droit international pénal et aux DIDH. C’est précisément le cas en matière de proportionnalité et de nécessité. N’étant pas une PDH, la légitime défense n’annihile pas en principe l’immunité contre les attaques directes. Par ailleurs, le Statut de Rome[126] incrimine le fait d’attaquer des civils qui ne participent pas directement aux hostilités. Ce faisant, attaquer des civils qui commettent des actes hostiles, mais en légitime défense serait un crime de guerre puisque la légitime défense n’est pas une PDH. À l’inverse, ni les statuts des juridictions pénales internationales, ni le DIH n’incriminent la PDH. Enfin tandis que la PDH doit être qualifiée, voire identifiée au moment du comportement en cause, la légitime défense, elle, sera généralement le fait d’une décision judiciaire intervenant ex post facto (assez souvent la question se pose lors d’une procédure judiciaire). Bien entendu, la décision judiciaire n’aura pas un effet constitutif, mais plutôt déclaratoire en ce sens qu’elle viendra entériner ou infirmer l’existence d’un fait objectif.

Au-delà de la présomption d’immunité de protection des civils en cas de doute, une autre précaution nous parait aussi raisonnable, réalisable, réaliste et surtout protectrice.

D. Le recours à la nécessité en tant que principe général de droit (PGD)

Dans les situations de doute et dans le cas des différentes hypothèses que nous avons examinées plus haut (participation instinctive), l’intérêt de la distinction entre PDH et légitime défense des civils, c’est la protection des civils contre les attaques directes ou les attaques par erreur, tant qu’ils bénéficient de l’immunité à eux reconnue. Or il n’y a pas véritablement de critères précis et efficaces jouant sempiternellement dans toutes les situations. Le but ultime de la distinction entre PDH et légitime défense et/ou d’autres conduites se produisant au cours de la conduite des hostilités étant la protection et le respect des civils par les combattants sans que ces derniers ne soient eux-mêmes inquiétés par ces civils qui n’ont pas le droit de PDH, (c’est à notre avis ce qui pourrait leur faire respecter la présomption qu’une personne est protégée contre les attaques directes), il serait possible à notre humble avis de requérir des combattants, lorsqu’ils sont face à des civils, l’application du principe de nécessité en cas de doute. Non pas celui de la nécessité militaire (notion de DIH), mais celui de nécessité en tant que PGD. Ainsi, en cas de doute sur le fait qu’une personne participe directement aux hostilités ou se défend légitimement, les combattants ne devraient lui nier l’immunité contre les attaques directes que si cela est nécessaire pour protéger leurs propres vies ou celle d’autrui. L’efficacité de cette précaution ne sera toutefois effective que si elle est construite sur la bonne foi de celui qui l’applique. Autrement dit, les combattants doivent être de bonne foi en déterminant la nécessité d’attaquer directement des civils pour lesquels il y a un doute sur leur participation directe aux hostilités.

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Au terme de notre analyse, le constat tangible et inexorable est celui de la nécessité d’identifier et de distinguer clairement la conduite constitutive d’une PDH d’autres conduites, en l’occurrence, la légitime défense des civils et les participations instinctives aux hostilités. Ce constat est d’autant plus inéluctable au regard des conséquences déplorables qui pourraient découler de la confusion des différents comportements au cours d’un conflit. L’analyse a également révélé qu’il n’existe malheureusement pas une formule magique et unique applicable à la mosaïque des situations complexes qui pourraient se présenter lors d’un conflit. Certaines situations risquant parfois même d’être dépourvues de qualification juridique précise[127], rendant la distinction entre PDH et légitime défense des civils difficile. D’où la proposition d’une nouvelle catégorie de participation aux hostilités : la participation instinctive. De même le réalisme exigé par la conduite des hostilités et le devoir de justice montrent que des civils tout comme des combattants pourraient être en danger, tant il est difficile d’établir le lien de belligérance dans un tel contexte de conduite des hostilités. Il y a toutefois des éléments et indices qui peuvent servir à établir l’existence d’un tel lien. La distinction entre PDG et légitime défense procède ainsi d’un exercice au par cas, même s’il y a lieu également de reconnaitre que des efforts ont été faits pour une meilleure compréhension de la notion de PDH, à l’effet de la distinguer des autres conduites. Ce qui n’apporte néanmoins pas de réponse définitive à la question de base. Cependant il faut admettre qu’un travail a été abattu par le CICR notamment, même s’il n’en demeure pas moins que beaucoup reste encore à faire au regard du nombre croissant des victimes civiles dans les conflits contemporains. Le Statut de Rome constitue également une contribution en ce sens. Mais il faudrait en outre et encore que les différentes controverses entourant tant la notion de PDH que celle de légitime défense soient sacrifiées sur l’autel de la protection de la vie avant la victoire finale. En attendant, la nécessité en tant que PGD, appliquée de bonne foi pourrait à tout le moins produire les effets d’une distinction qui semble être une mer à boire, si la bonne foi ne l’accompagne.