Recensions

Emmanuelle BRIBOSIA et Isabelle RORIVE, dir, L’accommodement de la diversité religieuse : regards croisés – Canada, Europe, Belgique, Bruxelles, Peter Lang, 2015[Record]

  • Louis-Philippe Lampron

Professeur titulaire en droits et libertés à la Faculté de droit de l’Université Laval.

Si la reconnaissance de l’universalisme des droits et libertés fondamentaux est une idée qui s’est largement répandue et imposée en Occident — voire à travers le monde — depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme en 1948, force est également de constater qu’elle n’a pourtant pas été la source d’une interprétation uniforme de la portée de ces mêmes droits et libertés au sein des différentes jurisprudences des systèmes (trans) nationaux qui en ont consacré la primauté. Et de tous les droits et libertés visés par cet universalisme de formulation, les dispositions protégeant le droit à l’égalité sont sans doute parmi celles à qui l’on doit reconnaître la plus forte polysémie, en ce qu’elles ont permis de multiples interprétations qui ont toutes eu pour effet d’élargir ou fortement restreindre le champ de protection de ce droit fondamental : quelle égalité entend-on protéger ? L’égalité formelle, réelle, des chances, substantielle ? Entend-on faire de ces dispositions des « garanties générales d’égalité » ou en limiter la portée à la seule interdiction de la discrimination directe, indirecte, systémique, et/ou positive, etc ? Toute analyse visant à démontrer/critiquer l’efficacité ou la légitimité des modèles (trans) nationaux de gestion des différentes formes de diversité, qu’elles soient sexuelles, raciales, nationales, politiques, religieuses, etc., variera en fonction de la position qu’on adopte sur la légitimité des choix que les gouvernements, législateurs et/ou instances responsables de la mise en oeuvre des lois sur les droits fondamentaux font par rapport à la portée des dispositions protégeant le droit à l’égalité. De cette même position découlera également l’acceptation (ou le rejet) de mécanismes juridiques particuliers comme les accommodements raisonnables, qui visent à opérationnaliser une conception très large du droit à l’égalité. Dans leur introduction générale, les professeures Bribosia et Rorive ont par ailleurs eu l’excellente idée d’avoir recours à une figure bien connue de l’auteur écossais Robert Louis Stevenson pour résumer les débats relatifs à la légitimité des accommodements raisonnables comme mécanisme juridique auquel une personne pourrait avoir recours pour assurer le respect de ses convictions religieuses : Pour plusieurs, trop d’écrits ont déjà été publiés sur la problématique des accommodements religieux (particulièrement depuis le début des années 2000) et de manière trop régulière pour qu’on puisse prétendre qu’il était nécessaire d’en publier un de plus. Pourtant, plusieurs éléments nous semblent justifier qu’on continue de vouloir garder vivants la réflexion et le dialogue sur cet outil de protection et d’intégration des membres des minorités religieuses au sein des États occidentaux, ne serait-ce que l’actuelle montée de discours (et partis politiques) d’extrême droite au sein de plusieurs États européens ou la remise en cause, de plus en plus importante et fréquente, du bien-fondé du caractère supra-législatif des droits et libertés fondamentaux. L’approche comparative (Canada-Belgique-Europe) de l’ouvrage n’est pas nouvelle, mais offre l’immense avantage de permettre au très solide groupe d’auteurs réuni par les codirectrices de nous offrir une analyse très complète et actuelle des enjeux sous-jacents à la place de la rhétorique de l’accommodement raisonnable dans la recherche (ou mise en place) d’une politique de gestion de la diversité consensuelle. À l’heure où les modèles archétypaux du multiculturalisme et du républicanisme — et les États phares qui en sont les porte-étendards comme le Royaume-Uni ou la France — sont en crise, une des forces de l’ouvrage est sans doute de mettre l’accent sur deux régimes nationaux, la Belgique et le Québec, qui ont tenté de mettre en place le modèle de l’interculturalisme qui, en théorie, devrait se trouver à mi-chemin entre le multiculturalisme et le républicanisme. L’ouvrage propose donc une série d’articles très riches, regroupés sous quatre des …

Appendices