Special Issue, September 2014 L’hégémonie dans la société internationale : un regard néo-gramscien Guest-edited by Marie-Neige Laperrière, Rémi Bachand and Violaine Lemay
Table of contents (6 articles)
Introduction
Études
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DU LIBÉRALISME NÉOCLASSIQUE : LA FRESHWATER SCHOOL COMME RÉPONSE À LA CRISE HÉGÉMONIQUE AMÉRICAINE DES ANNÉES 1960
Mathieu Cousineau DeGarie
pp. 15–31
AbstractFR:
Le libéralisme néoclassique, communément appelé néolibéralisme, est souvent perçu comme le vecteur de l’impérialisme américain dans le monde. Cependant, cet article vient nuancer cette affirmation en proposant que ce courant de pensée est né au sein de la Chicago School of Economics en tant que paradigme original à partir duquel étudier les enjeux critiques aux États-Unis des années 1960 et 1970. En appliquant un cadre d’analyse gramscien à l’analyse de la naissance de la théorie libérale néoclassique, nous revenons sur le contexte sociopolitique et économique de l’époque, caractérisé par une crise hégémonique mettant à mal le complexe État-société et appelant à une refonte du rôle de l’État américain dans le bloc historique. Nous croyons que le libéralisme néoclassique a constitué un élément fondamental de la nouvelle hégémonie nationale en permettant le retrait de l’État de son rôle central de maintien de l’économie et du filet social et en favorisant une approche positiviste et béhavioriste des sciences sociales et des politiques publiques. Finalement, nous terminons notre réflexion par une ouverture favorisant l’approfondissement des recherches sur le sujet du lien entre les courants de pensée et l’organisation du pouvoir dans nos sociétés.
EN:
Neoclassical Liberalism, commonly known as Neoliberalism, is often conceived as the vector of American imperialism in the world. However, this article intends to refine this statement by suggesting that this body of thought originated from the Chicago School of Economics as a novel paradigm with which to address the critical issues bearing upon the United States in the 1960s and 1970s. By applying a Gramscian analytical framework to the birth of the neoclassical liberal theory, we look back at the sociopolitical and economic context of the time, characterised by a hegemony crisis affecting the State-society complex and calling for a remodeling of the American State’s role in the historic bloc. We believe that Neoclassical Liberalism consisted in a fundamental element of the new national hegemony allowing a retreat of the State from its central role of sustaining the economy and the social safety net by promoting a positivist and behavioral approach to social sciences and policy-making. Lastly, we conclude our inquiry with an opening up of the studies on the subject looking to foster research on the relation between schools of thought and the power structure in our societies.
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COUNTER-HEGEMONY IN LATIN AMERICA? UNDERSTANDING EMERGING MULTIPOLARITY THROUGH A GRAMSCIAN LENS
Neil A. Burron
pp. 33–68
AbstractEN:
The rise of the “emerging economies” and the relative decline of US power hold forth the promise of a more multipolar and pluralistic world order. Perhaps nowhere is this as apparent as in the Americas, where left and centre-left governments have challenged the traditional imperialistic arrangements that have governed the region. What type of regional order will emerge in the Americas? How will this diverge from the current capitalist world order organized under the aegis of the Unites States? This article draws on classical Marxism and Gramscian thought to examine the interplay between hegemony and counter-hegemony in the Americas, focusing on Brazil, Bolivia, and Venezuela. By exploring the history and geopolitics of regional order, the emergence of the new left, and the ongoing dominance of the traditional oligarchy, it argues that counter-hegemonic change is still very much a work in progress.
FR:
L’ascension des économies émergentes et le déclin relatif du pouvoir des États-Unis promettent un ordre mondial plus multipolaire et pluraliste. Ceci est particulièrement vrai dans les Amériques, où les gouvernements de la gauche et de centre gauche ont mis au défi les structures impérialistes traditionnelles gouvernant la région. Quelle sorte d’ordre régional émergera dans les Amériques ? Comment s’écarte-t-il de l’ordre capitaliste actuel organisé sous l’égide des États-Unis ? Cet article s’appuie sur le marxisme classique ainsi que de la pensée gramscienne afin d’examiner l’interaction de l’hégémonie et de la contrehégémonie dans les Amériques, en mettant l’accent sur le Brésil, la Bolivie et le Venezuela. Par l’entremise d’une exploration de l’histoire et la géopolitique de l’ordre régional, de l’émergence de la nouvelle gauche, et de la dominance continue des oligarchies traditionnelles, il affirme que le changement contrehégémonique demeure toujours une oeuvre inachevée.
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LE DROIT INTERNATIONAL ET L’IDÉOLOGIE « DROITS-DE-L’HOMMISTE » AU FONDEMENT DE L’HÉGÉMONIE OCCIDENTALE
Rémi Bachand
pp. 69–97
AbstractFR:
S’inspirant des écrits du philosophe italien Antonio Gramsci et du courant néo gramscien de relations internationales, cet article examine les interventions militaires entreprises au cours de l’année 2011 par les États occidentaux (et avalisées par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies) en Libye et en Côte d’Ivoire. Il étaye la proposition selon laquelle l’une des fonctions fondamentales du droit international et de l’idéologie « droits-de-l’hommiste » est de légitimer ce type d’interventions militaires entreprises par les États – et principalement celles des États occidentaux – afin de défendre ce que ceux-ci considèrent comme étant leurs intérêts. Cette légitimation, qui se perçoit par la constitution du « consentement spontané » des différents acteurs du système international à l’endroit de l’ordre établi, est un moment constitutif de l’« hégémonie » occidentale et a comme effet de réduire la contestation face aux actes de coercition qui sont commis à travers le monde contre les groupes subalternes afin de défendre les intérêts des groupes dominants de la société internationale.
EN:
Drawing on the works of Italian philosopher Antonio Gramsci and neo-Gramscian international relations theory, this article examines the 2011 military interventions in Libya and the Ivory Coast by the West (and authorized by the United Nations Security Council). It posits that the primary function of international law and of “human rightist” ideology is to legitimize such State actions—especially those of Western States—to defend what they perceive to be their own interests. This legitimation, which is manifested by the “spontaneous consent” of different actors of the international system to the established order, is a constitutive moment of Western “hegemony” and has reduced opposition to the use of coercion against subaltern groups around the world to protect the interests of the dominant groups of the international society.
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HÉGÉMONIE(S) ÉMERGENTE(S) ? HÉGÉMONIE ET THÉORIES « POST-OCCIDENTALES » AU MIROIR GRAMSCIEN
Fabrice Argounès
pp. 99–116
AbstractFR:
L’hégémonie, à l’échelle globale ou régionale, est un thème récurrent au sein de la discipline des relations internationales et d’approches d’inspiration gramscienne ou néogramscienne. Ces approches prennent en compte, par delà la puissance économique et militaire, l’existence d’un modèle de gouvernance globale appuyé par des normes qui soutiennent une idée d’universalité et une image d’un ordre mondial, et issu de l’expérience européenne, entre étatisation et colonisation, jusqu’aux expériences hégémoniques, anglaises puis américaines, leurs normes et leurs institutions. Les études néogramsciennes donnent à voir un modèle hégémonique occidental en même temps qu’elles forment un appareil critique de référence pour le comprendre. Cet article élargit ces références à des modèles hégémoniques non occidentaux liés aux théories dites « postoccidentales », qui n’entrent que rarement dans les réflexions contemporaines, en dépit d’une évolution rapide du système international au profit d’acteurs émergents, et en particulier de la Chine. Celle-ci est un sujet d’étude légitime pour les thèmes néogramsciens, entre élargissement de la classe sociale dominante au niveau global (transpacifique) ou modèle contrehégémonique. Au-delà, les discours universels postoccidentaux, notamment chinois, pourraient être comparables au modèle hégémonique issu des réflexions gramsciennes, à travers une épistémé propre à la domination considérée. Enfin, à partir de l’exemple hégémonique, la compatibilité entre les approches gramsciennes et non occidentales – et les critiques sur l’eurocentrisme subliminal ou l’orientalisme « soft » – est examinée afin de comprendre les enjeux de l’émergence d’approches théoriques concurrentes du grand récit centré sur le monde atlantique, dominant dans la discipline des relations internationales.
EN:
Hegemony, on a global or regional scale, is a recurring theme in international relations and in Gramscian-inspired and neo-Gramscian theory. In addition to economic and military power, these approaches take into account the existence of a model of global governance, which is guided by standards that promote universality and world order, and their norms and institutions, which are derived from the European experience from the establishment of State control and colonization to the hegemonic experiences of Britain and the United States. Neo-Gramscian perspectives provide not only important insight into the model of Western hegemony, but also a critical reference point for understanding said views. This article extends these approaches to non-Western hegemonic models of so-called “post-Western” theories, which, despite a rapidly changing international system that favors emerging actors, especially China, are rare in contemporary analysis. Whether it be the rise of the global (transpacific) ruling class or the counter-hegemonic model, this is a valid area of neo-Gramscian research. Moreover, post-Western universal discourses, particularly those of the Chinese, could be regarded as a hegemonic, in the Gramscian sense, episteme of domination. Finally, drawing from the concept of hegemony, the similarity between Gramscian and non-Western perspectives—and the critiques of subliminal Eurocentrism or “soft” Orientalism—is examined to understand the issues surrounding the emergence of competing theoretical approaches in the grand narrative of the Atlantic world that prevails in international relations.
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NORMES ISO, DROIT INTERNATIONAL ET ÉMANCIPATION DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT : ÉCLAIRAGES (ET IMPASSES) DE PERSPECTIVES D’ÉCONOMIE POLITIQUE INTERNATIONALE
Nafi Niang
pp. 117–145
AbstractFR:
Cette contribution cherche à mieux cerner une dimension particulière des rapports entre la normalisation technique et les rapports Nord-Sud, celle qui affecte son étude même. Elle s’inspire des réponses apportées par des perspectives d’économie politique internationale afin d’établir un dialogue avec les approches critiques en droit international. Dans cette optique, elle examine d’abord comment les normes publiées par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) véhiculent une conception du monde qui pose l’intégration des pays structurellement dominés en termes de nécessitarisme. Elle évalue par la suite les réponses apportées à cette idéologie par des perspectives d’économie politique international pertinentes. L’analyse examine enfin comment le moment postcolonial en économie politique internationale peut enrichir le débat. Nous avançons la thèse que, si c’est l’émancipation des pays structurellement dominés qui est la question qui intéresse le chercheur, cela requiert de la poser comme première dans l’analyse. Le recentrement sur la capacité d’agir des acteurs dominés qui en découle permettrait de rendre compte des contraintes structurelles qui font des pays en développement des preneurs de normes ISO tout en ne réduisant pas leur capacité d’agir à une conséquence immédiate de ces contraintes.
EN:
This paper explores the relationship between international standards and North-South relations. To do so, it establishes a dialogue between international political economy perspectives and critical approaches in international law. The paper examines first how International Organization for Standardization (ISO) standards convey a worldview in terms of necessitarianism. It then evaluates the responses given to this ideology by relevant international political economy perspectives. Finally, the paper examines postcolonial insights in the debate. We argue that the emancipation of structurally dominated countries should be addressed as the analytical starting point. A focus on the agency of dominated actors would highlight the structural constraints that lead developing countries to endorse ISO standards while not reducing their agency to material constraints.