Comptes rendus

« Causer musique par la rencontre de l’image et du verbe ». Compte rendu de Conversation imagée 2019-2021, par Georges Aperghis et Nicolas Donin, Écrits de compositeurs/Entretiens, Paris, Philharmonie de Paris Éditions, 2022, 232 pages[Record]

  • Jimmie LeBlanc

Dans Conversation imagée 2019-2021, paru en 2022 aux Éditions de la Philharmonie de Paris, le musicologue et professeur à l’Université de Genève Nicolas Donin s’entretient avec Georges Aperghis (1945-), compositeur français d’origine grecque notamment reconnu pour sa pratique artistique au carrefour du théâtre musical, de la musique de concert et de l’opéra. Réjouissons-nous de cette parution qui non seulement renouvelle la forme de l’entretien, mais permet également de découvrir des dimensions encore peu explorées de l’univers et de la sensibilité du compositeur. Le choix de mettre l’image au coeur de l’ouvrage s’appuie en outre sur l’importance du médium visuel dans la vie et la pratique d’Aperghis, lui-même né de parents artistes et dont la première vocation fut la peinture. Cette approche de la conversation imagée nous éloigne d’emblée du discours technique ou musicologique conventionnel, pour mieux saisir une démarche en mouvement, capturée à travers une structure qui se détermine au fil des échanges menés avec une liberté toute naturelle et complice. Le livre est basé sur une « quinzaine d’entretiens à bâtons rompus » (p. 8) menés de 2019 à 2021, et la table des matières donne le ton avec une disposition graphique en diagonale, énumérant les titres de chapitres sous forme de mots évocateurs dont on comprendra rapidement qu’ils agissent comme des « aimants » attirant chaque fois à eux un ensemble d’idées et d’images plus ou moins hétérogènes, mais permettant toujours l’esquisse cartographique d’un certain territoire. Le chapitre 1, « Visio » (p. 11-22), relate le dernier échange à l’origine du livre, réalisé en visioconférence le 14 novembre 2020, en plein coeur de la pandémie de covid-19 et de la crise électorale américaine. La discussion tourne naturellement autour de l’oeuvre Luna Park (2011), dans laquelle Aperghis semble avoir préfiguré l’isolement de la période pandémique avec ses personnages enfermés dans des boîtes et communiquant avec le monde extérieur par un dispositif vidéo (p. 14-15), et « l’idée d’une auto-surveillance dans tout ce que l’on fait » (p. 16). Donin conduit habilement cet entretien, ainsi que tous les autres, toujours de manière à tisser des liens entre des problématiques humaines, sociales ou artistiques et une sélection d’oeuvres du compositeur, de laquelle il dégage d’importants axes esthétiques. « Matrices » (chap. 2, p. 23-44) s’ouvre sur une photo d’Aperghis dans son atelier de Saint-Cloud, en 1987, se tenant debout entre une table de travail et une bibliothèque encombrées d’objets de toutes sortes, entouré de dessins et d’affiches tapissant murs et plafond. Ce chapitre nous fait découvrir l’univers d’atelier dans lequel le compositeur a toujours vécu, à commencer par la maison familiale où lui-même dessine, découpe et peint. Une image nous montre une oeuvre du jeune artiste en forme de collage plutôt géométrique qui préfigure l’esprit constructiviste qui caractérisera ses procédés compositionnels. Aperghis relate que certaines oeuvres de son père ont marqué sa sensibilité pour le matériau musical « en ce que ces surfaces ne sont pas données comme lisses » (p. 33), et nous apprenons dans la foulée qu’il a aussi pratiqué la photographie, avec des images de la ville de Corfou dont les prises de vue témoignent d’une « géométrie spatiale singulière, […] suspendant pour un instant la signification urbaine ou sociale [des] formes pour libérer en elles un jeu de masses, de nuances et de grains » (p. 41). « Translations » (chap. 3, p. 45-60) nous fait glisser de l’univers pictural à la musique, lorsqu’on raconte comment Aperghis quittera, dans le même élan, sa Grèce natale et la peinture, pour se rendre à Paris, en 1963, étudier la direction d’orchestre et la composition. Son chemin, sous …

Appendices