L’opéra est un genre hybride depuis ses débuts. Né au xviie siècle de la fusion de la musique et du théâtre, l’art lyrique a rapidement développé une dimension scénographique dans laquelle la technologie joue depuis toujours un rôle de premier plan : pensons, par exemple, aux machineries complexes de l’opéra baroque, qui permettaient, selon les besoins dramatiques de l’oeuvre, de convoquer les dieux sur scène ou d’y faire tomber la foudre. L’arrivée des technologies de communication modernes que sont le cinéma, la radio, la télévision et la vidéo a par ailleurs profondément transformé le paysage culturel et médiatique dans lequel s’inscrit l’opéra, en même temps que les technologies électroniques puis numériques ouvraient de nouvelles possibilités pour l’art lyrique. Il en a résulté des productions qui explorent un nouveau type d’hybridité, par exemple entre l’opéra et le cinéma : il y a plus d’un siècle, c’était Georges Méliès et Alice Guy-Blaché avec leurs vues animées d’opéras comme Faust, suivi·e·s par des artistes tels Jean-Pierre Ponnelle et Gian Carlo Menotti, qui ont su façonner des opéras adaptés aux spécificités du médium cinématographique. Plus récemment, les technologies numériques ont fait leur entrée sur la grande scène par l’entremise des projections vidéo intégrées à la scénographie, telles qu’on les retrouve dans Rosa (1994) et Writing to Vermeer (1999) de Peter Greenaway, ou encore dans l’immense cycle de L’Anneau du Nibelung de Wagner mis en scène par Robert Lepage au Metropolitan Opera en 2012-2013. La rencontre entre l’opéra et les technologies est un sujet autour duquel s’est formé un petit, mais robuste champ d’études. Les échanges entre opéra et cinéma ont ainsi fait l’objet de plusieurs ouvrages, dont ceux signés par Marcia Citron (2000, 2005, 2010 et 2017), Jeongwon Joe (2012 et 2013, et Gilman 2010) et Joe avec Rose Theresa (2012). D’autres ont choisi de se concentrer plus spécifiquement sur l’impact des « nouvelles technologies » sur la façon de performer sur scène (Dixon 2015), ou encore sur la scène elle-même (Vincent 2021). D’autres encore ont choisi de se pencher sur l’hybridité au coeur de l’opéra lui-même, déjouant ainsi l’idée d’une « transformation » du genre par les nouvelles technologies pour développer plutôt une lecture de l’opéra marquée par une intermédialité fondamentale. C’est ce que fait Tereza Havelková dans son ouvrage Opera as Hypermedium. Meaning-making, Immediacy, and the Politics of Perception (2021). On retrouve dans ces différentes publications un souci pour les mutations qui peuvent se produire quand un genre au riche héritage comme l’opéra fait la rencontre de nouveaux modes d’expression ou de diffusion. Ce même souci traverse les différents textes réunis dans ce numéro de la Revue musicale oicrm (rmo), dont le but est d’explorer la relation entre l’opéra et les nouvelles technologies, notamment la réalité virtuelle, augmentée ou mixte. Dans un premier temps, l’objectif des différents articles ici rassemblés est de montrer comment ces technologies modifient et redéfinissent le genre lyrique, tout en cherchant à comprendre pourquoi l’intégration des nouvelles technologies est moins fréquente dans l’opéra que dans d’autres arts de la scène. Les notes de terrain qui complètent ce numéro visent par ailleurs à proposer une nouvelle approche de la recherche-création appliquée à l’opéra, par le biais d’une réflexion théorique, de son application pratique et d’une mise en dialogue de créateur·rice·s, artistes et chercheur·euse·s. Des articles aux notes de terrain, les sujets abordés dans les pages qui suivent brossent un portrait de l’opéra au xxie siècle qui met en relief le fruit des rencontres avec des médias comme la télévision, le cinéma et Internet, mais aussi avec les nouvelles technologies immersives que sont la réalité …
Appendices
Bibliographie
- Cachopo, João Pedro (2014), « Opera’s Screen Metamorphosis. The Survival of a Genre or a Matter of Translation? », The Opera Quarterly, vol. 30, no 4, p. 315-329, https://doi.org/10.1093/oq/kbu013.
- Citron, Marcia J. (2000), Opera on screen, New Haven, Yale University Press.
- Citron, Marcia J. (2005), « Subjectivity in the Opera Films of Jean-Pierre Ponnelle », The Journal of Musicology, vol. 22, no 2, p. 203-240, https://doi.org/10.1525/jm.2005.22.2.203.
- Citron, Marcia J. (2010), When Opera Meets Film, Cambridge, Cambridge University Press.
- Citron, Marcia J. (2017), « Opera and film », dans David Neumeyer (dir.), The Oxford Handbook of Film Music Studies, New York, Oxford University Press, p. 44-71.
- Dixon, Steve (2015), Digital Performance. A History of New Media in Theater, Dance, Performance Art, and Installation, Cambridge, The mit press.
- Joe, Jeongwon (2012), « The Cinematic Body in the Operatic Theater. Philip Glass’s La Belle et la Bête », dans Joe et Theresa 2012, p. 59-73.
- Joe, Jeongwon (2013), Opera as Soundtrack, New York, Routledge.
- Joe, Jeongwon, et Sander L. Gilman (2010), Wagner and Cinema, Bloomington, Indiana University Press.
- Joe, Jeongwon, et Rose Theresa (dir.) (2012), Between Opera and Cinema, New York, Routledge.
- Havelková, Tereza (2021), Opera as Hypermedium. Meaning-making, Immediacy, and the Politics of Perception, Oxford, Oxford University Press.
- Mason, Colin (1964), « Television Opera », Tempo. A Quarterly Review of Modern Music, no 70, p. 1, https://doi.org/10.1017/S0040298200032976.
- Theresa, Rosa (2012), « From Méphistophélès to Meliès. Spectacle and Narrative in Opera and Early Film », dans Joe et Theresa 2012, p. 1-18.
- Vincent, Caitlin (2021), Digital Scenography in Opera in the Twenty-first Century, Londres, Routledge.