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Lors de la pandémie de covid-19, les écoles du Québec ont dû fermer leurs portes le 15 mars 2020 pour limiter les contacts sociaux et ainsi contrôler la transmission du virus. Si dans certaines régions moins affectées les établissements scolaires ont pu offrir un enseignement en présentiel en avril 2020, d’autres, notamment dans la région de Montréal et de Joliette, ont dû basculer vers l’enseignement à distance jusqu’aux vacances d’été. Ainsi, cette situation a donné lieu à une diversification des modalités d’enseignement : à distance, en présence avec distanciation et mesures barrières, et une combinaison des deux, l’enseignement bimodal. Dans le but de mieux comprendre de quelle façon les pratiques des enseignant·e·s de musique ont été affectées, nous avons mené une enquête auprès de 517 enseignant·e·s en musique de différentes régions du Québec. La présente note de terrain constitue un premier regard sur l’expérience vécue pendant la pandémie, fournissant ainsi un complément à l’article « Développement d’outils pour l’analyse des ressources numériques utilisées pour l’enseignement de la musique en contexte scolaire québécois pendant la pandémie » publié dans le présent numéro spécial. Nous y aborderons les points suivants : les modalités d’enseignement utilisées, les réaffectations et les changements dans les tâches enseignantes, les impacts de la pandémie sur les lieux physiques, le temps consacré à la planification, les ressources consultées pour développer les compétences numériques, la motivation des enseignant·e·s ainsi que les formations auxquelles ils/elles ont pris part.

Participant·e·s

Un sondage électronique a été diffusé en ligne entre le 21 septembre et le 30 octobre 2020 par les associations professionnelles d’enseignant·e·s en musique, soit la Fédération des associations des musiciens éducateurs du Québec (fameq), la Fédération des harmonies et des orchestres symphoniques du Québec (fhosq) et la Quebec Music Education association (qmea), ainsi que par différents groupes Facebook (Profs de musique du Qc, Enseignement de la musique au primaire, Enseigner la musique autrement, Enseignons le ukulélé) et nos réseaux personnels. Les conseiller·ère·s pédagogiques des différents centres de services scolaires ont aussi été invité·e·s à diffuser l’invitation. Disponible sur la plateforme Alchemer, ce sondage comportait trois sections et 101 questions. Certaines étaient des questions à choix multiples, alors que d’autres étaient des questions ouvertes, permettant aux répondants de développer leur pensée. 517 personnes enseignant la musique dans les écoles sur une possibilité de 2168 ont répondu au sondage, constituant une marge d’erreur de 4 % avec un niveau de confiance de 95 %, ce qui permet de tirer des conclusions statistiques valides. 88 % des personnes travaillaient dans une école publique et 85,5 % à l’intérieur d’un programme régulier de musique. 66 % enseignaient au primaire, 31 % au secondaire, alors que 3 % avaient une tâche impliquant les deux ordres d’enseignement. Les participant·e·s étaient surtout concentré·e·s dans les régions de Montréal (22 %) et de la Montérégie (22 %), qui sont également parmi les régions les plus populeuses de la province. Certaines régions, comme Laval avec seulement 4 %, sont sous-représentées en fonction de leur poids démographique réel (figure 1). Concernant le nombre d’années d’enseignement, l’écart entre les participant·e·s était marqué, allant d’un an à plus de 41 ans d’expérience, avec une moyenne de 13 années d’enseignement (figure 2). Les 517 personnes ont répondu aux deux premières sections du sondage concernant la situation vécue au printemps 2020, mais près d’une centaine ont abandonné à la dernière section, consacrée à l’automne 2020, ce qui donne un total de 424 enseignant·e·s ayant complété le sondage en entier.

Figure 1

Répartition géographique des participant·e·s à l’enquête.

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Figure 2

Nombre d’années d’expérience en enseignement.

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Le sondage

Dans la première section du sondage, les participant·e·s étaient invité·e·s à donner leur consentement, puis répondre à des questions sociodémographiques permettant d’identifier leur situation professionnelle ainsi que les formations suivies en enseignement à distance et en technologies de l’information. Dans la deuxième partie, les répondant·e·s étaient divisé·e·s selon les modalités d’enseignement (présentiel, distanciel, bimodal) qui prévalaient dans leur école au moment de la reprise de l’activité pédagogique en avril 2020, après la fermeture de tous les établissements le 15 mars. Les sujets abordés concernaient la disponibilité et l’utilisation de différentes ressources numériques en soutien à l’enseignement, ainsi que l’application des différentes mesures sanitaires (équipements, changements dans les lieux physiques d’enseignement). De plus, plusieurs questions portaient sur la modification aux tâches, la préparation de l’enseignement, les pratiques musicales et pédagogiques poursuivies ou cessées, les contenus enseignés et évalués, la perception de la motivation des personnes enseignantes et des élèves ainsi que la participation des élèves. La troisième et dernière section proposait sensiblement les mêmes questions que la précédente, en se concentrant sur la rentrée de l’automne 2020. Le sondage se terminait avec la possibilité pour les participant·e·s de donner des informations et des commentaires supplémentaires.

Résultats

Les modalités d’enseignement font partie des éléments ayant été grandement affectés par la pandémie. Seuls 36 % des enseignant·e·s de musique ont continué à enseigner exclusivement en personne lors de la première vague de la pandémie au printemps 2020, alors que 83 % étaient de retour en présentiel à l’automne 2020 (tableau 1). Davantage d’enseignant·e·s ont utilisé une combinaison de modalités, présentielle et en ligne, lors de la deuxième vague de l’automne, 16 % contre 6 % au printemps. De nombreux enseignant·e·s ont dû cesser leurs activités d’enseignement au printemps et ne rapportent donc pas d’informations concernant les modalités d’enseignement durant cette période. En effet, plus du quart des enseignant·e·s (28 %) n’ont pu poursuivre leurs activités pédagogiques, certain·e·s ayant été réaffecté·e·s à d’autres tâches.

Tableau 1

Modalités d’enseignement utilisées au printemps et à l’automne 2020.

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Parmi les enseignant·e·s de musique réaffecté·e·s au printemps 2020, 19 % sont devenus titulaires de classe, abandonnant ainsi leur rôle de spécialiste, 17 % se sont consacré·e·s à des tâches administratives ou à du soutien technologique, alors que 12 % sont passé·e·s du secondaire au primaire (tableau 2)[1]. Seulement 3 % rapportent avoir perdu leur emploi. Ces réaffectations sont principalement dues à l’arrêt des cours de musique pour des raisons sanitaires (37 %) et à un manque de personnel (23 %). Rappelons que la réouverture des écoles était conditionnelle à la distanciation des élèves dans les salles et que des groupes classes ont dû être divisés, requérant plus de locaux et d’enseignant·e·s. Dans la catégorie « Autres » du tableau, on retrouve différentes raisons telles qu’un congé avec traitement différé, la retraite ou une réorientation.

Tableau 2

Changements de tâches des enseignant·e·s lors de la première vague au printemps 2020.

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Comme le montre le tableau 3, certains enseignant·e·s ont dû mettre fin aux cours de musique en raison d’un manque d’espace. Cela révèle l’impact qu’a eu la peur de la transmission du virus en fonction des lieux physiques où était dispensé l’enseignement. Bien que moins de 20 % des répondant·e·s ne rapportent aucun changement, la vague du printemps 2020 a été marquée par des modifications, autant pour ceux et celles qui ont poursuivi l’enseignement en présentiel que pour ceux et celles qui ont utilisé le bimodal (tableau 4). L’impact plus fréquemment mentionné est l’enseignement de la musique dans la classe principale des élèves, suivi d’une diminution du nombre d’élèves par classe. Seulement 4 % des enseignant·e·s qui enseignaient exclusivement en présentiel ont dû arrêter complètement d’enseigner la musique. Les autres changements mentionnés concernent l’enseignement à partir de la maison (en ligne), l’utilisation de locaux plus grands et la réorganisation de l’espace habituel.

Tableau 3

Facteurs justifiant les réaffectations des enseignant·e·s en musique au printemps 2020.

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Tableau 4

Impacts de la pandémie sur les lieux physiques lors de l’enseignement présentiel et bimodal au printemps 2020.

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La transformation des modalités d’enseignement d’une pratique exclusivement présentielle à un système à distance ou bimodal a par ailleurs entraîné une augmentation considérable du temps de préparation (tableau 5). Si l’on recoupe les participant·e·s ayant mentionné avoir consacré plus de temps et beaucoup plus de temps que d’habitude à la planification de leur enseignement, on constate que 60 % des enseignant·e·s ayant travaillé exclusivement en ligne et 100 % de ceux qui ont enseigné en bimodale ont consacré plus de temps à cette tâche.

Tableau 5

Impacts de la pandémie sur le temps de préparation pour l’enseignement présentiel et bimodal au printemps 2020.

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Le passage vers l’enseignement en ligne a par ailleurs forcé les enseignant·e·s à maîtriser de nouvelles compétences numériques. Ils/elles se sont tourné·e·s vers différentes ressources pour les aider dans cette démarche (tableau 6) et ont eu principalement recours à leurs pairs et aux sites internet spécialisés.

Tableau 6

Les ressources consultées pour développer les compétences numériques au printemps 2020.

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Tous ces ajustements et efforts d’adaptation semblent avoir eu un impact sur la motivation des enseignant·e·s (tableau 7). Autant pour l’enseignement à distance qu’en bimodal, une grande majorité des répondant·e·s rapporte avoir eu une motivation plus faible ou beaucoup plus faible, alors que seulement le quart rapporte que leur motivation a été peu affectée.

Tableau 7

Motivation des enseignant·e·s au printemps 2020.

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Parmi les répondant·e·s au sondage, 67,7 % ont indiqué avoir suivi une formation en lien avec le travail au printemps 2020[2]. Nous avons voulu savoir qui offrait ces formations, selon quelles modalités, ainsi que les sujets traités. Le tableau 8 indique que ce sont celles dispensées par les employeurs qui ont été les plus populaires, suivies de celles offertes par les associations professionnelles, les particuliers, puis les universités. Ces chiffres indiquent également que les enseignant·e·s ont souvent suivi plus d’une formation.

Tableau 8

Instigateurs des formations suivies au printemps 2020.

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Les enseignant·e·s ont utilisé différentes modalités pour se former et obtenir de l’information. Le tableau 9 indique qu’ils/elles ont eu tendance à privilégier principalement l’autoformation, suivie des formations offertes en présence d’un formateur en ligne, puis du partage d’idées avec des pairs ou des experts sur Zoom et Facebook.

Tableau 9

Modalité des formations suivies au printemps 2020.

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Nous avons également voulu connaître le sujet des formations suivies au printemps 2020 et ce qui avait été effectivement utilisé par la suite en classe. Le tableau 10 permet de comparer les contenus sur lesquels portaient les formations ainsi que les types de ressources qui ont par la suite été utilisées à la reprise de l’activité pédagogique en avril 2020. Notons que les données concernant les ressources utilisées en classe incluent celles des 167 enseignant·e·s qui n’ont pas suivi de formation.

Tableau 10

Comparaison entre les formations suivies selon le type de ressources et leur utilisation en classe au printemps 2020.

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Discussion

Ces premiers résultats partiels permettent d’observer les grands changements qui sont survenus en enseignement de la musique pendant la première vague de la pandémie au printemps 2020 : modalités, lieux, tâches, préparation, motivation et formation. Les enseignant·e·s ont clairement rapporté des difficultés, mais également une attitude renouvelée d’entraide et de partage. 

Certaines des difficultés identifiées par nos participant·e·s ont trait à l’organisation scolaire, au surplus de travail ainsi qu’au stress induit par la peur, la lourdeur des mesures sanitaires et la planification de l’enseignement :

Comme [l’enseignement de] la musique se fait dans la classe des titulaires, tout doit être modifié… Ne serait-ce qu’au niveau de l’organisation et de l’espace qui ne correspondent aucunement aux besoins d’un spécialiste en musique. Chacune de mes 21 classes étant naturellement organisée différemment, je dois m’adapter sur tous les aspects (espace, [matériel informatique], disposition des élèves, instrumentation [les instruments disponibles], etc.) et ce, dans chacune d’entre elles. L’organisation et la planification des cours sont beaucoup plus longues et complexes… La fatigue intellectuelle est intense…

P611[3]

De plus, certaines particularités liées à l’enseignement de la musique, telles que l’utilisation de plusieurs instruments, dont certains à vent, ou les déplacements fréquents dans la classe ont été lourdes à porter pour plusieurs : « Stress de l’incertitude, peur de devenir un lieu de propagation » (P371).

Les facteurs énumérés plus haut semblent avoir eu un impact plutôt négatif sur la motivation des enseignant·e·s. En revanche, cette situation les a forcés à amorcer une réelle transformation dans l’utilisation du numérique, à obtenir de la formation supplémentaire et à créer de nouvelles collaborations entre pairs. À cet égard, les données indiquent que les enseignant·e·s ont été activement engagé·e·s en suivant plus d’une formation sur des sujets variés et selon différentes modalités. Sans surprise, les formations offertes par les employeurs ont été les plus populaires et l’utilisation des plateformes en ligne a été le sujet de formation le plus cité par les répondants. Rappelons qu’à la reprise des activités pédagogiques en avril 2020, l’enseignement en ligne ou bimodal a été le quotidien de plusieurs de nos répondant·e·s. Mais ces formations n’ont pas suffi : « Avec la cs [commission scolaire], les formations portaient uniquement sur l’utilisation des outils (comme Teams), la définition du mot “présentiel” et la différence entre les mots “synchrone” et “asynchrone”. On partait de loin !!!! » (P127).

De toute évidence, les institutions ont été fort dépourvues au printemps 2020 et les formations offertes n’ont pas semblé répondre aux besoins des enseignant·e·s : « [R]ares sont les formations destinées aux enseignant·e·s en musique et quand il y en a, c’est de la formation très diluée et peu efficiente » (P75). C’est probablement une des raisons qui expliquent la popularité de l’autoformation et du recours aux pairs pendant cette période. Ce type de formation, plus souple, répondait certainement davantage aux besoins immédiats des enseignant·e·s. Elle a été rendue possible grâce à l’entraide entre pairs et réalisée dans des cadres informels (réseaux sociaux, initiatives personnelles), offrant une avenue pour la formation continue :

Un gros merci à mes collègues de musique qui ont partagé sans compter leur savoir et leur découverte sur des pages Facebook. Ils ont été de loin les plus efficaces et les plus compétents. J’ai découvert une série d’applications et j’ai pu avoir des réponses pertinentes, rapidement, diversifiées, non biaisées.

P155

Certains éléments positifs sont donc ressortis de cette situation. Les enseignant·e·s ont rapporté en avoir tiré des pratiques d’entraide et de partage renouvelées. Ils/elles ont également clairement identifié des besoins pour une offre de formation professionnelle disciplinaire mieux adaptée aux besoins du milieu, ce qui constitue également une occasion pour les chercheurs de mieux comprendre le milieu scolaire.

Limites

Une des limites de notre étude est intrinsèque à l’outil de cueillette que nous avons choisi, le sondage, qui génère des données autorapportées. Cependant, les résultats de notre enquête fournissent des informations sur la perception qu’avaient les enseignant·e·s de leur situation au moment où ils/elles ont répondu au sondage. D’ailleurs, le moment choisi pour le diffuser constitue une limite supplémentaire, car les participant·e·s y ont répondu à l’automne 2020 au moment de la rentrée, offrant peu de recul face à la situation. La forme du sondage, en ligne, avec sa diffusion par courriel et sur différentes pages Facebook, a par ailleurs certainement favorisé la participation d’enseignant·e·s plus familiers avec le numérique, ayant déjà un préjugé favorable envers la technologie et actif·ive·s sur les réseaux sociaux.

Prochaines étapes

Cette recherche visait à documenter les pratiques en enseignement de la musique en contexte scolaire pendant la pandémie et à générer une réflexion quant aux conséquences de ces bouleversements sur les besoins de formation initiale et continue des musicien·ne·s éducateur·rice·s. Pour ce faire, nous avons mis en place une enquête nous permettant de mieux comprendre la réalité vécue par les enseignant·e·s dans les écoles québécoises. Ce sondage nous a permis de recueillir des données riches et diverses que nous continuons à analyser de manière quantitative et qualitative. Cette note de terrain offre donc un premier regard sur cet épisode historique. Par ailleurs, avant de procéder à l’analyse des données issues du sondage, nous avons recensé les outils numériques disponibles en ligne pour l’enseignement de la musique. Nous avons par la suite élaboré une typologie afin d’identifier la nature de ces ressources et développé un modèle conceptuel opératoire permettant une compréhension de l’utilisation des ressources numériques. Cette démarche, de même que les modèles élaborés, sont présentés dans notre article publié dans le présent numéro. De plus, comme l’utilisation des ressources numériques par les enseignant·e·s était au coeur de notre sondage, nous pourrons éventuellement procéder à leur analyse grâce aux modèles théoriques maintenant disponibles.