Comptes rendus

Dialectique de la pop, d’Agnès Gayraud, Paris, Cité de la musique – Philharmonie de Paris/La Découverte, 2018, 521 pages[Record]

  • Alice Boccara-Lefèvre

L’ouvrage d’Agnès Gayraud, Dialectique de la pop, est une somme d’esthétique musicale au projet à la fois vaste et humble : « dégager la forme pop, en prenant le temps des médiations » (« Introduction », p. 9), c’est-à-dire définir sous un angle avant tout esthétique mais informé historiquement et sociologiquement la pop, cet objet musical à la fois si proche de nous et si vaste qu’on peine à le définir formellement. À la fois culture et industrie, émancipation formelle et respect des normes, succès commercial et refus de s’y plier : la complexité et les nombreux paradoxes de la pop la rendent souvent difficile à appréhender au-delà d’une analyse circonscrite à un courant musical particulier ou à un·e interprète. Pourtant, la pop se pense elle-même, de façon réflexive et dialectique. C’est là tout l’enjeu du livre, qui applique une démarche philosophique à l’étude de la pop en s’intéressant aux paradoxes qui la fondent. L’ouvrage est divisé en deux parties inégales : la première, plus courte et intitulée « Forme » (p. 37-145), est principalement consacrée à mieux définir la pop, puis à des définitions de concepts tels que « populaire », « moderne », « communauté ». La deuxième partie, bien plus conséquente, est intitulée « Figures » (p. 149-470). Cette deuxième partie, qui suit un ordre chronologique et retrace ainsi l’histoire de la pop, consiste en une série d’exemples et de « figures » au sens aristotélicien – le philosophe grec considérant la forme d’un objet comme son essence, ses qualités intrinsèques, et ses figures comme autant d’aspects que l’objet peut prendre. Un index des notions ainsi que des oeuvres pop citées complète l’ouvrage – mais on regrettera l’absence d’une bibliographie regroupant les travaux scientifiques pourtant abondamment cités. Pour remédier à ce qui apparaît comme un angle mort de la production scientifique, Agnès Gayraud, à la fois philosophe de formation (elle est l’autrice d’une thèse (2010) sur Theodor W. Adorno) et musicienne professionnelle qui se produit sous son alias La Féline, s’est donné la tâche d’élaborer de nouvelles catégories formelles et conceptuelles propres à la pop et à son analyse esthétique – ce à quoi s’attelle toute la première partie de cet ouvrage. L’idée première qui fonde la position de l’autrice consiste à « redéfinir l’idée d’oeuvre, [en déplaçant] l’opposition classique entre l’original et la copie » (p. 8) à l’aune des techniques d’enregistrement, de reproduction et de diffusion apparues au tournant du xxe siècle, et d’ainsi « penser la forme enregistrée de la musique populaire, pour en penser la spécificité en tant qu’art » – sur le modèle de la distinction ontologique qui s’est opérée à l’aube du xxe siècle entre la peinture et la photographie, ou encore entre le théâtre et le cinéma. Dans la lignée des travaux de Philip Tagg (1982), cette ligne de démarcation historique tracée par l’irruption de nouvelles technologies d’enregistrement et l’apparition concomitante d’une industrie culturelle de masse est aujourd’hui classique, et l’ouvrage de Gayraud reprend à son compte toute une tradition de travaux sociologiques et musicologiques qui ont étudié les musiques populaires en les inscrivant dans leurs contextes technologiques, historiques et sociologiques. Si les sujets et les oeuvres étudiées ont déjà fait l’objet de nombreux ouvrages, c’est donc plutôt du côté de la méthode que cet ouvrage comble un vide, en ce qu’il propose d’étudier la pop au prisme de la philosophie esthétique. Transposant ainsi à la musique les propos de Walter Benjamin ([1939]2009) sur l’art photographique en lien avec sa « reproductibilité mécanique » (ou « technique », selon les traductions) au contraire de …

Appendices