
Volume 8, Number 2, 2025 Les parcours juvéniles sous le prisme du processus pénal Guest-edited by Marie Dumollard and Anta Niang
Table of contents (7 articles)
Dossier thématique : Les parcours juvéniles sous le prisme du processus pénal
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Présentation
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« Faire rupture » dans les trajectoires délinquantes : catégorisations professionnelles et placement de mineurs en centres éducatifs renforcés
Ilona Cler
pp. 8–30
AbstractFR:
Cet article donne à voir les mécanismes qui structurent l’orientation d’adolescents délinquants vers un centre éducatif renforcé (CER). Dispositifs pénaux réservés aux mineurs, ces structures ont pour but de « faire rupture » dans les trajectoires délinquantes selon les discours institutionnels. Cette enquête qualitative, menée avec des juges des enfants et d’autres professionnels du monde sociojudiciaire, vise à saisir les usages de ce type de placement.
Ce travail montre dans un premier temps que l’âge, le genre, les besoins spécifiques des mineurs doivent être considérés, afin de donner à voir les mécanismes de l’orientation vers un CER. Ces critères doivent aussi être analysés au regard des mécanismes implicites qui structurent l’organisation judiciaire, d’une interdépendance entre les professionnels et des contraintes de fonctionnement des CER. Ces éléments conditionnent les objectifs explicites poursuivis par les juges : la localisation des CER permet la recherche d’une « rupture » avec le quotidien des mineurs, qui se traduit parfois par la valorisation d’un éloignement. Cet aspect est toutefois nuancé par une partie des professionnels, qui craignent des difficultés supplémentaires dans le suivi des jeunes. Le placement est ainsi valorisé pour la prise en charge « contenante » qu’il propose, et la réinsertion des mineurs qu’il est censé initier.
Cette analyse cherche à compléter la littérature sur les mesures pénales destinées aux adolescents délinquants, afin d’interroger les évolutions du traitement pénal de la justice des mineurs et ses logiques géographiques.
EN:
This article sheds light on the process for referring young offenders in France to semi-secure educational centres (SSECs). According to correctional discourses, these special facilities for minors are designed to “break” the cycle of delinquency. The results of a qualitative study involving youth court judges and other socio-legal professionals provide further insight into the mechanisms surrounding the use of this placement option.
To begin with, the article shows the importance of age, gender, and special needs for understanding the referral process. It goes on to argue that these criteria need to be analyzed in the light of processes inherent to the justice system, professional interdependence, and operational constraints facing SSECs. Such factors help determine the objectives cited by judges, some of whom stress the importance of distance. Specifically, based on their location, SSECs allow for removing young offenders from their everyday living environments. Granted, as some professionals have pointed out, this approach creates challenges in terms of following up with the young people concerned. Nevertheless, it tends to be valued for its supposed ability to “contain” young offenders while preparing them for reintegration into society.
The analysis aims to enhance the literature on the youth criminal justice system by raising questions about the judicial processing of young offenders and the underlying spatial logics.
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D’une étiquette à l’autre. Des jeunesses entre pénal et handicap
Nadia Beddiar, Ilona Cler, Mathias Millet, Guillaume Teillet and Manon Veaudor
pp. 31–53
AbstractFR:
Cet article est centré sur l’analyse des processus qui scandent les parcours juvéniles lorsqu’un suivi pénal recoupe une prise en charge du handicap dans le contexte français. Il interroge les conditions sociales et étapes institutionnelles qui font passer les jeunes d’une étiquette à l’autre, et la façon dont elles façonnent la différenciation des expériences enfantines du monde social. Une première différenciation opère depuis les propriétés et les dispositions primaires des jeunes et de leur rencontre avec les institutions éducatives. L’existence des jeunes se singularise ainsi très tôt sous l’effet de la médicalisation et/ou de la judiciarisation des difficultés qu’ils rencontrent sur les scènes scolaires et/ou familiales. Cette différenciation s’actualise dans un second temps au sein même de la justice des mineurs. Le traitement pénal de cette jeunesse, déjà constituée comme spécifique, se distingue en effet des suivis pénaux des autres jeunes par l’usage dérogatoire des cadres judiciaires et des investissements professionnels « inhabituels ». Enfin, le seuil de la majorité constitue un moment charnière où se rejoue une nouvelle séquence de différenciation, les institutions du handicap pour adultes offrant une perspective de sortie des institutions pénales pour mineurs. L’ensemble contribue à la recomposition des positions sociales, les verdicts institutionnels contribuant à (re)produire une condition populaire héritée ou nouvellement acquise.
EN:
This article analyzes processes that shape the lives of disabled young people who also find themselves involved with the criminal justice system in France. It explores the social conditions and institutional stages that lead these individuals to trade one label for another and that differentiate their childhood experiences of the social world. Initially, the young people concerned are differentiated according to their basic characteristics and inclinations, and through their interactions with educational institutions. As medical and/or legal perspectives are brought to bear on the challenges they face in school and/or at home, these individuals find themselves singled out very early in their lives. Their differences are then reaffirmed within the youth justice system. Deemed special cases from the outset, they face criminal proceedings that differ from those faced by other youth due to reliance on special legal measures and “exceptional” professional services. Finally, the transition to adulthood represents a pivotal moment when a new series of distinctions play out, as institutions for adults with disabilities offer a way out of youth correctional facilities. Together, these factors contribute to the reconfiguration of social positions, with institutional verdicts helping to (re)produce an inherited or newly acquired working-class status.
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« À 18 ans, tout change et rien ne change ». Inégalités entre jeunes dans les prisons françaises lors du passage à l’âge adulte
Yaëlle Amsellem-Mainguy and Isabelle Lacroix
pp. 54–69
AbstractFR:
À partir d’une enquête sociologique s’appuyant sur plus d’une centaine d’entretiens individuels, de trois entretiens collectifs auprès de jeunes détenus âgés de 14 à 24 ans dans des prisons pour mineurs et pour adultes en France et d’observations d’interactions quotidiennes dans les lieux de détention, cet article appréhende le passage à la majorité civile vécu par les jeunes, en se centrant sur le moment du transfert de la prison pour mineurs à la détention adulte. Croisant une sociologie des rapports sociaux d’âge et une sociologie de la prison, il s’agit de saisir les enjeux de la transition vers la vie adulte de ces jeunes, très peu documentés au regard des jeunes de l’Aide sociale à l’enfance ces dernières années. Après la description de ce moment de bascule à 18 ans quand ils doivent quitter les lieux, nous montrerons qu’en l’absence de préparation de ce passage par les professionnels entourant les jeunes, ces derniers mobilisent leurs capitaux précarcéraux et notamment les connaissances de la prison pour adultes de leur entourage pour faciliter ce changement dans le régime de détention. Cette différence de connaissances sur les changements de prise en charge en détention adulte amène de fortes inégalités entre jeunes, les jeunes femmes et les jeunes étrangers qui sont arrivés mineurs en France sans leurs parents et ceux les moins dotés en capitaux scolaires étant les plus isolés et les plus dépendants de l’institution carcérale dans ce passage à la vie adulte en prison.
EN:
This article is based on a sociological study that involved over a hundred individual interviews, three group interviews with inmates aged 14 to 24 at youth and adult detention facilities in France, and observations of daily interactions at such facilities. It explores how young offenders experience the transition to legal adulthood, with a focus on the move from youth facilities to adult ones. Drawing on both the sociology of age relations and the sociology of prisons, the analysis aims to understand the challenges faced by these young people as they transition to adulthood—a topic that has received relatively little attention in recent years, in contrast to the extensive literature on young people in the child welfare system. First, we discuss the pivotal moment when young offenders are required to leave juvenile facilities upon turning 18. Then, we highlight the absence of professional guidance for navigating this transition. Instead, the young people concerned tend to rely on resources that predate their incarceration, especially information on adult facilities gleaned from social media. This leads to knowledge disparities about the differences between youth and adult detention facilities. Young women, foreigners who arrived in France as unaccompanied minors, and those with relatively little education tend to find themselves most isolated and dependent on correctional services as they experience the transition to adulthood behind bars.
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Jeunes en sortie de placement lors de la transition à la vie adulte et judiciarisation : le rôle du réseau de soutien
Christophe Gauthier-Davies, Martin Goyette and Tonio Esposito
pp. 70–97
AbstractFR:
Les jeunes en situation de sortie de placement lors de la transition à la vie adulte sont plus à risque d’être judiciarisés que les jeunes de la population générale du même âge. La sortie des milieux de placement se déploie dans un contexte de vulnérabilité sociale pouvant précipiter le passage des services en protection de la jeunesse vers le système de justice pénale pour adultes. En plus, certaines des caractéristiques liées à l’expérience de placement augmentent ces risques de judiciarisation. L’instabilité de placement et les milieux de placement de type centre d’hébergement contribuent au processus de judiciarisation pénale lors de la transition à la vie adulte. Compte tenu de la vulnérabilité dans laquelle s’effectue la sortie de placement, nous nous intéressons au rôle préventif des réseaux de soutien sur la judiciarisation des jeunes en sortie de placement au début de l’âge adulte. Plus précisément, nous examinons des effets d’interactions entre le réseau de soutien et les conditions de placement (milieu de placement et changements de milieu de vie) sur la judiciarisation au début de l’âge adulte. À ces fins, nous mobilisons les données de l’Étude sur le devenir des jeunes placés (EDJeP) du Québec. Nos analyses de régressions logistiques révèlent que les jeunes qui ont un réseau de soutien plus étendu sont moins à risque d’être judiciarisés au début de l’âge adulte. Nos résultats montrent également un effet de modération de l’étendue du réseau sur la judiciarisation au début de l’âge adulte en fonction de l’instabilité de placement. Cependant, on n’observe pas d’effet de modération en fonction du milieu de placement. Nos résultats suggèrent la mise en place de politiques qui prennent en considération les réseaux de soutien des jeunes en sortie de placement.
EN:
Young people who leave care during the transition to adulthood are at greater risk of adult criminal conviction than their peers in the general population. The context of social vulnerability that surrounds the aging-out process can channel young people from youth protection services to the adult criminal justice system. Additionally, certain aspects of foster and residential care, such as placement instability and time spent in group homes, increase the likelihood of facing criminal charges during the transition to adulthood. Given these vulnerabilities, our article focuses on the role played by support networks in avoiding criminal conviction in adult court or incarceration in an adult correctional facility. Using data from a longitudinal research study (the Étude sur le devenir des jeunes placés, or EDJeP), we examine interaction effects between support network size and conditions of care (placement instability and group home placements). The results of logistic regression analysis show that young people with more extensive support networks are at lower risk of adult criminal conviction. Our analysis also shows a moderating effect of network size on such involvement as a function of placement instability. However, we observed no moderating effect as a function of group home placement. Our findings point to the need for policies that address the role played by support networks in the lives of young people leaving care.
Articles réguliers
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Les biographies entrepreneuriales de la rupture : s’accomplir par la rue chez les jeunes au Cameroun
Hugues Morell Meliki
pp. 98–129
AbstractFR:
En zone urbaine, diverses activités ont pour cadre ou support d’exercice la rue. Cette réflexion revient sur les menues activités commerciales de rues ayant fait consensus autour des grilles conjoncturelles d’une économie de la survie. Elle mobilise une enquête ethnographique de moyenne durée – huit ans – permissive d’une analyse dynamique de panel, enrichie de matériaux biographiques, pour montrer comment, chez des jeunes, ces activités de rues participent d’un processus transformationnel qui informe sur un cheminement entrepreneurial inédit dans une société d’exclusion. Elle discute de cette trajectoire de matérialisation d’une carrière d’entrepreneur, chez des jeunes issus de milieux précaires de Yaoundé et Douala, en cernant les logiques d’actions et les significations qui habitent chacune des trois principales phases qui la structurent. En restituant comment, initialement, l’expérience de la précarité et les frustrations qui y sont liées enclenchent, au détour d’une désillusion, un questionnement des origines sociales tenues pour responsables, il s’agit alors de problématiser le processus de rupture biographique qui prend corps chez les jeunes comme quête d’une destinée valorisante. Sortir pour la rue, y mener de petites activités, matérialise la décision de se forger, par une carrière entrepreneuriale, un devenir affranchi du déterminisme misérabiliste que garantit la situation socio-économique familiale.
EN:
In urban areas, various activities take place in the street. This article reassesses small-scale, street-based commercial activities that have traditionally been understood in terms of short-term perspectives on a survival economy. Based on a dynamic panel analysis of the results of an eight-year ethnographic survey, supplemented by biographical data, the analysis shows how these aspects of street life can, in fact, transform young people’s lives by opening innovative entrepreneurial pathways in a context of social exclusion. The article discusses three main phases that shape this process of business career development among disadvantaged youth in Yaoundé and Douala while exploring the associated mindsets and meanings. Initially, the often frustrating experience of insecurity leads the young people concerned to reflect on the role played by their social background. In turn, this triggers a biographical disruption that takes shape amid the struggle for success. Driven by a desire to escape the life of misery typical of their families’ socio-economic circumstances, youth may opt for life on the street, where they can engage in small-scale commercial activities and pursue a business career.
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Les relations sociales et sexuelles des jeunes hommes gais et bisexuels montréalais durant la COVID-19 : résultats d’une enquête qualitative
Geoffrey Ferber, Tara Chanady, Jorges Flores-Aranda and Olivier Ferlatte
pp. 130–156
AbstractFR:
La pandémie de la COVID-19 s’est caractérisée par la mise en œuvre de contraintes sanitaires imposant la fermeture des lieux de socialisation, la distanciation physique et le maintien à domicile par un couvre-feu s’appliquant à toute la population. Toutefois, ces méthodes de restriction sociale ont pu soulever des enjeux spécifiques aux populations des jeunes hommes gais et bisexuels qui présentaient par le passé des vulnérabilités en termes de santé mentale et d’isolement social. L’objectif de cette étude était de comprendre l’influence des mesures sanitaires sur les relations sociale et sexuelle des jeunes hommes gais et bisexuels de 18 à 26 ans à Montréal en période de COVID-19. L’étude a été réalisée à l’aide d’un devis qualitatif interprétatif descriptif. Des entrevues semi-dirigées ont été conduites avec 14 participants habitant à Montréal. Une analyse thématique a permis de faire ressortir trois thèmes des effets des mesures sanitaires en contexte de COVID-19 sur la vie sociale et sexuelle des participants : 1) Un effritement social marqueur d’une solitude progressive importante; 2) Une injustice ressentie par une population qui se sent sacrifiée et infantilisée par les mesures sanitaires; 3) La poursuite de la socialisation malgré les craintes en période de pandémie. Les résultats révèlent la souffrance et le caractère d’injustice perçu par les jeunes hommes gais et bisexuels en raison des fortes contraintes ayant provoqué un éloignement social et l’abandon d’une vie sexuelle spontanée. Des propositions d’amélioration et de suivi sont élaborées afin que leurs expériences puissent bénéficier au soutien d’organismes communautaires dans la province de Québec.
EN:
The COVID-19 pandemic prompted various public health measures, including the closure of social venues, physical distancing requirements, and general curfews. These social restrictions posed specific challenges for young gay and bisexual men, a group historically vulnerable to mental health problems and social isolation. This article is based on a study designed to understand the impact of pandemicrelated public health measures on the social and sexual relationships of young gay and bisexual men aged 18 to 26. Employing a qualitative descriptive interpretive design, the underlying study involved semi-structured interviews with 14 individuals living in Montreal. Thematic analysis revealed three themes regarding the impact of COVID-19 measures on the social and sexual lives of research participants: (1) social erosion as a marker of increasing loneliness, (2) a collective sense of injustice in a population that feltit was disproportionately burdened by often infantilizing public health measures, and (3) continued social activities despite pandemic-related fears. The results highlight the suffering and feelings of injustice experienced by young gay and bisexual men due to severe constraints on social interaction and, by extension, the loss of a spontaneoussexual life. The article includesrecommendations for improvement and further research on how Quebec-based community organizations can better support young gay and bisexual men.