
Volume 7, Number 1, 2022 Jeunes et récit de vie : l’identité narrative à l’épreuve du monde contemporain Guest-edited by Annie Jaimes and Marie-Laurence Bordeleau-Payer
Table of contents (7 articles)
Dossier thématique : Jeunes et récit de vie : l’identité narrative à l’épreuve du monde contemporain
-
Présentation
-
Catégorisations et appropriations autour de l’« allophonie » de jeunes migrants scolarisés en France
Maxime Lemaitre
pp. 5–29
AbstractFR:
La scolarisation des jeunes migrants en France s’accompagne de leur catégorisation en tant qu’élève « allophone » présentant des « besoins éducatifs particuliers » vis-à-vis de leur apprentissage de la langue française. Issue d’une catégorie d’action publique, l’« allophonie » est mobilisée par les enseignants du secondaire pour réifier des figures de l’étranger, réunissant les conditions d’une stigmatisation qui dépasse le cadre scolaire. Face à la catégorisation dont ils font l’objet, les jeunes migrants scolarisés mettent en place des stratégies d’adaptation par le discours, leur permettant de mettre en cohérence les produits de leurs socialisations antérieures avec la réalité de leur immigration. Toutefois, ces jeunes sont inégalement dotés en ressources pour construire leur identité narrative : à la suite de leurs enseignants, ils s’approprient et retraduisent cette catégorie selon des modalités diverses, plus ou moins légitimes. Leurs récits donnent alors à voir divers effets du processus migratoire sur la construction identitaire, influençant notamment leur rapport à la vie en France.
EN:
Young immigrants attending school in France are classified as “allophones,” which implies special educational needs associated with learning French. Introduced as a means of guiding the implementation of public policy, the category has come to be used by secondary school teachers to reify the figure of the foreigner—a process of stigmatization that resonates well beyond the classroom. In response, young immigrants have adopted discursive adaptation strategies, through which they reconcile earlier processes of socialization with the realities of immigration. However, given their more limited access to resources for constructing a narrative identity, these young people tend to reappropriate the “Allophone” category used by their teachers in various ways. Their narratives highlight the diverse impacts of the migration process on identity building, including how it shapes their relationship with life in France.
-
Critiquer le système ou intérioriser l’idéologie méritocratique ? Les voix d’étudiants racisés d’origine haïtienne sur l’université
Véronique Valade and Marie-Odile Magnan
pp. 30–50
AbstractFR:
Cet article porte sur les parcours universitaires d’étudiants montréalais d’origine haïtienne, qui représentent l’un des groupes les plus susceptibles de décrocher au Canada et au Québec. Au moyen d’une posture épistémologique interprétative-critique, nous avons tenté d’identifier la manière dont se manifestent les rapports sociaux de race dans le parcours universitaire des étudiants interrogés. En nous inspirant de la théorie raciale critique, nous avons analysé des récits de vie recueillis auprès d’étudiants. Les résultats vont dans le même sens que la littérature existante au sujet des étudiants issus de groupes racisés et révèlent diverses expériences de microagressions rencontrées tout au long de leurs parcours scolaire et académique. Des stratégies comme le role flexing, la création de counterspaces, l’esquive ou la lutte pour le changement sont utilisées par les étudiants afin de contrer le sentiment d’aliénation ressenti et afin de mieux naviguer au sein des universités. En conclusion, nous invitons les acteurs des établissements scolaires et postsecondaires à réfléchir au rôle de l’université et à ses pratiques auprès des communautés noires, ainsi qu’à son curriculum officiel et caché.
EN:
This article explores the postsecondary pathways of Montreal students of Haitian origin, a group whose drop-out rate is among the highest in Quebec and Canada. Drawing on critical race theory and adopting a critical interpretative epistemology, we analyze life stories collected from five undergraduate students to understand how race-based social relations have shaped their postsecondary pathways. Our findings, which largely align with the existing literature, reveal how racialized students experience a variety of microaggressions at school, college, and university. The interview data also show how students rely on different strategies—including role flexing, the creation of counterspaces, dodging, and fighting for change—to better navigate the system and ward off feelings of alienation. The article’s conclusion calls on education system stakeholders to reflect on the role of the university and its relationship with Black communities, as well as its official and hidden curriculum.
-
Se raconter en terrain difficile. Obstacles et enseignements d’une enquête concernant les orphelins en protection de l’enfance
Céline Jung Loriente
pp. 51–70
AbstractFR:
Cet article propose une contribution circonstanciée aux enjeux épistémologiques, méthodologiques et politiques de l’enquête sociologique impliquant des jeunes accompagnés en protection de l’enfance et orphelins. L’article présente la manière dont les présupposés qui guident les étapes préalables à la rencontre des jeunes conditionnent l’enquête et peuvent barrer l’accès à des phénomènes nouveaux. Il donne aussi à voir le statut de la parole des enfants et jeunes protégés.
Les difficultés d’accès à la parole des jeunes dans le cadre d’une recherche dans des services de protection de l’enfance accompagnant en France des enfants à domicile ou dans le cadre d’un placement sont analysées à deux niveaux. D’une part, celui du cadrage éthique, en amont de la recherche. D’autre part, celui de la résistance des professionnels socioéducatifs, intermédiaires entre la chercheuse et les jeunes. Nous montrons que l’invisibilité de la problématique interrogée et la reconnaissance de sa légitimité comme objet de recherche par ces professionnels jouent ici un rôle crucial. Le contact avec les jeunes concernés et la manière dont se déroulent effectivement les entretiens mettent au jour l’écart entre des principes prévisionnels et les dilemmes éthiques qui se posent au sociologue en situation.
EN:
This article provides a deeper understanding of the epistemological, methodological, and political issues associated with sociological surveys involving orphans and young people in care. It highlights how assumptions guiding the initial stages of research, before interviews take place, can influence a study and prevent researchers from uncovering new phenomena. Furthermore, the article emphasizes the importance of giving a voice to children and youth in care.
We approach the analysis of challenges associated with accessing the voices of young people in the context of research conducted within France’s home-based child welfare system in two different ways. On the one hand, we focus on the ethical framework established before research activities begin. On the other hand, we explore resistance from social workers and educators, who serve as intermediaries between researchers and participating young people. Our findings highlight the crucial role played by a lack of awareness among these professionals as to the nature of the questions underlying a study and the legitimacy of the corresponding line of research. A close examination of the circumstances under which contact with young research participants occurs and interviews are conducted reveals a gap between predictive principles and the ethical dilemmas faced by sociologists in these situations.
Articles réguliers
-
Rapports différenciés aux institutions entre vulnérabilité et désaffiliation : déconstruire la catégorie d’action publique « jeunes invisibles »
Émilie Defacques-Croutelle
pp. 71–91
AbstractFR:
En s’appuyant sur les récits de jeunes étiquetés (Becker, 1963) comme « invisibles », cet article vient déconstruire la catégorie d’action publique « jeunes invisibles » en mettant en lumière les rapports différenciés qu’ils entretiennent avec les institutions chargées de les encadrer. Cette contribution s’appuie sur les premiers résultats d’une recherche menée auprès de jeunes identifiés comme tels par les professionnels des missions locales d’une région française, depuis le printemps 2020 dans un contexte marqué par la crise sanitaire, économique et sociale. Injonction biographique incorporée (Astier et Duvoux, 2006), les jeunes enquêtés se présentent à la fois comme coupables (mauvais élèves, trafiquants) et comme victimes (d’accidents de la vie, de violences familiales) à la sociologue. L’analyse de leurs récits permet d’appréhender l’invisibilité sous l’angle d’un processus plus que d’un état (visibles/invisibles) et de mettre au jour les mécanismes qui les conduisent à se rendre visibles ou non. Trois figures de jeunes émergent alors : le « bon élève » qui répond aux attentes de l’institution, le jeune « sur le fil » qui oscille entre l’adhésion aux propositions des professionnels et le maintien des supports extérieurs et, enfin, le jeune « hors-jeu » qui adopte un usage stratégique des institutions. De manière plus globale, l’analyse des rapports des jeunes aux institutions, au travail et à la famille permet d’observer leurs circulations dans l’espace social, et plus spécifiquement dans les zones de vulnérabilité et de désaffiliation (Castel, 1995).
EN:
Drawing on the life narratives of young people labelled (Becker, 1963) as “invisible,” this article deconstructs the public policy category of “invisible youth” by exploring young people’s differentiated relationships with the institutions responsible for their care. The analysis is based on the initial results of a study conducted with such young people by youth workers at local employment and social integration centres in France, a study launched in the spring of 2020 amid public health, social, and economic crises. Faced with a so-called biographical injunction (Astier, Duvoux, 2006), the young research participants described themselves as both culprits (bad students, drug dealers) and victims (of hardship, of family violence). Analyzing their stories makes it possible to gain an understanding of invisibility as a process rather than a state (visible/invisible), and to describe the factors that lead young people to make themselves visible (or not). The article identifies three broad categories of youth: “good students,” who meet institutional expectations; young people who are “on the edge,” oscillating between following the advice of professionals and relying on external supports; and, finally, “outsiders,” who makes strategic use of institutional resources. More broadly, the analysis of young people’s relationships with institutions, work, and family provides a window on their movements within social space, especially in situations of vulnerability and disaffiliation (Castel, 1995).
-
Regards sur les difficultés vécues lors de la transition chez les jeunes ayant détransitionné
Marie-Christine Peiyu Savard, Annie Pullen Sansfaçon and Morgane Gelly
pp. 92–117
AbstractFR:
Les caractéristiques propres aux parcours des jeunes qui détransitionnent (qui choisissent de discontinuer leur transition de genre) demeurent encore peu connues à ce jour. En outre, dans les dernières années, plusieurs études se sont intéressées aux difficultés vécues par les jeunes durant leur transition (médicale, sociale et/ou légale). Cependant, encore peu de recherches ont cherché à mettre en relief les défis propres aux parcours des jeunes qui détransitionnent. Or, un besoin criant de caractérisation demeure et pourrait permettre de mieux accompagner ces jeunes avec un parcours de genre encore méconnu et en émergence. Cette étude s’appuie sur des données amassées dans le cadre d’une recherche s’intéressant aux discours autour de la détransition chez les jeunes. Cet article a pour but d’examiner les difficultés vécues lors de la transition chez les jeunes ayant détransitionné. Il s’appuie sur 20 entrevues semi-dirigées avec des jeunes âgé·e·s de 16 à 25 ans, provenant de sept pays différents et ayant détransitionné. L’analyse permet de dégager des difficultés intrinsèques et extrinsèques en incluant plusieurs qui sont également vécues par les jeunes trans et non binaires. Une réflexion sur l’accompagnement des jeunes de la diversité des genres conclut l’article.
EN:
Little is known about the experiences specific to young people who detransition (who choose to discontinue their gender transition). Granted, several recent studies have focused on the medical, social, and/or legal difficulties faced by youth during the transition process. However, few researchers have sought to highlight the specific challenges faced by youth who subsequently detransition. There is a pressing need for such knowledge, which could ensure better support for young people who follow this largely uncharted and still-emerging gender trajectory. Based on data collected as part of a research project on discourses related to detransition in youth, this article explores difficulties experienced during the transition process by young people who have detransitioned. Semi-structured interviews were conducted with 20 such individuals, ages 16 to 25, from seven different countries. The analysis highlights both intrinsic and extrinsic difficulties, including many also experienced by trans and non-binary youth. The article concludes with a reflection on supporting gender-diverse youth.