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Introduction

Dans le cadre d’une révision en 2021 du décret définissant le paysage de l’enseignement supérieur, les établissements d’enseignement en Belgique francophone sont amenés à déterminer un public cible pour la mise en place d’activités d’aide à la réussite. Il s’agit d’accompagnements pédagogiques (dans et en dehors des cours) qui permettent aux étudiants et étudiantes de valider (réussir), en deux ans maximum, l’ensemble des crédits repris (classiquement 60 crédits) dans leur programme annuel. S’il est aisé de discerner le public cible en situation de redoublement (qui n’a pas validé l’ensemble de ses crédits la première année), il est moins évident de le faire pour les étudiants vulnérables dès l’entrée dans le parcours universitaire. Par vulnérabilité, nous entendons un cumul de facteurs de risque ou de fragilités (comme le fait d’être bénéficiaire d’une bourse, de vivre une acculturation du système universitaire ou de présenter une fragilité dans la création de contenu numérique) qui rendrait les apprentissages plus compliqués. Dans notre pays, l’accès ouvert et démocratique à la première année draine des profils de personnes apprenantes très hétérogènes. En effet, les individus primo-inscrits (étudiants de première génération) arrivent sans expérience antérieure de l’enseignement supérieur et vivent de manière inégale la transition entre l’enseignement secondaire et l’université. Le défi de l’enseignement supérieur universitaire consiste à jongler avec cette grande diversité étudiante tout en maintenant un niveau d’enseignement de qualité. Pour nous saisir de la question des inégalités des profils de personnes apprenantes que nous avons face à nous en première année, nous avons mobilisé la typologie de Cartier et Langevin (2001). Elle permet de différencier trois publics cibles pour les activités d’aide à la réussite. Les interventions primaires visent à faciliter les apprentissages pour l’ensemble du public étudiant (public dit « tout-venant »). Des interventions secondaires ciblent un public vulnérable dans la mesure où il cumulerait des facteurs de risque et des fragilités face à la réussite. Les interventions tertiaires s’adressent plus spécifiquement à un public en échec (en situation de redoublement). Le contour de la définition de risque n’est clairement pas aisé pour déterminer le public vulnérable ciblé par les interventions secondaires. On pourrait considérer qu’il s’agit d’étudiants et étudiantes qui cumuleraient des fragilités (économiques, sociales, numériques, d’affiliation) sans pour autant avoir déjà rencontré un échec dans l’enseignement supérieur. Ce public plus vulnérable est une cible particulière que nous souhaitons mieux comprendre étant donné que s’il n’est pas possible de prédire la réussite, il serait néanmoins possible de prédire l’échec (Detroz et al., 2017). Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un étudiant ou une étudiante est fortement à risque que sa réussite est exclue. Par contre, être fortement à risque (et donc plus vulnérable) augmente la probabilité d’un échec. La mesure de la vulnérabilité est à prendre avec beaucoup de précautions et elle est exclusivement destinée aux professionnels et professionnelles qui cherchent à cibler un public fragilisé de manière à lui proposer des actions d’aide à la réussite. Pour déterminer ce public cible, plusieurs évaluations diagnostiques peuvent être mobilisées. La plus courante et la plus utilisée porte sur des tests diagnostiques liés aux acquis antérieurs dans les disciplines (De Clercq et Perret, 2020; Hublet et al., 2021). Moins répandue, l’évaluation diagnostique des compétences transversales tend à s’intensifier ces dernières années. Des tests sur les aptitudes aux études (méthodologie, stratégie d’étude) et sur la gestion de soi (régulation, motivation, autonomie) apparaissent dans le paysage universitaire (Bachy, 2023; Berthaud, 2017; De Clercq et al., 2022; Houart et al., 2019). Les effets de ces compétences transversales sur la réussite universitaire étudiante ne sont pas simples à démontrer (Berthaud, 2017). Certains auteurs (Houart et al., 2019) vont par exemple analyser les stratégies étudiantes mobilisées en situation de réussite pour mieux en comprendre les mécanismes. Cette logique inversée de partir des réussites ou des échecs universitaires pour établir les stratégies démontre combien il est complexe de pouvoir prédire ce qui mènera ou non un étudiant ou une étudiante à valider ses cours.

Parmi ces différentes compétences transversales, les compétences numériques font l’objet de travaux spécifiques dans le contexte universitaire (Bachy, 2021; Lemieux, 2021; Roland, 2015). La crise sanitaire a révélé que même si notre société évolue sur le plan numérique, elle creuse aussi certaines inégalités. Dernièrement, Bachy (2021) a décrit le contexte d’enseignement belge qui ne forme que très peu les personnes apprenantes à l’usage du numérique. L’auteure y présente les enjeux du développement de leurs compétences numériques, notamment pour suivre des études dans le contexte universitaire. La jeune génération est livrée à elle-même alors que les exigences de la société et de l’université reposent de plus en plus sur les capacités à utiliser les outils numériques. Dès son entrée à l’université, l’étudiant ou l’étudiante doit pouvoir soumettre son dossier en ligne, installer des logiciels internes, se familiariser avec une plateforme d’enseignement et d’apprentissage et apprendre à communiquer essentiellement par courriel avec sa nouvelle communauté. Force est de constater que ces capacités présupposées posent de réels problèmes pour certaines personnes. Ceci constitue le coeur de notre problématique. Notre recherche vise à repérer les étudiantes et étudiants fragilisés sur le plan numérique. La prise en considération de cette faiblesse liée aux technologies pour apprendre combinée à d’autres facteurs de risque nous permettrait de déterminer un public cible (à risque) qui présente un indice de vulnérabilité numérique élevé.

Dans cet article, nous nous focaliserons sur les étudiantes et étudiants dits « de première génération », c’est-à-dire les primo-inscrits, et sur ceux qui sont en situation de redoublement (en échec) pour la première année du premier cycle universitaire. Nous définirons d’abord la vulnérabilité numérique par rapport à notre contexte d’enseignement en Belgique. Ensuite, nous décrirons comment nous établissons les compétences numériques étudiantes pour déterminer un indice de vulnérabilité numérique. Nous présenterons le test utilisé. Enfin, nous exposerons la méthodologie et les résultats de l’enquête menée en 2022 auprès de 3 742 étudiants et étudiantes.

Vulnérabilité numérique

Contexte belge

Quand on regarde le dernier baromètre de l’inclusion numérique en Belgique, on constate que quasiment un Belge sur deux (46 %) serait aujourd’hui en situation de fragilité numérique essentiellement en raison de compétences d’usage dites faibles (39 %). D’après Faure et al. (2022), les personnes âgées de 16 à 74 ans se trouveraient en situation de vulnérabilité numérique (non-utilisateurs ou disposant de faibles compétences numériques). Dans la société numérique en évolution, ces auteures constatent que les compétences numériques ont dans l’ensemble peu évolué et que de nouveaux champs de compétence ont émergé parallèlement. Ceci a pour conséquence « de tirer vers le bas le niveau de compétences numériques générales des Belges » (p. 27).

Dans le contexte de l’enseignement, la prise en considération des compétences numériques était plutôt lente avant la crise sanitaire de 2020 liée à la pandémie de COVID‑19. Par exemple, en 2019, 16 % de la population française souffrait d’illectronisme (incapacité à utiliser des outils numériques) et 47 % manquait d’au moins une compétence numérique : l’usage de logiciels pour 44 % des personnes, devant la recherche d’information pour 24 %, la résolution de problèmes pour 22 % et la communication pour 21 % (Institut national de la statistique et des études économiques, 2019). Dans une étude antérieure (Bachy, 2021) nous avions analysé les compétences numériques des étudiantes et des étudiants entrant dans notre université. Nous avions mis en évidence trois éléments : un niveau assez faible et général dans l’acquisition des compétences numériques citoyennes (Référentiel DigComp Citizen), des variations importantes entre les étudiants indépendamment des études choisies, une amélioration des compétences durant le parcours universitaire sur une base volontaire et en autodidacte en raison de l’absence de formation dédiée.

Depuis cette étude, les actions d’accompagnement se sont multipliées au travers de plans stratégiques financés par l’État. Les projets « Nouveaux cursus universitaires » en France ou les plans de relance numérique en Belgique qui touchent un grand nombre d’établissements d’enseignement supérieur sont la preuve évidente que l’on ne pourrait plus se passer de formation par et au numérique. Ceci est d’autant plus important si l’on considère comme Collin (2020) et Bachy (2021) que l’apprentissage efficace des usages numériques permettrait aux jeunes plus vulnérables de combler certaines inégalités.

Un ensemble de facteurs liés aux inégalités

D’après Douville et al. (2020), les vulnérabilités dans l’environnement numérique sont nombreuses. Elles ne sont pas toujours différentes de celles qui existent dans les rapports sociaux. Elles peuvent être déformées, atténuées, amplifiées ou se révéler. Ceci nous invite à considérer, comme un ensemble, une série de facteurs pouvant influencer la réussite étudiante.

À ce titre, nous rappelons que dès son apparition dans les années 90, le concept de fracture numérique désignait un ensemble d’inégalités qui divisait la population entre personnes connectées et non connectées (Beauchamps, 2009).

Dans un premier temps, les préoccupations concernaient les inégalités d’accès aux réseaux et aux équipements (Boullier, 2016). Certains auteurs ont ainsi mis en avant une fracture de premier niveau (Cordier, 2017; Karsenti et al., 2021; Mercklé et Octobre, 2012). Dans notre environnement universitaire et sur la base d’enquêtes internes de l’observatoire de la vie étudiante, elle correspond aujourd’hui à moins de 1 % de la population étudiante.

Les sources des inégalités numériques peuvent également être expliquées par différents usages. La maîtrise des usages peut s’entendre sur plusieurs niveaux de compétences numériques (Brotcorne et Valenduc, 2009) : instrumentales (manipuler), structurelles (traiter les contenus numériques) ou stratégiques (prendre des décisions et agir dans son environnement). Les inégalités d’usage sont expliquées par le niveau socioéconomique et culturel, le genre ou encore le diplôme des parents (CEFRIO, 2015, p. 29-30; Dauphin, 2012; Vendramin et Valenduc, 2003). Des études bien documentées (Bachy, 2021; Cordier, 2017; Dauphin, 2012; Fluckiger, 2008; Fluckiger et Bart, 2012; Roland, 2015), nous amènent à constater que le simple accès aux outils ne suffit plus et qu’il est nécessaire de s’intéresser aux activités que les jeunes sont capables de faire de manière autodidacte ou à l’issue de formations spécifiques. Yassine (2012) avait constaté que seulement 37 % des étudiants et étudiantes à l’université étaient capables d’élaborer et de rédiger un document numérique complexe et structuré (compte rendu, rapport, bibliographie). Bachy (2021) a montré grâce au référentiel DigComp Citizen que sans formation, les étudiantes et étudiants entrant à l’université étaient limités pour les compétences en création de contenu et en gestion de l’information, et que s’ils avaient a priori des compétences dans la catégorie communication du référentiel, celles-ci étaient limitées aux pratiques informelles sur les réseaux sociaux.

Des enseignants également en difficulté

Les difficultés d’usage ne concernent pas uniquement la communauté étudiante. Elles sont aussi présentes dans le corps enseignant. La pandémie a permis de voir à quel point certains enseignants et enseignantes du supérieur ont été en grande difficulté pour enseigner pendant les périodes de confinement total ou partiel. Par exemple, une enquête menée à l’Université de Strasbourg (Kennel et al., 2022) reflète clairement ce que nous avons tous pu constater. L’usage contraint, même sur un public privilégié (enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses d’université) n’a pas été simple. Une comparaison des réponses entre les personnes ayant exprimé un ressenti négatif et celles s’estimant plutôt satisfaites de l’expérience a dévoilé que les écarts portaient essentiellement sur l’accès au numérique et sur sa maîtrise ainsi que sur le rapport à la pédagogie. Les personnes répondantes qui tiraient le bilan le plus négatif sont aussi celles qui témoignaient de compétences numériques plus faibles. Se saisir de cette question en contexte universitaire dépasse pour nous le simple accompagnement étudiant. Il s’agit de former un citoyen ou une citoyenne de demain, capable d’interagir avec une société numérique (compétences d’usage stratégiques). Il s’agit aussi de préparer la prochaine génération de professionnels et professionnelles qui indiscutablement aura des tâches à réaliser grâce aux outils numériques (compétences d’usage instrumentales et structurelles).

Vers une définition du concept de vulnérabilité numérique d’usage

Tout ceci nous amène à définir le concept de vulnérabilité numérique d’usage dans le contexte de l’enseignement. Il s’agirait de la combinaison de faiblesses (fragilités) des utilisateurs et utilisatrices à mobiliser des compétences numériques (instrumentales, structurelles et stratégiques) avec des facteurs socio-éco-psychoculturels dans des situations d’apprentissage ou d’enseignement. L’indice de vulnérabilité numérique permettrait d’en mesurer l’importance. Il est explicité dans la suite du texte qui le décompose en différents éléments analysables.

Indice de vulnérabilité numérique d’usage

Pour traiter de la question de la vulnérabilité numérique d’usage en contexte d’apprentissage, nous avons construit un questionnaire (annexe A). La matrice du questionnaire est composée de trois parties reprises au tableau 1. Celles‑ci nous permettent de calculer un indice de risque et deux indices de fragilité numérique. L’association de ces trois parties constitue notre indice de vulnérabilité numérique d’usage qui fera l’objet d’une analyse statistique de validité.

Tableau 1

Matrice du questionnaire de vulnérabilité numérique d’usage

Matrice du questionnaire de vulnérabilité numérique d’usage

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Indice de risque

L’indice de risque n’est pas un prédicteur de la réussite. Il nous permet néanmoins de considérer que certains étudiants et étudiantes vont cumuler des facteurs ne facilitant pas leurs apprentissages.

Nous avons défini ces facteurs parmi les caractéristiques d’entrée de l’étudiant ou l’étudiante. Celles‑ci sont appréhendées à partir d’un bloc de treize questions et issues d’une large étude de la littérature permettant de comprendre ce qui facilite la réussite étudiante à l’université (Arias Ortiz et Dehon, 2008; Biémar et al., 2003; Coulon, 2005; Dehon et Lebouteiller, 2021; Dupont et al., 2015; Lambert, 2018; Mangiante et Parpette, 2011; Millet, 2003; Paivandi, 2015; Vermandele et al., 2012).

Parmi les facteurs retenus, quatre questions concernent le parcours scolaire antérieur de l’étudiant ou l’étudiante (enseignement secondaire francophone ou allophone, enseignement général et de transition ou enseignement technique de qualification ou professionnel, redoublement et présence d’un trouble d’apprentissage), une question concerne le choix d’études, trois questions portent sur les conditions socioéconomiques (bourse, CPAS et travail pour les besoins primaires) et deux questions s’intéressent à l’environnement d’étude (chambre individuelle et connexion Internet) dans le principal lieu de vie. Enfin, trois questions portent sur l’environnement humain (personne-ressource, entourage universitaire, entourage connaissant déjà l’université). Les choix des questions ont été réalisés en fonction des réponses possibles que nous pouvions apporter dans les accompagnements pédagogiques. Par exemple, si l’étudiant ou l’étudiante cumule les trois caractéristiques du bloc socioéconomique, cela pourrait indiquer qu’il ou elle fait face à des enjeux personnels et va devoir concilier sa vie étudiante avec une vie professionnelle. Dans ce cas, nous pouvons lui proposer des adaptations de son programme, des activités de rattrapage en cas d’empêchement de suivre les cours et un accompagnement personnel dans la gestion de son bien-être. Autre exemple, les questions sur l’environnement social permettent de cibler des actions d’intégration et d’affiliation à la vie dans l’établissement. Ceci renforce les dispositifs de parrainage social et de tutorat par les pairs ainsi que les séances d’accueil des nouveaux étudiants et étudiantes.

Les questions sont formulées de manière binaire. La présence de la caractéristique est créditée d’un facteur 1. Plus un étudiant ou une étudiante cumule et combine des caractéristiques pour ces treize items, plus on peut considérer que l’indice de risque est élevé. Pour calculer le niveau de risque, nous avons réalisé une moyenne des facteurs cumulés. Actuellement, nous considérons de manière hypothétique qu’une moyenne strictement inférieure à 0,2 (x < 0,2) signifie que la personne étudiante ne présente pas réellement de facteurs de risque pour cette rubrique du questionnaire. Elle est alors dite en situation « classique ». Une moyenne comprise entre 0,2 et strictement inférieure à 0,4 (0,2 ≤   < 0,4) signifie qu’elle est dans un niveau de risque faible. Elle est dite en situation « à risque + ». Une moyenne comprise entre 0,4 et strictement inférieure à 0,6 (0,4 ≤   < 0,6) signifie qu’elle présente un niveau de risque moyen. Elle est dite en situation « à risque ++ ». Enfin, une moyenne comprise entre 0,6 et 1 (0,6 ≤   ≤ 1) signifie que pour cette rubrique, elle présente un niveau de risque fort. Elle est dite en situation « à risque +++ ». Ce n’est pas parce qu’une étudiante ou un étudiant se trouve avec un indice de risque classique qu’elle ou il va réussir. Cette mesure nous indique uniquement que son contexte d’apprentissage est plutôt favorable. De même, le fait que l’étudiant ou l’étudiante obtienne un indice de risque élevé nous informe uniquement qu’il ou elle combine des facteurs peu favorables aux apprentissages. Ce n’est pas pour autant que sa réussite est exclue. Par contre, il ou elle devra probablement mobiliser plus de stratégies que ses pairs pour éviter l’échec.

Indices de fragilité numérique

Deux indices de fragilité numérique sont mesurés en deux blocs distincts. Le premier bloc de 9 items porte sur les usages de base des outils de bureautique (traitement de texte, gestionnaire de courriels, tableur). Ces neuf éléments nous permettent de déterminer si l’étudiante ou l’étudiant sera directement opérationnel pour les tâches pédagogiques de création de contenu qui lui seront demandées (communiquer par courriel avec l’établissement, rédiger des rapports scientifiques, traiter des données chiffrées ou encore élaborer une présentation). Ces caractéristiques sont agrégées et nous donnent un résultat maximal de 9. Nous estimons que les individus qui ont entre 0 et 6 sont fragilisés, dans la mesure où ils devront passer du temps à apprendre à utiliser les outils de bureautique au lieu de se concentrer sur les contenus à apprendre.

Le second bloc reprend les 27 items du référentiel DigComp Citizen pour le niveau intermédiaire. Un prétest l’année précédente sur 900 étudiants et étudiantes a permis d’exclure le niveau élémentaire, acquis par près de 98 % du groupe test et d’enlever également le niveau expert peu atteint par notre public cible et moins pertinent dans le contexte qui nous occupe.

Le référentiel DigComp Citizen permet de distinguer les étudiants plus en difficulté sur cinq dimensions : le traitement des informations, la communication, la sécurité, la création de contenu et la résolution de problème. Le résultat agrégé donne un résultat de maximum 27. Sur la base du niveau des items, nous estimons que les étudiantes et étudiants devraient avoir ces 27 compétences numériques citoyennes de base au moment d’entamer leurs études universitaires. Toutefois, en l’absence de formation numérique et d’une éducation aux médias plus systématique dans les écoles secondaires, nous avons mis le curseur à 21. Les étudiantes et étudiants qui ont des résultats déclarés entre 0 et 20 sont considérés comme plus fragilisés par rapport à celles et ceux qui obtiennent un score de 21 et plus.

Les questions posées pour cet indice sont en lien avec des accompagnements numériques que nous pourrions proposer. En réponse à un indice numérique fragile pour la création de contenu, nous pouvons organiser de l’autoformation via Moodle (vidéo, cahier d’exercices, tutoriel), des formations en salle informatique et des accompagnements individualisés. En réponse à un indice numérique fragile pour les compétences citoyennes, nous mettons en place par exemple des formations avec les bibliothèques pour apprendre à traiter des données, des formations spécifiques à la gestion des courriels, des conseils hebdomadaires d’éducation aux médias, des formations collectives et des accompagnements individualisés.

Indice de vulnérabilité numérique

L’indice de vulnérabilité numérique est une combinaison des trois sous-indices : de risque, de fragilité numérique en création de contenu et de fragilité numérique citoyenne. Notre recherche vise à repérer les étudiantes et étudiants fragilisés sur le plan numérique. La prise en considération de cette faiblesse liée aux technologies pour apprendre, combinée à d’autres facteurs de risque, nous permettrait de déterminer un public cible (à risque) qui présente un indice de vulnérabilité numérique élevé. Nous formulons l’hypothèse que les étudiants et étudiantes les plus vulnérables sur le plan numérique auraient besoin d’activités spécifiques d’aide à la réussite pour développer leurs compétences numériques dans le contexte de l’enseignement.

Méthodologie

Un prétest visant la vérification des différentes hypothèses de calcul des indices a été réalisé sur 900 étudiants et étudiantes en 2021. La première version du test était plus exhaustive. Un travail de refonte a été opéré pour ne garder que les variables les plus pertinentes dans le cadre de nos missions d’accompagnement. Pour tester les hypothèses de calcul des indices et les seuils, nous avons observé le parcours des personnes répondantes durant l’année. L’observation consistait à prendre en compte les éventuelles difficultés, les résultats aux examens, les demandes d’aide et les besoins formulés tout au long de l’année universitaire. Ceci nous a permis de stabiliser les items que nous souhaitions garder et d’affiner nos hypothèses de travail pour déterminer les niveaux des indices (les seuils).

Le public visé par le questionnaire en 2022 reprend tous les étudiants et étudiantes de première année du premier cycle de notre université qui compte 12 facultés réparties dans les domaines des sciences de la santé, des sciences et technologies et des sciences humaines. La passation s’est déroulée en ligne (via FormOffice) au moment du dépôt du dossier d’inscription ou de réinscription. La période d’inscription est ouverte de fin juin à fin septembre, mais nous avons permis que le questionnaire soit soumis jusqu’à la fin octobre, notamment pour les étudiants et étudiantes en arrivée tardive. Le temps de réponse moyen était de 10 minutes. Les questions sont formulées de manière binaire pour obtenir des résultats chiffrés directement exploitables. Le questionnaire est nominatif, non obligatoire et non contraignant. Il est déclaratif, ce qui invite à la prudence dans la lecture des résultats. En effet, lors du prétest en 2021 et sur la base des travaux de Wathelet et al. (2016), il semblerait que même si l’autoévaluation de leurs compétences par les étudiantes et étudiants est correcte, ils ont aussi une tendance plus marquée à se surestimer plutôt qu’à se sous‑estimer.

Le questionnaire revisité a été rempli par 3 955 étudiantes et étudiants parmi lesquels 3 742 sont inscrits en première année et 2 486 sont primo-inscrits (étudiants et étudiantes de première génération) à l’université. Ceci correspond environ à 40 % de la cohorte en inscription effective en première année. Les analyses ont été menées pour toutes les étudiantes et tous les étudiants inscrits en première année, en distinguant leur statut : primo-inscrits ou en échec (en situation de redoublement) et autres[1]. Le tableau 2 permet de visualiser la manière dont la population globale de notre étude se répartit en fonction du statut étudiant.

Tableau 2

Répartition des étudiantes et étudiants de première année par statut

Répartition des étudiantes et étudiants de première année par statut

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Nous avons réalisé des statistiques descriptives pour les deux parties du questionnaire, notamment avec des analyses de distribution (diagrammes en boîte dits aussi « boîtes à moustache ») ainsi qu’une analyse statistique de corrélation grâce au test de Spearman.

Résultats

Indice de risque des étudiantes et étudiants de première année

Les treize variables combinées permettent de déterminer un indice de risque par le cumul de caractéristiques d’entrée, facteurs pouvant entraver les apprentissages. Pour le calcul de cet indice de risque, une moyenne arrondie a été réalisée. Comme indiqué plus haut, les étudiantes et étudiants proches de 0 se trouvent en profil classique et celles et ceux qui sont proches de 1 sont en profil fortement à risque (+++). Sur les 3 742 personnes répondantes, nous recensons 28,7 % de profils classiques (c’est-à-dire des individus qui ne combinent pas ou très peu de facteurs de risque), 49 % d’individus à risque faible (+, qui combinent quelques caractéristiques), 20 % moyennement à risque (++, qui combinent plusieurs caractéristiques) et 2,3 % fortement à risque (+++, qui combinent quasi toutes les caractéristiques). Si on compare les proportions de profils par statut (tableau 3), on peut constater que :

  • Le profil « classique » concerne près d’un tiers des primo-inscrits (30,7 %) alors qu’il représente un quart des étudiants et étudiantes qui n’ont pas acquis la totalité de leur programme annuel d’études (25,8 %);

  • Le profil « à risque + » concerne proportionnellement plus les étudiants et étudiantes en échec (52,1 %) que les primo-inscrits (47,2 %);

  • La proportion d’étudiants et étudiantes « à risque ++ » est relativement stable d’un statut à l’autre;

  • Le profil « à risque +++ » est celui qui concerne le moins d’étudiants et étudiantes. Il concerne un peu plus ceux et celles qui sont en situation de redoublement.

Tableau 3

Indice de risque des étudiants et étudiantes de première année en 2022 (N = 3 742)

Indice de risque des étudiants et étudiantes de première année en 2022 (N = 3 742)

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Dans les caractéristiques d’entrée les plus fréquentes, le bloc de l’affiliation/intégration à l’université ressort pour 60 % des primo-inscrits. Ce sont des étudiants et étudiantes qui ne connaissent pas du tout l’université, car ils n’y ont jamais pratiqué d’activités préalables (sport, visites ou même emploi étudiant). Ceci peut s’expliquer par le pourcentage élevé d’étudiantes et étudiants internationaux, mais aussi par la seconde variable qui les interrogeait sur le fait d’avoir un ou une universitaire dans la famille proche. En effet, parmi les 3 742 personnes répondantes, 43 % n’ont pas d’universitaire dans leur réseau de proximité. Ceci entre en résonance avec la perception que l’université joue encore un rôle d’ascenseur social pour presque un étudiant ou une étudiante sur deux. Les différentes variables liées au contexte socioéconomique viennent en seconde position. En moyenne, un étudiant ou une étudiante sur trois dépend d’une allocation d’étude ou d’une aide financière pour son logement, ou travaille pour ses besoins primaires (logement, nourriture, santé). Considérant la crise actuelle post-COVID, la crise énergétique et l’inflation, ces données n’ont rien d’étonnant. Nombreux sont les étudiants et étudiantes qui ne peuvent pas suivre l’entièreté des cours en auditoire en raison d’un travail indispensable pour augmenter les ressources financières dont ils disposent. Il y a également une certaine pression sociale pour réussir leurs études afin de maintenir le droit aux allocations. Ces situations génèrent un stress qui peut affecter leur santé mentale et entraîner des difficultés d’apprentissage (Shankland et al. 2022). Les autres variables tout aussi intéressantes et prises de manière isolée informent que 26 % des primo-inscrits ont connu un redoublement d’au moins une année dans l’enseignement obligatoire, 16 % hésitent encore sur le choix d’études, 12 % ne sortent pas d’une filière générale ou de technique de transition, 9 % ne sortent pas d’un établissement francophone et 8 % ont eu un dépistage antérieur pour un trouble d’apprentissage. Chacun de ces facteurs pourrait avoir une influence sur la réussite. En cas de cumul, comme c’est le cas pour 70 % des personnes répondantes, les risques d’échec deviendraient plus importants.

Indices de fragilité numérique

Pour la catégorie consacrée aux compétences numériques (tableau 4), si les indices de fragilité numérique semblent satisfaisants quel que soit le statut (primo-inscrits ou en échec), l’analyse des taux de fréquence permet toutefois de pointer que 36,3 % des étudiants et étudiantes (sur les 3 742 personnes répondantes) ne savent pas utiliser les outils de bureautique pour des actions de base de création de contenu et que 36,9 % de ce même groupe déclarent ne pas posséder au moins 20 compétences numériques citoyennes. Ces pourcentages grimpent respectivement à 41,6 % et à 46,7 % pour les étudiantes et étudiants primo‑inscrits.

Tableau 4

Indices de fragilité numérique des étudiants et étudiantes entrant en 2022 (N = 3 742)

Indices de fragilité numérique des étudiants et étudiantes entrant en 2022 (N = 3 742)

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Parmi les 27 compétences numériques citoyennes recensées dans le questionnaire, la maîtrise de certaines compétences semble beaucoup moins problématique que d’autres. Ainsi, les étudiants et étudiantes semblent être à l’aise pour varier les moteurs de recherche afin de trouver de l’information (98,1 %) ou comparer différentes sources afin d’évaluer la fiabilité d’une information (95 %). De même, ils semblent particulièrement conscientisés aux conséquences relatives à l’usage des technologies numériques pour leur santé (95,4 %) ou pour l’environnement (97,8 %). Par contre, dans un contexte où l’évolution des technologies numériques est particulièrement rapide, à peine un étudiant ou une étudiante sur deux (55,3 %) indique mettre à jour régulièrement ses compétences numériques. De même, quasiment un étudiant ou une étudiante sur deux déclare ne pas maîtriser des compétences numériques relatives à la communication, à la création de contenu et à la sécurité. Notons qu’à première vue, les étudiantes et étudiants en échec semblent globalement mieux maîtriser ces compétences que les primo-inscrits. Mais nous reviendrons sur ce point plus loin car il sera à nuancer.

Pour les outils de bureautique, ce sont la gestion des courriels et l’utilisation d’un tableur équivalent à Excel qui semblent les éléments les plus fragilisants pour les étudiantes et étudiants. Notons qu’à première vue, celles et ceux qui redoublent semblent globalement mieux maîtriser ces compétences que les primo‑inscrits.

Indice de vulnérabilité numérique

Dans les analyses précédentes, nous avons vu que certains étudiants et étudiantes avaient un indice de risque élevé (facteurs (dé)favorables à la réussite) et que certains d’entre eux présentaient des fragilités numériques. Dès lors, il nous a semblé intéressant de poursuivre l’exploration des données en cherchant à savoir si certains indices pouvaient être liés et de constituer un indice plus fort, que nous avons appelé indice de vulnérabilité numérique. L’analyse descriptive et l’utilisation de boîtes à moustache permettent de se saisir de cette question (tableau 5 et figures 1 à 5). Le tableau 5 représente les résultats du croisement entre les deux indices de fragilité numérique et les quatre profils de risque avec le nombre d’étudiantes et étudiants primo-inscrits concernés.

Tableau 5

Répartition sur la base des catégories de risque pour les étudiantes et étudiants primo-inscrits (N = 2 486)

Répartition sur la base des catégories de risque pour les étudiantes et étudiants primo-inscrits (N = 2 486)

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Même si la taille des groupes se réduit pour les indices de risque plus élevé, il semblerait que les étudiantes et étudiants dits en situation « classique » atteignent, voire dépassent les seuils fixés pour les indices de fragilité numérique, tandis que celles et ceux qui sont plus en situation « à risque » se situent en dessous. Pour visualiser les dispersions, nous avons utilisé des boites à moustaches (box-plot)[2]. La figure 1 illustre le croisement de niveau de risque avec l’atteinte ou non du seuil fixé (21/27) pour les compétences numériques citoyennes pour les étudiants et étudiantes de première génération (primo-inscrits). Le seuil à atteindre (21) est indiqué en rouge et en pointillé. Plus de 50 % des étudiants en situation classique sont au-dessus du seuil. Par contre dans les groupes à risque, le seuil est atteint pour 25 % des personnes du groupe à risque ++ et un peu plus de 25 % pour le groupe à risque +++.

Pour les 2 486 étudiantes et étudiants primo-inscrits, les compétences de création de contenu (bureautique) semblent acquises (≥ 7/9) pour 1 325 d’entre eux (53 %) et les compétences numériques citoyennes semblent acquises (≥ 21/27) pour 1 452 (58 %). Dans la figure 2, plus de 50 % de celles et ceux qui ont acquis les compétences en création de contenu ont un indice de risque de 0 à ≤ 0,2 (partie droite de la figure). Pour rappel, les étudiantes et étudiants ayant un indice de risque inférieur à 0,2 sont considérés comme étant en situation d’apprentissage classique (sans ou avec peu de facteurs de risque). Pour la création de contenu numérique, le seuil d’acquisition est fixé à 7 sur 9.

Figure 1

Compétences numériques citoyennes par niveau de risque pour les étudiantes et étudiants primo‑inscrits

Compétences numériques citoyennes par niveau de risque pour les étudiantes et étudiants primo‑inscrits

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Figure 2

Indice de risque et compétences en création de contenu pour les étudiantes et étudiants primo-inscrits

Indice de risque et compétences en création de contenu pour les étudiantes et étudiants primo-inscrits

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La distribution est différente dans le groupe d’étudiantes et étudiants qui n’ont pas ces compétences considérées comme acquises, plus d’une personne sur deux cumule des facteurs de risque.

Dans la figure 3, le groupe d’étudiantes et étudiants qui n’ont pas atteint le seuil de compétences numériques citoyennes a aussi une distribution plus large. Moins de 50 % d’entre eux se trouvent entre l’indice de risque 0 et ≤ 0,2. Les 25 % suivants vont jusqu’au niveau de risque ++ (0,4). Ces représentations visuelles permettent d’observer qu’il y aurait un lien entre l’indice de risque et les indices de fragilités numériques.

Figure 3

Indice de risque et compétences numériques citoyennes pour les étudiantes et étudiants primo‑inscrits

Indice de risque et compétences numériques citoyennes pour les étudiantes et étudiants primo‑inscrits

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De ce fait, nous avons vérifié l’existence de corrélations entre les indices avec le test rho de Spearman (tableau 6). Les indices de fragilité numérique corrèlent entre eux de manière significative et positive (rs = 0,594; N = 3 742; p < 0,001). Les forces d’association sont moyennes (0,30 < rs < 0,70). Autrement dit, plus les étudiantes et étudiants déclarent connaître un nombre élevé de compétences en création de contenu, plus ils présentent un grand nombre de compétences numériques citoyennes. L’indice de risque corrèle significativement de manière négative avec tous les autres indices. Ces corrélations sont toutes significatives (p < 0,001). Nous pouvons donc affirmer que moins l’étudiant ou l’étudiante a un profil à risque (lié à ses caractéristiques à l’entrée), plus ses compétences mesurées par les autres indices sont développées. Notons toutefois que, dans tous les cas, la force de l’association est assez faible (rs < –0,30). Ceci nous laisse néanmoins penser que l’indice de vulnérabilité numérique est fiable et valable.

Tableau 6

Fiabilité de l’indice de vulnérabilité (N = 3 742)

Fiabilité de l’indice de vulnérabilité (N = 3 742)

** La corrélation est significative au niveau 0,01 (bilatéral).

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Comparaison entre les étudiantes et étudiants de première génération ou redoublants

Pour aller plus loin dans les mesures de fiabilité de l’indice de vulnérabilité numérique, nous avons comparé les étudiantes et étudiants de première génération (primo-inscrits) avec ceux qui sont en échec (redoublants). Précédemment, en comparant les compétences numériques en fonction des statuts étudiants, nous avions vu que les individus redoublants étaient meilleurs que les primo-inscrits. Ils déclaraient davantage posséder les compétences citoyennes et les compétences de création de contenu. Il est souvent répandu que la première expérience de l’université est en soi la meilleure aide à la réussite. L’année écoulée leur aurait permis d’augmenter leur niveau ressenti pour ces métacompétences. Cette supposition résonne peu avec nos observations sur le terrain, notamment pour les étudiantes et étudiants en grande difficulté. Nous voyons en effet que ceux qui sont en échec n’ont pas tous les mêmes facilités à développer les compétences numériques d’usage. Nous avons dès lors croisé les deux groupes de personnes apprenantes (primo-inscrites et en échec) sur la base de l’indice de vulnérabilité numérique. Pour ce faire, nous avons pris les deux extrêmes dans nos groupes étudiants. Ceux qui ont obtenu de 0 à 0,2 de moyenne aux caractéristiques d’entrée ont été appelés les étudiants en situation classiques, c’est-à-dire qui ne cumulent pas de facteurs défavorables ou très peu. Ce groupe a été comparé avec les étudiantes et étudiants qui ont obtenu 0,6 et plus dans le cumul des caractéristiques et que nous avons appelé les étudiants en situation fortement à risque (+++). Les redoublants en situation classique (indice de risque peu élevé) possèderaient davantage de compétences numériques de création de contenu que les étudiants et étudiantes de première génération faisant partie du même groupe pour l’indice de risque (figure 4). Par contre, 75 % des redoublants sont en dessous du seuil fixé quand ils ont un indice de risque élevé (+++) sur une distribution plus ramassée. Il y aurait donc une différence de développement de compétences numériques en fonction des facteurs de risque pour la création de contenu.

Pour les compétences numériques citoyennes (figure 5), les distributions sont quasi les mêmes entre les étudiants de première génération et les redoublants qui sont en situation classique (indice de risque peu élevé). Le groupe des redoublants est même un peu meilleur avec une médiane légèrement plus haute.

Par contre, pour les profils fortement à risque (+++), le groupe des redoublants ne déclare pas avoir développé de nouvelles compétences numériques. La médiane reste sous le seuil fixé (21/27) pour les deux groupes.

En synthèse, on pourrait dire que si l’indice de vulnérabilité numérique d’usage est faible (étudiantes et étudiants classiques et peu de faiblesses numériques), ils profiteraient de leur première année d’université pour développer leurs compétences numériques d’usage. Si l’indice de vulnérabilité numérique d’usage est élevé (combinaison d’une fragilité numérique et d’un niveau de risque fort), les étudiants et étudiantes profiteraient moins de leur première année d’enseignement pour acquérir de nouvelles compétences numériques. Ceci en ferait un enjeu pour les services d’accompagnement aux apprentissages.

Figure 4

Comparaison d’étudiants et étudiantes de première génération et redoublants (classiques et à risque +++) pour la création de contenu (bureautique)

Comparaison d’étudiants et étudiantes de première génération et redoublants (classiques et à risque +++) pour la création de contenu (bureautique)

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Figure 5

Comparaison d’étudiants et étudiantes de première génération et redoublants (classiques et à risque +++) pour les compétences numériques citoyennes

Comparaison d’étudiants et étudiantes de première génération et redoublants (classiques et à risque +++) pour les compétences numériques citoyennes

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Discussion

Pratiques déclarées

Plusieurs limites à cette étude sont à évoquer. Tout d’abord, les perceptions des étudiantes et étudiants sur leurs compétences peuvent être différentes des pratiques réelles. Sur la base de nos formations, de nos accompagnements et du retour des enseignants et enseignantes, ils seraient, dans notre université, encore moins bons pour les compétences numériques que ce qu’ils déclarent.

Wathelet et al. (2016) avançaient que les étudiants et étudiantes ont tendance à s’estimer correctement ou à se surévaluer. Nous percevons en effet la même chose. Nous avons réfléchi à une adaptation du questionnaire pour mieux nous approcher de la réalité. L’établissement prévoit d’acquérir prochainement une licence du logiciel Pix qui permettra de tester les compétences numériques citoyennes en situation réelle.

Saisie des inégalités

Les résultats de notre enquête nous invitent à considérer qu’il existerait bel et bien des inégalités numériques d’usage à l’entrée à l’université et qu’elles se superposeraient aux inégalités préexistantes liées au contexte d’étude étudiant. Plus une étudiante ou un étudiant est à risque (c’est-à-dire combine des facteurs défavorables comme le redoublement dans le passé scolaire), moins elle ou il possèderait les compétences numériques de base. De plus, un étudiant ou une étudiante vulnérable sur ces deux aspects (contexte d’apprentissage et fragilité numérique) ne profiterait pas de son année d’expérience à l’université pour combler ses lacunes. Nous supposons que l’expérience d’une année à l’université n’est pas suffisante à elle seule pour les étudiants et étudiantes en situation de redoublement et qui sont fortement à risque. Le service d’accompagnement aux apprentissages a dès lors développé des formations complémentaires et ciblées pour apprendre à utiliser les outils de bureautique et les compétences essentielles pour pouvoir communiquer de manière efficace avec l’université, traiter les informations, créer du contenu, etc. La difficulté restera de mesurer les impacts réels de ces activités sur le parcours universitaire des étudiants et étudiantes.

Photographie des compétences

Le mesurage des compétences vise à réaliser une photographie à la rentrée. Cela ne signifie pas pour autant qu’un individu reste ensuite figé dans son état. Les résultats permettent d’anticiper les actions à mener immédiatement mais aussi sur du moyen terme. À l’instar de Ramage et al. (2020), nous pouvons faire l’hypothèse qu’une extrapolation est éventuellement possible en supposant que les populations ne changent pas brutalement. Ceci est aussi vrai pour la photographie qui est prise d’un individu à un instant donné. L’objectif principal de ce questionnaire consiste donc pour nous à fournir une réponse immédiate. À la suite du test diagnostique, l’étudiant ou l’étudiante reçoit depuis la rentrée 2022 une proposition « sur mesure », si cela s’avère nécessaire, d’un accompagnement numérique. Les indicateurs nous permettent également d’élaborer un plan stratégique et des plans d’action pour les trois prochaines années qui intègrent pleinement des activités sur les métacompétences numériques.

Déjouer la prophétie autoréalisée

Il est légitime de se questionner par rapport à une certaine résignation acquise (Seligman, 1972). Si une étudiante ou un étudiant en difficulté prend connaissance de son niveau de risque, un sentiment d’impuissance pourrait devenir contreproductif. Le calcul sur le degré de risque ne lui est pas communiqué. Ce niveau de risque n’est pas un indicateur de réussite, mais il nous aide à cibler plus précisément les étudiants et étudiantes qui auraient le plus de risques d’échouer. Ainsi, le service d’accompagnement aux apprentissages peut leur adresser régulièrement un message les invitant à prendre part aux ateliers collectifs et aux suivis individuels ou encore leur proposer du tutorat et de faire le point régulièrement. Par ailleurs, une réflexion plus large est en cours pour utiliser plus globalement et anonymement certains chiffres globaux pour animer les séances d’accueil des étudiantes et étudiants primo-inscrits. Ces données permettraient en effet de travailler sur leur niveau de conscience.

Conclusion

Notre objet consistait à mesurer les inégalités d’usage du numérique chez les étudiants et étudiantes de première année dans notre université en Belgique francophone. En utilisant un test diagnostique déclaratif basé sur un indice de risque (contexte d’apprentissage) et un double indice de fragilité numérique (questionnaire constitué d’éléments du DigComp Citizen et d’éléments spécifiques à la création de contenu), l’idée était de repérer un public en situation de vulnérabilité numérique et donc à risque. Si l’effet direct des compétences numériques transversales n’est actuellement pas démontré dans la littérature, les études sont nombreuses à démontrer qu’une fragilité numérique creuse les inégalités de départ liées à la situation économique, sociale et du parcours antérieur. Trois grands résultats ont été compilés à l’aide d’analyses statistiques descriptives, de distribution et de corrélation. D’une part, plus d’un tiers de la population entrante à l’université n’atteint pas les seuils fixés, démontrant des inégalités dans l’usage du numérique. Ensuite, nous avons observé que le fait que les étudiants et étudiantes cumulent des facteurs de risque tels que le redoublement antérieur, une formation technique antérieure, l’obtention d’une bourse, etc. était corrélé positivement et de manière significative avec les compétences numériques. Ceci a constitué notre indice de vulnérabilité numérique. Plus un étudiant ou une étudiante se trouve dans un contexte favorable aux apprentissages (individu dit « classique »), meilleures sont ses compétences numériques citoyennes ou de création de contenu. Son indice de vulnérabilité numérique est faible. À l’inverse, celui ou celle qui combine un contexte défavorable (indice de risque élevé) avec des fragilités numériques présente un indice de vulnérabilité numérique élevé. Enfin, nous avons comparé les étudiantes et étudiants redoublants et les primo-inscrits en fonction de l’indice de vulnérabilité numérique. Les personnes vulnérables numériquement ne développeraient pas leurs compétences numériques pendant leur première année d’étude par rapport à celles qui recommencent également leur année, mais qui ne sont pas vulnérables numériquement. Cette dernière observation ouvre une série d’hypothèses quant à la nécessité de repérer très vite les individus vulnérables, d’accompagner dès le départ les vulnérables numériques, d’augmenter nos offres de formation pour les redoublants qui ne sont pas dans un contexte favorable à la réussite, et de considérer que les compétences numériques auraient un rôle à jouer dans la réussite universitaire. Ces différentes hypothèses pourraient faire l’objet de travaux ultérieurs. Nous envisageons aussi de mener des études longitudinales pour observer les tendances dans la durée. Nous souhaitons mesurer l’impact du test diagnostique (prise de conscience) et des formations sur le développement des compétences que nous avons ciblées dans le référentiel DigComp Citizen et dans la partie de création de contenu.