Abstracts
Résumé
La présente étude vise à comprendre les contributions de l’application WhatsApp aux processus d’apprentissage des étudiants au Burkina Faso et au Sénégal. Des fichiers de conversation de groupes WhatsApp ont été analysés et des entretiens menés. Les résultats montrent que cet espace numérique soutient l’apprentissage et favorise la réussite scolaire grâce au partage de l’information, à l’apprentissage collaboratif et à la possibilité d’apprendre et de travailler à distance. L’intégration formelle de cette plateforme comme outil d’aide pédagogique au sein des structures de formation pourrait, par ailleurs, contribuer à la mise en oeuvre des pédagogies actives dans l’enseignement supérieur en Afrique.
Mots-clés :
- Pédagogie universitaire numérique,
- réseaux sociaux,
- WhatsApp,
- apprentissage collaboratif,
- COVID-19,
- Burkina Faso,
- Sénégal
Abstract
The present study aims to understand the contribution of the WhatsApp application to the learning process of students in Burkina Faso and Senegal. Chat files from WhatsApp groups were analyzed and interviews conducted. The results show that this digital space promotes learning and academic success through information sharing, collaborative learning and the ability to learn and work remotely. The formal integration of this platform as a teaching aid tool could help establish active pedagogies in higher education in Africa.
Keywords:
- Digital transformation in higher education,
- social network,
- WhatsApp,
- collaborative learning,
- COVID-19,
- Burkina Faso,
- Senegal
Article body
Introduction
La crise sanitaire liée à la maladie à coronavirus a renforcé la présence du numérique dans la société et dans les sphères éducatives, montrant, s’il en était encore besoin, son importance dans nos vies.
Avec la fermeture des établissements d’enseignement, les structures éducatives sont passées du jour au lendemain à un enseignement 100 % numérique et à distance ou ont été contraintes d’arrêter les enseignements quand le numérique n’était pas accessible (Banque mondiale, 2020).
Malgré les défis d’accès aux technologies, le numérique est là pour bien longtemps. En effet, il a pris une telle ampleur dans l’éducation qu’il s’agit désormais de repenser les pratiques éducatives en intégrant ces technologies de façon optimale (Endrizzi, 2012).
Au niveau de l’enseignement supérieur, la crise actuelle accélère le passage de la pédagogie universitaire, visant à améliorer la qualité dans l’enseignement supérieur (Frenay et Wouters, 2013), à la pédagogie universitaire numérique, où le numérique occupe une place centrale dans l’enseignement et l’apprentissage (Lameul et Loisy, 2014). Pourtant, ce passage au numérique ne va pas de soi et, en fonction du contexte, il est accompagné de défis plus ou moins importants en lien avec la technique (accessibilité et manipulation de l’outil) et la pédagogie (enseigner et apprendre avec et par le numérique).
En Afrique de l’Ouest, malgré ces défis qui restent à surmonter, on assiste à une révolution numérique à grande vitesse avec 106 nouveaux utilisateurs d’Internet par seconde (Fonds monétaire international, 2020). Selon les estimations chiffrées présentées par Kemp (2020), 92 % des utilisateurs d’Internet y compris en Afrique de l’Ouest se connectent avec leur téléphone mobile et WhatsApp est la messagerie instantanée la plus utilisée. Cette révolution technologique ouvrant de nouvelles possibilités, il nous a paru utile de nous interroger sur l’intérêt que pourrait avoir l’application WhatsApp dans les processus d’apprentissage des étudiants ainsi que sur la place et le rôle de cette application dans les relations d’apprentissage entre étudiants. L’étude que nous avons menée auprès d’étudiants du Burkina Faso et du Sénégal s’inscrit, sur le plan théorique, dans les travaux sur l’innovation pédagogique, les défis de la pédagogie universitaire numérique en Afrique et l’apprentissage collaboratif par les réseaux sociaux. Elle ne vise pas à cerner toute la complexité de l’enseignement-apprentissage intégrant le numérique ou à parvenir à des conclusions définitives sur un sujet relativement récent qui appelle à des études plus larges et approfondies. Elle se veut simplement une observation objectivée d’un phénomène nouveau dans un contexte universitaire africain où le numérique séduit fortement sans parfois laisser assez d’espace à un discours mitigé adossé aux connaissances empiriques. Dans cette contribution, nous exposerons tout de suite les théories de référence avant de présenter la méthodologie utilisée dans le cadre de la recherche. Les résultats seront ensuite révélés puis suivra une discussion visant à apporter des éléments de réponse à notre questionnement.
L’innovation pédagogique attendue au sein de l’établissement universitaire
Le concept d’innovation pédagogique renvoie aux idées de changement, de transformation et de nouveauté (Lemaître, 2018). En effet, selon De Ketele (2010), l’innovation est définie comme le fait de mettre intentionnellement du neuf dans une pratique habituelle antérieure. Elle implique un changement qui, pour ce faire, demande aux établissements de penser et d’agir différemment. Selon Bédard et Béchard (2009), le concept évoque l’amélioration des apprentissages des étudiants en situation d’interaction et d’interactivité. Lison et al. (2014) voient dans l’innovation pédagogique une rupture avec les façons classiques d’enseigner et la définissent comme tout enseignement autre que magistral ou frontal. Avec l’avènement et le développement du numérique dans l’éducation, Albero (2011) estime que l’innovation pédagogique se rapporte davantage à une innovation technique au vu de l’ampleur prise par les technologies.
Pourtant, la pédagogie universitaire met en avant le rôle central des enseignants (Frenay et Wouters, 2013). Ces derniers sont invités à adopter des formes pédagogiques intégrant le numérique et incitant l’étudiant à participer activement à la construction de ses savoirs, ce qui complexifie leur rôle (Lameul et Loisy, 2014). De plus, la massification de l’enseignement supérieur de même que la diversité des parcours et des profils des étudiants posent la nécessaire question de la pédagogie à mettre en oeuvre pour assurer à chacun les mêmes chances d’apprendre et de réussir. Il apparaît, de l’avis de Goastellec (2014), une transformation des métiers d’enseignant et d’étudiant induite par la pédagogie universitaire numérique.
En Afrique de l’Ouest, les technologies apportent un soutien à l’apprentissage et permettent des collaborations plus nombreuses et diversifiées (Karsenti, 2020). Cependant, Tiemtoré (2019) attire l’attention sur le coût important des technologies, le déficit d’infrastructures et les pédagogies passives inappropriées mais très largement encore en vigueur dans l’enseignement supérieur qui sont autant de défis à relever pour parvenir à une appropriation de la pédagogie universitaire numérique, tout au moins, dans cette partie du continent.
Les réseaux sociaux, facilitateurs de l’apprentissage collaboratif
Les réseaux sociaux sont un ensemble de dispositifs de communication basés sur la participation des usagers qui deviennent à la fois créateurs et consommateurs de contenus (Latzo-Toth et al., 2017).
Leur apparition dans le contexte scolaire est relativement récente, mais les enseignants sont de plus en plus nombreux à les intégrer dans leur pédagogie (Hénocque, 2014). En effet, l’usage des réseaux sociaux dans l’enseignement universitaire est désormais une réalité (Charnet, 2018).
Chomienne et Lehmans (2012) montrent d’ailleurs dans leurs travaux que les réseaux sociaux sont efficaces lorsqu’il s’agit de construire une communauté de savoirs ou d’aider les étudiants à s’approprier des connaissances dans une démarche de construction collective. Ces plateformes contribuent au processus d’apprentissage et peuvent améliorer la qualité de l’enseignement. En Afrique, des expériences menées au Togo, en Côte d’Ivoire et au Cameroun sur l’usage de Facebook, WhatsApp, Twitter et YouTube utilisés en contexte pédagogique montrent que les réseaux sociaux aident les étudiants à respecter les délais des travaux à rendre, à rédiger des mémoires, à communiquer avec l’administration, mais également à apprendre une nouvelle langue (Mian, s.d.).
En particulier, le réseau social WhatsApp – messagerie instantanée gratuite utilisée sur téléphones intelligents ou sur ordinateurs – montre des avantages éducatifs dans les recherches menées sur le sujet (Bouhnik et Deshen, 2014; Cetinkaya, 2017; Charnet, 2018).
Chipunza et Rambe (2013) soulignent qu’en Afrique du Sud, WhatsApp améliore l’accès aux ressources éducatives et permet un dialogue collaboratif entre étudiants et enseignants. Cependant, le manque d’accès aux téléphones intelligents et à Internet freine son utilisation.
Les réseaux sociaux créent ainsi une nouvelle dynamique dans les relations entre enseignants et étudiants (Hermann-Schlichter et Coulibaly, 2017). Lee et McLoughlin (2011) évoquent le terme de pédagogie Web 2.0 qu’ils considèrent comme étant participative, personnalisée et productive. Sans vouloir nous appesantir sur cette notion de pédagogie Web 2.0, il est nécessaire, toutefois, de jouer de prudence dans l’interprétation du point de vue de ces auteurs afin de ne pas hâtivement conclure que toute pédagogie qui intègrerait les réseaux sociaux serait forcément participative, personnalisée et productive. Cela dit, il semble être admis qu’Internet, à travers les réseaux de personnes, facilite la coconstruction des savoirs (Endrizzi, 2012).
Sur le plan théorique, notons que l’usage des réseaux sociaux nous permet de faire appel, selon les contextes, au triangle pédagogique de Houssaye (1988) ou au tétraèdre pédagogique de Faerber (2003) avec ses quatre pôles : l’enseignant, l’apprenant, le savoir et le groupe. En mettant en exergue le groupe d’apprentissage, le tétraèdre rajoute aux processus apprendre, enseigner et former du triangle traditionnel trois nouveaux processus rattachés au groupe : participer, partager et faciliter. En effet, une relation entre apprenants se développe, car l’apprenant est capable de faire appel à ses pairs dans la validation des savoirs (Arnaud, 2012). Pour Collin et Karsenti (2013) : « Le triangle pédagogique contient les éléments de base de toute situation d’enseignement et d’apprentissage […] au centre desquels sont ajoutées les technologies » (p. 202). Ainsi, les TIC peuvent faciliter les rapports entre les différents pôles du triangle et renforcer l’apprentissage collaboratif entre étudiants.
L’apprentissage collaboratif décrit une situation où des interactions entre apprenants se passent et favorisent l’apprentissage. Une situation est considérée comme collaborative si les apprenants ont le même niveau, peuvent effectuer les mêmes actions, ont un but commun et travaillent ensemble (Dillenbourg, 1999). Wenger, cité par Chomienne et Lehmans (2012, p. 4), parle de communauté de pratique qu’il définit comme un groupe de personnes qui, à travers des interactions, construisent des relations puis un sentiment d’appartenance. Trois critères interviennent, selon lui, dans la définition de la communauté qui donne au travail collaboratif sa consistance : l’engagement mutuel, une entreprise commune et un répertoire partagé. C’est précisément à cette dimension collaborative que s’intéresse notre étude avec cette spécificité de traiter de l’apprentissage collaboratif du point de vue de l’étudiant. L’hypothèse que nous avançons est que l’application WhatsApp favorise les interactions entre apprenants et permet un apprentissage collaboratif quand elle est utilisée dans un environnement éducatif en tant qu’outil d’aide pédagogique.
Méthodologie
Nous avons fait le choix d’une étude qualitative et d’un échantillonnage aléatoire par consentement.
Participants
Nous avons collecté les données dans deux instituts privés d’enseignement supérieur au Burkina Faso et au Sénégal. Ces deux structures proposent respectivement des formations en sciences humaines et en sciences de gestion dans des filières telles que : action humanitaire, sécurité alimentaire et nutrition en situation d’urgence, gestion des conflits et construction de la paix, administration des affaires, marketing, gestion des ressources humaines, etc. Les diplômes qui y sont préparés sont de niveau licence et master. Au total, 27 étudiants (14 filles et 13 garçons) de niveau licence ont été interviewés : 11 étudiants de l’institut du Burkina Faso et 16 étudiants de l’institut du Sénégal. Les étudiants ont été sélectionnés de façon aléatoire. Un membre de l’administration de chaque institut a également été interrogé. Enfin, 265 étudiants ont participé à l’étude à travers les conversations menées dans les groupes de classe WhatsApp. En effet, ces étudiants ont accepté de partager à postériori avec nous lesdits fichiers de conversation. Précisons que ces conversations ont été menées librement et qu’aucune consigne préalable n’a été donnée aux étudiants. En effet, les conversations ont été réalisées avant la présente recherche et n’ont pas été suscitées expressément pour cette étude. Toutefois, une condition essentielle était à remplir par les groupes WhatsApp pris en compte dans cette étude. Le groupe devait concerner une classe et tous ses étudiants et avoir été créé, à l’initiative de l’administration, comme outil d’aide pédagogique au service de la classe. Sur la base de ce critère, toutes les conversations menées sur cet espace, même lorsqu’elles ne sont pas liées aux contenus des savoirs, présentent un intérêt pour notre étude dans la mesure où elles donnent une indication sur la manière dont cet espace pédagogique est investi et animé par les étudiants.
En tout, 302 personnes ont ainsi participé à notre étude. Le tableau ci-après indique le nombre total de participants par catégorie et par institut.
La particularité de cette étude est d’avoir pu accéder aux fichiers de conversation WhatsApp des étudiants. Cela a permis d’aller au-delà du déclaratif et de confronter ce qui a été dit au cours des entretiens aux traces écrites consignées dans les fichiers. Cependant, la taille de l’échantillon et le parti pris de ne nous intéresser qu’aux étudiants dans cette étude constituent une limite que des études ultérieures pourraient aider à dépasser.
Instruments de collecte de données
Les entretiens ont été menés au mois d’octobre 2020 à l’aide d’un guide semi-directif. Les discussions ont porté sur les thématiques suivantes : les sujets abordés et la nature des échanges dans le groupe de classe WhatsApp, le degré d’implication des étudiants dans le groupe, les avantages et inconvénients du groupe, son impact dans le processus d’apprentissage et dans la réussite scolaire et, enfin, l’entraide et la collaboration entre camarades dans le groupe. Les entretiens ont été transcrits mot à mot sans aucune modification, interprétation ou abréviation.
Les membres de l’administration ont été interrogés pour mieux cerner la présence et l’organisation de WhatsApp dans les instituts et mieux comprendre et analyser l’apport des groupes WhatsApp à l’étude dans leur contexte.
Les fichiers de conversation des groupes de classe WhatsApp ont été obtenus auprès des responsables de classe. Nous avons rencontré ces derniers en octobre 2020 et leur avons demandé de partager les fichiers en leur précisant que ceux-ci seraient utilisés dans le cadre d’une étude et que leur anonymat serait préservé. Les responsables ont envoyé un message dans les groupes de classe WhatsApp pour demander aux étudiants l’autorisation de partager les fichiers. N’ayant pas enregistré d’objection de la part des étudiants, ils nous ont transféré les fichiers par courriel sous format .txt sans en altérer le contenu. Au total, les fichiers de conversation de huit classes différentes ont été analysés. Nous avons étudié les messages échangés sur la période allant de mars à août 2020, soit une durée de six mois.
Processus de validation des données
Le guide d’entretien semi-directif a été testé auprès de sept étudiants pour voir si les thématiques étaient bien comprises. Aucune difficulté de compréhension majeure n’a été notée. Nous avons cependant procédé à une reformulation mineure d’une thématique du guide d’entretien. En effet, le point qui portait sur la nature des conversations menées dans les groupes engendrait des réponses un peu vagues de la part des étudiants. Nous avons reformulé ce point en demandant aux enquêtés de citer les trois sujets de conversation qui revenaient le plus. Le guide ainsi validé, nous avons pu commencer nos entretiens.
Analyse des données
Le traitement des données a été effectué de façon manuelle selon la méthode de l’analyse des contenus (Lefebvre, 1989). Nous avons élaboré pour les entretiens et pour les conversations deux grilles d’analyse distinctes. Les données des entretiens ont été classées selon les thématiques du guide d’entretien. Les données des conversations ont été catégorisées selon les sujets abordés. Nous avons compté le nombre de fois qu’une discussion liée à une thématique était menée pour mesurer en pourcentage la fréquence à laquelle chaque thématique faisait l’objet de discussions. Nous avons, en outre, confronté les données recueillies dans les entretiens aux fichiers bruts des conversations pour éventuellement relever des écarts.
Résultats
L’analyse des conversations et des entretiens indique que le groupe WhatsApp de classe occupe une place significative dans l’entraide entre apprenants. Le groupe participe de façon directe et indirecte aux processus d’apprentissage des étudiants.
Présence et organisation de WhatsApp dans les instituts
Les groupes WhatsApp que nous avons étudiés étaient déjà créés et utilisés avant la pandémie du coronavirus par les étudiants. Seul un groupe a été créé pour la continuité éducative lors de l’arrêt des cours. La pratique n’est donc pas nouvelle. Les groupes sont composés des étudiants de la classe et d’un membre de l’administration chargé du suivi de la classe. Mis à part les informations diverses partagées, le membre de l’administration ne participe pas aux discussions du groupe. Il en est de même pour l’enseignant qui, lorsqu’il est ajouté au groupe, se contente de donner son cours à distance.
Les groupes de classe WhatsApp étudiés ont des effectifs allant de 15 à 40 étudiants en moyenne. Les étudiants d’une même classe suivent les mêmes cours et le programme est fixe : tous les cours sont obligatoires et doivent être validés pour obtenir le diplôme en fin de cycle. Le corps professoral est composé en très grande majorité d’enseignants vacataires ayant un emploi principal autre que celui d’enseigner, ce qui rend les emplois du temps instables, des enseignants pouvant annuler un cours à la dernière minute en raison de contraintes professionnelles. Des changements à l’emploi du temps sont ainsi régulièrement notés avec des annulations de cours et des réaménagements apportés à l’emploi du temps. L’information, dans un tel contexte, change rapidement et sa diffusion en temps réel et à tous constitue un vrai défi.
Nature des discussions
L’analyse des conversations fait ressortir cinq grandes thématiques de discussions : pédagogique, logistique, emploi et entrepreneuriat, social et divers. Le tableau ci-après énumère les différents sujets abordés lors des conversations entre étudiants et donne un aperçu de ce qui est discuté.
Le graphique de la figure 1 illustre la fréquence des thématiques abordées. Les discussions portent le plus souvent sur les volets pédagogique et logistique des cours.
Malgré un volet social qui paraît faible en apparence, les discussions sont très actives et les conversations liées à la pédagogie et à la logistique ont un fort volet social, les étudiants plaisantant entre eux, partageant leurs ressentis sur une situation ou un enseignant. Les interactions sociales se créent ainsi à travers les discussions liées en majorité aux cours.
L’ensemble des étudiants ne participent pas aux conversations. Le degré d’implication varie selon la nature des discussions. Un message divers sans lien avec le cours, par exemple sur les mesures préventives liées au coronavirus, aura deux à trois réponses, alors qu’une discussion sur la constitution de groupes de travail peut engager une quinzaine d’étudiants.
Avantages pédagogiques de l’utilisation de WhatsApp
Tous les étudiants interviewés voient des avantages à l’utilisation de WhatsApp et pensent que l’application a un impact dans leur processus d’apprentissage. Un étudiant interrogé (E10) affirme : « Sans ces groupes, j’aurais pu reprendre certains modules ou trébucher dès le début de mes études. » Un autre (E20) poursuit en ces termes : « J’ai parfois posé des questions dans le groupe pour mieux comprendre un aspect du cours et des étudiants ont répondu en envoyant des messages vocaux qui m’ont vraiment aidé. » Il ressort des entretiens une adhésion des apprenants à cet outil qui facilite leurs interactions en dehors de la classe. Après analyse des conversations et des entretiens, quatre principaux avantages à l’utilisation de cette plateforme apparaissent : un partage rapide de l’information, un soutien logistique et technique, la possibilité de faire cours et de travailler à distance et l’apprentissage collaboratif entre étudiants.
Un partage rapide de l’information
L’application permet d’échanger des informations pédagogiques ou administratives importantes et de toucher en quelques minutes une majorité d’étudiants. « Ça facilite l’accès à l’information », résume un des étudiants (E14) interrogés. « C’est plus pratique et accessible pour nous que le mail », affirme un autre (E17).
En effet, lorsqu’un enseignant a un support à partager ou des consignes dans le cadre du cours, il s’adresse au responsable de la classe, qui le diffuse immédiatement dans le groupe WhatsApp.
Un soutien logistique et technique
Les étudiants utilisent le groupe pour retracer les salles de cours ou l’état d’avancement du cours quand ils sont en retard ou ont manqué une séance. Avec la COVID-19, ils se sont entraidés pour accéder à la plateforme en ligne mise à leur disposition par chaque institut et régler ensemble les problèmes techniques. On retrouve par exemple à ce sujet des échanges dans les conversations sur la procédure d’accès à la plateforme avec des captures d’écran pour illustrer les indications données.
La possibilité de faire cours et de travailler à distance
L’institut basé au Burkina Faso a utilisé l’application pour poursuivre les cours à distance lors de la fermeture des établissements d’enseignement. Six cours de deux heures ont pu se dérouler en avril et mai 2020 grâce à l’application. Les supports de cours ont été envoyés au préalable aux étudiants. Si les étudiants ont apprécié le fait d’avoir pu poursuivre les enseignements, ils ont relevé quelques difficultés liées au flux des échanges synchrones qui ne permettait pas un dialogue fluide entre l’enseignant et les apprenants. Il est à noter qu’une des séances du cours a été perturbée par un mauvais réseau Internet qui a fait l’objet d’une conversation de plus de 45 minutes et occasionné une perte de temps. L’application a néanmoins permis de faciliter les travaux de groupe. Les étudiants ont partagé des fichiers et des liens et ont discuté par le biais de messages vocaux pour se mettre d’accord sur ce qu’il y avait à faire. C’est le cas par exemple pour ce travail sur le leadership qui a amené les étudiants à débattre de l’importance des objectifs. Chacun a expliqué, par écrit, pour quelles raisons il lui semblait essentiel de fixer des objectifs à une équipe et quels avantages en étaient attendus. Ensuite, ils ont tenté d’élaborer des objectifs en respectant les consignes qui leur avaient été transmises.
L’apprentissage collaboratif entre les étudiants
L’application permet aux étudiants de s’entraider à distance, à n’importe quelle heure et n’importe quel jour. Quand un étudiant ne comprend pas un aspect du cours, il en fait part sur WhatsApp à ses camarades qui l’aident à comprendre le cours. Les étudiants essayent également de comprendre ensemble un cours quand un grand nombre ne l’ont pas compris. Pour ce faire, ils procèdent soit par une interpellation des pairs, soit par une action collective visant à résoudre le problème. L’interpellation, le plus souvent, prend la forme d’une question posée par l’un des membres du groupe : « Qui a compris le cours d’aujourd’hui? » ou encore : « Je n’ai pas saisi les explications du prof sur la deuxième partie du cours, avez-vous compris quelque chose? » S’ensuivent alors de longs échanges durant lesquels chacun apporte sa compréhension des aspects évoqués du cours. L’action collective de résolution de problèmes consiste à prendre la décision – à la suite d’échanges dans le groupe – d’interpeler l’enseignant pour obtenir de nouvelles explications, de demander à l’administration des heures de cours supplémentaires ou encore de solliciter carrément le remplacement de l’enseignant. Cette action collective se met en place lorsque l’interpellation des pairs conduit au constat que la grande majorité des étudiants n’ont pas compris le cours.
Inconvénients relevés
Les étudiants nous ont fait part de certains inconvénients corroborés par l’analyse des conversations : des discussions parfois hors contexte, la participation à effet démotivant et l’incivilité des étudiants.
Des discussions parfois hors contexte
Nous avons noté que les conversations déviaient parfois du sujet principal, ce qui peut être une source de distraction. Selon les groupes, les informations pertinentes et pédagogiques sont noyées dans les nombreuses discussions entre étudiants, qui sont source de distraction, ce qui permet difficilement de retrouver les informations essentielles.
La participation à effet démotivant
Au regard de la nature de WhatsApp qui accepte que plusieurs messages soient envoyés simultanément par les différents participants, il devient difficile de suivre une discussion lorsque celle-ci suscite de nombreuses réactions. C’est un paradoxe de l’outil qui facilite, certes, les interactions, mais démotive et perturbe les participants dès que plusieurs d’entre eux prennent part à une discussion.
L’incivilité entre étudiants
Les étudiants s’invectivent parfois et utilisent dans le groupe des propos outranciers envers l’administration et certains enseignants, oubliant même qu’un membre de l’administration est dans le groupe. Un étudiant a par exemple traité un enseignant de « con » dans une des conversations. Un autre a écrit : « Ce sont des imbéciles », en parlant de l’administration. Autant de propos qui ne sont pas les bienvenus dans un espace d’apprentissage.
Discussion
Les résultats de cette étude semblent indiquer que WhatsApp apporte une contribution positive au processus d’apprentissage des étudiants en facilitant le partage de l’information (de nature pédagogique ou organisationnelle) et en offrant un cadre de discussion et d’apprentissage en dehors de l’espace physique de la classe.
L’utilisation de cette plateforme dans l’enseignement supérieur constitue une innovation pédagogique (De Ketele, 2010; Lemaître, 2018) apportant quelques réponses aux défis de la pédagogie universitaire numérique, notamment en matière d’accompagnement des étudiants pour développer leurs capacités nécessaires aux études supérieures (Albero, 2014). Il est apparu également que les groupes WhatsApp sont utilisés comme des espaces de socialisation par les étudiants. La diversité des sujets abordés et le ton des échanges montrent que les apprenants se sont saisis de cet espace et en ont fait ce qu’on pourrait qualifier « d’agora pédagogique et éducative ». Du reste, ceux que nous avons interrogés affirment avoir développé le réflexe d’aller vers leur groupe WhatsApp dès qu’ils ont besoin d’une aide quelconque en lien avec leur formation universitaire. Les résultats de l’étude indiquent par ailleurs que WhatsApp bénéficie d’un niveau plutôt élevé d’acceptation par les étudiants comparativement à d’autres outils numériques (messagerie électronique, Facebook, Messenger, etc.) présents dans les structures d’enseignement supérieur depuis bien plus longtemps, mais peu utilisés pour le soutien pédagogique. Cette situation serait due au fait que l’application WhatsApp, en plus de son coût relativement faible, permet de pallier certains dysfonctionnements observés dans les instituts où l’étude a été menée. En effet, les étudiants, par ce canal, s’entraident pour régler de nombreux problèmes de logistique et de programmation de cours qu’ils rencontrent. Ils étudient et travaillent à distance grâce à cette application, ce qui est important dans un contexte de crise sanitaire et sécuritaire. Le côté participatif de WhatsApp améliore par ailleurs la collaboration entre les étudiants qui se soutiennent pour réussir, ce qui rejoint les conclusions de Lee et McLoughlin (2011). En effet, l’entraide pour les devoirs, le partage des supports de cours, l’aide à la compréhension des cours, la réalisation d’activités d’apprentissage telles que la résolution de problèmes (Dillenbourg, 1999) sont autant d’attitudes facilitées par l’application.
En évoquant le triangle pédagogique, l’importance pour la formation de la relation pédagogique entre l’enseignant et l’apprenant (Hermann-Schlichter et Coulibaly, 2017) a été rappelée. Toutefois, nos résultats soulignent l’existence d’une relation apprenants-apprenants dans les groupes WhatsApp et d’une construction sociale du savoir telle que définie par les théories socioconstructivistes défendues par Bandura et Walters (1963). Si Marsollier (2003) insiste sur le rôle central de l’enseignant en matière d’innovation pédagogique, cette étude nous suggère d’examiner davantage celui de l’apprenant en contexte universitaire et le binôme enseignant-apprenant comme moteur de l’innovation.
Ces constats ouvrent peut-être de nouvelles perspectives pédagogiques. WhatsApp pourrait être utile dans l’amélioration de la qualité des apprentissages au niveau de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest, d’autant plus que, rappelons-le, malgré des problèmes d’accès à Internet, une révolution du numérique s’y opère.
Pour en faire un outil pédagogique à part entière, l’application WhatsApp pourrait être reconnue de manière formelle comme plateforme d’accompagnement pédagogique dans les établissements d’enseignement supérieur au contexte similaire, et ce, à l’instar des applications informatiques de présentation comme PowerPoint, dont l’usage en classe est encouragé, voire exigé par les structures de formation. En début d’année, les groupes WhatsApp ainsi que les autres applications de réseau social pourraient être présentés aux nouveaux étudiants comme faisant partie des outils pédagogiques utilisés. Les responsables de classe, le cas échéant, bénéficieraient d’une formation leur permettant de jouer le rôle de modérateur pour limiter les inconvénients relevés par les étudiants au cours de cette étude. Les enseignants, quant à eux, seront invités officiellement par les responsables pédagogiques des instituts à intégrer WhatsApp dans leur palette d’outils. Certains parmi eux semblent, du reste, avoir déjà un usage informel de cette application. Une formalisation consisterait entre autres à prévoir pour chaque enseignant des séances de familiarisation à l’outil et un temps inclus dans son service pour occuper le rôle d’enseignant-tuteur (Faerber, 2003) en répondant aux sollicitations des étudiants issues de leurs discussions menées dans le groupe WhatsApp.
La recherche sur les réseaux sociaux dans l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest francophone étant encore à ses débuts, de nombreuses zones d’ombre persistent et méritent d’être éclairées telles que le niveau de participation nécessaire à la survie d’un groupe WhatsApp ou encore la taille optimale d’un groupe pour une animation pédagogique maîtrisée.
Une autre piste à explorer est l’utilisation de WhatsApp pour des effectifs plus importants. Cette application ne pourrait-elle pas faciliter l’adoption et la mise en oeuvre des pédagogies actives dans les universités publiques du Burkina Faso et du Sénégal? Des études complémentaires sur l’utilisation de WhatsApp dans des classes aux effectifs élevés pourraient être menées.
Conclusion
Nous nous sommes intéressé dans cette étude au point de vue des apprenants et à leur utilisation de l’application WhatsApp présente dans leur environnement de formation. L’objectif était de tenter d’appréhender les contributions de cette application aux processus d’apprentissage des étudiants. Il ressort de cela que cette application est utilisée comme outil de socialisation et de partage de l’information, qu’elle permet une collaboration pédagogique entre étudiants et la réalisation de cours quand les dispositifs d’apprentissage en ligne plus élaborés font défaut ou ne sont pas accessibles aux enseignants et aux étudiants. Elle participe ainsi aux processus d’apprentissage et semble densifier la relation entre apprenants, facilitant de la sorte l’apprentissage collaboratif. En disant cela, il ne s’agit pas de transférer la responsabilité de l’apprentissage aux étudiants, mais plutôt d’observer et d’élucider des changements pédagogiques en cours en essayant d’évaluer leur portée sur la durée. Dans cet ordre d’idées, il faudra continuer d’étudier les interactions au sein des groupes WhatsApp de classe pour appréhender dans quelle mesure elles contribuent à atténuer le manque d’accompagnement pointé par Albero (2014) comme l’un des défauts de l’enseignement supérieur alors même que l’accompagnement humain dans l’acquisition de connaissances se révèle toujours déterminant.
Appendices
Références
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- Albero, B. (2014). La pédagogie à l’université entre numérisation et massification. Apports et risques d’une mutation. Dans G. Lameul et C. Loisy (dir.), La pédagogie universitaire à l’heure du numérique : questionnements et éclairages de la recherche (p. 27-53). De Boeck.
- Arnaud, M. (2012). Apprendre par les réseaux sociaux, qu’est-ce qui change? Études de communication, 2021/1(38), 101-115. https://doi.org/10.4000/edc.3402
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- Banque mondiale. (2020). Pandémie de COVID-19 : chocs pour l’éducation et réponses stratégiques. http://hdl.handle.net/10986/33696
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