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Introduction

Cet article relate une expérience d’implémentation des TIC[1] dans le cadre de deux activités[2] d’apprentissage interreliées dispensées à un groupe de 18 étudiants[3] de deuxième année du bachelier assistant(e) social(e), en Belgique.

En septembre 2019, alors que personne n’imaginait la crise sanitaire qui s’annonçait, un nouveau dispositif pédagogique dont l’objectif est double est élaboré :

  • Viser l’apprentissage de notions au départ de scénarios pédagogiques (Bibeau, 2000) intégrant les TIC;

  • Expérimenter l’usage de technologies diverses, a priori inhabituelles, afin d’amorcer une réflexion collective au sujet de l’illectronisme[4].

Dans cet écrit, une fois la chronologie des faits précisée, l’analyse portera sur le cheminement parcouru par les apprenants et l’enseignant tout au long de l’expérience perturbée par la pandémie. S’en suivra une réflexion autour de divers ingrédients à prendre en compte lorsqu’il s’agit d’intégrer les TIC en formation.

En vue d’établir une photographie du regard porté par les étudiants sur les TIC tant au début qu’à l’issue du dispositif et de mettre à jour les apports et difficultés constatés, neuf étudiants ont accepté de remplir un formulaire proposé en ligne. Leurs contributions illustreront les propos. À noter que ce formulaire, anonyme, poursuivait l’objectif d’évaluation du nouveau dispositif.

1. Chronologie des faits

1.1 Septembre 2019, l’enthousiasme

Poursuivant le double objectif précité, diverses fonctionnalités de la plateforme d’apprentissage Moodle, plusieurs applications de la suite Office 365 (OneNote, Word en ligne, portfolio du Sway) et le logiciel Padlet (mur virtuel collaboratif) sont proposés comme supports aux étudiants. L’ambition dépasse le simple fait de télécharger des ressources en ligne, ce à quoi les 18 étudiants sont exclusivement habitués.

Chaque support envisagé répond à des objectifs précisément poursuivis. La manière d’y donner accès aux étudiants et de les y familiariser progressivement est pensée, d’autant qu’ils méconnaissent les TIC mobilisées.

En début de cours, les activités et leurs consignes rigoureusement rédigées sont présentées aux étudiants, qui se montrent curieux mais très dubitatifs. L’une des activités répond au principe de l’apprentissage hybride (blended learning)[5]. Pour ce faire, deux séances en présence sont annulées, laissant huit heures à disposition des étudiants pour l’organisation de leur travail à distance. Ceux-ci n’ont jamais expérimenté une telle façon de procéder. Deux autres activités, tantôt de groupe autour du Padlet, tantôt individuelle autour du Sway, sont comprises dans le temps de travail autonome, avec réponses collectives aux questions des étudiants, en présence. Ici encore, il s’agit de formes d’activités connues, mais mobilisant de nouveaux supports.

1.2 Décembre 2019, le doute

Les apprenants, façonnés suivant les principes de l’enseignement traditionnel, sont désarçonnés. Habitués, au regard de leur parcours scolaire, au dictat de l’enseignant qui sait et organise tout en présence, ils sont étonnés de disposer de marges de manoeuvre pour s’organiser et démontrer leur capacité à coconstruire le savoir, en partie à distance : devenir autonomes, responsables, solidaires et créatifs.

Quant à l’usage des TIC, certaines difficultés sont à surmonter. Régulièrement, chacun apporte en séance son matériel informatique personnel, un temps étant requis pour apprivoiser les supports. Seul un étudiant dispose d’un matériel partagé en famille. Tous disposent d’une connexion à Internet.

Une posture de résistance est majoritairement observée. Un nombre réduit d’étudiants s’emparant des supports, le doute s’installe.

1.3 Février 2020, l’étonnement

Plusieurs étudiants s’attèlent au Padlet et au Sway. Ils deviennent alors de véritables alliés et, malgré eux et avec beaucoup de motivation, des référents techniques pour leurs condisciples. Un système de tutorat informel apparaît. En écho à l’expérience vicariante de Bandura (2007, cité dans Caneva, 2019, p. 16‑17), cela donne l’impulsion, les plus réticents se rendant compte que leurs pairs y parviennent.

Les étudiants démontrent un intérêt réel pour le scénario pédagogique prévu en apprentissage hybride, articulant moments de travail individuel et en duo à distance et moments collectifs en présence. Ils coproduisent.

C’est alors que la crise sanitaire intervient.

1.4 Mai 2020, la conviction

Le 13 mars 2020, les mesures de confinement décrétées en Belgique obligent l’établissement à envisager un apprentissage 100 % à distance. Rapidement, les 18 étudiants se montrent stressés par le contexte, mais confiants au regard de l’expérience d’usage des TIC telle qu’ils la vivent depuis septembre.

En mai, dans le formulaire en ligne, un étudiant s’exprime ainsi : « Je ne pense pas qu’il y ait du négatif. Cela nous a été utile surtout compte tenu des événements. »

L’expérience procure des effets bénéfiques qui dépasseront la préparation imprévue à la situation inédite de pandémie.

2. Cheminement, côté étudiant

Entre méconnaissance, sentiment d’incompétence et crainte de l’inconnu en début de cours, huit apprenants sur les neuf s’étant exprimés adoptaient une position de résistance. Quelques affirmations : « Au début du cours, je connaissais les technologies de base et je pensais que nous allions parler sur ce sujet notamment l’Internet, les réseaux sociaux, les médias et la négativité que cela entraîne en nous et dans la société, mais je me suis trompée », « Je ne les utilisais que très peu, donc ça me faisait un peu peur », « Je les considérais majoritairement comme compliquées à exploiter à notre niveau d’étudiant et demandant beaucoup de temps et d’énergie dans la compréhension de leur utilisation. »

Une étudiante indique : « J’étais intéressée et curieuse de pouvoir en apprendre plus. »

Des pans du « métier d’étudiant » (Coulon, 2004) tels que la compréhension des consignes, la gestion du temps et de l’information, l’initiative, l’organisation et l’anticipation sont des freins.

Nous tentons de les surmonter en faisant le point ensemble.

Progressivement, les étudiants réalisent le nécessaire engagement en formation et l’intérêt de travailler pour soi, mais aussi pour les autres et avec les autres.

L’un d’entre eux mentionne : « Je suis sorti de ma zone de confort pour me débrouiller. » D’autres évoquent ce qui a été compliqué dans l’approche des TIC : « Le fait de passer au-dessus de mon appréhension », « La peur de manipuler quelque chose d’inconnu ».

Ils ont alors découvert certaines plus-values (Denis et Fontaine, 2008) qu’offrent les TIC.

Là où certains étudiants révèlent l’acquisition de nouveaux savoirs, dont voici deux exemples : « La découverte et la façon de mettre en page un travail », « Tous les apprentissages que le Sway m’a permis d’aborder », trois étudiants pointent les TIC comme support pour l’organisation et soulèvent le plaisir qu’elles peuvent procurer. En voici une illustration : « Permet un gain de temps, de croiser des supports, de s’organiser, de faciliter le transport de documents et permet aussi d’apporter un côté ludique et esthétique à mes travaux. »

Le sentiment d’autoefficacité tel que le conçoit Bandura, auquel est liée l’expérience positive de l’apprenant, représente un moteur à l’utilisation des TIC en pédagogie (Caneva, 2019, p. 16‑17). L’expérience ici relatée semble avoir permis cela : « Avoir appris des nouvelles façons de travailler et être ouverte à de nouvelles expériences » ou « Elles peuvent être intéressantes quand bien exploitées, je suis plus encline à “chipoter” avec une technologie pour la comprendre qu’avant ».

Pour 8 étudiants, une évolution de l’état d’esprit est observée. Ils ont développé un sentiment de contrôle et acquis de nouvelles compétences. Ils sont dans des conditions psychologiques favorables pour une prochaine expérience (Karsenti, 2006, p. 5).

Le tableau 1 présente trois exemples de témoignages.

Tableau 1

Trois exemples de témoignages

Trois exemples de témoignages

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L’évolution est mitigée pour une étudiante sur les neuf ayant témoigné (tableau 2).

Tableau 2

Témoignage d’une évolution mitigée de l’état d’esprit

Témoignage d’une évolution mitigée de l’état d’esprit

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3. Cheminement, côté enseignant

Psychopédagogue et titulaire d’un certificat universitaire en développement des technologies pour l’éducation et la formation, selon le modèle d’adoption d’une innovation de Rogers (2003, cité dans Collin et al., 2018, p. 10), au regard des profils proposés, l’enseignant peut être qualifié d’« adopteur précoce », considérant les TIC comme une plus-value (Denis et Fontaine, 2008) en formation. La facilité à allier pédagogie et technologie y contribue.

Adepte des pédagogies nouvelles et convaincu par l’autoformation, le formateur conçoit son rôle comme celui de « facilitateur » de l’apprentissage : tracer le chemin cognitif et offrir les supports adéquats. (Karsenti, 2006, p. 3‑4; Paivandi et Espinosa, 2013, p. 8)

Selon la typologie de Rogers (Collin et al., 2018, p. 10), comment élever les « réfractaires » au rang de « majorité tardive » ou « majorité précoce »?

Une des voies consiste à diffuser l’expérience et son analyse afin de provoquer ce que Rogers (2003, cité dans Caneva, 2019, p. 20) nomme l’effet « boule de neige ».

4. Les leçons : des ingrédients incontournables

Pour implémenter les TIC en éducation, la formation et la disponibilité de l’enseignant, la clarté des consignes, le soutien aux étudiants et la rigueur des scénarios pédagogiques (Paivandi et Espinosa, 2013, p. 4) participent à la réussite, sans négliger l’indispensable soutien organisationnel.

4.1 Accompagnement des étudiants

L’apprentissage du « métier d’étudiant » (Coulon, 2004) revêt d’autant plus d’importance que les apprenants disposent davantage de libertés dans l’apprentissage faisant appel aux TIC (Paivandi et Espinosa, 2013, p. 8). L’accompagnement est primordial.

Cinq étudiants le confirment lorsqu’ils mettent en relief les difficultés rencontrées. Ils ont aussi besoin de soutien sur le plan technique. Trois exemples : « Le fait d’y travailler à distance et de ne pouvoir être aidé par vous que lors des cours (beaucoup de cours sont passés à la trappe à cause du coronavirus) », « Ce qui est difficile, c’est la compréhension du logiciel » ou « Il aurait été pratique de disposer d’un recueil expliquant les différents outils mis à notre disposition ».

La méthodologie des invariants (Henry et al., 2018; Vandeput, 2011; ) est un appui dans ce cas. Elle offre la possibilité d’enseigner la maîtrise des fonctions essentielles de logiciels, transférable à différents contextes.

Il est nécessaire de prévoir des moments et des moyens pour encadrer les étudiants pour ces divers aspects. Le tutorat par les pairs tel qu’expérimenté, forme de codéveloppement (Payette, 2000), reste intéressant.

4.2 Innovation pédagogique

Pour l’enseignant, il s’agit non seulement d’accepter le passage à un nouveau paradigme qui place au centre l’apprenant avec ses libertés d’apprentissage (Paivandi et Espinosa, 2013, p. 8) et son autonomie dans la coconstruction des savoirs, mais aussi de dépasser les appréhensions face aux TIC. Cela suppose information, équipement et soutien (Lebrun, 2004, p. 17). Justement, dans une perspective socioconstructiviste, les TIC amènent à changer les pratiques d’enseignement (Paivandi et Espinosa, 2013, p. 5).

L’élaboration du scénario pédagogique (Bibeau, 2000) qui permet de tracer le chemin cognitif par lequel l’apprenant passera en vue de s’approprier de nouvelles connaissances n’est pas à négliger. Le contexte de pandémie a souvent fait basculer, à distance, par la visioconférence, un enseignement classiquement dispensé en présence. Cela ne peut suffire.

L’expérience relatée a permis aux 9 étudiants témoins de passer le cap. L’un d’entre eux souligne : « Quand nous devons faire face à quelque chose de nouveau, la plus grande difficulté pour moi est la découverte, donc découvrir comment elles fonctionnent […] Sur ce, le fait de travailler d’une manière différente de celle que nous sommes habitués est souvent un défi […] je pense que c’était tout à fait faisable de prendre en compte ces technologies ».

Le contexte de pandémie peut mener à l’innovation, là où il a été question, selon Rogers (cité dans Caneva, 2019, p. 20) de « réinvention ». Enseignants et apprenants s’étant approprié les TIC à leur façon, et dans l’urgence, le temps est venu d’envisager le partage d’expériences, l’innovation passant par la communication entre individus vers une compréhension partagée (Rogers, cité dans Badillo, 2013, p. 26). Le codéveloppement (Payette, 2000) est aussi une piste.

4.3 Projet numérique en mode systémique

Pour implémenter les TIC, que ce soit en présence, dans une formule hybride ou 100 % à distance, l’adoption d’une vision systémique (Bangou, 2006, p. 146; Mangenot, 2000) constitue un support pour les organisations d’enseignement.

En sus d’un encadrement, l’appropriation des TIC par les apprenants serait facilitée si les enseignants étaient plus nombreux à les adopter (Collin et al., 2018, p. 11). Deux étudiants sont disposés à poursuivre : « Je suis satisfaite et envieuse de les exploiter dans d’autres matières », « J’ai bien aimé. »

Quelques pistes pour motiver les enseignants : un projet numérique porté par l’organisation, la liberté de choix des outils technologiques et un « accompagnement formatif » qui offre, en situation, l’aide à la fois d’une personne-ressource pour passer au langage technopédagogique (Caneva, 2019, p. 18) et d’une figure de référence pour accorder l’aide technique vers la maîtrise des supports.

Mais comme l’évoque cet étudiant, les dispositions organisationnelle et matérielle importent aussi : « Le fait de s’y mettre et de se plonger dedans a été difficile, l’investissement en temps en plus du stage et des différents travaux à rendre, la connexion wifi de mon kot qui pose problème de temps à autre. ». Une coordination des divers dispositifs d’un programme, en ce compris l’élaboration des horaires et l’accès aux outils et à des espaces appropriés, semble incontournable. Le déploiement de ressources financières l’est également.

Conclusion

Le contexte de passage obligé vers l’enseignement à distance n’a pas pu prendre en compte tous ces ingrédients estimés incontournables. Il reste à espérer qu’enseignants et apprenants non aguerris n’en garderont pas que des souvenirs développant chez eux un sentiment négatif d’autoefficacité (Bandura, cité dans Caneva, 2019, p. 16‑17). Notons que pour l’expérience qui nous concerne, les 18 étudiants ont su s’approprier les TIC et répondre aux exigences attendues.

Outre l’usage des TIC à des fins pédagogiques, ce type de dispositif amène l’étudiant, ici futur assistant social, à devenir « citoyen du numérique » (Henry et al., 2018), lui donnant les outils pour agir et développer un regard critique et une meilleure appréhension du contexte dans lequel il évolue. Une étudiante indique : « Je me suis trompée concernant ce sujet, j’ai appris à connaître des logiciels que je ne connaissais pas et des manières d’utiliser les nouvelles technologies qui me semblent tout à fait pertinentes dans mon futur. De plus, je pense que souvent les nouvelles technologies sont tout de suite méprisées et vues comme négatives par la société et j’ai appris qu’en effet elles sont d’une variété énorme et très utiles (…).

Cette expérience a dépassé la simple acquisition de savoirs, comme le souligne cet étudiant : « … l’impact positif que la participation à ce cours a induit dans mon évolution. »

Nous pouvons penser que le contexte d’apprentissage à distance provoqué par la pandémie offrira de nouvelles perspectives dans l’implémentation des TIC en éducation. La voie est libre!