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Cet article se base sur le témoignage d’une professeure chargée d’animer une unité de formation (UF); ce retour d’expérience est ensuite analysé par cette même professeure et le coordinateur de cette UF. À l’aide du concept de situation-problème et du modèle SAMR (Puentedura, 2006/2020), les deux auteurs proposent une démarche de conception et de mise en oeuvre d’un enseignement à distance.

1. Éléments de contexte

La HEP-BEJUNE propose une formation duale à l’enseignement au secondaire, collège et lycée; généralement étendue sur deux ans, elle permet aux futurs enseignants de vivre en parallèle des stages en école, sous la responsabilité d’un formateur en établissement (FEE), et l’UF à Bienne. Le développement d’une posture de praticien réflexif (Schön, 1983/1994) est au coeur de cette formation professionnalisante, intégrant une dimension de praticien-chercheur (Paquay, 1994), en particulier par la réalisation d’un travail de recherche (travail écrit de recherche, TER, ou mémoire de master, MEM), en fonction du parcours académique préalable de l’étudiant (Kohler et al., 2017). L’UF Introduction à la recherche (2 ECTS) constitue la première entrée dans le domaine de la recherche en éducation au deuxième semestre de leur formation. Ses objectifs généraux sont les suivants :

  • Se familiariser avec la recherche en éducation;

  • Rédiger une problématique de recherche en éducation;

  • Connaître les caractéristiques et les modalités de réalisation d’un travail de recherche ancré dans sa pratique professionnelle, en préparation au TER ou au MEM.

La visée principale est de permettre aux étudiants de passer d’un questionnement initial lié à leur pratique d’enseignement à une problématique de recherche explicitée par un travail de validation à déposer au mois de juin. Cette dernière permet au coordinateur de la Formation à et par la recherche (Kohler et al., 2017, p. 108‑109) d’attribuer un directeur de travail pour la seconde année de leur formation.

2. D’une situation-problème …

Ce témoignage et cette expérience peuvent, selon nous, être analysés à l’aide du concept de situation-problème (Arsac et al., 1988) et des dix caractéristiques définies par les auteurs (reprises par Astolfi, 1993, p. 319) :

  1. Présence d’un obstacle bien identifié;

  2. Caractère concret de la situation;

  3. Énigme à résoudre impliquant directement la personne;

  4. Moyens de résoudre le problème non immédiatement à disposition;

  5. Contraintes et résistance suffisantes pour remettre en cause les représentations mentales initiales;

  6. Résolution se situant dans la zone proximale de développement de l’apprenant (Vygotsky, 1978);

  7. Anticipation possible des résultats et gains identifiable à la résolution du problème;

  8. Stimulation potentielle de conflits cognitifs internes et sociocognitifs;

  9. Validation interne de la solution;

  10. Réexamen a posteriori et métacognitif permettant d’identifier les apprentissages effectués.

L’ensemble de ces composantes permet d’observer l’arrivée de la pandémie et ses conséquences sur l’enseignement de la professeure comme une véritable situation-problème. Dès lors, sa résolution nécessitait une approche adaptée.

Cette situation est emblématique de ce qui a été vécu par de très nombreux enseignants, du primaire au tertiaire, placés du jour au lendemain devant les limites de leurs compétences : leurs formations, initiale et continue, ne les avaient pas préparés à une intégration brutale et entière des technologies de l’information et de la communication dans leur enseignement (TICE), sans choix aucun, sans autre issue. Les référentiels de compétences ont beau citer l’intégration du numérique, le concept même de « compétences numériques » (voir, par exemple, Karsenti, 2019) reste peu explicité et mis en oeuvre, par exemple à la HEP‑BEJUNE[2].

3. … à un enseignement à distance : oui, mais comment ?

Nous avons mis en évidence trois caractéristiques d’une situation-problème évoquées ci-dessus (de 4 à 6); elles ont constitué le noeud gordien auquel la professeure a dû faire face et risquaient d’être résolues de manière radicale par son retrait devant l’ampleur de la tâche. Devant un tel changement de conditions de travail — enseignement à distance d’une UF animée pour la première fois et sans constitution initiale du groupe (Oberlé, 2016) —, l’obstacle peut sembler hors de portée. Ce séminaire, fondé sur les échanges entre étudiants devenant « praticiens-chercheurs » (De Lavergne, 2007), propose des objectifs d’apprentissage de « discussion d’articles » ou de « rédaction d’une problématique »; ceci nécessite, par exemple, des évaluations par les pairs d’articles de recherche et un questionnement mutuel permettant d’affiner peu à peu leur problématique de recherche. Guère aisée en formation présentielle à l’enseignement (Vidal, 2001), la mission peut paraître encore plus complexe lorsque la rencontre se fait par écrans interposés. Ainsi, l’obstacle est triple et complexe, à savoir :

  • Obstacle didactique initial quelle que soit la situation d’enseignement – Permettre à des universitaires issus de diverses facultés autres que Psychologie ou Sciences de l’éducation de s’approprier la problématisation d’un questionnement initial de recherche dans ce domaine;

  • Obstacle lié aux compétences numériques – Mettre en oeuvre un dispositif d’enseignement à distance lors même que l’on n’est pas à l’aise avec le numérique ni attirée par cette technologie;

  • Obstacle relationnel – Constituer un groupe en établissant une relation fondée uniquement sur des échanges à distance.

4. En régime dissocié

Face à la complexité de ce questionnement et aux capacités à développer en un temps réduit, il s’est avéré pertinent d’affronter la situation-problème en collaboration et, surtout, en dissociant les obstacles. Pour ne pas placer la professeure-apprenante face à une situation trop difficile, la construction de compétences « élémentaires », puis de renforcement en « compétences avec cadrage » (Rey et al., 2003) a semblé prometteuse. Sans qu’il nous soit possible dans ce bref article de développer les aspects théoriques et psychologiques sous-jacents, il apparaît dans de nombreuses études consacrées à l’intégration du numérique dans l’éducation (Karsenti, 2019, p. 8, par exemple) qu’il s’agit d’un « immense défi [...], malgré l’omniprésence des technologies dans notre société ». Un choix devait être ici opéré pour que la professeure puisse entrer plus sereinement dans une posture de « chercheuse-formatrice à distance ».

La collaboration et le coenseignement offrent des pistes d’action nombreuses et souvent fécondes (Gremion et Carron, 2020); cette voie, choisie en commun, nous a permis de mettre en oeuvre une démarche coconstruite pour affronter cette situation-problème de manière « dissociée ». Le triplet « didactique-numérique-relationnel » est une constante dans l’enseignement, pas uniquement à distance, et chercher à dissocier ces éléments peut sembler aller à l’encontre de leur interdépendance (Mishra et Koehler, 2006). Cependant, face à cette tâche complexe et dans l’urgence, la réflexion a nécessité, d’abord, de hiérarchiser les différents processus conjoints, en évitant de se limiter à l’aspect technologique.

À l’image de la construction d’un cours « classique », l’élaboration de cette séquence (trois séances à distance de quatre périodes chacune) s’est centrée, d’abord et surtout, sur les aspects didactique et relationnel. Sans aborder les possibilités techniques et les outils potentiels, notre dialogue a permis de confirmer : 1. les objectifs d’apprentissage de chaque séance; 2. les dispositifs « classiques » les plus adaptés; 3. l’importance accordée à l’établissement d’une relation de confiance, individualisée, et 4. le développement d’un climat de travail fondé sur l’interaction, la considération inconditionnelle (Rogers, 1969/1984) et le plaisir d’apprendre. Ce premier temps de coconstruction de l’UF, vécu également en dialogue à distance, par visioconférence, a été primordial, car il a permis d’établir les priorités mais, également, de rappeler que l’enseignement à distance est, d’abord et surtout, de l’enseignement...

Ces axes didactiques et relationnels posés et quelques dispositifs « traditionnels » déterminés, les aspects technologiques pouvaient intervenir, en choisissant de mobiliser le modèle SAMR (Puentedura, 2006/2020, figure 1) pour mieux analyser ensemble les potentialités des apports technologiques[3].

Figure 1

Modèle SAMR

Modèle SAMR
Source : Delforge et al. (2019, p. 7). Mise à disposition sous licence CC BY-NC-ND

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Les niveaux de substitution et d’augmentation du modèle SAMR permettent de mettre à profit un minimum de connaissances technologiques à maîtriser par les étudiants et la professeure. Il s’agit, dans un premier temps, de reproduire à distance les conditions habituellement vécues en présentiel (figure 2 ci-après et copie du site Internet du cours — la flèche rose indique une boucle de rétroaction qui réévalue la tâche, une fois qu’elle a été vécue, en vue de l’améliorer, voire de la redéfinir à son tour, par exemple en l’hybridant d’un ou plusieurs éléments organisés ici à distance).

Figure 2

Exemple de substitution et d’augmentation d’une tâche par sa mise en oeuvre à distance

Exemple de substitution et d’augmentation d’une tâche par sa mise en oeuvre à distance

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Certaines tâches peuvent profiter, par la technologie et la distance, d’une Modification, voire Redéfinition (SAMR). Par exemple, une mise en commun conçue à l’aide d’un diaporama partagé offre des possibilités nouvelles de préparation et d’animation; la mise à disposition d’un fichier texte partagé a permis aux étudiants de poser au fil du cours, mais aussi à tout moment, les questions qui les taraudaient.

Les figures 3 et 4, ci-dessous, illustrent deux exemples de transpositions d’activités prévues en présentiel et réalisées en enseignement à distance, en « profitant au passage » de modifier et de redéfinir la tâche (modèle SAMR).

Chaque dispositif d’enseignement et d’apprentissage des trois séances vécues à distance et de tâches effectuées entre les séances peut être ainsi analysé[4] : présentation d’un diaporama en direct ou enregistrement préalable et dépôt sur le site; lecture et analyse d’articles empiriques par les étudiants, puis échanges avec les collègues et la professeure; réalisation d’une vidéo de 180 secondes présentant sa problématique et sa question de recherche, etc.

Figure 3

Exemple 1 de modification et de redéfinition d’une tâche par sa mise en oeuvre à distance

Exemple 1 de modification et de redéfinition d’une tâche par sa mise en oeuvre à distance

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Figure 4

Exemple 2 de modification et de redéfinition d’une tâche par sa mise en oeuvre à distance

Exemple 2 de modification et de redéfinition d’une tâche par sa mise en oeuvre à distance

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En guise de conclusion

Cet article offre à ses auteur et autrice de rejoindre la dixième condition constitutive d’une situation-problème (« réexamen a posteriori et métacognitif… », Astolfi, 1993, p. 319) et illustre la pertinence des modèles choisis et leur fécondité pour leur analyse. Ceci permet également de déterminer si des plus-values sont apportées ou non par l’enseignement à distance — évoquées de manière non exhaustive dans la partie Réalisé à distance des figures 2 à 4.

Il va de soi que les instances institutionnelles demandent à leurs formateurs de continuer à assurer leurs enseignements, dans la mesure de leurs moyens. Par ailleurs, le travail qui a été fourni, en amont, par les membres du soutien technique pour mettre à disposition des outils numériques pouvant aider à la conceptualisation et à la réalisation de ces séances a été fortement bénéfique. Cette intégration du numérique, particulièrement dans une telle situation d’urgence, a nécessité une prise de recul et une analyse, en plus de l’improvisation et de la créativité.