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1. Introduction contextuelle et problématique

Le 16 mars 2020, deux mois après le début de la pandémie de COVID-19, le président de la République française, Emmanuel Macron, décidait de confiner les Français dans leur domicile. Cette décision a provoqué des aménagements pédagogiques au sein des universités et des instituts de formation ainsi que des changements de pratiques chez les enseignants et les formateurs, pour certains peu ou pas habitués à hybrider leurs activités pédagogiques et encore moins à réaliser l’ensemble de leurs interventions sous un format totalement distanciel. Dans ce contexte, l’Institut de formation des cadres de santé (IFCS) du Centre hospitalier universitaire de Rouen Normandie, qui ne bénéficie pas de soutien logistique comme les plateformes Moodle, a dû s’adapter, souvent avec les solutions gratuites, pour répondre à l’exigence de continuité pédagogique. Cet ajustement s’est poursuivi jusqu’à la fin de l’année scolaire compte tenu de l’évolution des recommandations qui obligeaient les équipes pédagogiques à « ne réaliser aucun cours et épreuve pratique en présentiel » en privilégiant le travail à distance (Ministère des Solidarités et de la Santé, 2020, p. 3).

Face à cette contrainte pédagogique, l’équipe de formateurs s’est retrouvée en difficulté avec trois séances de simulation : entretien de recadrage, entretien professionnel et de formation, gestion de conflit en réunion. De nombreux questionnements ont émergé :

  • Comment, en distanciel, mettre en oeuvre des séances de simulations comportementales en management indispensables à la formation des futurs cadres de santé, alors que l’équipe pédagogique pensait irréalisable leur tenue autrement qu’en présentiel? En effet, toutes les recommandations de simulation humaine (Haute Autorité de santé [HAS], 2012) soulignent la nécessité du présentiel pour ce type de méthode pédagogique;

  • Comment répondre à un semblant de similarité, c’est-à-dire un réalisme physico-environnemental, malgré son approche distancielle totale (Jaffrelot et Pelaccia, 2016) et comment conserver les principes du socioconstructivisme et la dynamique du conflit sociocognitif (Astolfi et al., 2008, chap. 3)?

Alors qu’il était auparavant inimaginable de réaliser ses séances de simulation autrement qu’en présentiel, le pari a été pris d’expérimenter leur mise en oeuvre sous un format totalement distanciel en respectant les trois principes de la simulation (le briefing, la séance de simulation et le débriefing) (Jaffrelot et Pelaccia, 2016) et en utilisant les modalités de la classe inversée proposées par Lebrun et al. (2015).

Cet article présente les détails de cette expérimentation pédagogique qui utilise simultanément les principes de la simulation et les modalités de la classe inversée sous un format totalement distanciel en remplacement d’une séance de simulation managériale en présentiel ayant comme thématique « l’entretien de recadrage ». Après être revenu sur les principaux résultats positifs de l’évaluation, nous présenterons un retour analytique sur les points positifs et les limites de cette séquence pédagogique. Enfin, cette expérimentation, qui utilise des solutions numériques, sera l’occasion de remettre en question les contours des modalités de la simulation et de la classe inversée et aussi de repenser le concept de présence.

2. De la réflexion à l’expérimentation pédagogique : comment concilier simulation et classe inversée sans regroupement physique?

En partant de l’expérience d’un formateur de l’IFCS qui développe des activités pédagogiques hybridées depuis plus de cinq ans, l’idée a été retenue d’utiliser les modalités pédagogiques de la classe inversée pour réaliser cette séquence de simulation « entretien de recadrage » qui se joue habituellement en présentiel chez les étudiants du conflit sociocognitif dans un format socioconstructiviste (Astolfi et al., 2008, chap. 3; Lagadec, 2011). En utilisant les principes de la simulation, le choix s’est porté sur un niveau 2 de classe inversée (Lebrun et al., 2015).

Simulation et classe inversée : un bref rappel théorique et méthodologique

La simulation

Pour rappel, la simulation en santé est un dispositif de formation à part entière qui correspond à :

l’utilisation d’un matériel, de la réalité virtuelle ou d’un patient dit standardisé pour reproduire des situations ou des environnements de soins, pour enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et permettre de répéter des processus, des situations cliniques ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels.

HAS, 2012

Elle est basée sur trois étapes : la première, le briefing, permet de présenter rapidement la situation qui va être simulée et le déroulé global de la séance; la seconde est la séance de simulation proprement dite où un étudiant est confronté à une situation professionnelle simulée, puis vient la dernière étape, la plus importante, le débriefing. Celle-ci offre une place fondamentale pour la réflexion sur les actions et les comportements adoptés lors du déroulement du scénario (Jaffrelot et Pelaccia, 2016). C’est un temps d’analyse de pratiques guidé par un ou deux formateurs « facilitateurs » (HAS, 2019) permettant de rester centré sur les objectifs pédagogiques fixés lors de la construction de la séquence pédagogique. Ces formateurs sont garants de la bienveillance des propos pendant la séance.

Il existe différents types de simulation en santé très détaillés dans le guide de bonnes pratiques de la HAS (2012). Nous retiendrons la simulation humaine, notamment le patient simulé à l’aide de jeux de rôles. Elle peut facilement s’adapter à la simulation managériale. Elle permet de reproduire des situations où se joue de l’interaction entre les professionnels de santé afin d’adapter les comportements à des moments managériaux récurrents. En effet, cette technique pédagogique d’apprentissage se concentre sur les habiletés relationnelles. La HAS précise qu’il s’agit de simuler une situation vraisemblable avec des acteurs qui jouent un rôle fictif plus ou moins déterminé en improvisant le dialogue, en fonction des acteurs, selon un scénario prédéfini. En s’appuyant sur le vécu professionnel de chaque participant, ce dernier permet d’analyser les comportements des acteurs et de proposer un retour réflexif sur sa pratique passée mais aussi future. Les avantages sont alors multiples : une analyse par différents profils des futurs cadres de santé, quel que soit leur secteur d’exercice; l’acquisition de comportements relationnels adaptés à la réalité du terrain; la détection de « fragilités et insuffisances sans rechercher une responsabilité individuelle a posteriori, et d’y remédier » (Debeaupuis et al., 2017, p. 217).

La classe inversée

La classe inversée, appelée aussi apprentissage inversé, qui connaît un phénomène de mode dans le monde de l’éducation (Bissonnette et Gauthier, 2012; Guilbault et Viau-Guay, 2017) et un soutien politico-médiatique prononcé (Trémion, 2019), est :

une approche pédagogique consistant à inverser et à adapter les activités d’apprentissage traditionnellement proposées aux étudiantes et étudiants en utilisant en alternance la formation à distance et la formation en classe pour prendre avantage des forces de chacune. Dans ce modèle, les contenus de cours sont livrés au moyen de ressources consultables en ligne — le plus souvent des capsules vidéos — et le temps de classe est exclusivement consacré à des projets d’équipe, à des échanges avec l’enseignant et entre pairs, à des exercices pratiques et autres activités de collaboration.

Service de soutien à la formation, 2011

Parmi les formes de classes inversées, nous retiendrons le modèle à trois niveaux de Lebrun et al. (2015) synthétisé dans le tableau 1 ci‑dessous.

Tableau 1

Approche synthétique des différents niveaux (ou types) de classe inversée (Lecoq et Lebrun, s.d., p .7)

Approche synthétique des différents niveaux (ou types) de classe inversée (Lecoq et Lebrun, s.d., p .7)

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Le niveau 2 (N2) — que nous nommerons « Base + » (Martin, 2019) — utilisé dans le cadre de notre expérimentation va plus loin que le niveau 1 (N1) dans les différentes activités cognitives (voir figure 1). Pour le travail réalisé à distance, l’étudiant est davantage acteur de son apprentissage en préparant, par exemple, une partie ou la totalité d’un exposé alors que le temps 1 (T1) du niveau 1 (N1) correspond davantage à la simple consultation de document. Le retour en « classe », temps 2 (T2) du niveau 2 (N2) va au-delà des échanges du niveau 1 (N1). Il intègre des temps de travail collaboratif où les étudiants créent des supports de synthèse et organisent et mettent en oeuvre des débats. Le formateur assure le rôle de guide, de médiateur. Dans un cadre de socioconstructivisme interactif où les connaissances de l’individu sont mises en interaction avec l’objet à apprendre (Jonnaert, 2009, chap. 4), il favorise les conflits sociocognitifs facilitateurs de l’apprentissage (Buchs et Bourgeois, 2017).

Figure 1

Illustration des modalités pédagogiques de niveau 2 de la classe inversée inspirée de Lebrun et al. (2015)

Illustration des modalités pédagogiques de niveau 2 de la classe inversée inspirée de Lebrun et al. (2015)

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L’intérêt des modalités de la classe inversée pour les formateurs est, d’une part, de transformer leurs pratiques dans un contexte où la relation pédagogique est radicalement différente d’une approche transmissive et, d’autre part, d’inscrire le numérique et son potentiel dans les stratégies d’enseignement de ces derniers (Trémion, 2019) compte tenu de l’explosion des technologies actuelles (Baillet et al., 2019). La souplesse de ces solutions permet de proposer des moments d’apprentissage asynchrones et synchrones (Dumont, 2017) pour diversifier les méthodes pédagogiques et continuer les réflexions engagées depuis quelques années sur l’enseignement avec le numérique dans l’enseignement supérieur (Cristol, 2014; Grandbastien, 2011; Massou et Lavielle-Gutnik, 2017).

Une stratégie pédagogique en quatre étapes d’une séance de simulation en management « entretien de recadrage »

Partant de la volonté d’utiliser les modalités de la simulation et celles de la classe inversée, nous avons imaginé un séquençage pédagogique en quatre temps inspiré du niveau 2 de la classe inversée (Lebrun et al., 2015) que nous illustrons à la figure 2 par une infographie puis par une présentation descriptive plus détaillée. Cette séquence a été positionnée en fin d’année scolaire, après de nombreuses semaines de travail en distanciel pendant le confinement et des expériences de séquences de classe inversée avant la crise de la COVID.

Figure 2

Infographie des différentes étapes de la simulation adaptée en classe inversée

Infographie des différentes étapes de la simulation adaptée en classe inversée

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Étape 1 – Le briefing

Vingt-quatre heures avant la planification de la séquence, l’équipe pédagogique adresse aux étudiants, sur un espace de cours en ligne, d’une part, les consignes de la séance avec son déroulé précis à l’aide d’une infographie reprenant les quatre étapes que nous nommons « chemin pédagogique » et, d’autre part, les données écrites essentielles de cadrage de la situation simulée. Faisant écho à la différenciation pédagogique où l’étudiant va se trouver dans une situation d’apprentissage la plus féconde pour lui (Perrenoud, 2016), cette temporalité asynchronique permet aux apprenants de s’organiser à leur rythme, au moment où ils le souhaitent.

Le déroulé détaille les quatre temps de la séquence : prise de connaissance du briefing; vision et analyse de la vidéo à l’aide d’un tableau « guide » que nous développerons à l’étape 2; pré-débriefing collectif en utilisant des outils numériques synchrones et une solution de visioconférence; et enfin, débriefing en distanciel toujours par visioconférence.

Le document complémentaire écrit en format Word ci-dessous précise le contexte de la situation, les éléments à connaître de l’acteur « à recadrer » qui va jouer la séance de simulation et enfin, les détails liés au scénario.

Dix minutes sont accordées aux étudiants pour qu’ils s’approprient les consignes et prennent en compte les éléments clés du scénario.

Étape 2 – Le déroulement du scénario – Visionner et analyser la capsule vidéo « entretien de recadrage »

Les « coulisses » de la vidéo – Pour permettre aux étudiants de visualiser la vidéo qui remplace le déroulement « physique » du scénario, nous avons fait appel à nos acteurs habituels pour réaliser le scénario. Il a fallu cependant trouver un professionnel, non expert dans le domaine de la thématique du scénario « entretien de recadrage », qui accepte de jouer le rôle du cadre de santé « novice », initialement joué par un étudiant.

Les acteurs avaient au préalable reçu un document de préparation de la séance filmée. Pour ce qui est de l’actrice jouant le rôle de l’agent « à recadrer », elle a bénéficié d’un scénario précis, assez proche du document adressé aux étudiants. Celui-ci intègre des détails sur le profil général de l’agent. Il est complété par des précisions sur l’évolution de son comportement et des arguments à développer (motivation à travailler, projet professionnel) pendant l’entretien. Pour le professionnel qui joue le rôle du cadre de santé, le document fourni intégrait des éléments plus généraux de contexte.

La vidéo a été filmée en une seule prise avec un téléphone intelligent. Elle a été assemblée et montée par un des formateurs de l’équipe pédagogique avec un logiciel de montage vidéo gratuit intégré à un système d’exploitation.

Figure 3

Illustration de la séance de simulation

Illustration de la séance de simulation
Source : Martin (2020); autorisation de diffusion recueillie auprès des acteurs

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Visionner et analyser individuellement la vidéo – L’infographie adressée en amont de la séance invite l’étudiant individuellement à regarder la vidéo, puis à l’analyser grâce à des méthodes proposées par l’équipe pédagogique. Tout d’abord, une liste de questions vise à évaluer la manière dont le cadre a mené l’entretien et l’atteinte des objectifs suivants :

  • identifier le « vouloir-faire » de l’agent;

  • favoriser l’autoévaluation de l’agent;

  • explorer les causes des problèmes;

  • adopter une relation bienveillante et ferme;

  • se positionner dans la prise de décision.

Ensuite, un tableau « guide » (tableau 2) inspiré d’outils utilisés en séance d’analyse des pratiques professionnelles est également proposé (Robo, 2013). Il permettra aux sous-groupes d’étudiants, dans la phase collaborative, d’utiliser une trame commune rapide à remplir dans un temps relativement court (20 minutes sont accordées à cette étape).

Tableau 2

Tableau guide à trois entrées pour la phase de travail individuel et collectif

Tableau guide à trois entrées pour la phase de travail individuel et collectif

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Comme le souligne l’infographie (figure 2), les deux premières phases correspondent à l’étape 1 de la classe inversée. Le travail individuel est réalisé à la maison en synchrone sur les créneaux proposés par l’institut de formation ou bien en asynchrone, les consignes et le déroulé du travail ayant été adressés 24 heures avant le début de la séquence.

Étape 3 – Le pré-débriefing collectif

Collectivement, en deux sous-groupes de 15, les étudiants confrontent le travail réalisé en amont à l’étape 2, sur une durée de 30 minutes. Ils ont la possibilité, en autonomie, d’utiliser un logiciel de traitement de texte synchrone associé à une solution de visioconférence pour faciliter les échanges et croiser, regrouper et synthétiser les différents points de vue. Ils préparent ainsi plus efficacement la séance de débriefing en prenant en compte les similitudes et les différences entre chacun d’entre eux. Ils passent ainsi d’un double déséquilibre, d’une part, inter-individuel avec une prise en compte des différences de réponses entre les étudiants et, d’autre part, intra-individuel, avec une prise de conscience d’un autre point de vue permettant de remettre en cause sa propre réponse (Brossard, 1992, chap. 3). Ceci permet, grâce au conflit sociocognitif, d’arriver à un nouvel équilibre (Astolfi et al., 2008, chap. 3). Enfin, malgré la distance physique imposée par les recommandations sanitaires liées à la COVID, ce pré-débriefing facilite l’agglomération du groupe avant la séance de débriefing. Contrairement aux séances de simulation classiques, cette troisième étape permet à l’individu et au groupe de structurer davantage leurs pensées pour l’étape de débriefing.

Étape 4 – Le débriefing

En utilisant une solution de visioconférence, le binôme de formateurs va inviter les étudiants à exploiter leur travail préparatoire grâce aux items proposés dans les consignes du briefing. Ensuite, pour tenter de se rapprocher d’une séance ad hoc de simulation, chaque étudiant est invité à se mettre le plus possible « dans la peau » du cadre de santé. Ils sont interpellés individuellement sur la situation par le binôme de formateurs : Ont-ils déjà vécu cette situation auparavant? Comment se projettent-ils dans leur future fonction? Les guidants favorisent aussi l’expression des émotions des étudiants et leur permettent, par leurs questions et leurs interventions, d’en prendre conscience. In fine, outre le fait de mobiliser des connaissances acquises au cours de la formation, la séance de simulation facilite le développement de l’introspection afin de prendre du recul et d’adapter son savoir-agir lors de futures situations managériales souvent complexes au sein des établissements de santé.

Les séquences 3 et 4 de la simulation (Figure 2), même si le retour en classe ne se fait que virtuellement, s’adaptent assez efficacement à l’étape 2 de la classe inversée. La visioconférence permet de respecter la synchronicité nécessaire au travail collaboratif et à l’interactivité attendue dans la phase de débriefing.

3. Évaluation de la séance du point de vue des étudiants et des formateurs

Rappelons-nous le profil spécifique des étudiants cadres pour appréhender plus clairement les réponses de l’évaluation de la séance. Ce sont d’anciens professionnels paramédicaux d’une moyenne d’âge de 39 ans, qui ne sont plus exclusivement de filière infirmière comme auparavant : ils peuvent être diététiciens, ergothérapeutes, manipulateurs en électroradiologie médicale, masseurs-kinésithérapeutes, préparateurs en pharmacie, psychomotriciens, techniciens de laboratoire médical, etc. (Direction générale de l’offre de soins, 2012). Avant d’entrer en formation, ils ont exercé pendant au moins cinq ans en tant que professionnels de proximité dans les métiers cités ci‑dessus.

À la fin du débriefing, l’équipe pédagogique a réalisé une évaluation à chaud de la séquence en adressant à l’ensemble de la promotion un questionnaire en ligne constitué de quatre questions fermées combinées à des possibilités de justifier la réponse. Celles-ci permettaient de mesurer la qualité de l’organisation, la pertinence de la séance dans le cadre de la formation, la possibilité de mobiliser des connaissances théoriques et enfin, la facilité à reproduire un entretien de recadrage dans leur future pratique managériale. Elles étaient complétées par une question ouverte qui permettait aux étudiants de préciser les axes d’amélioration possibles.

Le taux de réponse a été de 100 % pour les 31 étudiants concernés par cette évaluation. Globalement, le taux de satisfaction des étudiants de la séance est très bon. Sur une échelle de Likert cotée de 1 à 6 (1 : pas du tout satisfait; 6 : tout à fait satisfait), 48,4 % des étudiants (15/31) se sont positionnés à 6 et 51,6 % (16) à 5.

Organisation de la séance et qualité du séquençage

La totalité des étudiants sont satisfaits de l’organisation de la séance de simulation adaptée en classe inversée. Les précisions qualitatives adossées aux questions fermées mettent en avant, pour 10 étudiants, la pertinence du séquençage en quatre temps et en deux étapes liées aux modalités de la classe inversée, en asynchrone et synchrone. Celui-ci a été vécu comme positif. Pour l’étudiant cadre no 1 (EC1) : « Le déroulement du cours était bien organisé, tout d’abord lire les consignes, lire le document, regarder la vidéo, l’échange avec les autres étudiants cadres et enfin la concertation collective. » Parmi ces 10 étudiants, trois précisent que le séquençage garantit une forme de diversité pédagogique et deux soulignent le bénéfice théorique d’un séquençage structuré : « La séquence très structurée nous permet de faire des liens entre théorie et pratique » (EC2), « le découpage en 2 temps permet de réinvestir les apports théoriques » (EC3). Le « séquençage clair » (EC4) a notamment permis « d’avoir les données avant et [de] pouvoir prendre le temps d’intégrer les consignes et de visualiser plusieurs fois la vidéo » (EC5). Le temps octroyé pour chaque étape a été perçu comme satisfaisant pour cinq étudiants : « Le travail demandé était réalisable sur le temps imparti » (EC4), il était « adapté pour chaque séquence » (EC6). Il a notamment permis les « échanges en sous-groupe puis en groupe » (EC7) pour cinq autres. La clarté des consignes a été un atout, un « guide pour pouvoir analyser » (EC8) pour quatre étudiants. Et enfin, quatre étudiants soulignent que la qualité du déroulé pédagogique a favorisé la remobilisation de la théorie : il « permet de nous resservir des apports reçus au préalable » (EC9).

Figure 4

Éléments clés de l’organisation de la séance

Éléments clés de l’organisation de la séance

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Une séquence pédagogique totalement adaptée à la formation cadre : gage de mobilisation théorique et de réflexivité

Cette expérience pédagogique apparaît adaptée à la formation cadre pour l’ensemble des étudiants. Pour huit, elle « permet de mobiliser différents apports théoriques et de faire du lien avec la pratique et notre expérience » (EC1). Alors que sept étudiants précisent leur intérêt pour la « réflexivité » (EC10) et la prise de recul, six autres mettent l’accent sur la qualité des échanges et le partage entre futurs cadres. Enfin, la séquence facilite « une mise en pratique concrète » (EC2) pour quatre étudiants, tout en favorisant la projection et le positionnement professionnel pour cinq futurs cadres.

Figure 5

Une séquence pédagogique adaptée à la formation cadre pour...

Une séquence pédagogique adaptée à la formation cadre pour...

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Une séance qui permet de mener un entretien de recadrage dans leur future fonction de manager

Sur 31 étudiants, 29 estiment que la séance proposée va leur permettre de mener plus efficacement un entretien de recadrage à la veille de leur prise de poste. Parmi les verbatim des étudiants qui émettent des limites, EC11 précise qu’elle a « besoin de prendre davantage de recul, et de mûrir encore » et demanderait « à être accompagnée par une collègue ». Deux étudiants attirent notre attention sur le fait que « chaque situation est différente » (EC12). Enfin, EC11 rappelle de « garder en tête que la pratique “réelle” est plus formatrice que le virtuel ».

Axes d’amélioration : des groupes plus petits et davantage de temps pour l’étape de débriefing

L’ensemble des verbatim issus de la question libre soulignent des axes d’amélioration assez hétérogènes. Cependant, deux pistes méritent d’être entendues. Tout d’abord, pour faciliter les échanges, cinq étudiants aimeraient une constitution de groupes ayant un effectif plus limité : « étant en visio peut-être qu’un groupe plus petit permettrait plus de communication » (EC14). Deux autres proposent des règles plus formalisées pour faciliter la prise de parole. Enfin, même si globalement le temps proposé pour chaque séquence semble satisfaisant, quatre étudiants auraient souhaité un crédit de temps pour les deux dernières étapes (trois étudiants pour le débriefing et un pour le pré‑débriefing).

Retour du binôme de formateurs sur la séance

Unanimement, en sortie de séance, le duo de formateurs, habitué au format de simulation en présentiel, cote une satisfaction globale à 5 sur 6 sur la même échelle de Likert proposée aux étudiants, alors qu’initialement des craintes avaient été verbalisées pour l’étape de débriefing en visioconférence. Ils soulignent dans leur observation une prise de parole plus libre, notamment pour les étudiants réservés. La réflexion et le questionnement professionnel sont plus approfondis tant individuellement que collectivement. Deux limites sont exprimées : pour le premier formateur, la frustration de ne pas être en proximité avec les étudiants, pour l’autre, une fluidité dans l’animation qui pourrait être encore améliorée afin de faciliter davantage les interactions au sein des différents groupes.

4. Analyse et regard critique sur cette expérimentation

Les points positifs

Concernant les points positifs à retenir de la séance de simulation adaptée en classe inversée pour les étudiants cadres, nous nous attarderons sur trois spécificités : la qualité du séquençage, la qualité des consignes et une diminution de la déstabilisation émotionnelle. Pour les formateurs, nous nous concentrons sur le développement de compétences numéricopédagogiques.

Tout d’abord, dans un contexte où la totalité des enseignements se déroulaient à distance, la qualité du séquençage et la mise à disposition des consignes et de la stratégie pédagogique bien en amont de la séance ont permis aux étudiants de travailler les étapes 1 et 2 à leur rythme comme dans la phase 1 de la classe inversée. Cette possibilité d’étudier à son rythme, dans un cadre constructiviste où l’étudiant seul apprend (Astolfi et Develay, 2016), fait écho à la pédagogie différenciée (Dufour, 2014). Ensuite, ce phasage, s’il est associé à des consignes claires, notamment en utilisant une infographie qui a pour but de proposer un « chemin pédagogique », permet aux étudiants d’être guidés de manière rassurante dans leurs apprentissages. La visualisation du déroulé de chaque étape est plus claire. Entrevoir l’objectif final est ainsi plus aisé. Le chemin pédagogique peut alors faire écho à la fonction d’étayage théorisée par Bruner, facilitateur de dépassement et de réussite (Astolfi et Develay, 2016). Enfin, sur le versant de l’approche par simulation, cette expérimentation a un réel intérêt pour limiter la déstabilisation émotionnelle de certaines séances qui font résonance à des situations antérieures vécues douloureusement par l’étudiant. En effet, notre expérimentation ne permet pas à un étudiant de jouer dans la saynète en tant qu’acteur. Il essaye tant qu’il le peut de se mettre à la place du cadre de santé. Ainsi, il ne se sent pas jugé par ses pairs. Il est plus libre d’exprimer son point de vue sur une situation managériale humainement complexe à gérer et à appréhender. L’engagement y est plus fort.

Pour l’équipe pédagogique, les points clés concernent essentiellement le développement des compétences numéricopédagogiques, mais également le renforcement d’une dynamique collaborative et la mutualisation des ressources entre les formateurs. L’ingénierie pédagogique facilite l’appropriation simultanée de deux approches pédagogiques sous un aspect nouveau : d’une part, la simulation distancielle où les formateurs ont intégré une étape supplémentaire, le pré-débriefing, qui introduit une dynamique de socioconstructivisme avec un début d’interaction sociale entre les étudiants (Jonnaert, 2009, chap. 4); d’autre part, la classe inversée où l’étape de retour en classe pour faciliter le travail collaboratif a été remplacée par le pré-débriefing collectif à l’aide de solutions numériques synchrones. Enfin, le débriefing s’est quant à lui réalisé grâce aux possibilités de la visioconférence. L’impulsion du modèle socioconstructiviste est poursuivie, le binôme de formateur, absent du pré-débriefing, joue un rôle de facilitateur, médiateur de l’appropriation des savoirs (Carré, 2011). Il se positionne dans le processus « former », c’est-à-dire dans une relation pédagogique avec les apprenants (Houssaye, 1988). Ainsi, les différentes étapes de chaque modalité pédagogique sont alors plus claires et facilement remobilisables dans différents contextes de formation. L’obligation de gérer des activités d’enseignement sous format distanciel a accéléré l’appropriation des solutions numériques dans un cadre de formation des adultes. Il a fallu utiliser davantage les téléphones intelligents et les tablettes pour filmer la séance, mais également se perfectionner au logiciel de montage vidéo et intégrer toutes les caractéristiques techniques de solutions de visioconférence. L’instrument numérique, c’est-à-dire l’artefact en situation, construit par le sujet, inscrit dans un usage (Nijimbere, 2013; Rabardel, 1995), nécessite la construction de stratégies et de scénarios pédagogiques beaucoup plus précis. Il offre une palette de détails de la situation beaucoup plus fine en intégrant les acteurs, les instruments, le lieu, le temps, etc. Dans ce contexte, l’équipe se place dans un travail collectif instrumenté (Rabardel, 1995) et se rapproche de l’étape de transformation proposée par l’UNESCO dans son rapport sur les technologies de l’information et de la communication en éducation (Anderson et Van Weert, 2004), c’est-à-dire une utilisation des TIC qui permet de repenser et de renouveler de manière créative les organisations. Les technologies deviennent une plus-value, quels que soient les disciplines et les acteurs. Les contraintes de mise en oeuvre dans un temps très court et de modalités d’enseignements distanciels ont permis de mutualiser les compétences spécifiques de chaque formateur. L’un a apporté son expertise en simulation, l’autre en classe inversée, etc. Outre des capacités de réactivité, d’adaptabilité et de créativité, une intelligence collective, c’est-à-dire « la somme des intelligences individuelles des membres d’une équipe » (Zaïbet, 2007), a émergé positivement car elle a constitué un facteur important d’efficacité au sein de l’équipe pédagogique. Les contraintes ont été transformées en perspectives pédagogiques collaboratives.

Les limites et points de vigilance

La première limite, dans un séquençage pédagogique exigeant qui nécessite pour chaque formateur un accès à un compte de visioconférence fiable, nous semble être la difficulté de faire se rencontrer trois pôles : financier, technique et pédagogique. Alors que les formateurs imaginent des stratégies pédagogiques nouvelles au regard des contraintes de distanciation physique pour garantir une continuité pédagogique, les directions des ressources humaines et des finances seront de leur côté attentives aux coûts liés à l’investissement de nouvelles solutions technologiques sans parfois mesurer et comprendre totalement les attentes et les besoins d’ordre technicopédagogique des formateurs. La direction des services informatiques, de son côté, est très prudente quant au déploiement de nouvelles solutions numériques, en raison notamment des risques d’attaques virales, de plus en plus fréquentes.

Figure 6

Investir et développer de nouvelles modalités technicopédagogiques : trois pôles aux objectifs différents

Investir et développer de nouvelles modalités technicopédagogiques : trois pôles aux objectifs différents

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Les difficultés techniques sont une autre limite que nous retrouvons fréquemment dans la littérature (Macedo-Rouet, 2009). Nous pouvons être confrontés à des problèmes pour accéder à une connexion efficace ou la conserver pendant la visioconférence. Cela peut provoquer au pire une impossibilité à réaliser la séance ou, à minima, perturber les échanges entre les pairs compte tenu du décalage de son ou encore d’images pixélisées ou figées.

Le troisième point de vigilance est théoricométhodologique. Peut-on, à juste titre, considérer cette expérience comme respectant les principes de la simulation et de la classe inversée? En effet, dans notre expérimentation de simulation, à l’étape du déroulement du scénario, ce n’est pas un étudiant qui joue le rôle du cadre de santé, mais bien un acteur sélectionné par l’équipe pédagogique. Le débriefing n’est alors pas totalement identique aux recommandations nationales de la HAS (2012). Les étudiants se mettent « à la place de ». Ils n’ont pas réellement vécu la situation imaginée par les formateurs dans le scénario. La même question se pose aussi pour la classe inversée. Même si l’objectif pédagogique est le même en présentiel qu’en distanciel avec des activités d’apprentissage similaires, l’étape 2 de retour en classe s’effectue virtuellement par visioconférence. Inévitablement, les interactions entre les étudiants ne seront pas les mêmes et l’approche socioconstructiviste associée au conflit sociocognitif n’aura peut-être pas la même portée qu’en présentiel. Certes, l’organisation en sous-groupes est possible, mais elle nécessite une mise en oeuvre plus complexe de l’organisation virtuelle synchrone. Les étudiants risquent également de subir une surcharge cognitive avec la visioconférence si l’équipe de formateurs n’est pas attentive à diversifier les modalités pédagogiques (Perrenoud, 2016). La menace serait de ne proposer qu’une sorte de typologie d’activités parmi un panel relativement large (diffusion de cours à distance, débats avec des experts, résolution collaborative de problèmes, etc.) (HAS, 2012; Macedo-Rouet, 2009). Cette limite rejoint les questionnements récents de Lebrun (2020) sur ce sujet. Il souligne que la classe inversée n’est pas l’enseignement à distance.

De plus, le profil des étudiants, l’effectif relativement limité au sein de la promotion, mais également le moment où a eu lieu cette expérimentation pendant la formation peuvent constituer une limite non négligeable. Celle-ci oblige à pondérer l’excellent niveau de satisfaction des étudiants. La formation des cadres de santé accueille des étudiants ayant une moyenne d’âge proche de 40 ans, en très grande majorité financés par leur employeur. Ce sont des professionnels expérimentés, motivés à suivre ce type de formation et donc à s’approprier plus aisément ce type de séquence pédagogique. La taille de la promotion, avec un effectif maximum de 45 étudiants, nous apparaît être un élément qui facilite une mise en oeuvre des modalités pédagogiques comme la classe inversée ou la simulation. Il est toujours plus facile d’organiser, même à distance, deux à trois groupes de 15 personnes plutôt qu’une promotion de 150 étudiants. Enfin, réaliser cette expérimentation en fin d’année reste aussi un facteur de réussite : les étudiants connaissent les modalités de la classe inversée et de la simulation, ils sont habitués à travailler ensemble depuis plusieurs mois, notamment avec des solutions technologiques synchrones et asynchrones, notamment la visioconférence depuis le début du confinement.

Enfin, nous retiendrons une dernière limite très spécifique au contexte infectieux de pandémie, la distanciation physique. Elle a nécessité un déploiement technologique plus important, mais aussi un temps pour réaliser et monter les différentes vidéos en sus comparé à une séance de simulation classique. À l’époque, les recommandations en France imposaient une distanciation physique d’au moins un mètre. Dans ce cas précis, filmer les séquences avec des acteurs dans une salle de cours s’est avéré plus complexe qu’habituellement. Les scénarios imaginés avec deux acteurs, comme l’« entretien de recadrage » ou l’« entretien professionnel et de formation », ont nécessité une installation respectant les consignes de sécurité pour permettre aux acteurs de ne pas porter de masque lors de la prise de vue. Le troisième scénario, « gestion de conflit en réunion », s’est avéré encore plus complexe avec la présence de cinq acteurs. L’organisation spatiale a nécessité une installation beaucoup plus élaborée pour tourner la scène. Au lieu d’un seul outil qui filmait la scène en un plan fixe, nous avons utilisé deux technologies mobiles pour garantir une prise de vue de tous les acteurs, ce qui a complexifié le montage vidéo.

5. Conclusion

Cette première expérimentation, en tout distanciel, qui utilise simultanément les modalités de la simulation et de la classe inversée, se révèle très encourageante. Parmi les six leviers qui permettent d’améliorer l’apprentissage des étudiants dans le supérieur (Poumay, 2014), trois sont ici présents. Les étudiants sont largement acteurs de leur apprentissage, notamment dans les étapes de pré-débriefing et de débriefing. La valeur de l’activité y est très forte, car le scénario se rapproche du futur vécu professionnel de l’étudiant cadre. Enfin, l’introduction de l’usage des TIC dans la séquence est présente sur les quatre étapes de l’activité pédagogique.

Pourtant, cette expérimentation nécessite de se questionner, d’une part, sur son efficacité à moyen et long terme : l’acquisition de connaissances et le changement des comportements seront-ils durables (Jaffrelot et Pelaccia, 2016)? et, d’autre part, sur les différents niveaux de compétences nécessaires tant chez l’apprenant que chez l’enseignant. Pour l’étudiant, alors que la compétence est le produit de l’interaction entre l’individu et l’environnement (Ardouin et Lacaille, 2005), se pose dans ce format pédagogique proposé la question de l’acquisition des compétences. Pour les formateurs, dans un contexte nécessitant l’utilisation des technologies numériques, n’est-ce pas l’occasion d’envisager un programme d’accompagnement basé sur les 12 dimensions de la compétence numérique développées par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (2019)?

Finalement, cette période « imposée » est le moment idéal pour débattre plus largement de l’enseignement à distance : son rapport au temps, dont celui de la synchronicité et de l’asynchronicité et enfin, son rapport à l’espace. Il devient une réalité pour toutes et tous, étudiants comme professionnels de l’enseignement, pour aujourd’hui et durablement pour demain.