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Ce texte s’inscrit dans une perspective critique où, à la lumière des différentes évolutions, changements, défis et tensions auxquels sont confrontées les organisations, le moment semble opportun pour appeler à un réexamen ou à un renouveau de la gestion des ressources humaines (GRH) (Delbridge et Keenoy, 2010 ; Hallée, Taskin et Vincent, 2018). La Critical Human Resource Management (CHRM) est une posture qui remet en cause le discours managérial dominant et qui valorise les voix exclues de la réflexion en GRH (Delbridge et Keenoy, 2010 : 800). Ces préoccupations sont liées à une tradition de critique humaniste, notamment l’injustice sociale ainsi que la remise en question des systèmes sociaux et économiques que des entreprises servent et reproduisent (Adler, Forbes et Willmott, 2007). Les problèmes associés au genre, à l’inégalité, à la gouvernance, au pouvoir et à la domination font partie du questionnement (ibid., Lee Ashcraft, 2009).

Dans ce contexte, il nous est apparu fertile de mobiliser la théorie de critique de la justice sociale de Nancy Fraser où des enjeux de citoyenneté, de reconnaissance, de redistribution, de représentation et de participation sont notamment discutés (Fraser, 1989). Nancy Fraser est une autrice féministe phare et une ardente critique de l’injustice de genre que nous traitons comme une forme d’exclusion. Les concepts de Fraser, que nous associons à des pratiques de GRH, ont fait l’objet d’une étude, d’où la présentation de résultats de recherche à l’aide de verbatims, à partir d’emplois du care qui sont à prédominance féminine. Un emploi à prédominance féminine est un emploi occupé par des femmes à 70 % et plus (Lemière, 2006). Considéré encore comme « allant de soi et comme reposant sur des qualités naturelles des femmes », le travail du care peine à être reconnu à sa juste valeur (Conseil du statut de la femme, 2021). L’un des problèmes fondamentaux de la dévalorisation du travail « dit » féminin repose sur l’idée que les activités professionnelles similaires aux divers types de travaux à domicile sont naturelles chez la femme et donc, issues de dispositions biologiques plutôt que de compétences acquises (Kymlicka, 1999).

Nous nous sommes inspirés du concept d’idéal type de Weber (1917), qui est utilisé comme un moyen intellectuel d’investigation des concepts clés de Fraser que nous avons retenus, soit la reconnaissance, la distribution et la représentation. Ces différents concepts réunis, que nous interprétons ainsi comme des idéaux types, forment un seul cadre général de justice sociale. Ils ne doivent donc pas être examinés séparément, mais simultanément (Fraser, 2012). Pour Fraser, la finalité de l’interaction sociale doit être la parité de participation, qui constitue le concept pivot de cette tridimensionnalité de la justice sociale. Nous avons mis en place un processus de comparaison de l’idéal type théorique, avec l’expérience réelle typique, c’est-à-dire l’expérience du terrain qui est vécue par les titulaires des emplois que nous avons interrogés, pour mieux comprendre le déploiement concret et réel de la conceptualisation de Fraser. L’objectif de ce texte est de montrer que les emplois du care sont, selon la perception des personnes interrogées, victimes de pratiques d’exclusion considérant les obstacles à la parité de participation que nous observons à travers l’opérationnalisation combinée des concepts de reconnaissance, de distribution et de représentation. Une méthodologie d’inspiration pragmatiste a été mobilisée.

À des fins de clarification, nous avons cru nécessaire dans un premier temps de présenter une esquisse de la GRH critique pour ensuite introduire la problématique de la reconnaissance liée à la valeur des emplois du care que nous abordons suivant cette perspective. Cette reconnaissance est conceptualisée à partir du cadre théorique critique de la justice sociale de Nancy Fraser. Les concepts de reconnaissance, de distribution et de représentation structureront la présentation de nos résultats, qui sera suivie d’une analyse/discussion et de la conclusion.

Dans la section qui suit, nous aborderons, comme une mise en contexte, quatre postures d’une réflexion critique en GRH que l’on peut rapprocher de la conceptualisation de Fraser, à savoir la contextualisation permettant d’insister sur les structures, les dynamiques inégalitaires et le pouvoir, la dénaturalisation, l’instrumentalisation et la considération pour les perspectives des « oubliés ». Ces dimensions ne sont pas mutuellement exclusives. Toutefois, cela n’inhibe pas leur pertinence et permet de rendre compte d’effets amplificateurs sur les pratiques de GRH qu’il semble important de remettre en question.

1. À quoi s’attendre d’une réflexion critique en GRH

L’approche critique défend généralement l’idée selon laquelle les pratiques de gestion ne peuvent être comprises qu’à partir d’un contexte socioéconomique, politique et culturel plus large, qui oriente la nature et la forme des pratiques de GRH (Delbridge et Keenoy, 2010 : 801). Ce contexte peut être l’objet d’enjeux de pouvoir et de domination qui engendrent non seulement des inégalités, mais également un discours et des pratiques qui rendent quasi-légitimes ces inégalités (ibid). Ce courant accorde une place importante à la critique des structures de domination en place. Il s’agit ainsi de mettre en lumière à la fois les sources, mais aussi les conséquences de ces structures (capitalistes, patriarcales, etc.) (Adler et al., 2007 ; Townley, 1993 ; Bozionelos, 2005). En s’appuyant sur les travaux de Foucault, Townley (1993) est d’avis que la gestion des ressources humaines peut être comprise comme un discours et un ensemble de pratiques de contrôle et de pouvoir, notamment par l’intermédiaire du travail prescrit, qui relève d’une vision mécanique du travail en imposant aux individus une discipline et des devoirs (Reynaud, 1988). Dans une structure organisationnelle, il correspond à une régulation de contrôle menée par les dirigeants lors de la définition des règles de fonctionnement et des objectifs stratégiques de l’organisation. Or, le travail va souvent au-delà du respect des consignes. L’exercice d’un travail nécessite une implication des individus qui doivent s’adapter en permanence à leur environnement professionnel, s’approprier et/ou créer des outils pour mieux maîtriser leur travail. Pour une meilleure adaptation à la complexité du réel, les individus sont poussés à penser et à agir d’eux-mêmes, d’une autre façon que ce que l’organisation du travail a prévu (Gernet et Dejours, 2009). La dimension prescrite du travail est souvent débordée par la réalité, à savoir les différentes manières avec lesquelles les personnes composent avec cette dernière. Dans les « métiers de l’humain », où chaque situation est singulière puisqu’il s’agit principalement d’une qualité attendue d’interactions entre les personnes, le champ de la prescription est particulièrement délicat (Libois et Wicht, 2017). Malheureusement, la focalisation sur la prescription peut conduire à des défauts d’appréciation du travail réel.

Le discours critique procède également par une remise en question de ce qui est tenu pour acquis relativement aux enjeux de gestion. On peut parler d’un effort critique de dénaturalisation. Par exemple, on suppose, dans la recherche dite « mainstream[2] », que quelqu’un doit obligatoirement être en charge, ou encore que les gestionnaires occupent ce poste, car ils sont les plus qualifiés en raison de leur scolarité et de leur expérience ; il est donc logique qu’ils prennent les décisions importantes (Adler et al., 2007 : 126). Le management arbore trop fréquemment la figure de l’expert et son point de vue est trop souvent hégémonique. Pourtant, selon Boxall, les « ressources humaines » ne sont pas simplement les personnes employées au sein d’une organisation, mais plutôt les ressources intrinsèques – ou les talents – que possède chaque être humain dans l’accomplissement de tâches liées à la fois au travail et aux autres aspects de la vie (Boxall, 2014 : 579). Dans ce contexte, les gestionnaires ne sont pas les seules personnes dépositaires de compétences et d’expérience. La perspective des personnes salariées s’avère également importante, particulièrement dans le cadre des missions confiées. De même, cet effort de dénaturalisation prend la forme d’une critique et d’une remise en cause du langage managérial (de Gauléjac, 2005) et des définitions qui le sous-tendent (Delbridge et Keenoy, 2010 : 802-803). Ce faisant, la recherche « mainstream » est fréquemment dominée par une pensée unique, dont les concepts et les définitions découlent souvent d’un même point de vue, celui qu’il convient de mobiliser dans le périmètre gestionnaire. Or, les intérêts de l’entreprise et des employés ne concordent pas nécessairement (Reynaud, 1982). Le langage n’est, en réalité, jamais neutre, et relève toujours d’un contexte socioéconomique plus large et illustre aussi de rapports de domination et de pouvoirs qui le déterminent. Ainsi, au sein d’une GRH « mainstream », il semble que dans les discours, les intérêts managériaux priment souvent plus que ceux des employés (Delbridge et Keenoy, 2010).

Par exemple, traditionnellement, la valeur d’un emploi est établie en fonction de sa contribution perçue à la mission et aux objectifs de l’organisation. Ce fut donc historiquement la perspective de l’employeur qui dominait dans l’attribution de la valeur. De surcroît, l’établissement de la valeur d’un emploi n’est pas une démarche totalement objective. Elle est empreinte d’une certaine forme de subjectivité, ce qui peut laisser place à certains préjugés ou autres associés aux conceptions du travail à prédominance féminine. De plus, selon Townley (1993), les outils de gestion, notamment les méthodes d’évaluation des emplois utilisées, conçues par le passé à partir des emplois à prédominance masculine, instauraient une dynamique de contrôle et de domination perpétuant la sous-évaluation de certains emplois, dont les emplois du care associés au travail domestique (Hallée, Parent Lamarche et Delattre, 2024). Afin de lutter contre ces formes de discrimination consciente ou non et les différents enjeux de contrôle et de pouvoir, l’inclusion et la participation des personnes salariées peuvent s’avérer nécessaires. Ainsi, les différentes lois en équité salariale incluent souvent différents mécanismes de participation des personnes salariées à l’établissement de l’équité salariale. Selon le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale québécois (2019 : 77), « la participation des personnes salariées constitue l’une des pierres d’assises de la Loi » québécoise. Cette participation se révèle essentielle pour débusquer et contribuer à mieux faire réaliser à chacun l’existence de la discrimination salariale[3].

Par ailleurs, les approches critiques interrogent également la vision trop instrumentale des relations sociales en milieu de travail (Adler et al., 2007 : 127). Cette instrumentalisation se reflète de façon particulièrement probante dans tous les discours parlant de « ressources » humaines, ou visant à organiser le travail de façon à développer les performances et optimiser les résultats. La concentration sur les « best practices » vise à maximiser les résultats au sein d’une entreprise (Adler et al, 2007 : 128). Or, ce « qui est “bon” pour l’entreprise ne correspond pas nécessairement aux meilleures pratiques pour les employés » (Delbridge et Keenoy, 2010 : 803).

L’autonomisation et la responsabilisation des employés (empowerement) sont considérées comme des variables importantes dans certains modèles de gestion de la production. C’est notamment le cas au sein des approches associées au Lean management. La « philosophie » de gestion Lean (Holloway et Hall, 1997) s’articule autour d’un principe de réduction constante et continue du gaspillage, au sens large. Par différents moyens, il s’agit de déceler ces « pertes » (au sein des processus de l’organisation, de la production, de la gestion des stocks, du transport, etc.) et de les éliminer autant que possible dans un contexte de flux tendu. Ce faisant, les performances de l’entreprise en seraient optimisées. Formalisé et popularisé dans les années 1990, le Lean a connu et connaît toujours une grande popularité, notamment dans le secteur industriel, et maintenant en santé où l’on exporte le modèle (Pyzdek, 2021). Les tenants de cette méthode défendent l’idée selon laquelle la mise en oeuvre d’un système de type Lean augmentera de facto l’implication et la participation des travailleurs. Ce faisant, la croyance d’une synergie s’instaure entre les besoins de l’organisation, et la compréhension que les travailleurs en ont. Ultimement, cette mise en commun constituerait un gage de succès (Jones et al., 2013). Or, malgré l’omniprésence d’une telle rhétorique de valorisation de l’autonomie et de la participation au sein des organisations se réclamant du Lean, il semble que la réalité soit, le plus souvent, largement différente. Il existe une abondante littérature qualitative critique sur les expériences des travailleurs dans le cadre de modalités de travail Lean et postfordistes dans le secteur manufacturier. Ces études s’intéressent à la distance entre la rhétorique et la réalité, mettant l’accent sur les aspects d’exploitation plutôt que d’émancipation du Lean (ibid. : 1630). Avec leur étude dans le secteur des soins de santé, McCann et al. (2015) arrivent à la conclusion que l’absence de véritables progrès à l’hôpital a finalement amené le Lean à devenir un phénomène superficiel, largement rhétorique ; juste un « autre » dans une « succession » de modes de gestion.

Le mouvement Lean est aussi associé à l’obsession productiviste. Il a été développé dans l’industrie dans la perspective d’une plus grande maîtrise des processus. L’extension des pratiques du Lean dans les secteurs de la production de services peut encourager la croyance d’une certaine capillarité qui confirmerait la généralisation des discours sur les « best practices » gestionnaires. Il semble nécessaire de souligner que si les activités de service peuvent s’inscrire dans des processus d’activité, la valeur ajoutée, elle, se situe dans la qualité des interactions. À titre d’exemple, dans les métiers du care comme la santé, la maîtrise des processus ne doit pas être obtenue au détriment de la qualité du soin et des besoins des patients. Il y a des décisions « dont les incidences ne sont pas traçables et dont l’impact échappe en partie au calcul utilitariste » (Le Coz, 2018 : 157). Une étude canadienne dans un centre hospitalier montre que l’implantation de la méthode Lean a contribué à détourner l’attention vers l’optimisation des processus au détriment du traitement direct des patients (Leifso, 2021). L’initiative a conduit à déplacer le temps alloué et les efforts engagés du travail réel des soins aux patients vers des pratiques de type Lean. Pour le personnel de première ligne, prendre soin de leurs patients grâce aux pratiques apprises au cours de leur formation professionnelle et universitaire représente la priorité, et toute activité qui ne s’inscrit pas suffisamment en lien avec cette finalité semble les détourner de leur travail et être perçue comme un gaspillage. Lorsque le prescrit semble exclure le titulaire de la finalité de son geste, comment apprécier une qualité de soin qui dénie la nature même de sa spécificité – une interaction humaine – autrement que comme un gaspillage ?

Ainsi, il semble que les indicateurs focalisés seulement sur les objectifs d’efficacité et d’optimisation ne peuvent rendre compte, par nature, que d’aspects dénombrables, relatifs au travail réel, ce qui est réducteur. Ils laissent donc dans l’ombre une grande part du travail réalisé et « incitent à une plus grande productivité, au risque d’une baisse de qualité ou de la sélection des malades au détriment des plus atypiques et des plus coûteux à traiter d’entre eux » (Belorgey, 2011 : 14 cité par Theule et Lambert, 2017 : 184). La santé n’est pas une activité comme les autres et ne peut être abandonnée aux seuls critères quantitatifs d’évaluation. La méthode Lean (…) « peut fonctionner pour des choses qui n’ont pas de sentiments… ce qui n’est pas le cas des patients » (Leifso, 2021 : 624). Une démarche de soin « montre en main », qui découle d’une conception comptable, est contraire, selon Le Coz (2018 : 157), au devoir d’humanité. L’étude ethnographique de Theule et Lambert (2017 : 190) réalisée dans un service de gériatrie montre que « tous ces temps invisibles sont le coeur même du “bien soigner” ». Bien que chronophages, ils ne relèvent pas du « temps perdu » (ibid).

Enfin, les différents volets de la recherche et de l’enseignement de l’approche critique visent à mettre en évidence les sources, les mécanismes et les effets des diverses formes de domination contemporaines et normalisées, notamment en ce qui concerne l’inégalité des opportunités de vie offertes aux plus pauvres, aux classes ouvrières, aux minorités et aux femmes (Adler, Forbes, et al. 2007 : 126), dont les dénis de reconnaissance liés aux enjeux et rapports sociaux de genre qui contribuent à nier la réalité de l’activité de travail déployée (Fraser, 2012). Une GRH critique doit toujours réserver une place de choix aux voix dites alternatives, c’est-à-dire le plus souvent exclues du discours scientifique sur la gestion des ressources humaines. Naturellement, les employés eux-mêmes, nous l’avons déjà signalé, sont souvent marginalisés au sein des recherches en gestion des ressources humaines. La présence d’une certaine vision instrumentale, dans laquelle l’employé est trop perçu comme une « ressource » devant être mobilisée, motivée et « optimisée », contribue certainement à ce phénomène. Les apports d’une approche féministe et davantage ancrée permettraient de diversifier le discours en GRH. De ce point de vue, une GRH proprement critique doit oeuvrer activement à valoriser les points de vue qui sont trop systématiquement marginalisés.

Bref, nous réitérons que trop souvent, la GRH « mainstream » relève d’un champ de recherche tronqué et limité par la domination d’une perspective trop exclusive, celle de gestionnaires. Delbridge et Keenoy (2010) parlent à ce titre d’un « managérialisme », qu’il faut justement dépasser. L’inventaire évidemment non exhaustif que nous venons de dresser reflète des tendances qui ont toutes une longue histoire au sein des sciences sociales[4] (Delbridge et Keenoy, 2010 : 808). Or, c’est la mobilisation de ces tendances au sein même de la GRH qui permettra de renouveler la recherche, dans l’objectif pratique de produire un discours académique, mais aussi de contribuer à une vision de l’entreprise, plus diversifiée et, ainsi, moins inégalitaire. Cela passe ici par une meilleure reconnaissance des emplois du care.

2. La problématique des emplois du care

Le concept du care renvoie globalement à l’engagement ou au devoir relationnel et émotionnel particulier entre une personne qui donne et une personne qui reçoit, où les notions de responsabilité et d’attention envers autrui prennent un sens précis (Tronto, 1993 ; Molinier, 2013). Il faut souligner que le care ne se limite pas qu’au soin[5]. C’est la raison pour laquelle les auteurs abordent souvent cette thématique sous l’angle de l’éthique du care[6], rendant cette notion plus englobante. L’éthos du care, c’est-à-dire la manière d’être et les habitudes contenues dans ce type d’activité, ne s’apprend pas exclusivement par de la formation « métier » à ces emplois, mais dans la pratique d’une expérience prolongée avec l’empathique et le relationnel, entre autres (Molinier, 2013). Le care est foncièrement relationnel et engage les émotions, l’entraide, la collaboration et le partenariat. Même si la société entière a besoin de ce type de travail pour fonctionner, il est notamment rendu visible seulement lorsqu’il manque aux individus (Molinier, 2013). Cette invisibilité est souvent associée aux emplois à prédominance féminine et à son corollaire, le travail domestique. Cela renforce le caractère naturalisant, c’est-à-dire associé au « rôle naturel des femmes, pas un vrai travail », qui peut conduire jusqu’à un déni de professionnalisation (Cléach, 2017 : 15). De surcroît, l’invisibilité du travail va souvent de pair avec un déficit de reconnaissance et de représentation au travail (Cléach, 2017 ; Dejours et Gernet, 2016).

Le care, qui se déploie par le travail réel, est généralement influencé ou dicté par le contexte et la situation (action située), notamment celui qui consiste à déterminer et répondre aux besoins de l’humain. Pour composer avec la diversité et la complexité des situations, l’individu laisse place à sa créativité, à son savoir-faire profane et développe une autonomie pour s’adapter aux enjeux de la tâche à réaliser. Cet aspect met en relief le caractère vivant du travail et l’engagement individuel de chaque personne dans l’accomplissement de son travail (Gernet et Dejours, 2009). On se rend souvent compte de l’importance et de la valeur d’un emploi du care lorsque le travail n’est pas fait. Il est également périlleux de déterminer à l’avance les besoins du client/patient/usager/bénéficiaire ; cela est incompatible avec un fonctionnement basé sur un rapport humain effectif.

Alors que Gilligan (1982) faisait une lecture de l’éthique du care comme étant généralement féminine, Joan Tronto, pour sa part, indique que ce type d’éthique est lié à l’humanité en soi (Tronto, 1993). Elle conceptualise d’ailleurs le care comme une pratique et une disposition, celle d’une préoccupation pour la vie plus largement. Les valeurs associées au care pourraient être davantage universelles et s’inscrire selon la proposition de Tronto (2013) dans une articulation féconde entre le care et une démocratie participative où chaque humain bénéficie des mêmes droits dans le même espace politique organisationnel. Pour les théoriciennes et les féministes de la citoyenneté, la « réhabilitation des fonctions de sollicitude et de soins dans le domaine public pourrait contribuer à désamorcer la dichotomie [entretenue entre le public et le privé,] et propager [plus largement] la conception selon laquelle l’égalité réelle requiert également de transcender la frontière de la construction sociale des genres » et se refléter davantage sur le plan de la citoyenneté (Hallée, 2005 : 776) dans tous les lieux institutionnels.

3. La théorie de la justice sociale de Fraser et sa tridimensionnalité

Pour Fraser, la justice se traduit par le droit pour toute personne de participer à l’interaction sociale sur le même pied d’égalité que les autres. Elle se définit par la notion de parité de participation, c’est-à-dire la mise en place des conditions permettant « à tous de participer en tant que pairs à la vie sociale » (Fraser, 2012 : 262). Vaincre l’injustice implique « d’abattre les obstacles institutionnalisés qui empêchent certaines personnes de participer sur un même pied d’égalité avec les autres, comme partenaires à part entière de l’interaction sociale » (ibid). L’interaction sociale fonde la vie en société et elle est circonscrite par les institutions formelles et informelles. Cette parité présuppose de bénéficier de tous les droits au même titre que les autres membres de la société. Ceux qui disposent de moins de droits que les autres vivent une injustice sociale, dans la mesure où ils voient réduite leur participation aux interactions sociales ou à certains aspects de la vie sociale. Cette conceptualisation s’arrime avec le discours critique en GRH sur les enjeux de pouvoir et de domination. Les obstacles observés à la parité de participation sont de trois ordres : les obstacles de nature économique portant sur la distribution inique des ressources ; les obstacles culturels basés sur le déni de reconnaissance et les obstacles politiques axés sur le déni de représentation[7]. Ainsi se pose la tridimensionnalité de la justice sociale pour laquelle la parité de participation représente le concept « pivot » (Fraser, 2011 : 53). Elle se compose de trois dimensions imbriquées : la distribution, la reconnaissance et la dimension politique de la justice qu’est la représentation. À ce titre, il est important de comprendre que pour Fraser, il n’y a pas de réelle reconnaissance sans redistribution et représentation.

3.1 La distribution

Cette dimension met l’accent sur les injustices socioéconomiques qui excluent ou limitent l’accès aux ressources permettant aux gens d’interagir sur le même pied d’égalité (Fraser, 2004 : 155). Les injustices de distribution donnent lieu à l’exploitation d’une classe par une autre, au dénuement économique de certaines personnes, à l’exclusion du marché du travail et à l’absence de capacitation de certains groupes subissant l’abus de pouvoir des groupes économiquement dominants. Du fait du différentiel d’accès aux ressources financières et matérielles, la distribution inique limite la capacité d’action et d’interaction des membres de la classe dépourvue de ressources ou dotée d’un niveau limité d’accès aux ressources. L’idéal type associé à la distribution serait notamment un accès équitable aux ressources financières et matérielles, sans abus de pouvoir des groupes dominants.

3.2 La reconnaissance

Cette notion cible les injustices culturelles qui proviennent des hiérarchies statutaires que nous retrouvons « à travers des modèles institutionnalisés ou, en d’autres termes, à travers les rouages des institutions sociales qui régulent l’interaction en fonction de normes culturelles empêchant la parité » (Fraser, 2011 : 79). Ces modèles institutionnalisés de valeurs culturelles déprécient les caractéristiques distinctives individuelles ou singulières qui sont attribuées aux individus. « Se voir dénier la reconnaissance de ce point de vue, ce n’est pas simplement être victime des attitudes, des croyances et des représentations méprisantes, dépréciatives ou hostiles des autres. C’est être empêché de participer en tant que pair à la vie sociale, en conséquence de modèles institutionnalisés de valeurs culturelles qui constituent certaines personnes en êtres ne méritant pas le respect ou l’estime » (ibid : 49- 50). Cela se traduit, dans la GRH critique, par l’inégalité des opportunités de vie offertes à certains groupes, dont les femmes, victimes potentielles d’un traitement organisationnel inéquitable en comparaison avec les emplois à prédominance masculine.

Fraser nomme ces injustices socioculturelles « déni de reconnaissance ». Le déni de reconnaissance renvoie à la hiérarchisation culturelle des différents statuts sociaux, qui fait en sorte qu’une ethnie, une race, une langue, une croyance religieuse ou une nationalité va se considérer supérieure par rapport à une autre ou aux autres, en raison de son histoire, de ses valeurs, de ses prouesses, etc. (Fraser, 2012 : 263). Le déni de reconnaissance s’appuie sur « une relation institutionnalisée de subordination sociale » (Fraser, 2011 : 79). Ces dénis peuvent être judiciarisés ou institutionnalisés à travers des politiques gouvernementales, des codes de l’administration ou des pratiques professionnelles, auxquelles nous associons les pratiques de gestion des ressources humaines, ou être institutionnalisés informellement au travers d’associations, d’habitudes ou de pratiques sociales (ibid : 80). Par exemple, la sous-valorisation des emplois à prédominance féminine vient notamment de la naturalisation des compétences qui sont associées au rôle « naturel » des femmes. De ce fait, la mobilisation professionnelle de ces compétences n’est pas abordée comme un vrai travail. De la sorte, ces compétences peuvent être considérées comme non professionnalisantes et donc non contributives dans la sphère publique. L’idéal type serait lié à la reconnaissance pleine et entière, sans discrimination, de l’importance professionnelle des emplois du care.

3.3 La représentation

Cette dimension insiste sur les obstacles qui empêchent certaines catégories sociales de participer au même titre que les autres aux arènes politiques. La dimension politique insiste sur la représentation, par le biais, d’une part, des critères désignant la qualité de membre de la société, structurant les démarcations entre membres et non membres ; d’autre part, par le biais des procédures permettant aux membres de la communauté d’exposer leurs revendications (Fraser, 2012 : 265). Le déni de représentation se manifeste lorsque les règles de démarcations ou les procédures décisionnelles dénient à tort aux personnes le statut de membres de la communauté, les empêchant de participer, sur un même pied d’égalité, à l’interaction sociale (ibid. : 266). La domination du discours managérial sur les pratiques de GRH en est un exemple. L’idéal type serait notamment de permettre aux titulaires des emplois à prédominance féminine d’agir sur un même pied d’égalité dans l’entreprise comprise comme espace politique afin d’exposer leurs revendications et de mieux prendre part aux décisions qui les concernent.

4. La méthodologie

Nous avons eu recours à une méthodologie pragmatique qui reconnaît l’importance des contextes, l’expérience et de l’agentivité humaine[8]. Nous utilisons l’inférence abductive qui implique un va-et-vient sur le terrain à partir de la formation d’hypothèses exploratoires qui sont mises à l’épreuve au regard du problème posé. L’abduction est suivie de la déduction qui développe diverses conséquences expérimentales d’une hypothèse et qui donne une direction à l’enquête. L’induction joue un rôle de vérification permettant de tester expérimentalement les hypothèses (Hallée et Garneau, 2019 : 127). Ce procédé se veut un aller et retour entre déduction et induction pour affiner les résultats obtenus au regard des hypothèses posées. La recherche vise à montrer les écarts entre le vécu réel type – les données du terrain – et l’idéal type – hypothèses confrontées au terrain et représentées par des catégories conceptuelles abstraites – issues de la conceptualisation de Fraser.

Nous avons interrogé 38 personnes, dont 27 titulaires d’emplois du care issus non seulement des soins hospitaliers, des services sociaux, des secteurs de l’éducation et des services à la personne, mais également des milieux où les aspects administratifs et les relations sont d’une importance particulière, ainsi que 11 experts syndicaux, associatifs et universitaires qui ont une très bonne connaissance de ces emplois, sur une période allant de novembre 2021 à mai 2022. Ces entrevues semi-ouvertes ont été retranscrites sous forme de verbatims et codifiées notamment selon les catégories conceptuelles de Fraser à l’aide du logiciel NVivo. Une analyse plus approfondie de l’ensemble des verbatims a ensuite été réalisée. Les échantillons qualitatifs tendent à être davantage orientés plutôt qu’aléatoires (Huberman et Miles, 2003 : 58). C’est un échantillonnage par choix raisonné qui consiste à former un échantillon représentatif de l’ensemble des emplois identifiés (Annexe A). L’échantillon a été construit à partir de certains titulaires des emplois choisis. Nous avons eu aussi recours à l’échantillonnage boule de neige dans lequel certains titulaires à l’étude ont agi à titre de passeurs vers d’autres personnes de leur entourage que nous avons interrogées. L’objectif poursuivi étant de privilégier la variété et la diversité des emplois du care sur la représentativité statistique, nous avons fait le choix d’une analyse globale et non comparée des emplois du care à prédominance féminine ; l’enjeu est davantage lié à la mise en évidence des processus d’exclusion à l’oeuvre qu’au fait de présenter une classification. Enfin, en lien avec les perspectives critiques, les personnes interrogées sont des personnes salariées et certains experts puisque toutes ces personnes ont des choses à dire, elles ont une excellente connaissance de leur emploi et du contexte dans lequel il s’inscrit ; elles sont donc reconnues comme des personnes valables pour décrire le travail réel type.

5. Les résultats

Les résultats sont présentés selon la conceptualisation de Fraser et associés à des pratiques de gestion des ressources humaines sur lesquelles des acteurs peuvent témoigner ; c’est le constat que chacun peut réaliser entre un vécu réel type et un idéal type de reconnaissance, de distribution et de représentation. Dans le cadre de la restitution des verbatims, ceux-ci ont fait l’objet d’une reformulation pour passer du langage parlé au langage écrit pour une meilleure lisibilité de la restitution, exemple : t’sais [tu sais]. De plus, chaque verbatim est identifié par un numéro qui renvoie à un(e) participant(e) et un emploi (Annexe A).

5.1 Distribution

Ce concept aborde les injustices socioéconomiques qui excluent ou limitent l’accès aux ressources. Il s’opérationnalise à partir d’exemples rapportés par les personnes interrogées. Ceux-ci touchent à la fois l’accès aux ressources financières et matérielles, notamment le salaire et la façon dont la rémunération est déterminée. Il est notamment question d’injustice économique liée aux rapports sociaux de genre et d’une dynamique de contrôle que sous-tendent les méthodes d’évaluation des emplois qui sous-valorisent certaines compétences associées au travail du care en comparaison avec un idéal type qui traduit un accès équitable aux ressources financières et matérielles.

5.1.1 L’accès aux ressources financières

Les répondantes évoquent l’accès différencié aux ressources financières et matérielles :

On demande à une secrétaire, qui souvent va être diplômée du secondaire d’avoir un français impeccable pour un salaire de pinottes [un maigre salaire]. Par contre, ils vont engager des professionnels qui vont gagner dix fois ce que toi tu gagnes. Donc la qualité du français n’est pas reconnue. Je travaille avec des réviseurs de français qui gagnent au-delà de 110 dollars de l’heure !

CNP1241 (2)

On n’est pas reconnu du point de vue de nos responsabilités. Tu sais, c’est quand même une grosse responsabilité, on en donne beaucoup de pilules. J’en donne à 25 patients, avec jusqu’à cinq pilules par soir, il ne faut pas que tu te trompes. Je trouve que ce n’est pas reconnu, même au niveau salaire.

CNP3233 (2)

La question des écarts salariaux entre les emplois à prédominance féminine et les emplois à prédominance masculine est également évoquée.

Un policier, [il]a une technique comme moi, […] il a un bon salaire, hein ? Mais c’est comme si on ne me prend pas au sérieux « Oh, elles sont avec des enfants ». C’est comme les bonnes soeurs dans le temps, c’est une vocation, là. Quand on commence à décrire tout ce que je dois observer pour pouvoir analyser un enfant, c’est tout son développement aussi.

CNP4214

Parce qu’au début, c’était des religieuses, je pense que beaucoup de choses ont été acceptées, mais si ça avait été un milieu d’hommes, je pense que notre salaire serait beaucoup plus haut.

CNP3233 (2)

Parfois, la notion de distribution et de reconnaissance qui suivra se renforce, notamment lorsque les répondantes abordent la notion du salaire d’appoint.

Je pense qu’il y a beaucoup de stéréotypes ou d’idées préconçues dans la société. Arrêtez de voir le salaire des femmes comme un salaire d’appoint ! On va dire « Ben non, on [ne] le voit pas encore comme ça », mais oui, on le voit encore comme ça dans le sens où ça ne nous inquiète pas de voir tous ces emplois-là précaires dans les services publics, ça l’inquiète même pas, le gouvernement, d’avoir beaucoup de salariés qui sont précaires même que lui, il joue à garder cette précarité-là parce que c’est avantageux pour lui, ça lui coûte moins cher.

Expert.e.s (2)(P3)

Nous pouvons également interroger l’utilisation courante des primes en rémunération qui, par essence, ne sont pas intégrées au salaire de base et ne permettent pas de pérenniser un niveau de rémunération. Voici ce qu’en disait une infirmière auxiliaire :

Des primes ça, [ne] compte pas pour ceux qui vont en maladie ou à la retraite, une vraie augmentation avec les responsabilités [que nous avons], qui vont avec.

CNP3233 (2)

[Pour M.] Legault [premier ministre], lui, c’est ça les augmentations, c’est par primes, […] [il] pourrait donner des vraies augmentations [puis] ouvrir des postes stables, moi je suis sûre [qu’il] pourrait, mais non, [il ne] le fait pas.

CNP3233 (2)

5.1.2 Les méthodes d’évaluation des emplois

Nos données remettent en question également la manière dont est déterminée la rémunération. Une experte exprimait des doutes quant à la prise en compte de compétences essentielles par les méthodes usuelles d’évaluation. Il me semble cependant que ces méthodes valorisent peu les compétences d’empathie qui sont essentielles dans les métiers du care. (Expert.e (6))

Une autre experte (4) en référence au contexte poursuivait en mentionnant que tout ce qui est relationnel est complètement évacué. Pour elle, le relationnel implique la patience, la considération, la difficulté, la maîtrise de soi… Dans l’évaluation des emplois, on passerait à côté des aspects relationnels, interactionnels.

Une autre experte (1) notait que le travail invisible, notamment le travail d’arrière-plan, n’est pas suffisamment pris en compte par les méthodes d’évaluation des emplois. L’importance du soutien administratif est largement minorée. Pourtant, ce soutien est nécessaire à la bonne marche d’un secteur ou d’un département.

La difficulté à mesurer certaines compétences intangibles, pourtant nécessaires est évoquée :

Les personnes qui sont dans le care sont bonnes et pleines de qualités, mais comme objectivement c’est difficile à mesurer dans le travail, l’interaction est mise de côté […]. Mais c’est parce qu’avec la reconnaissance des emplois du care, on fait appel à tellement de notions qui sont difficilement… je vais dire cartésiennes…

Expert.e.s (2)(P2)

5.2 La reconnaissance

Selon Fraser, les dénis de reconnaissance peuvent être institutionnalisés notamment sur le plan des pratiques professionnelles, des pratiques sociales ou de la hiérarchisation culturelle des différents statuts sociaux. À cet égard, plusieurs répondantes ont soulevé la problématique de la sous-valorisation et de la reconnaissance des compétences associées au travail à prédominance féminine en comparaison avec un idéal type de reconnaissance pleine et entière, sans discrimination, de l’importance professionnelle des emplois du care et des compétences qui y sont associées, le tout exempt de barrières institutionnelles et symboliques (vocation).

5.2.1 Naturalisation des compétences

Une experte déclarait ceci à propos de la sous-valorisation des compétences nécessaires pour effectuer le travail à prédominance féminine : Il y a une très grande sous-valorisation qui vient de la naturalisation des compétences, c’est tellement normal pour une femme de faire ces choses-là qu’on [ne] se rend même pas compte que la femme a ces tâches-là à accomplir dans son travail. (Expert.e.s (2)(P3))

Cette même experte explique plus en détail cette naturalisation qui engendre notamment un déni de reconnaissance lié à la hiérarchisation culturelle des différents statuts sociaux dans la sphère domestique :

Il y a une phrase [dans] le manuel scolaire d’économie domestique qui me marque énormément, elle parle de quand la femme doit accueillir son mari à la maison : « Laissez-le parler d’abord, souvenez-vous que ses sujets de conversation sont plus importants que les vôtres ». Mais qu’est-ce que la femme fait ? Elle s’occupe des enfants, elle prend soin, elle fait toutes les tâches de care gratuitement à la maison, et l’homme est dans la sphère publique, est à l’extérieur de la maison, fait le travail manuel […] [Cela fut] culturellement intégré, le travail des hommes était plus important que celui des femmes. Et même si on rit énormément du manuel scolaire domestique, je suis convaincue que ça teinte encore notre société aujourd’hui. 1960 à 2020, ça [ne] fait pas assez longtemps pour dire qu’on s’est débarrassés de ces vieux principes-là, malheureusement.

Expert.e.s (2)(P3)

5.2.2 Reconnaissance de la pratique

Sur le plan de la pratique, les répondantes affirment être confrontées à des barrières institutionnelles. Elles estiment également que pour des pratiques et jugements cliniques dont elles ont pleinement la capacité, elles se voient enlever le pouvoir d’agir professionnellement. Par exemple, concernant la faible perception de la reconnaissance individuelle, une travailleuse sociale évoque :

Notre jugement clinique n’est pas toujours reconnu. […] la personne qui a le dernier mot c’est le médecin. […] c’est lui qui va libérer le patient. […] [Tu sais], ça m’arrive souvent de m’obstiner avec les médecins… Tu m’as demandé mon opinion professionnelle [et tu n’es] pas content de la réponse.

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5.2.3 La vocation

Dans plusieurs entrevues, le thème de la vocation était abordé avec l’appellation symbolique d’anges gardiens qui a été mobilisée par le gouvernement durant la pandémie pour illustrer l’aide des travailleuses et travailleurs du milieu de la santé et des services essentiels. Ce terme a été maintes fois critiqué. D’une part, il l’a été parce que d’un côté, on mobilise un discours faisant référence au religieux pour témoigner d’une grande reconnaissance envers ces personnes alors que les conditions de travail ne suivent pas toujours. D’autre part, la critique vient du terme qui sous-entend un grand engagement de leur part, sans attente de rétribution, comme le souligne une experte d’un syndicat :

[Lorsque l’] on a besoin d’elles, [elles] deviennent des anges gardiens. Juste, des anges gardiens, c’est assez beau, hein ? […] les métiers à prédominance féminine, on est des anges gardiens dans le fond. Alors pourquoi qu’on payerait des anges ? Voyons, [elles] y vont avec leur coeur !

Expert.e.s (2)(P6)

Quand [ils] nous demande de faire du [temps supplémentaire obligatoire], […] ça fait partie [de ton emploi], là, [ils] jouent beaucoup sur la culpabilité, tu [ne] peux pas abandonner les gens… [Oui] c’est vraiment ça, c’est une vocation, [puis] on dirait que tous les métiers majoritairement féminins comme prof, éducatrice, c’est tous des vocations ! Tu sais, c’est, « Accepte de prendre moins de salaire, c’est ça, accepte […] des choses difficiles, ça, ça fait partie, de ta vocation » [rires] !

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5.3 La représentation

Cette dimension touche le caractère politique comme membre de l’entreprise comprise comme espace politique citoyen permettant, comme idéal type, d’exposer ses revendications et participer à l’interaction sociale sur un même pied d’égalité. Fraser insiste sur les obstacles qui empêchent certaines catégories sociales de participer au même titre que les autres aux arènes politiques. Elle traite notamment de la notion citoyenne qui permet à tous de participer à l’arène politique dans tous les lieux institutionnels opportuns. Cela requiert donc de « chercher des solutions institutionnelles à des torts institutionnalisés » (Fraser, 2011 : 82). Or, selon ce qui est rapporté, les pressions temporelles, la quantification, le chronométrage des activités associées au Lean de même que le décalage entre la réalité des décideurs et le travail réel inhibent largement la participation des titulaires aux décisions qui concernent leur travail.

5.3.1 Le Lean management

Le Lean management est notamment ici associé à la soustraction des activités considérées comme improductives, ce qui atténue, tout en déterminant, la participation des titulaires des emplois du care aux soins ou, en d’autres termes, en leur empêchant ou en restreignant leur participation comme il se devrait et sur un même pied d’égalité, à l’interaction sociale non seulement entre collègues, mais également avec les patients.

Lapointe (2021 : 32) disait que les organisations ne retiennent « que les dimensions technico-organisationnelles (flux tendu, flexibilité, qualité, participation des salariés à l’amélioration de la qualité) et omettent les aspects négatifs associés aux conditions de travail, notamment l’intensification du travail […]. [Aussi,] en introduisant dans les hôpitaux un système technico-organisationnel conçu dans le secteur manufacturier, les gestionnaires et les ingénieurs industriels qui les conseillent négligent à peu près complètement les conditions spécifiques du travail professionnel dans les hôpitaux, sous prétexte qu’ils sont préoccupés non pas par la nature spécifique des activités, mais par les processus, qui sont les mêmes partout et pour lesquels un programme est universel ». Le temps variable passé avec les patients est considéré comme du gaspillage. Or, le lien est tout aussi important que le soin dans la guérison (Hallée et Delattre, 2021).

L’organisation du travail n’aide pas en ce moment, […] notre séminaire portait sur « recentrer sur l’essentiel » parce que oui, on travaille tous avec des humains. Malheureusement, ces pratiques managériales-là, que ça soit le Lean, la gestion axée sur les résultats dans les réseaux scolaires, […] en petite enfance, [ça vient nous toucher], [ils] veulent essayer de tout compter [et nous] amener sur une gestion axée résultats alors que ça dénature tes tâches […] à un moment donné, tu abdiques, tu « sauves ta peau », […] tu t’amènes à faire ce qu’on te demande [puis] à remplir des rapports, à tout noter pour te protéger parce que t’as une pression indue.

Expert.e. (2)(P5)

Comme évoqué, on estime comme du temps mort et du gaspillage les communications, pourtant si essentielles en santé. Comme une grande partie du travail du care est invisible, c’est-à-dire qu’il ne peut être quantifié, plusieurs actions des travailleuses pourraient être perçues comme des temps morts. C’est ce décalage qu’explique une travailleuse sociale en milieu hospitalier :

Sur les pressions temporelles, le rythme à l’hôpital est très intense… au point où tu sens des fois que tu ne peux pas faire le job comme tu voudrais… parce que travailler avec l’humain, faut que tu respectes son rythme ! Mais définitivement, on outrepasse les besoins des patients pour aller plus vite, ça c’est clair.

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Ce décalage entre une logique du Lean et la logique du care se fait ressentir même dans le vocabulaire employé en milieu hospitalier, comme l’explique cette même participante :

Pff… une rapidité de fou là. [Tu sais] dans le sens, les patients ça devient des lits. On dit « les lits » ! [Tu sais on ne] dit même pas les patients […] l’organisation t’oblige […] « mais rapidement pour qu’elle [la personne du patient] sorte » et non pas pour répondre à son besoin [le patient].

CNP 4152 (1)

Par ailleurs, nous avons précédemment évoqué que le soin ne peut être abandonné aux seuls critères quantitatifs d’évaluation et au minutage des activités. Ainsi, comme le souligne une experte d’un syndicat, la chrono-quantification est difficilement compatible avec le travail réel du care.

Je pense qu’un élément qui est difficile aussi dans, dans le travail du care, c’est que c’est difficilement quantifiable […] tout le système économique fonctionne avec du quantifiable. Donc tu as deux minutes pour prendre soin de l’autre, même si ça t’en prendrait cinq, moi je veux que tu le fasses en deux minutes.

Expert.e.s (2) (P5)

Cette manière de travailler imposée aux travailleuses est expliquée par une préposée aux bénéficiaires. Elle invoque les exigences temporelles ainsi que les exigences liées au nombre de patients. C’est le flux tendu et une démarche de soin « montre en main ».

En fait le… le travail est pensé un peu comme du travail administratif ou clérical, tu sais, un petit peu… une tâche doit prendre 10 minutes, il y a des endroits même où c’est chronométré : une toilette ça [ne] doit pas dépasser 10 minutes, montre en main. […] Tu as des endroits où c’est ça et… à ce moment-là, la personne est vraiment orientée sur l’acte, indépendamment de l’ensemble de la personne.

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Elle renchérit sur l’incidence de cette logique d’optimisation sur les relations humaines, la santé même des patients et le rétablissement.

On est beaucoup plus dans le faire, la pression est telle que très souvent, on a tellement de patients, un quota de patients par préposé élevé que justement, cette partie-là de relations humaines est complètement occultée. Or c’est ce qui va faire la différence dans le rétablissement.

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Cette pression temporelle est largement appliquée aux patients mêmes. Nous y voyons également des lacunes liées à la participation aux décisions qui découle de la connaissance des patients issue du travail réel. C’est un exemple du flux tendu et d’une distance entre le travail prescrit et le travail réel.

Ils nous demandent de nous dépêcher : il faut tout le temps sortir les patients, vite vite vite ! Il y avait un monsieur qui ne correspond pas aux fameux critères de sélection, des fois c’est problématique parce qu’il y en a beaucoup qui ne répondent pas à ces critères. Ils ont besoin d’un comité avec 4 gestionnaires qui réfléchissent… ils ont fait ça pendant 4 jours. Et on nous dit, comme en ce moment, qu’il manque de lits d’hôpitaux. C’est tellement frustrant en tant que travailleur terrain ou tu te dépêches ! … la pression, c’est quand l’infirmier en chef nous appelle : « hey, est-ce qu’il sort ». Mais non tu sais, il faut que les hautes sphères réfléchissent à… [soupir]. Parce qu’il y a beaucoup de décisions qui, à notre avis, ne fonctionnent pas pour les patients. Ça devient lourd.

CNP4152 (2)

Certaines participantes ont également mentionné ce décalage entre la réalité des décideurs, de la direction ou du conseil d’administration et leur propre réalité. Cela conforte le sentiment que les objectifs de budget ou de ratios, par exemple, sont favorisés au détriment de certains aspects concrets et réels du travail. C’est ce qu’une cheffe d’équipe à l’hébergement dans une maison d’accompagnement social raconte lorsqu’elle mentionne les difficultés de son travail et la méconnaissance de celui-ci de la part du conseil d’administration et de la direction générale :

On a un C.A. qui ne connaît pas les employés et vice-versa. Donc ils [les membres du CA] ne sont pas impliqués et ne se fient qu’au discours de la direction générale qui est peu présente, mais qui a une lunette « financement, budget, reddition de comptes ». Puis après ça, tu as l’équipe terrain qui compose avec une clientèle qui a maintenant des troubles multiples, qui a mille et une ressources ou pas, il y a les défis d’encadrement, le partenariat, les attentes…puis tu sais la relation d’aide, bien ça prend du temps aussi.

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Pour donner suite à la présentation des résultats selon les concepts développés par Fraser, nous discuterons, dans la prochaine section, de différents points que nous considérons comme importants.

6. La discussion

Nous voulions vérifier les écarts entre un idéal type de distribution, de reconnaissance et de représentation exprimés dans des pratiques de gestion, et une situation réel type, telle que perçue par les titulaires des emplois à prédominance féminine.

Il est important de rappeler que les trois dimensions que sont la distribution, la reconnaissance et la représentation, bien qu’elles soient associées à « un aspect analytiquement distinct de l’ordre social » (Fraser, 2011 : 83), s’articulent et se renforcent mutuellement pour former un seul cadre général de justice sociale. Dans « la grammaire du concept de justice, […] pas de redistribution ni de reconnaissance sans représentation » (Fraser, 2012 : 269). En conséquence, les pratiques de reconnaissances, de distributions et de représentations que nous observons et qui se combinent pour les emplois du care participent à l’exclusion d’une part importante des travailleuses des décisions qui les concernent et des rapports qu’elles entretiennent avec les bénéficiaires. Ces trois formes d’injustice (distribution inique, mépris et absence ou déficit de représentation) constituent autant d’obstacles à la parité de participation, qui implique pour chacun de contribuer à la vie de l’organisation sur un même pied d’égalité, sans oublier de mettre en place des conditions et des pratiques de GRH permettant « à tous de participer en tant que pairs à la vie sociale » en disposant des mêmes droits (Fraser, 2012 : 262).

Concernant l’idéal type associé à la distribution, notamment l’accès équitable aux ressources financières, nous pouvons mentionner que le sentiment d’hégémonie managériale a pour effet de centrer le regard sur le domaine de la prescription, ce qui devrait être, plutôt que sur le travail réellement accompli et décrit par nos répondantes. Nos données nous renseignent sur le fait que l’expérience in situ dicte en grande partie le travail à accomplir. Cela réduit amplement le caractère prévisible et prescrit du travail. L’employeur achète une capacité de travail et précise les conditions de travail, mais il peut difficilement prévoir ce qu’il recevra en retour (Bellemare, 2020 : 46). Par la hiérarchie, l’employeur tente, autant que faire se peut, de contrôler ce travail. Derrière cela, il y a l’idée de sa capacité de contrôler ce travail réel. Se pose également la question qui concerne la valeur réelle du travail censée être mesurée par les méthodes d’évaluation usuelles, notamment le travail invisible, qui est largement ressorti de nos entrevues autant dans le soin (cure) qui « ne se laisse ni totalement voir ni totalement saisir » (Benkhelifa, 2020 : 72) que dans le travail administratif notamment « le travail d’arrière-plan » (Deschaintre et Saulpic, 2022 : 63) nécessaire au maintien d’une structure administrative. Nos résultats confirment les perceptions de Molinier (2013), qui précise qu’il existe une difficulté dans l’analyse et l’évaluation même de ces emplois, car le marché du travail actuel demande de mobiliser le langage de la spécialisation, de la parcellisation et de la compétence alors que celles et ceux qui occupent ces emplois témoignent de l’expérience in situ du care. Il y aurait un écart entre le travail prescrit par le management (enjeu de reconnaissance) et la considération du travail réellement accompli, ce qui affecte l’établissement de la rémunération (effet de distribution).

La problématique de la reconnaissance est amplement présente dans les données que nous avons recueillies. Or, l’idéal type lié à la reconnaissance pleine et entière de l’importance professionnelle des emplois du care n’est pas totalement observé. Par exemple, sur ce plan individuel, certains peinent à faire reconnaître leur expertise. Il semble que la hiérarchie ait une incidence sur cette reconnaissance, notamment dans les hôpitaux. Sur le plan organisationnel, les besoins de reconnaissance salariale sont maintes fois mentionnés. On note également des barrières institutionnelles sur le plan de la pratique et de l’exercice de la profession.

Les voies (voix) alternatives prennent une place importante autant dans la théorie de la justice de Fraser que dans l’approche critique de la GRH. L’inclusion en demi-teinte est maintes fois relevée puisque les titulaires des emplois du care ne sont pas traités sur un même pied d’égalité. Trop souvent associées aux travaux et aux compétences domestiques, le caractère professionnalisant peine à être reconnu. Pourtant, la qualité du service dans le secteur des activités du soin à la personne dépend de la conjonction d’une multitude de compétences psychologiques, émotionnelles, administratives et relationnelles ou sociales. Ces compétences, associées au travail à prédominance féminine, caractérisent les métiers ou les professions du care, dans la mesure où ils exigent de développer un contact et de tisser des liens de confiance avec les personnes (qu’elles soient client.e.s/patient.e.s/bénéficiaires) dans des contextes variés, complexes et spontanés (Aubry, 2011). Beaucoup d’efforts restent à fournir dans la reconnaissance de ces compétences qui se déclinent dans un ensemble d’expertises spécialisées et de pointes sur le plan de leurs contributions à la guérison, par exemple, et à des processus associés. La réalité semble donc éloignée de l’idéal type qui permettrait d’agir sur un même pied d’égalité.

Pouvant à la fois être associé à la reconnaissance et la représentation, notamment sur le plan de la structure politique des entreprises, nous avons notamment précisé que des titulaires se voient enlever le pouvoir d’agir professionnellement alors qu’ils en ont pleinement la capacité. Leurs points de vue ne sont pas suffisamment pris en compte dans les processus décisionnels. Cette dominance sur le plan de la gouvernance s’observe dans la mise en place du Lean management. Le manque de ressource et la compression du temps disponible pour le travail sont régulièrement évoqués, ce qui nous conduit à conclure que la réduction et le contrôle des coûts semblent être le seul objectif de mise en oeuvre du Lean. Pour le personnel infirmier, les dimensions réflexives et les moments de récupération qui rendent possibles les interventions concrètes auprès des patients sont considérées comme des activités sans valeur ajoutée. Les ingénieurs industriels, responsables de l’introduction du Lean et chargés du chronométrage du travail, identifient avec un vocabulaire un peu naïf comme « parler libre », « déplacement », « parti quelque part », « inactivité », « cherche », ces temps non directement productifs dont la proportion oscille entre 40 et 45 % du temps de travail (Lapointe, 2021). Selon cette logique, ce sont des activités dont on estime qu’il faudrait réduire l’importance en vue de les éliminer complètement. Or, elles sont essentielles aux interventions concrètes auprès des personnes (client.e.s/patient.e.s/bénéficiaires). Elles permettent au personnel infirmier de respirer entre deux interventions, de reprendre leur souffle et de gérer leurs émotions entre deux patients, de se ressaisir, de réfléchir aux soins à donner et de se préparer émotionnellement et mentalement pour des interventions complexes auprès de patients requérant une attention et des soins particuliers. Éliminer ces activités ou réduire le temps qui leur est consacré n’a aucun sens dans le cadre du travail infirmier (ibid). Ce mode d’organisation du travail, axé sur des évaluations quantitatives du travail, s’accorde mal aux soins et à la santé. Comment peut-on connaître à l’avance les besoins des patients et des bénéficiaires ? De même, le Lean se focalise sur la gestion des activités à savoir, un pilotage et une optimisation des processus, alors que l’activité du care se fonde essentiellement sur les interactions humaines qui se déploient au fur et à mesure du travail. Nos résultats rejoignent « le sentiment général parmi les professionnels de la santé que les innovations managériales telles que le Lean sont tout simplement inappropriées pour les lieux de travail de soins de santé complexes et centrés sur l’humain » (McCann et al., 2015 :1573).

7. Conclusion

Les disparités de traitement pour les emplois du care pourraient s’assimiler, dans les faits, à une exclusion déguisée, malgré des discours contraires. Les titulaires des emplois du care ne participent pas suffisamment à l’interaction sociale sur un même pied d’égalité considérant les obstacles institutionnalisés formels et informels liés à la reconnaissance, à la redistribution et à la représentation.

Certes, il ne faudrait pas que les questions d’identité et de culture deviennent un « ghetto critique » (Thompson, 2011 : 364-365). Peut-être est-il nécessaire de nous concentrer davantage sur ce que la gestion fait ou ne fait pas et promouvoir un dialogue entre le courant dominant et les approches critiques. Ce dialogue passe, à notre avis, par une meilleure concertation entre les managers, leurs équipes et l’acteur syndical pour une (re)définition commune de la valeur des emplois à prédominance féminine, une reconnaissance qui n’est pas essentiellement discursive, mais durable de l’apport économique de ces emplois (Hallée et Delattre, 2021), et une révision commune des méthodes de détermination des salaires afin de mieux considérer les compétences associées au travail à prédominance féminine (Hallée, Parent Lamarche, Delattre, 2024). Il s’agit peut-être de contrer l’enlisement dans le seul « renforcement de la discipline de marché » (Thompson, 2011 : 355). Ce « commun » doit comprendre les employeurs, les syndicats, mais également les personnes salariées ainsi que ceux et celles qui bénéficient de ces emplois et qui peuvent concourir à l’établissement de la valeur.