Relations industrielles / Industrial Relations
Volume 77, Number 3, 2022
Table of contents (11 articles)
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Éprouver la dualité des technologies digitales en croisant les regards disciplinaires / Cross-disciplinary perspectives on the duality of digital technologies
Marc-Eric Bobillier Chaumon, Catherine Delgoulet, Nathalie Greenan, Yannick Lemonie and Chris Warhurst
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Accompagner le déploiement d’une nouvelle technologie par la prise en compte des risques et des opportunités
Mehdi Chahir, Stéphanie Bordel and Alain Somat
AbstractFR:
Les technologies sont aujourd’hui indispensables à la vie et au devenir des organisations. Elles contribuent par exemple à améliorer la qualité de leurs services ou à gagner en productivité (Barlatier, 2016). Leur vertu émancipatrice est même souvent évoquée puisque les technologies sont parfois amenées à remplacer l’humain dans certaines tâches pénibles ou peu valorisées (e.g., Kleinpeter, 2015). Dans le même temps, plusieurs études mettent en évidence les difficultés internes rencontrées par les organisations dans leurs projets de déploiement (e.g., Jørgensen, 2014). Ces difficultés pourraient s’expliquer par un manque de prise en compte des utilisateurs et/ou par les effets délétères parfois constatés suite au déploiement des technologies. Pour en garantir la réussite, il apparaît nécessaire de penser autrement ces déploiements en considérant les changements potentiels susceptibles d’être provoqués par les technologies comme autant d’opportunités et de menaces pour ses utilisateurs et plus largement pour l’organisation. Dans cette logique, l’objectif de cet article est de présenter une méthode d’accompagnement permettant d’identifier les freins et les leviers au déploiement pour lever les freins tout en s’appuyant sur les leviers. Cette méthode repose sur les trois étapes proposées par Weick et Quinn (1999) pour accompagner les changements continus susceptibles d’être provoqués par le déploiement d’une nouvelle technologie dans une organisation (gel, rebalancement et dégel). La méthode a été mise à l’épreuve à l’occasion du projet Scoop et du déploiement des Système de Transport Intelligent Coopératif (STI-C ou C-ITS) à la Direction Interdépartementale des Routes Ouest (DIRO) en France. Les premiers résultats de sa mise en oeuvre ont témoigné de son intérêt pour repérer les leviers et les freins au déploiement de ces technologies et ainsi émettre des préconisations adaptées pour favoriser l’intégration des systèmes Scoop dans les activités de la DIRO. Au-delà du seul cadre du déploiement technologique, cet accompagnement a également permis de repérer des opportunités d’évolution pour l’organisation.
Précis
Malgré une expérience de plus de 50 ans depuis l’apparition des nouvelles technologies (Govaere, 2002) et une littérature scientifique et pratique sur le sujet (e.g., guides de bonnes pratiques, formation professionnelle, etc.) qui peut être qualifiée de pléthorique (Denancé, 2017), de nombreuses études indiquent que les organisations rencontrent des difficultés internes dans leurs projets de déploiement (e.g., Garreau, 2019 ; Tranfield & Braganza, 2007). L’objectif de cet article est de contribuer aux travaux sur l’accompagnement du déploiement des technologies en présentant une méthode d’accompagnement visant à identifier les opportunités et les menaces provoquées par les technologies, notamment par le recours à l’analyse de l’activité et l’implication des professionnels concernés. Les premiers résultats de la mise en oeuvre de la démarche viennent confirmer son intérêt.
EN:
Today, technologies are essential to the life and future of organizations. For example, they contribute to improving the quality of their services or to increasing productivity (Barlatier, 2016). Their emancipating virtue is even often evoked since technologies are sometimes brought to replace humans in certain tedious or low-valued tasks (e.g., Kleinpeter, 2015). At the same time, several studies highlight the internal difficulties encountered by organizations in their deployment projects (e.g., Jørgensen, 2014). These difficulties could be explained by a lack of consideration of users and/or by the deleterious effects sometimes observed following the deployment of technologies. To guarantee success, it seems necessary to think differently about these deployments by considering the potential changes likely to be caused by the technologies as opportunities and threats for its users and more broadly for the organization. With this in mind, the objective of this article is to present a support method that allows us to identify the obstacles and levers to deployment in order to remove the obstacles while relying on the levers. This method is based on the three steps proposed by Weick and Quinn (1999) to support the continuous changes that can be caused by the deployment of a new technology in an organization (freeze, rebalance and unfreeze). The method was tested in the Scoop project and the deployment of Cooperative Intelligent Transport Systems (C-ITS) at the Direction Interdépartementale des Routes Ouest (DIRO) in France. The first results of its implementation have shown its interest in identifying the levers and barriers to the deployment of these technologies and thus issue recommendations adapted to promote the integration of Scoop systems in DIRO's activities. Beyond the sole framework of the technological deployment, this coaching also allowed to identify opportunities for the organization to evolve.
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The Autonomy Tussle: AI Technology and Employee Job Crafting Responses
Fabienne Perez, Neil Conway and Olivier Roques
AbstractEN:
With the development of artificial intelligence (AI) and its applications, such as learning algorithms, it seems likely that work and organization will be profoundly reshaped. While this subject has been debated in broad terms (Arntz et al., 2016; Brynjolfsson & McAfee, 2014; Faraj et al., 2018), little has been written specifically from the perspective of employees (Phan et al., 2017). Little is known about the impact of AI on their work experiences and how they may respond. In a qualitative study of 27 bank employees, we investigated how learning algorithms shaped working conditions, how they affected autonomy and the meaning of work and how these constructs changed over time. The employees responded to the changes through job crafting behaviours (Wrzesniewski & Dutton, 2001). By considering the effects of the learning algorithms on the employees’ work experiences from their perspective, we offer a novel application of job crafting theory to AI technology. The employees responded to AI by changing task and relationship boundaries, and cognitively reframed their jobs. Their job crafting behaviours can be interpreted broadly as attempts to rebalance their levels of autonomy (which were initially reduced by the introduction of AI), to move toward closer personal relationships with customers and to reposition their meaning of work. In general, employees’ job crafting also had implications for employees’ managers, customers, and their work context in terms of the meaning of the AI tools and how they were used. Employees’ concerted response across the three job crafting dimensions underlines the importance of synergy across job crafting dimensions if they are to be successful in altering employees’ experience of work and enhancing the human value of their services.
Abstract
In this qualitative study of 27 bank employees, we investigated how learning algorithms affected their working conditions, their autonomy and the meaning of their work. We show that employees responded to the AI-induced changes through job crafting behaviours (Wrzesniewski & Dutton, 2001). Employees reshaped their task and relationship boundaries, and cognitively reframed their jobs, to maintain their autonomy, their desired social relationships and the meaning of their work. By considering the effects of learning algorithms on the employees’ work experience from their perspective, we provide a novel application of job crafting theory. Employees’ concerted response across the three job crafting dimensions underlines the importance of synergy across job crafting dimensions if they are to be successful in altering employees’ experience of work and enhancing the human value of their services.
FR:
Le développement de l'intelligence artificielle (IA) et de ses techniques telles que les algorithmes d'apprentissage peuvent profondément façonner le travail et l’organisation. Bien cela ait été débattu (Arntz et al., 2016 ; Brynjolfsson & McAfee, 2014 ; Faraj et al., 2018), il y a eu peu de recherches spécifiques du point de vue des employés (Phan et al., 2017). On sait peu de choses sur l’impact de l’IA sur les expériences de travail des employés et la façon dont ils peuvent réagir.
Dans une étude qualitative menée auprès de 27 employés de banque, nous avons étudié comment les algorithmes d'apprentissage façonnaient les conditions de travail, affectaient l'autonomie et le sens du travail, et l’évolution au fil du temps. Les résultats mettent en évidence que les employés réagissent à ces changements par des comportements de job crafting (Wrzesniewski et Dutton, 2001). En considérant les effets des algorithmes d'apprentissage sur l'expérience de travail des employés, nous proposons une nouvelle application de la théorie du job crafting aux technologies de l'IA.
La théorie du job crafting est utile pour montrer comment les employés réagissent à l'IA en modifiant les tâches, les limites relationnelles, et en repensant cognitivement leurs postes. Leurs comportements peuvent être interprétés comme une tentative de rééquilibrer les niveaux d'autonomie (initialement réduits par l'IA), de créer des relations personnelles plus étroites avec les clients et de repositionner leur sens du travail. Les comportements de job crafting des employés avaient également des implications pour leurs managers, leurs clients et le contexte en termes de signification des outils d'IA et de la manière dont ils étaient utilisés. La réponse des employés à travers les trois dimensions de job crafting souligne l'importance de la synergie entre ces dimensions s'ils veulent modifier leur expérience de travail et à renforcer la valeur humaine de leurs services.
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Autonomy and Control in Mass Remote Working during the COVID-19 Pandemic. A Cross-Occupational Comparison
Marta Fana, Francesco Sabato Massimo and Angelo Moro
AbstractEN:
The global COVID-19 pandemic acted as an exogenous shock that forced organizations to adopt homeworking as a common form of work for many occupations. By that time researchers had been stressing the gap between technical feasibility of homeworking – reaching on average one third of employment in both the US and EU28 (Dingel and Neiman 2020, Sostero et al. 2020) – and its practical adoption in organisations. The massive shift to homeworking during the pandemic – especially in countries such as France and Italy, which both experienced a widespread lockdown during the first wave – has been an opportunity to study homeworking across a large and heterogeneous cross-section of occupations and sectors. To that end, the Joint Research Centre of the European Commission (in Seville) funded real-time cross-occupational qualitative research on which this paper is based.
First, drawing on studies that attribute the delayed spread of homeworking to the dialectic between workers' self-latitude and managerial control, we examined how compulsory homeworking affected workers’ self-latitude to define and perform their tasks. We identified two different phases and temporary arrangements of the worker self-latitude/managerial control dialectic during the time under study. Second, we analyzed how different forms of control developed under the new organization of work. Specifically, we studied how the outcomes varied by occupation and along the vertical division of labour. Our results suggest an ongoing hybridization of personal, technical and bureaucratic forms of control. Accordingly, we agree with labour process theorists who argue that personal, bureaucratic and technical forms of control complement each other, rather than being stages of a linear and functionalist succession.
Abstract
The global COVID-19 pandemic acted as an exogenous shock that forced organizations to adopt homeworking as a common form of work for many occupations. Drawing on a real-time cross-occupational qualitative survey, we first examined how compulsory homeworking affected workers’ freedom to define and perform their tasks. Second, we analyzed how different forms of control developed under the new organization of work. Specifically, we studied how the outcomes varied by occupation and along the vertical division of labour. Our findings agree with those of labour process theorists who argue that personal, bureaucratic and technical forms of control complement each other, rather than being stages of a linear succession.
JEL classification: L23, M54, 033, J81.
FR:
La pandémie mondiale de COVID-19 a agi comme un choc exogène qui a forcé les organisations à adopter le télétravail comme une forme de travail courante pour de nombreuses professions. À cette date, des chercheurs avaient souligné l'écart entre la faisabilité technique du télétravail – atteignant en moyenne un tiers des emplois aux États-Unis et dans l'UE28 (Dingel et Neiman 2020, Sostero et al. 2020) – et son adoption pratique dans les organisations. Le passage massif au télétravail pendant la pandémie – en particulier dans des pays comme la France et l'Italie, qui ont tous deux connu un confinement généralisé pendant la première vague – a été l'occasion d'étudier le télétravail dans un éventail large et hétérogène de professions et de secteurs. À cette fin, le Joint Research Centre de la Commission européenne (basé à Séville) a financé une recherche qualitative inter-professionnelle en temps réel sur laquelle se base cet article.
Tout d'abord, en nous appuyant sur des études qui attribuent la diffusion tardive du télétravail à la dialectique entre la latitude personnelle des travailleurs et le contrôle managérial, nous examinons comment le télétravail mandaté a affecté la latitude personnelle des travailleurs à définir et à exécuter leurs tâches. Nous identifions deux phases et arrangements temporaires différents de la dialectique entre la latitude personnelle des travailleurs et le contrôle managérial au cours de la période étudiée. Deuxièmement, nous analysons comment différentes formes de contrôle se sont développées dans le cadre de la nouvelle organisation du travail. Plus précisément, nous étudions comment ces développements varient en fonction de la profession et de la division verticale du travail. Nos résultats suggèrent une hybridation continue des formes de contrôle personnelles, techniques et bureaucratiques. Par conséquent, nous rejoignons les théoriciens du processus de travail qui soutiennent que les formes de contrôle personnel, bureaucratique et technique se complémentent mutuellement, plutôt que d'être des stades d'une succession linéaire et fonctionnaliste.
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A Social Design Approach: Enhancement of Local Social Dialogue on the Transformation of Work by Digital Technology
Louis Galey, Valerie Terquem and Flore Barcellini
AbstractEN:
The world of work is undergoing major transformations (teleworking, new technologies, Industry 4.0, social reform in some countries) in which labour relations are likely to play a central role. In this context, our case study presents an alternative approach to local social dialogue: “Social Design.” The specific aim was to mobilize stakeholders to deal with the introduction of digital technology at a large industrial company in France. Within the theoretical and methodological framework of activity-centred ergonomics, we analyzed the process of co-design and the process of design “in use.” We conducted interviews, work activity observations and simulations of future working conditions. We identified “fruitful possibilities” (e.g., more extensive participation by stakeholders and collective discussions about the transformation of work) and “real-life resistance” (e.g., difficulties in finding common agreement). We report on the quality of local social dialogue and provide an epistemology of the action of social dialogue on the theme of the transformation of work. In sum, we describe an original initiative to transform local social dialogue in the context of a changing workplace.
Abstract
We present the results of a research-action initiative to strengthen participation by social dialogue stakeholders (union representatives, managers and workers) in companies that are being digitally transformed. For this, we used activity-centred ergonomics. After presenting a co-design process, i.e., “Social Design,” we describe how the initiative was carried out in a large industrial company and how it was re-designed “in use.” We thus helped certain union representatives participate in dialogue on the topical issue of digital transformation, thereby helping define a new organizational structure in the workplace and further developing the “Social Design” approach.
FR:
Le monde du travail connait des transformations majeures (télétravail, nouvelles technologies, Industrie 4.0, réforme sociale dans certains pays) pour lesquelles les relations professionnelles peuvent jouer un rôle central. Dans ce contexte, ce travail présente la conception d’une approche alternative de dialogue social en entreprise – la démarche de « Design Social » – cherchant à renforcer la participation des parties prenantes des relations professionnelles au cours du déploiement d’une technologie numérique dans un groupe industriel en France. A partir d’un cadre théorique et méthodologique de l’ergonomie de l’activité, nous présentons une analyse de la co-conception de la démarche, et sa conception dans l’usage lors du déploiement sur un site industriel. La méthode repose sur des entretiens, des observations de l’activité de travail, des simulations du travail futur, et une analyse documentaire. Les possibilités offertes par la démarche sont révélées (par exemple, une participation importante des parties prenantes et des discussions collectives sur les transformations du travail) ainsi que des résistances du réel (comme les difficultés de proposer un accord de méthode entre les parties prenantes). Ces résultats renseignent sur la qualité du dialogue social en entreprise et renforcent une épistémologie de l’action du dialogue social en lien avec les transformations du travail. Les résultats illustrent également une démarche originale visant à transformer le dialogue social local dans un contexte d’innovation au travail.
Précis
Cet article présente les résultats d’une recherche action visant à renforcer la participation des parties prenantes du dialogue social (syndicalistes, encadrement et travailleurs) en entreprise en cours de transformation digitale, en mobilisant des méthodologies de l’ergonomie de l’activité. A partir d’une présentation de la co-conception de l’approche proposée, nous décrivons le déroulement de son implantation sur un site industriel et sa re conception dans l’usage. Ce travail contribua à la participation au cours du projet de représentants des salariés sur le sujet nouveau des transformations digitales, conduisant à la définition d’une nouvelle organisation du travail, ainsi qu’au développement de l’approche de Design Social.
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Des outils numériques au service de… ou contre le travail et la relation d’aide ? L’ambivalence liée à l’introduction d’outils numériques dans l’aide aux personnes âgées
Annie Dussuet, Laura Nirello and Emmanuelle Puissant
AbstractFR:
Dans les activités d’aide aux personnes âgées, les outils numériques se multiplient à la fois dans les structures d’hébergement (EHPAD) et dans les services d’aides à domicile (SAAD). La plupart des structures sont équipées d’ordinateurs, voire de tablettes, et les intervenantes à domicile disposent de plus en plus fréquemment de smartphones. Ces outils ont deux fonctions principales : la saisie et le transfert d’informations portant à la fois sur les personnes âgées, sur le service qu’elles reçoivent, et sur les salariées et leur travail. L’objectif de cet article est de comprendre comment l’introduction de nouveaux outils numériques influence les conditions de travail et la relation d’aide.
Cette contribution repose sur une enquête qualitative menée dans le cadre d’un programme de recherche financé par la DARES (ministère du Travail), et réalisée intégralement en France. 41 entretiens ont été menés dans 5 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), un établissement de soins de suite et de réadaptation (SSR) et un service d’aide à domicile (SAAD) auprès des salariées, et des directions. Cette enquête a été complétée par 10 entretiens menés auprès de salariées d’un SAAD dans le cadre du programme ANR Profam.
Les salariées interrogées identifient des aspects positifs à l’introduction des outils numériques, notamment en matière d’amélioration des conditions de travail et de la possibilité d’effectuer ce qu’elles considèrent comme un « bon travail ». Cependant, de nombreux risques sont également soulignés. Ainsi, dans un secteur marqué par une dégradation structurelle des conditions de travail et d’accueil et une rationalisation de l’activité, il s’agit de comprendre le rôle de cette technologie dans ce contexte, et d’identifier des conditions à réunir pour que les usages des outils puissent se développer au service de la qualité du travail et du service aux personnes âgées.
Précis
Le développement des outils numériques dans le secteur médico-social pose la question de leur impact sur les activités relationnelles, essentielles dans ce domaine. Cet article repose sur une enquête qualitative menée auprès de salariées travaillant dans l’aide aux personnes âgées, à domicile ou en établissement. Si ces travailleuses mentionnent plutôt des aspects positifs, elles estiment pourtant ambivalents les effets des outils numériques sur leurs conditions de travail, selon s’ils leur permettent ou non d’effectuer ce qu’elles considèrent comme un « bon travail ». Le contexte d’introduction de ces outils semble alors déterminant : lorsqu’il s’agit de rationaliser, voire d’industrialiser l’activité, ils contribuent à une dégradation concomitante de la qualité du travail et du service ; à l’inverse, mis au service de la relation d’aide, ils permettent d’améliorer les conditions de travail.
EN:
In activities to help the elderly, digital tools are more and more present in nursing homes and home care services. Most structures are equipped with computers or even tablets, and home workers increasingly have smartphones. These tools have two main functions: the transfer of information and the capture of information. The objective of this article is to understand how the introduction of new digital tools can modify work relations and service relations.
This contribution is based on a qualitative survey conducted, as part of a research program funded by the Ministry of Labor, and carried out in France. 41 interviews were conducted in 6 nursing homes, an aftercare and rehabilitation establishment and a home help service with employees and managers.
The employees interviewed identify positive aspects related to the introduction of digital tools in particular for the improvement of working conditions highlighting the time savings brought by these tools, but also the quality of the service provided. However, many risks are also highlighted, which underlines the importance of the context in which these tools are introduced. Indeed, the sector is today characterized by a progressive deterioration of working conditions. It is then a question of understanding the role of the tools in this context, and of identifying the conditions to be met so that the tool uses can develop in the service of the quality of work and service for the elderly.
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L’analyse des usages de technologies digitales dédiées à la synchronisation : intérêts pour l’étude d’une transformation organisationnelle dans l’ingénierie de conception automobile
Camille Bachellerie, Corinne Gaudart and Johann Petit
AbstractFR:
Cet article, issu d’une recherche en ergonomie en cours, a pour objectif d’éclairer l’activité des acteurs de la conception du secteur industriel automobile français à travers les usages organisationnels des technologies digitales. Ces dernières sont intégrées depuis plusieurs décennies à l’activité de ces travailleurs et visent à organiser l’activité collective déployée tout au long d’un projet de conception au sein d’équipes distribuées et virtuelles. Parallèlement, ce secteur industriel est soumis à de multiples contraintes de nature économique et écologique l’amenant à flexibiliser ses modes d’organisation dans le but d’innover tout en raccourcissant ses délais de conception. Ce contexte de digitalisation et de transformations organisationnelles interroge l’activité de synchronisation individuelle et collective de ces populations, notamment vis-à-vis des ressources et moyens à leur disposition pour préserver leurs marges de manoeuvre et stratégies de régulation. Ainsi, deux études de cas ont été constituées à travers l’analyse de deux projets de conception automobile se déroulant dans différentes conjonctures. En effet, l’un des deux projets s’est déroulé durant la crise sanitaire due à la COVID-19, nous incitant à adapter nos méthodes de recueil de données, mais également à reconsidérer la digitalisation de cette activité de conception, dans laquelle les interactions entre travailleurs ne pouvaient se dérouler qu’à travers l’usage des technologies digitales. Ainsi, ces deux études de cas abordent les liens entre la flexibilisation des individus et des organisations d’une part, et les stratégies de régulation d’autre part, à travers l’analyse des usages des technologies digitales. Les résultats de ces études de cas montrent que l’usage des technologies digitales, constituant une ressource ou une contrainte pour l’activité, est lié aux caractéristiques de l’organisation dans laquelle elles sont déployées à deux niveaux ; ces formes d’organisations en projet créent des usages spécifiques de ces technologies et ne pourraient exister en l’état sans ces derniers.
Précis
L’industrie automobile française s’est familiarisée depuis plusieurs décennies à l’usage des technologies digitales afin de réaliser ses projets de conception. Ceux-ci servent notamment à organiser l’activité collective lors d’un projet au sein d’équipes pluridisciplinaires et pluriterritoriales. En parallèle, pour innover au sein d’un marché concurrentiel mondial, ce secteur adopte des organisations de projets visant à raccourcir les délais de conception des véhicules. Cela invite à interroger l’activité de synchronisation individuelle et collective de ces acteurs de la conception à travers les usages organisationnels de ces technologies digitales. En s’appuyant sur des données issues d’une recherche en ergonomie, cet article éclaire les usages organisationnels des technologies digitales dans l’ingénierie de conception automobile, mais également la manière dont l’analyse de ces usages constitue une opportunité pour réinterroger les formes d’organisation du travail dans lesquelles des technologies digitales sont déployées.
EN:
This article, which is the result of ongoing ergonomic research, aims to shed light on the activity of design workers in the French automotive industry through the organisational uses of digital technologies. These technologies have been integrated into the activity of these workers for several decades and aim to organise the collective activity deployed throughout a design project within distributed and virtual teams. At the same time, this industrial sector is subject to multiple constraints of an economic and ecological nature, leading it to make its organisational methods more flexible in order to innovate while shortening its design times. This context of digitalisation and organisational transformation questions the individual and collective activity of synchronisation of these populations, particularly with regard to the resources and means at their disposal to preserve their room for manoeuvre and regulation strategies. Thus, two case studies were constituted through the analysis of two automotive design projects taking place in different circumstances. Indeed, one of the two projects took place during the Covid-19 health crisis, leading us to adapt our data collection methods but also to reconsider the digitalisation of this design activity, in which interactions between workers could only take place through the use of digital technologies. Thus, these two case studies address the links between the flexibilisation of individuals and organisations, on the one hand, and regulation strategies on the other, through the use of digital technologies. The results of these case studies show that the use of digital technologies, as a resource or constraint for the activity, is linked to the characteristics of the organisation in which they are deployed at two levels; these forms of organisation in projects create specific uses of these technologies and could not exist as they are without them.
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Digitaliser le notariat, entre évolution de l’identité professionnelle et maintien du monopole
Simon Wuidar and Pierre Flandrin
AbstractFR:
Depuis le début des années 2000, le notariat connait un phénomène de modernisation de la profession qui se traduit aujourd’hui par la digitalisation de nombreuses activités et prestations. Cet article montre comment la digitalisation des activités est progressivement devenue une opportunité pour les notaires d’affirmer leur plus-value vis-à-vis des citoyens, tout en renforçant leur positionnement dans l’organigramme juridique belge. En nous basant sur une recherche qualitative réalisée au sein du notariat belge, nous montrons comment l’implémentation de deux applications digitales (eRegistration et Biddit) modifie deux activités importantes de la profession : l’enregistrement d’actes notariés et la vente publique de biens immobiliers. Partant d’une analyse socio-ergonomique de l’activité et de discours de multiples notaires investis dans la digitalisation, nous montrons comment de telles applications digitales ont contribué à faire évoluer l’identité professionnelle des notaires. Sur le plan institutionnel, nous abordons le rôle central joué par la Fédération professionnelle des notaires (Fednot) dans le processus de digitalisation. Nos résultats montrent que la digitalisation amorcée de la profession renforce une tension déjà bien présente entre deux rôles liés à l’activité notariale en Belgique : le rôle d’officier de l’État et celui d’entrepreneur.
Précis
Le notariat connait depuis les années 2000 un phénomène de modernisation qui se traduit par la digitalisation de nombreuses prestations. Cette contribution vise à montrer comment deux technologies digitales modifient les activités historiques de la profession notariale. L’implémentation de ces technologies cristallise des controverses qui concernent d’une part la légitimité du notariat, et d’autre part l’évolution de l’identité professionnelle du notaire. Cette analyse de la digitalisation de la profession permet d’interroger le repositionnement institutionnel largement animé par la fédération professionnelle, qui vise à doter les notaires d’une place centrale dans l’organigramme juridique belge, en même temps que de rompre avec l’image archaïque de la profession.
EN:
Since the beginning of the 2000s, the notarial profession is going through a process of modernization, which is today reflected in the digitalization of many activities and services. This article shows how the digitalization of activities has gradually become an opportunity for notaries to assert their added value towards citizens, while strengthening their position in the Belgian judicial system. Based on qualitative research within Belgian notary’s offices, we analyze the implementation of two digital applications (eRegistration and Biddit). Such applications modify two important activities of the profession: the registration of authentic acts and the public sales of real estate. Based on a socio-ergonomic analysis of the activities and discourses of multiple notaries involved in digitalization, we show how such digital applications have contributed to the evolution of the professional identity of notaries. At the institutional level, we discuss the central role played by the notaries’ professional federation (Fednot) in the digitalization of the profession. Our results show that the digitalization of the profession reinforces an already existing tension between two roles related to the notarial activity in Belgium: the role of state officer and that of entrepreneur.
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Le no code et les effets organisationnels de la démocratisation logicielle : du mythe aux pratiques
Suzy Canivenc
AbstractFR:
Cet article s’intéresse au mouvement no code, qui offre la promesse d’une démocratisation de la création logicielle et plus largement de la société. Nous tenterons ici d’aller au-delà de ce mythe technophile déterministe en adoptant une perspective co-évolutionniste permettant d’appréhender les relations récursives entre objets techniques et formes organisationnelles et de préciser les opportunités et contraintes dont sont porteuses ces technologies en matière de qualité du travail et de qualité de vie au travail.
L’article s’appuie sur une étude de terrain exploratoire menée dans une entreprise de conseil spécialisée dans les transformations numériques qui témoigne d’importantes évolutions organisationnelles à la suite de l’intégration des outils no code : les métiers techniques et créatifs s’hybrident, favorisant les collaborations intra et intermétiers. Or, si ces effets organisationnels parviennent à s’actualiser au sein de cette entreprise, c’est aussi que cette dernière représente un terrain social propice où les silos organisationnels sont volontairement déstructurés, le management peu présent, et où l’organisation promeut l’autonomie des salariés. L’exemple de cette structure particulière révèle ainsi la profonde co-évolution des objets techniques et des formes organisationnelles, qui se façonnent mutuellement plus qu’elles ne se déterminent unilatéralement.
Par ailleurs, ces effets organisationnels « positifs » s’accompagnent également d’autres effets non désirés et déstabilisateurs pour l’organisation et les acteurs en place. Le déploiement des plateformes no code peut tout d’abord se heurter à la réticence des développeurs qui perçoivent dans ces outils une menace quant au pouvoir dont ils jouissent traditionnellement dans la création de logiciels. La reconfiguration organisationnelle dont sont potentiellement porteurs ces outils perturbe ainsi les cultures métiers et les jeux d’acteurs en place, des turbulences qu’il ne faut pas sous-estimer lors de leur implantation.
Les outils no code ne sont pas pour autant accessibles à tous : ils sont avant tout mobilisés par des « bidouilleurs » curieux, dotés d’une forte appétence pour le numérique et d’un minimum de compétences techniques, avec le risque de recréer une division entre concepteurs et simples utilisateurs. Qui plus est, la facilité apparente de leur usage fait courir le risque de sous-estimer la complexité des projets no code et d’ainsi générer des produits logiciels dysfonctionnels, mais également un sentiment d’abandon dans les équipes de travail.
Précis
Cet article s’intéresse au mouvement no code, qui connaît actuellement un fort engouement, et à ses impacts sur les activités professionnelles et l’organisation du travail. À contre-courant des approches déterministes postulant une relation unidirectionnelle entre objets techniques et formes organisationnelles, nous proposons d’adopter un cadre d’analyse co-évolutionniste où ces dimensions s’influencent réciproquement selon des boucles récursives continues. À partir d’une recherche exploratoire menée dans une entreprise de conseil en transformation numérique, nous tenterons d’exposer ce mouvement co-évolutionniste et, à travers lui, les opportunités et contraintes dont sont porteurs ces outils en milieu professionnel. Ces constats nous permettront de nuancer les discours utopistes qui accompagnent le développement de ces technologies, mais également d’apporter davantage de précisions au sujet des conditions à réunir pour assurer leur implantation durable.
EN:
This article focuses on the no-code movement, which offers the promise of a software creation democratization and more broadly of society. Here we will try to go beyond this deterministic technophile myth by adopting a co-evolutionary perspective to apprehend the recursive relationships between technical objects and organizational forms and specify the opportunities and constraints that carries these technologies in terms of quality of work and quality of life at work.
The article is based on an exploratory study conducted in a consulting firm specializing in digital transformations that reflect important organizational changes following the integration of no-code tools: technical and creative professions are hybridizing, promoting intra- and inter-business collaborations. But if these organizational effects manage to be actualized within this company, it is also because the company represents a favorable social ground where organizational silos are voluntarily unstructured, management is barely present, and where the organization promotes the autonomy of employees. The example of this particular structure reveals the profound co-evolution of technical objects and organizational forms, which shape each other more than they are unilaterally determined.
On the other hand, these positive organizational effects are also joined by other unwanted and destabilizing effects for the organization and the actors in place. The deployment of no-code platforms may first of all encounter the reluctance of developers that perceive these tools as a threat, compared to the power they traditionally have in the creation of software. The potential of reconfiguration of these tools disrupts business cultures and the games of actors in place. However, no-code tools are not available to everyone : they are primarily used by curious “hackers”, with a strong appetite for digital technology and a minimum of technical skills, with the risk of creating a division between designers and simple users. Moreover, the apparent ease of their use runs the risk of underestimating the complexity of no-code projects and so generating dysfunctional software products, as well as a sense of abandonment in work teams.
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Joseph Stiglitz. People, Power and Profits: Progressive Capitalism for an Age of Discontent, New York / London, W.W. Norton and Co., 2020, 371p. (LCCN-2019014726; ISBN-9781324004219)
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Comment travailler ensemble? Défis de l’intergénération (2019), Henri Savall et Véronique Zardet (sous la dir.), Paris, Éditions EMS, 426p. ISBN : 978-2-37687-327-3