Relations industrielles / Industrial Relations
Volume 77, Number 2, 2022
Table of contents (10 articles)
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Parentalité, conciliation emploi-famille et composition genrée de la main-d’oeuvre dans les organisations en temps de pandémie : le cas du Québec
Sophie Mathieu and Diane-Gabrielle Tremblay
AbstractFR:
Le Québec est reconnu comme étant la province dont la politique familiale se rapproche le plus de celle des pays nordiques en raison de ses prestations parentales généreuses et de ses services de garde à faible coût. Outre les interventions de l’État, d’autres mécanismes comme l’engagement des grands-parents et le soutien organisationnel contribuent à faciliter la conciliation emploi-famille. C’est sur ce dernier mécanisme que nous nous penchons en documentant la conciliation des mères et des pères dans les organisations québécoises sur la base de l’analyse de données de deux enquêtes menées en 2020 d’une part auprès des employés, et d’autre part, des entreprises. Nous montrons d’abord que les parents rapportent une conciliation le plus souvent « facile », même en temps de pandémie, et que la perception des hommes et des femmes face au soutien organisationnel offert par leur employeur ne varie pas significativement selon le genre. Nous brossons ensuite un portrait des mesures de conciliation emploi-famille offertes dans les organisations qui emploient majoritairement des hommes, celles où travaillent majoritairement des femmes, et celles qui sont mixtes. Nous montrons que les milieux majoritairement masculins ont une perception plus négative des effets des mesures de conciliation dans les organisations, alors que les milieux féminins perçoivent plus positivement ses effets sur la rétention des employés et l’attractivité de l’entreprise notamment. Nous observons que la présence d’une majorité de femmes dans un milieu de travail correspond à une offre plus diversifiée de mesures de conciliation emploi-famille. La discussion permet de faire le lien entre le contexte national québécois, qui valorise la symétrie des rôles familiaux, la manière dont les parents perçoivent leur conciliation emploi-famille et l’attitude des employeurs à l’égard de cet enjeu.
Précis
Les organisations, tout comme les membres de la famille et l’État, peuvent contribuer à faciliter la conciliation emploi-famille. Nous nous penchons ici sur la conciliation des vies personnelle et professionnelle des parents québécois sur la base de l’analyse de données de deux enquêtes menées auprès de parents et d’employeurs en 2020. Nous documentons et comparons l’expérience de conciliation en temps de pandémie des mères et des pères; puis, tout en tenant compte de l’importance des politiques familiales au Québec, nous montrons qu’il existe une correspondance entre le genre de la majorité de la main-d’oeuvre et l’offre de mesures de conciliation emploi-famille, les milieux de travail qui emploient majoritairement des femmes manifestant plus d’ouverture à l’égard de ces mesures et y voyant plus d’avantages.
EN:
Quebec is recognized as the province whose family policy most closely resembles that of the Nordic countries, thanks to its generous parental benefits and low-cost childcare. In addition to state intervention, other mechanisms such as grandparent involvement and organizational support contribute to facilitate the work-family reconciliation. We examine this last mechanism by documenting the work-family reconciliation of mothers and fathers in Quebec on the basis of data analysis of two surveys conducted in 2020 with employees on the one hand and with employers on the other. First, we show that most parents report an “easy” reconciliation, even during the early months of the COVID-19 pandemic, and that the perception of men and women regarding the organizational support offered by their employer does not vary significantly by gender. We then provide a portrait of the work-family reconciliation measures offered in organizations that employ a majority of men, those that employ a majority of women, and those that are mixed. We show that organizations that employ a majority of men have a more negative perception of the effects of work-family reconciliation measures, while organizations with a majority of women have a more positive perception the effects of work-family reconciliation measures on employee retention and the attractiveness of the company in particular. We observe that the presence of a majority of women in a workplace corresponds to a more diversified supply of measures to support work-family reconciliation. The discussion highlights the links between Quebec’s national context that values the symmetry of family roles, the way parents perceive their work-family reconciliation and the attitude of employers towards this issue.
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Control and Insecurity in Australian and Canadian Universities during the COVID-19 Pandemic
David Peetz, Sean O’Brady, Johanna Weststar, Amanda Coles, Marian Baird, Rae Cooper, Sara Charlesworth, Amanda Pyman, Susan Ressia, Glenda Strachan and Carolyn Troup
AbstractEN:
This study examines how the COVID-19 pandemic and ensuing university management control strategies have influenced higher education workers’ job security, stress and happiness. The primary quantitative and qualitative data are drawn from a survey of fourteen universities across Australia and Canada, supplemented by secondary research. The analysis examines institutional and worker responses to the pandemic, and resulting conflict over financial control at the macro (sector), meso (university) and micro (individual) levels.
At the macro level, university responses were shaped by public policy decisions at both national and subnational layers of the state, and the higher education sector in both countries had a distinctly neoliberal form. However, Australian universities were exposed to greater financial pressure to cut job positions, and Australian university management might have been more inclined to do so than Canadian universities overall.
Different institutional support for unionism at the macro level influenced how university staff were affected at the meso and micro levels. Restructuring at the universities across both countries negatively impacted job security and career prospects, in turn leading to reduced job satisfaction and increased stress. Although working from home was novel and liberating for many professional staff, it was a negative experience for many academic staff.
Our analysis demonstrates that the experiences of university staff were influenced by more than the work arrangements implemented by universities during the COVID-19 pandemic. The approaches of universities to job protection, restructuring and engagement with staff through unions appeared to influence staff satisfaction, stress and happiness.
Our findings extend the literature that documents how university staff routinely challenge neoliberalization processes in a variety of individual and collective actions, particularly in times of crisis. We argue that theorization of struggles over control of labour should be extended to account for struggles over control of finance.
Abstract
We studied 14 universities across Canada and Australia to examine how the COVID-19 crisis, mediated through management strategies and conflict over financial control in higher education, influenced workers’ job security and affective outcomes like stress and happiness. The countries differed in their institutional frameworks, their union density, their embeddedness in neoliberalism and their negotiation patterns. Management strategies also differed between universities. Employee outcomes were influenced by differences in union involvement. Labour cost reductions negotiated with unions could improve financial outcomes, but, even in a crisis, management might not be willing to forego absolute control over finance, and it was not the depth of the crisis that shaped management decisions.
FR:
Cette étude examine comment la pandémie de COVID-19 et les stratégies mises en oeuvre par la gestion universitaire ont influencé la sécurité d'emploi, le stress et le bonheur des travailleurs de l'enseignement supérieur. Les données quantitatives et qualitatives primaires proviennent d'une enquête menée dans quatorze universités en Australie et au Canada, complétée par des recherches secondaires. L'analyse examine les réponses des institutions et des travailleurs à la pandémie, ainsi que les conflits qui en résultent en matière de contrôle financier et ce, tant aux niveaux macro (secteur), méso (université) et micro (individu).
Au niveau macro, les réponses des universités ont été façonnées par les politiques publiques de l'État aux niveaux national et infranational. Dans les deux pays l’approche avait une forme nettement " néolibérale ". Toutefois, les universités australiennes ont été davantage exposées à la pression financière en faveur des suppressions d'emplois, et la direction de ces universités a peut-être été plus encline à procéder à des mises à pied que l'ensemble des universités canadiennes.
Les différences au niveau du soutien institutionnel au syndicalisme au niveau macro ont influencé la manière dont le personnel universitaire a été affecté aux niveaux méso et micro. La restructuration des universités, dans les deux pays, a eu un impact négatif sur la sécurité d'emploi et les perspectives de carrière, ce qui a entraîné une diminution de la satisfaction professionnelle et une augmentation du stress. Pour de nombreux membres du personnel professionnel, le travail à domicile était nouveau et libérateur, tandis que pour d’autres membres du personnel universitaire, le travail à domicile était une expérience négative.
Notre analyse démontre que les expériences du personnel universitaire ont été influencées par d'autres facteurs que les modalités de travail mises en place par les universités pendant la pandémie de COVID-19. Les approches des universités en matière de protection de l'emploi, de restructuration et d'engagement avec le personnel par le biais des syndicats semblent influencer la satisfaction, le stress et le bonheur du personnel.
Nos résultats s'inscrivent dans le prolongement de la littérature qui documente la manière dont les processus de néolibéralisation sont régulièrement contestés par le personnel universitaire dans le cadre de diverses actions individuelles et collectives, en particulier en temps de crise. Nous soutenons que la théorisation des luttes pour le contrôle du travail devrait être étendue aux luttes pour le contrôle des finances.
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Le soutien social du manager direct : une solution pour limiter l’épuisement professionnel pendant la crise sanitaire liée à la COVID-19?
Clara Laborie and Emmanuel Abord de Chatillon
AbstractFR:
L’épidémie de COVID-19 a entraîné des vagues de confinement dans le monde entier et obligé des milliers de salariés à travailler isolés les uns des autres. Cette situation inédite a engendré de lourds inconvénients en matière de conditions de travail et de hauts niveaux d’épuisement professionnel chez les salariés. Dans ce contexte, les organisations ont essayé d’accompagner au mieux leurs collaborateurs, notamment en renforçant le rôle du manager direct. L’objectif de cette recherche est de déterminer si le soutien social du manager a été en mesure de modérer les effets négatifs de la charge de travail et de la charge mentale sur l’épuisement professionnel des salariés sous l’angle du modèle exigences/ressources de Bakker et Demerouti (2007). Pour cela, nous avons réalisé une enquête par questionnaire auprès de 5 495 salariés d’une branche de la Sécurité sociale française durant le confinement de novembre et décembre 2021. Nos résultats montrent que le soutien social du manager direct n’est pas en mesure de modérer l’effet des conditions de travail sur l’épuisement professionnel des salariés à domicile, et n’y arrive que modestement pour les salariés uniquement sur site. Néanmoins, ce soutien a un impact direct fort sur l’épuisement professionnel, quel que soit le lieu de travail, bien que cet effet soit nettement plus fort pour les salariés uniquement sur site. Nos conclusions viennent donc interpeller les travaux antérieurs qui présentent le soutien social du manager direct comme une ressource modératrice efficace face aux problématiques de santé au travail (Karasek et Theorell, 1990 ; Häusser et al., 2010 ; Aronsson et al., 2017 ; Hager, 2018). Toutefois, le contexte inédit de la crise sanitaire semble confirmer que l’isolement réduit le soutien social ressenti par les télétravailleurs et oblige les managers à fournir des efforts supplémentaires pour leur en prodiguer (Winkler, 2001).
Précis
Durant la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19, des milliers de salariés français ont été contraints de travailler isolés les uns des autres. Cette situation inédite a engendré de lourds inconvénients en matière de conditions de travail, entraînant de hauts niveaux d’épuisement professionnel. L’objectif de cette recherche est de déterminer si le soutien social du manager direct est en mesure de modérer les effets négatifs des conditions de travail sur l’épuisement professionnel des salariés en période de crise sanitaire. Les résultats montrent que ce soutien a un impact direct sur l’épuisement professionnel, quel que soit le lieu de travail. Cependant, il n’est pas en mesure de modérer l’effet des conditions de travail sur l’épuisement professionnel des salariés à domicile, et n’y arrive que modestement pour les salariés sur site.
EN:
The COVID-19 pandemic has caused lockdowns worldwide and compelled thousand employees to work isolated from each other. This unprecedented situation has caused heavy drawbacks in terms of work conditions and high levels of professional exhaustion. The purpose of this research is to determine if social support of direct supervisors was able to moderate negative effects of workload and mental load on professional exhaustion, from the point of view of the Job Demands Resources Model of Bakker and Demerouti (2007) To do this, we conducted a digital questionnaire survey with 5,495 workers of a branch of the French social security services during the lockdown of winter 2021. Our results show that social support of a direct supervisor does not moderate negative effects of work conditions for teleworkers and can only moderate them modestly for on-site workers. Nevertheless, this support has a strong direct impact on professional exhaustion, whatever the place of work, although this effect is much stronger for on-site workers. Our conclusions challenge previous research which presents social support of direct supervisors as an effective moderator resource against occupational health problems (Karasek and Theorell, 1990 ; Häusser et al., 2010 ; Aronsson et al., 2017 ; Hager, 2018). However, the unprecedented context of the COVID-19 sanitary crisis seems to validate that isolation reduces the social support felt by teleworkers and compels supervisors to provide additional efforts to provide it to them (Winkler, 2001).
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Unraveling the work–life policies puzzle: How the ‘ideal worker’ norm shapes perceptions of policies legitimacy and use
Sabrina Tanquerel and Diana Santistevan
AbstractEN:
The development of work–life policies—e.g., employee assistance programs, on-site childcare, flextime, part-time, compressed week, and so on—is increasingly important for a growing number of organizations. Though such programs provide benefits for both employees and employers, usage rates are still low. Scholars have called for research that addresses this phenomenon and more particularly explains the underlying processes of individual decision-making concerning work–life balance, and describe why and how certain social groups differ in their approaches to policy use. Our inductive study –based on 44 individual interviews- aims to address these issues. We found that the policies are used differently depending on the employees’ social group, and that certain salient social identities—such as gender, parenthood and managerial status—shape their use. Such programs are a structural and cultural change for organizations and often present an opportunity for redefining the centrality of work. Indeed the values inherent in them, including resting and taking time for oneself or for one’s family, may conflict with the traditionally masculine values associated with the ‘ideal worker’, intuitively linked to performance and production of positive results. The clash between the two, which permeated the interviews, causes employees to fall back on the social identity or identities they find meaningful. Our findings show three main strategies that individuals use when they feel that their social identity is threatened: (1) engage in workaround activities to avoid using work-life policies; (2) try to compensate for policies use (by engaging in projects outside one’s job or doing overtime work) ; and (3) significantly limit policies use. These results contribute to literature by showing that many managers and men do not feel legitimate to use work-life policies and find workarounds to manage without them, thus perpetuating stereotypical masculine norms. We demonstrate that the identity threat that underlies work-life policies taking may help women in the short term, but also contributes to their discrimination in the long run as well as is detrimental to the work-life balance of men.
FR:
Le déploiement des politiques de conciliation vie professionnelle- vie personnelle (programmes d'aide aux salariés, crèches, horaires flexibles, temps partiel, semaine compressée, etc.) est de plus en plus important pour de nombreuses organisations. Bien que ces dispositifs offrent des avantages tant aux salariés qu'aux employeurs, leur taux d'utilisation reste faible. Les chercheurs ont appelé à plus de travaux pour expliquer ce phénomène, notamment les processus sous-jacents de la prise de décision individuelle concernant l'équilibre vie professionnelle- vie personnelle, et décrire pourquoi et comment certains groupes sociaux diffèrent dans leurs approches de l'utilisation de ces dispositifs. Notre étude inductive - basée sur 44 entretiens individuels - vise à répondre à ces questions. Nous avons constaté que les politiques de conciliation sont utilisées différemment selon le groupe social des salariés, et que certaines identités sociales saillantes - comme le genre, la parentalité et le statut de manager - influencent leur usage. En effet, ces dispositifs représentent un changement structurel et culturel pour les organisations et offrent souvent l'occasion de redéfinir la centralité du travail. Les valeurs inhérentes à ces politiques, notamment le fait visible de prendre du temps pour soi ou pour sa famille, peuvent entrer en conflit avec les valeurs traditionnellement masculines associées au "travailleur idéal", intuitivement liées à la performance, la disponibilité et la production de résultats positifs. Le conflit entre les deux, qui a imprégné les entretiens, amène les salariés à se replier sur l'identité ou les identités sociales qu'ils trouvent significatives pour eux. Nos résultats montrent trois stratégies principales que les individus utilisent lorsqu'ils sentent que leur identité sociale est menacée : (1) ils s'engagent dans des activités de contournement pour éviter d'utiliser les politiques de conciliation travail-vie privée ; (2) ils essaient de compenser l'utilisation des politiques, en s’engageant dans des projets professionnels hors-travail ou en effectuant des heures supplémentaires ; et (3) ils limitent significativement l'utilisation des politiques. Ces résultats contribuent à la littérature en montrant que beaucoup de managers et de nombreux hommes ne se sentent pas légitimes d’utiliser ces politiques, et trouvent des stratégies de contournement pour éviter de les utiliser, perpétuant ainsi les normes masculines au travail. Nous démontrons également que la menace identitaire qui sous-tend l'adoption des politiques de conciliation peut aider les femmes à court terme, mais contribue également à les freiner dans leur carrière à long terme et nuit à l'équilibre vie professionnelle-vie personnelle des hommes.
Précis
Le déploiement des politiques de conciliation vie professionnelle- vie personnelle (programmes d'aide aux employés, crèches, horaires flexibles, temps partiel, semaine compressée, etc.) est de plus en plus important pour de nombreuses organisations. Bien que ces dispositifs offrent des avantages tant aux employés qu'aux employeurs, leur taux d'utilisation reste faible. Les chercheurs ont appelé à plus de recherche pour expliquer ce phénomène, notamment les processus sous-jacents de la prise de décision individuelle concernant l'équilibre vie professionnelle- vie personnelle, et décrire pourquoi et comment certains groupes sociaux diffèrent dans leurs approches de l'utilisation de ces dispositifs. Notre étude inductive - basée sur 44 entretiens individuels - vise à répondre à ces questions. Nous avons constaté que les identités sociales telles que le genre, la parentalité et le statut de manager déclenchent des perceptions de légitimité différentes qui, à leur tour, façonnent l'utilisation des politiques de conciliation. Ces résultats contribuent à la littérature en montrant que de nombreux managers et hommes ne se sentent pas légitimes d’utiliser ces politiques, et trouvent des solutions de contournement pour éviter de les utiliser, perpétuant ainsi les normes masculines au travail. Nous démontrons que la menace identitaire qui sous-tend l'adoption des politiques de conciliation peut aider les femmes à court terme, mais contribue également à leur discrimination à long terme et nuit à l'équilibre vie professionnelle-vie personnelle des hommes.
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Droit du travail et droits du travailleur en Chine : de quelles normes du travail parle-t-on?
Muriel Périsse
AbstractFR:
L’étude du droit du travail restauré au cours de la transition économique chinoise nous montre que, comme ailleurs à d’autres époques, il accompagne le développement capitaliste. Par une approche empruntée à l’économiste institutionnaliste J. R. Commons, nous cherchons à montrer l’importance du lien économie-droit appliqué à la construction du marché du travail. Ce dernier ne découle pas de mécanismes spontanés (qui produisent du conflit, du désordre, comme le démontre le sort des travailleurs migrants ruraux), mais a besoin que les termes des échanges soient définis par le droit. Or le droit du travail reflète les choix qui sont faits par l’État concernant les droits du travailleur à protéger. Dans le cadre d’un régime autoritaire tel que la Chine, ces droits sont subordonnés au projet de « société harmonieuse » porté par le Parti communiste, une société sans conflit où est mis en avant le droit au développement comme alternative à la norme universelle contestée des droits de l’homme. Cependant face à la permanence des conflits sociaux et au doute quant au droit pour assurer une société apaisée, ce n’est pas dans la recherche d’une meilleure application du droit du travail que les solutions sont recherchées (assurer la liberté d’association et de négociations collectives), mais dans le développement d’un dispositif extensif et invasif de contrôle social (le « management social ») qui finit par se retourner contre les travailleurs. In fine, cette étude illustre comment se configurent les nouvelles institutions du travail, à la fois dépendantes du contexte particulier et héritières de l’histoire socialiste de la Chine.
Précis
L’étude du droit du travail restauré au cours de la transition économique chinoise nous montre que, comme ailleurs à d’autres époques, il accompagne le développement capitaliste et assure la construction du marché du travail. Suivant la tradition institutionnaliste en économie fondée sur le lien étroit économie-droit, nous pouvons mettre à jour les choix faits par l’État concernant les droits à protéger à travers des normes du travail élevées. Ces droits du travailleur s’exerçant dans un pays autoritaire se trouvent soumis avant tout au projet de « société harmonieuse » mené par le Parti communiste chinois. En fin de compte, l’ancrage du droit du travail dans le dispositif de « management social », destiné à assurer le contrôle de l’État sur les travailleurs, se retourne contre eux.
EN:
The study of labor law restored during the Chinese economic transition shows us that, as elsewhere in history, it accompanies capitalist development. Using an approach borrowed from the institutionalist economist J. R. Commons, we seek to show the importance of the economy-law link applied to the construction of the labor market. The latter does not emerge from spontaneous mechanisms (which produce conflict and disorder, as demonstrated by the fate of rural migrant workers) but needs the terms of exchange to be defined by law. Yet labor law reflects the choices made by the state in the rights of the worker to be protected. In the context of an authoritarian regime such as China, these rights are subordinated to the project of a "harmonious society" promoted by the Communist Party, a society without conflict where the right to development is put forward as an alternative to the contested universal norm of human rights. However, faced with the permanence of social conflicts and the doubt as to the right to ensure a peaceful society, it is not in the search for a better application of labor law that the solutions are sought (ensuring freedom of association and collective bargaining), but in the development of an extensive and invasive system of social control (the "social management") which ends up turning against the workers In fine, this study illustrates how the new labor institutions are configured, both dependent on the particular context and heir to China's socialist history.
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Examining Talent Management Practices in a Canadian Not-for-Profit Context: A Theory-Driven Template Analysis
Melanie McCaig, Davar Rezania and David Lightheart
AbstractEN:
Despite significant interest in the field of talent management (TM), research has been largely confined to talent management in large corporations. Recent reviews have identified two significant gaps in the literature: 1) excessive focus on large for-profit organizations in North American, Asian and European private sectors; and 2) lack of consensus on TM definitions and activities in organizations. This article examines how TM is perceived and practised in a Canadian context. We used a theory-based approach and drew on previous conceptualizations of TM to examine the perspectives of 30 Canadian decision-makers. Using a conceptual model based on Bolander, Werr, and Asplund (2017), we observed that non-profit organization (NPO) decision-makers have a unique inclusive and competitive view of TM. Their view is defined predominantly by humanistic (acquired talent, inclusive, inputs and outputs) and competitive factors (recruitment dependence and skill development). They felt that talent should be inclusive and acquired, and many indicated that they were looking for people who could be trained. Their emphasis was on cultural fit, motivation and ability to grow intellectually and professionally, rather than on just acquiring the key skills needed for certain roles. The results indicate that TM is an organizational activity and needs to be understood and supported by the whole organization. Specifically, an inclusive view of TM requires adaptable organizational systems, such as collective agreements and accounting systems, which record how value is created in the organization. Future research could compare and contrast the views of those undertaking other functions in the organization, such as accounting, with the views of HR managers.
Abstract
While recognizing the importance of human capital in the success of non-profit organizations, existing research has primarily focused on talent management (TM) in large multinational organizations, mainly those in the private sectors of North America, Asia and Europe. In this article, we adopt a theory-driven approach and build on previous conceptualizations of TM to examine the perspectives of 30 Canadian nonprofit and for-profit decision-makers. Results show that Canadian decision-makers have a unique inclusive and competitive view of TM. Their view is defined predominantly by humanistic (acquired talent, inclusive, input and output) and competitive factors (reliance on recruitment and skill development). This study contributes a new perspective by providing empirical insights from managers of Canadian enterprises and pointing to implications for broader discussion, conceptualization and practice in the field.
FR:
Malgré la reconnaissance de l'importance du capital humain pour le succès des organisations sans but lucratif (OSBL), les recherches existantes se sont principalement concentrées sur la gestion des talents dans les grandes entreprises. Cet article examine la façon dont la gestion des talents est perçue et pratiquée dans le contexte canadien en mettant l'accent sur les OSBL. Nous adoptons une approche fondée sur la théorie et nous nous appuyons sur les conceptualisations précédentes de la gestion des talents pour examiner les perspectives de 30 décideurs canadiens. En utilisant une analyse du modèle basée sur le cadre théorique de Bolander, Werr et Asplund (2017), nous observons que les décideurs des OSBL ont une vision unique de la gestion des talents qui est à la fois inclusive et compétitive. Ils incarnent un type principalement humaniste (talent acquis, inclusif, intrants et extrants) avec des facteurs de type concurrentiel (dépendance au recrutement et développement des compétences). Les participants suggèrent que le talent devrait être inclusif et acquis, et beaucoup ont indiqué qu'ils recherchent des personnes capables d'être formées. L'accent est mis sur l'adéquation culturelle, la motivation et la compétence de se développer intellectuellement et professionnellement, plutôt que seulement acquérir les habiletés clés nécessaires pour certains rôles. Cette étude apporte une nouvelle optique canadienne en fournissant des aperçus empiriques de gestionnaires d'entreprises sans but lucratif. En fait, cette étude apporte une plus grande discussion de la conceptualisation et la pratique dans ce domaine.
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Le downsizing en temps de COVID-19 : la difficile conciliation entre le social et l’économique. Le cas des survivants d’un établissement hôtelier en Tunisie
Amira Dahmani and Zeineb Gasmi
AbstractFR:
L’objectif de cette recherche est de comprendre comment une entreprise peut mettre en place une stratégie de downsizing socialement responsable en temps de COVID-19. La visée de cette étude est de proposer une analyse fine des formes du downsizing en mettant l’accent sur son caractère distinctif dans les pays du Sud. Les résultats de l’étude qualitative, de nature exploratoire, menée au sein d’un établissement hôtelier en Tunisie mettent en exergue une série de mesures socialement responsables. Parmi ces pratiques à forte valeur ajoutée, figurent notamment la responsabilisation, la participation, l’accompagnement de proximité, la communication, la formation professionnelle, l’implication du syndicat et le respect de la législation sociale. Les conclusions soulignent que la mise en oeuvre d’un ensemble de préalables et de dispositifs avant, au cours et après le downsizing permet de limiter ses dégâts psychologiques et ses effets pervers. Aussi, elles révèlent que le déploiement de pratiques managériales bienveillantes, équitables et respectueuses de la dignité humaine, ainsi que l’adoption d’un agir éthique rendent le downsizing socialement toléré. Il est clair qu’il n’y a pas un modèle typique ou un « one best way » en matière de downsizing. Le recours à une approche ancrée dans les particularismes locaux est plus pertinent qu’un raisonnement en termes de meilleures pratiques universellement applicables.
Le downsizing socialement responsable permet de concilier la rationalité psychosociale et la rationalité économique. Toutefois, il exige des concessions, des compromis parfois difficiles et s’appuie sur des équilibres précaires et des arrangements négociés. L’étude souligne qu’il est difficile d’enrayer les conséquences négatives du downsizing sur le plan humain, mais qu’il est nécessaire d’agir adéquatement et justement en faisant preuve de bienveillance et de responsabilité organisationnelle.
Précis
L’objectif de cette recherche est de comprendre comment l’entreprise peut mettre en place une stratégie de downsizing socialement responsable en temps de COVID-19. Les résultats de l’étude qualitative, de nature exploratoire, menée au sein d’un établissement hôtelier en Tunisie révèlent une série de pratiques socialement responsables qui confère un caractère distinctif à la stratégie de downsizing déployée. Les conclusions soulignent que la mise en oeuvre d’un ensemble de mesures avant, au cours et après le downsizing permet de limiter ses dégâts psychologiques et ses effets pervers. Aussi, elles révèlent que la mobilisation de pratiques managériales bienveillantes, équitables et respectueuses de la dignité humaine, ainsi que l’adoption d’un agir éthique et juste rendent le downsizing socialement toléré.
EN:
The objective of this research is to understand how the company can implement a socially responsible downsizing strategy in times of COVID-19. The aim of this study is to provide a detailed analysis of downsizing forms, emphasizing its distinctive character in southern countries. The results of our qualitative protocol, of an exploratory nature, carried out in a Tunisian hotel, revealed a mix of socially responsible measures. These high added-value practices include accountability, participation, local support, communication, professional training, union involvement and compliance with social legislation. The conclusions underlined that the implementation of a set of prerequisites and mechanisms before, during and after downsizing makes it possible to limit its psychological damage and its perverse effects. Also, they revealed that the deployment of benevolent managerial practices, fair and respectful of human dignity, as well as the adoption of an ethical guidelines have made downsizing socially tolerated. Clearly there is not a typical model or "one best way" when it comes to downsizing. The deployment of an approach rooted in local particularities is more relevant than reasoning in terms of universally applicable best practices.
Socially responsible downsizing makes it possible to reconcile psychosocial rationality and economic rationality. However, it requires concessions, difficult compromises, and is based on precarious balances and negotiated arrangements. The study underscored that it is difficult to prevent the negative human consequences of downsizing, but that it is necessary to do things properly and fairly with kindness and organizational responsibility.
Recensions
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Raghuram, Rajan. The Third Pillar. How Markets and the State Leave the Community Behind. Penguin. New York. ISBN: 9780525558330
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La régulation sociale du risque émotionnel au travail. Par Thomas Bonnet, préface d’Arnaud Mias (2020) Octarès Éditions (Toulouse), 225 pages. ISBN : 978236630-100-7
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Thomas Piketty. Capital and Ideology, translated by Arthur Goldhammer, Harvard University Press, Cambridge MA, 2020, 1093 p., ISBN 9780674980822