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L’intelligence artificielle et les mondes du travail : perspectives sociojuridiques et enjeux éthiques, sous la direction de Jean Bernier[Record]

  • Xavier Parent-Rocheleau

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  • Xavier Parent-Rocheleau, Ph.D., CRHA
    Professeur adjoint | Assistant Professor, HEC Montréal, Responsable de la spécialisation GRH à la M.Sc., Département de gestion des ressources humaines, 3000, chemin de la Côte Sainte Catherine, Montréal (Québec) H3T 2A7, Téléphone : 514 340-6895

Toute initiative visant à recenser et à faire la synthèse des répercussions de ladite révolution technologique qui s’amorce constitue une aventure hasardeuse et ardue. La pluralité, pour ne pas dire le fouillis, des angles d’analyse et des perspectives théoriques jumelée au rythme accéléré des études publiées et des évolutions autant technologiques que juridiques à l’échelle mondiale complexifient sérieusement l’exercice d’élaboration d’une synthèse digeste et à l’abri d’une obsolescence trop rapide. Osons le dire, la vie d’un chercheur sur l’intelligence artificielle (IA) et le travail n’est pas de tout repos. Dans ce contexte, cet ouvrage collectif dirigé par Jean Bernier et regroupant une douzaine d’auteurs et autrices québécois et européens atteint cet objectif de très belle façon. Précisons d’emblée que le contenu du livre s’avère beaucoup plus large que l’annonce son titre, qui pointe vers l’IA alors que les chapitres abordent principalement la question plus englobante des transformations numériques. Si cette distinction peut paraître vaine, concevoir l’IA comme un aspect des technologies numériques permet de mieux débattre de leur continuité ou rupture avec les grands changements technologiques rencontrés dans l’histoire de l’industrialisation. L’ouvrage aborde les implications du numérique dans la sphère travail à partir des perspectives principalement sociale, économique, et juridique. Il est divisé en deux parties. La première, qui regroupe quatre chapitres (1 à 4), vise à dresser les contours des transformations du travail à l’ère du numérique ainsi que des enjeux qu’elles posent. Après un exposé habile et appuyé des principales innovations technologiques incluses sous le parapluie du « numérique » (chapitre 1), on nous amène sur le terrain des inégalités socioéconomiques en montrant à qui profitera surtout cette révolution numérique (chapitre 2). Vient par la suite le troisième chapitre qui allie avec adresse les questions fondamentales de déterminisme technologique à celles de gouvernance et de régulation sociale, en arguant que cette dite révolution ne doit pas être vécue comme une fatalité. Le quatrième chapitre aborde ensuite d’un ton lucide des considérations managériales, surtout en matière de gestion de ressources humaines (GRH), autant en ce qui concerne la numérisation des outils et des processus que la transformation plus profonde du rôle de la GRH. La seconde partie du livre comporte également quatre chapitres (chapitres 5 à 8) et autant d’avenues à explorer pour de nouveaux modes de régulation du travail en réponse aux transformations numériques. Le chapitre 5 examine certains enjeux du numérique sous la loupe du modèle wagnérien, à la source du droit du travail nord-américain, et discute notamment des amendements possibles pour mieux encadrer ces enjeux. Fait à souligner, l’autrice y aborde entre autres les questions du renouveau syndical et du rééquilibrage du rapport de force, que l’on aurait pu par ailleurs s’attendre à retrouver de manière plus centrale dans le livre. Dans la même lignée, le chapitre 6 aborde le droit à la déconnexion et au repos sous l’angle principal de l’éventualité de sa prise en charge par le cadre législatif québécois. Les deux derniers chapitres (7 et 8) sont consacrés à l’économie des plateformes, analysée d’abord sous l’angle des multiples questions relatives au statut des travailleurs et ensuite par la lorgnette du conflit autour de la régulation dans l’industrie du transport de personnes au Québec. Le thème du futur du travail et de la révolution numérique nourrit actuellement une série d’hypothèses, s’inscrivant soit dans un esprit de continuité, soit dans un « jovialisme technologique », et qui vont de plausibles ou conservatrices à beaucoup plus alarmistes, notamment parmi celles relayant une pensée dystopique ou technophobe. L’ouvrage parvient à maintenir un équilibre relatif entre ces pôles, en présentant des perspectives surtout empiriques qui interrogent, d’une part, …