Relations industrielles / Industrial Relations
Volume 76, Number 4, Winter 2021
Table of contents (11 articles)
Sommaire
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Mot de l’éditeur : avant-propos du numéro historique 76-4 / Editor foreword: Forward for Historic Edition 76-4
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Entre éthique et secret des lanceurs d’alerte : Le cas des acheteurs confrontés à des dilemmes
Anne Goujon-Belghit, Jocelyn Husser and Thibault Cuénoud
pp. 635–658
AbstractFR:
D’un point de vue académique, les lanceurs d’alerte sont définis comme des membres actuels ou anciens d’une organisation qui divulguent des pratiques illégales, immorales ou illégitimes mises en oeuvre sous la responsabilité de leurs employeurs à des personnes ou à des organisations susceptibles d’influencer l’action (Near et Miceli, 1985 : 4). L’étude des professionnels confrontés à des pratiques illégales s’inscrit dans le courant théorique relatif au processus décisionnel éthique. Ce travail vient questionner des professionnels face à des dilemmes afin de comprendre les déterminants de l’intention de donner l’alerte (Fritzsche et Becker, 1984 ; Jones, 1991). Les acheteurs constituent une population particulièrement sensible aux dilemmes dans la mesure où ils négocient des contrats dans l’intérêt de leur organisation et gèrent des problématiques de délais, de coût, de qualité ou encore de continuité des relations d’affaires (Narasimhan et Das, 2001 ; Eckerd et Hill, 2012). Plusieurs risques apparaissent lorsque les acheteurs négocient avec leurs fournisseurs, notamment en termes financiers, de qualité ou de délais de livraison (Ratnasingam et Ponnu, 2008). Les résultats qualitatifs de l’étude générés par la méthode des scénarios révèlent trois déterminants à l’intention de lancer l’alerte : la santé, la corruption de la direction et la gestion du secret.
Précis
La recherche menée s’intéresse à l’intention de dénoncer des dilemmes dans le contexte spécifique des achats. L’étude montre que les acheteurs sont réticents à devenir lanceurs d’alerte même s’ils reconnaissent la nature de la situation non éthique. Les acheteurs préfèrent partager le secret généré par ces situations non éthiques au sein de leur environnement microsocial plutôt que de lancer l’alerte. Introduire un dispositif de lancement d’alerte nécessite un accompagnement de la direction et des professionnels en amont.
EN:
From an academic point of view, whistleblowers are defined as current or former members of an organization who disclose illegal, immoral or illegitimate practices carried out under the responsibility of their employers, to individuals or organizations. organizations likely to influence action (Near and Miceli, 1985 : 4). The study of professionals confronted with illegal practices is part of the theoretical current relating to the ethical decision-making process. This work questions professionals in dilemma situations to understand the determinants of the intention to whitleblow (Fritzsche and Becker, 1984 ; Jones, 1991). Buyers constitute a population particularly sensitive to dilemma situations insofar as they negotiate contracts in the interest of their organization and manage issues of deadlines, cost, quality or even the continuity of business relations (Narasimhan and Das, 2001 ; Eckerd and Hill, 2012). Several risks appear when buyers negotiate with their suppliers, particularly in financial terms, quality and delay of delivery (Ratnasingam and Ponnu, 2008). The qualitative results of the scenario’s method shows that buyers intend to become whistleblowers about unethical practices when faced with three thematic types : health, line corruption and management. secrecy.
Summary
The research in hand deals with the intention to become whistleblowers if professionals face dilemma situations in the specific context of purchasing. The current study shows that buyers are reluctant to become whistleblowers even though they recognize the nature of the non-ethical situation. Buyers prefer to share the secret generated by these non-ethical situations among their micro social environment rather than to blow the whistle. Implementing a whistleblowing process requires assistance to the managerial line and their colleagues.
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Prohibiting Use of Recreational Cannabis by Safety-Sensitive Workers in Canada : A Legal Evaluation of the New Workplace Policies
Scott Walsworth
pp. 659–683
AbstractEN:
In 2018, Canada became the first G7 nation to legalize recreational cannabis. In response, at least a dozen prominent employers in safety-sensitive industries implemented policies to prevent workers from using legal cannabis for extended periods before reporting for duty, ranging from 28 days to a continual ban. The various unions that represent these workers allege an unnecessary breach of employee privacy and intend to challenge the legality of the policies. Informed by labour arbitration and Supreme Court decisions, this paper proposes a custom-made test and uses it to assess the enforceability of the new cannabis workplace policies. Notwithstanding the significant challenges facing employers, it is the position of this paper that the new policies are enforceable under certain conditions.
Summary
Informed by labour arbitration and Supreme Court decisions, this paper proposes a custom-made test and uses it to assess the enforceability of the new cannabis workplace policies, which prohibit legal consumption for safety-sensitive workers.
The analysis identifies two main challenges facing employers.
Establishing that a problem exists in the workplace. Consumption of cannabis must have an impairing effect during the period of prohibition.
Demonstrating that the policy has sufficient benefits to justify the consequences. The improvements in workplace safety must outweigh the breech of employee privacy.
To identify a problem in the workplace, employers will rely on the strongest available evidence linking cannabis to impairment during the entire period of prohibited consumption. Medical research is helpful in this regard. A substantial body of evidence points to significant motor and cognitive deficiencies immediately following consumption (first eight hours). Although some studies indicate a prolonged period of impairment, the evidence is less compelling as a user approaches 30 days of abstinence. At the same time, employers must contend with the difficulty of establishing the benefits of a workplace policy that relies on existing cannabis testing technology and which, at best, identifies an unspecified level of consumption at some time during the preceding 30 days.
The employer thus faces a conundrum. On the one hand, the period of prohibited consumption can be shortened to align with current scientific evidence on the length of impairment. The policy will then be more difficult to enforce because existing testing technology cannot prove that the consumption took place during the shorter period. On the other hand, the period can be lengthened to 30 days to align with the limitations of existing testing technology. The policy will then be criticized because the longer period is not justified by current scientific evidence. Notwithstanding the significant challenges facing employers who pursue either option, it is the position of this paper that the policies are defendable under certain conditions.
FR:
En 2018, le Canada est devenu le premier pays du G7 à légaliser le cannabis à usage récréatif. Par conséquent, au moins une douzaine d’employeurs de premier plan dans des secteurs où la sécurité est primordiale ont mis en oeuvre des politiques visant à empêcher les travailleurs de consommer légalement du cannabis pendant de longues périodes avant de se présenter au travail, allant de 28 jours à une interdiction totale. Les divers syndicats qui représentent ces travailleurs allèguent une violation inutile de la vie privée des employés et ont l’intention de contester la légalité de ces politiques. Se basant sur des décisions de la Cour suprême et d’arbitrage en matière de relations du travail, le présent document propose un test adapté servant à évaluer l’applicabilité des nouvelles politiques relatives au cannabis en milieu de travail. Malgré les défis importants auxquels les employeurs doivent faire face, le présent document soutient que les nouvelles politiques sont applicables sous certaines conditions.
Sommaire
Se basant sur des décisions de la Cour suprême et d’arbitrage en matière de relations du travail, le présent document propose un test adapté servant à évaluer l’applicabilité des nouvelles politiques relatives au cannabis en milieu de travail, lesquelles interdisent la consommation légale de cannabis aux travailleurs effectuant des tâches où la sécurité est critique.
L’analyse décrit les deux principaux défis auxquels les employeurs doivent faire face.
Établir la présence d’un problème dans le milieu de travail. La consommation de cannabis doit avoir un effet perturbateur pendant la période d’interdiction.
Démontrer que la politique présente des avantages suffisants pour justifier ses conséquences. Les améliorations de la sécurité dans le milieu de travail doivent l’emporter sur l’atteinte à la vie privée des employés.
Pour cerner un problème dans un milieu de travail, les employeurs s’appuieront sur les preuves disponibles les plus probantes liant le cannabis à l’affaiblissement des facultés pendant la période où la consommation est interdite. La recherche médicale est utile à cet égard. Un ensemble substantiel de preuves souligne des déficiences motrices et cognitives importantes immédiatement après la consommation (les huit premières heures). Bien que certaines études démontrent une période prolongée d’affaiblissement des facultés, les preuves sont moins convaincantes lorsque l’utilisateur s’abstient de consommer pendant près de 30 jours. Par ailleurs, les employeurs doivent faire face à la difficulté d’établir les avantages d’une politique en milieu de travail qui s’appuie sur les tests actuels de dépistage du cannabis et qui, au mieux, détermine un niveau non spécifié de consommation au cours des 30 derniers jours.
L’employeur fait donc face à un dilemme. D’une part, la période de consommation interdite peut être raccourcie pour correspondre aux preuves scientifiques actuelles concernant la durée de l’affaiblissement des facultés. La politique sera alors plus difficile à appliquer, car la technologie des tests actuels ne pourra pas prouver que la consommation a eu lieu pendant la période plus courte. D’autre part, la période peut être allongée à 30 jours pour correspondre aux limites de la technologie des tests actuels. La politique sera alors critiquée parce que la période prolongée n’est pas justifiée par les preuves scientifiques actuelles. Malgré les défis importants auxquels se heurtent les employeurs qui choisissent l’une ou l’autre de ces options, le présent document soutient que les politiques sont applicables sous certaines conditions.
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Les technologies numériques comme source de revitalisation démocratique : une étude auprès des responsables des communications d’organisations syndicales
Marc-Antonin Hennebert, Vincent Pasquier and Christian Lévesque
pp. 684–707
AbstractFR:
Notre article s’intéresse à la façon dont les syndicats se saisissent des technologies numériques d’information et de communication (TNIC) pour expérimenter de nouvelles pratiques démocratiques au sein de leur organisation. Il vise à comprendre comment ces expérimentations façonnent les manières de faire et de penser de la démocratie représentative, participative et délibérative. Notre approche théorique s’inspire de l’approche expérimentaliste et des travaux sur la démocratie digitale. Sur le plan empirique, notre article repose sur la réalisation d’entretiens semi-dirigés auprès des responsables des communications de treize organisations syndicales au Québec et analyse comment ces responsables utilisent et mobilisent les TNIC pour améliorer l’efficacité des pratiques démocratiques, pour accroître l’étendue et l’intensité de la participation et de la mobilisation collective et pour mieux agréger les intérêts et les préoccupations des différentes parties prenantes. Alors que des travaux précédents sur la démocratie digitale avaient formulé l’hypothèse d’une horizontalisation des pratiques démocratiques sous l’effet des TNIC, nos résultats soulignent que les TNIC peuvent s’avérer une source de revitalisation de la démocratie représentative en fluidifiant notamment les processus de communication interne. Elles semblent également contribuer au renouvellement des pratiques de démocratie participative et délibérative, à la fois comme levier de mobilisation, mais aussi comme outil de cadrage et de diffusion du discours syndical. En revanche, nos résultats font ressortir les limites importantes des effets de l’intégration de ces TNIC qui, pour l’heure, n’amène pas à une transformation radicale du fonctionnement démocratique des syndicats. Les expérimentations menées pour créer des espaces de délibération pour les personnes sans-voix, notamment les jeunes, les femmes et les minorités visibles, restent rarissimes. En ce sens, les TNIC sont rarement utilisées pour agréger les intérêts des groupes marginalisés et sous-représentés. Pourtant, la revitalisation de la démocratie syndicale passe avant tout par l’inclusion de ces personnes sans-voix dans les processus de délibération et de participation.
Précis
Notre article s’intéresse à la façon dont les syndicats se saisissent des technologies numériques d’information et de communication (TNIC) pour expérimenter de nouvelles pratiques de démocratie représentative, participative et délibérative au sein de leur organisation. Il s’appuie sur le plan théorique de l’approche expérimentaliste et la littérature sur la démocratie numérique. Il repose sur la réalisation d’entretiens semi-dirigés auprès des responsables des communications de treize organisations syndicales au Québec. Nos résultats de recherche font ressortir que les TNIC ne remplacent pas les pratiques traditionnelles, mais se superposent aux anciennes pratiques. Ils mettent aussi en lumière les limites de ces expérimentations qui ne sont pas liées aux caractéristiques intrinsèques des technologies, mais bien à la façon dont les acteurs syndicaux les mobilisent et les utilisent.
EN:
This article is about the way unions are using digital information and communication technologies (DICTs) for experiments in new democratic practices within their organizations. The aim is to understand how such experimenting is shaping the ways of carrying out and imagining representative, participatory and deliberative democracy. Our theoretical approach is inspired by the experimentalist approach and by work on digital democracy. On the empirical level, our article is based on semi-structured interviews with the communications managers of thirteen union organizations in Quebec and on analysis of how these managers use and mobilize DICTs with a view to improving the effectiveness of democratic practices, increasing the extent and intensity of collective participation and mobilization and better aggregating the interests and concerns of different stakeholders. Whereas preceding studies of digital democracy put forward the hypothesis of DICTs causing a horizontalization of democratic practices, our results show that DICTs may be revitalizing representative democracy, notably by improving the flow of internal communication processes. These technologies also seem to be contributing to renewal of participatory and deliberative democratic practices, not only as a lever for mobilization but also as a tool for channelling and disseminating union discourse. On the other hand, our results reveal significant limits to the integrative effects of these DICTs, which for the time being are not radically transforming the democratic functioning of unions. Little has been done to try and provide the voiceless—notably young people, women and visible minorities—with spaces for deliberation. In that sense, DICTs are seldom used to aggregate the interests of marginalized, underrepresented groups. To revitalize union democracy, one should first include such voiceless people in the processes of deliberation and participation.
Summary
This article is about the way unions are using digital information and communication technologies (DICTs) for experiments in new practices of representative, participatory and deliberative democracy within their organizations. We rely here on the theory of the experimentalist approach and the literature on digital democracy. Semi-structured interviews were carried out with the communications managers of thirteen union organizations in Quebec. Our research findings show that DICTs are not replacing traditional practices but are instead being superimposed on older practices. Our findings also highlight the limits to such experiments, these limits being due not to the intrinsic characteristics of DICTs but to the way these technologies are mobilized and used by actors in the union movement.
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The Post-Rana Plaza Regime : Multi-level labour regulation in Bangladesh’s RMG sector
Mahbubul Alam, Parbudyal Singh and Kelly Pike
pp. 708–732
AbstractEN:
In the wake of the Rana Plaza tragedy, the Accord and the Alliance were launched as two separate private initiatives alongside the National Initiative (NI) to improve the workplace safety of ready-made garment (RMG) workers in Bangladesh. Together, these three initiatives created multi-level labour regulation with both vertical and horizontal layering. From a multi-level governance perspective, we conducted qualitative research by means of interviews (N = 41) and archival data to analyze the post- Rana Plaza labour regulation experience of Bangladesh’s RMG sector.
While our findings indicate the effectiveness of the vertical flow of institutional regulation, they also reveal significant horizontal challenges during implementation of the private initiatives alongside the public NI. Participants believed that the Accord and the Alliance were more effective than individual corporation-led private monitoring because they both approached intervention with a focus on select safety issues with time-bound deliverables, expertise and resources and with effective exercise of sanctions for noncompliance. In contrast, most of the participants saw the NI as much less effective, deploring its insufficient resources, lack of transparency in reporting progress and “softness” in punishing noncompliance. Horizontal operations of the Accord and the Alliance along with those of the NI created some complexities, such as differences in remediation recommendations, an oppositional attitude among non-public and public regulatory team members and a burden of remediation costs on factory owners.
In the absence of a legal basis for international labour regulation, these findings will help provide a nuanced understanding of the power dynamics involved in negotiating the revised form and extent of international regulation after the expiration of the Accord and the Alliance, thus shedding light on the ever-evolving forms of international labour regulation. This research will contribute to debate among policy makers and scholars on how best to improve workers’ safety in globally dispersed production networks.
Summary
Following the Rana Plaza tragedy, two private institutional regulation initiatives, the Accord and Alliance, emerged to address ready-made garment workers’ safety in Bangladesh, alongside the public National Initiative. These three initiatives constitute multi-level regulation with vertical and horizontal layering. Employing this governance framework, this qualitative study analyzes these initiatives using interviews (N=41) and archival data. Our findings suggest an effective vertical flow of private institutional regulation but reveal significant horizontal challenges. We also examine the power dynamics during implementation and in negotiating international regulation after the expiration of the Accord and Alliance, in the absence of a legal basis for international labour regulation. This research contributes to the debate among policy makers and scholars over how to improve workers’ safety in globally dispersed production networks.
FR:
À la suite de la tragédie de l’édifice du Rana Plaza, l’Accord et l’Alliance ont été lancés en tant que deux initiatives privées distinctes, parallèlement à l’Initiative nationale (IN), afin d’améliorer la sécurité au travail des ouvriers du secteur du prêt-à-porter au Bangladesh. Ensemble, ces trois initiatives ont formé une réglementation du travail à plusieurs niveaux, comportant une stratification verticale et horizontale. Dans une perspective de gouvernance à plusieurs niveaux, nous avons mené une recherche qualitative au moyen d’entretiens (N = 41) et de données d’archives afin d’analyser la réglementation du travail dans le secteur du prêt-à-porter au Bangladesh après l’effondrement du Rana Plaza.
Si nos résultats indiquent l’efficacité du flux vertical de la réglementation institutionnelle, ils révèlent également des défis horizontaux importants quant à la mise en oeuvre des initiatives privées parallèlement à l’IN publique. Les participants ont estimé que l’Accord et l’Alliance étaient plus efficaces que la surveillance privée menée par des sociétés individuelles, puisque ces deux initiatives comportent des interventions axées sur des questions de sécurité précises accompagnées d’échéanciers, d’expertise et de ressources. De plus, ces initiatives prévoient des sanctions en cas de non-conformité. En revanche, la plupart des participants ont considéré que l’IN était beaucoup moins efficace, déplorant ses ressources insuffisantes, son manque de transparence dans le suivi des progrès accomplis et son manque de rigueur dans l’application des sanctions en cas de non-conformité. Les opérations horizontales de l’Accord, de l’Alliance et de l’IN ont créé certaines complexités, comme des divergences concernant les recommandations des mesures de remise en état, des oppositions entre les membres des équipes de réglementation publique et privée, ainsi qu’un fardeau financier pour les propriétaires d’usines devant payer les coûts associés aux mesures de remise en état.
En l’absence d’un fondement juridique pour la réglementation internationale du travail, ces résultats aideront à fournir une compréhension nuancée de la dynamique du pouvoir impliquée dans la négociation de la révision et de l’étendue de la réglementation internationale après l’expiration de l’Accord et de l’Alliance, mettant ainsi en lumière la constante évolution de la réglementation internationale du travail. La présente recherche contribuera au débat entre les décideurs politiques et les universitaires sur la meilleure façon d’améliorer la sécurité des travailleurs dans les réseaux de production établis partout dans le monde.
Précis
Suite à la tragédie du Rana Plaza, en tant que deux initiatives privées distinctes, l’Accord et l’Alliance, ont été lancés parallèlement à l’Initiative nationale (IN), afin d’améliorer la sécurité au travail des ouvriers du secteur du prêt-à-porter au Bangladesh, formant une réglementation du travail à plusieurs niveaux, Nous avons mené une recherche qualitative au moyen d’entretiens (N = 41) et de données d’archives afin d’analyser cette réglementation dans le secteur du prêt-à-porter au Bangladesh après l’effondrement du Rana Plaza. Si nos résultats indiquent l’efficacité du flux vertical de la réglementation institutionnelle, ils révèlent également des défis horizontaux importants quant à la mise en oeuvre des initiatives privées parallèlement à l’IN publique en l’absence d’un fondement juridique pour la réglementation internationale du travail. Ces résultats aideront à comprendre les dynamiques de pouvoir impliquée dans la négociation de réglementations internationales.
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Dissimuler et révéler : l’impact du stigmate sur la gestion du handicap de la dyslexie en contexte organisationnel
Damien Aimar
pp. 733–760
AbstractFR:
Cet article propose une découverte des conséquences du handicap de la dyslexie sur les comportements de travailleurs concernés au sein de leur organisation. Les troubles de l’apprentissage associés au handicap invisible de la dyslexie peuvent être à l’origine de situations de stigmatisation vécues dans l’enfance provoquant chez les individus concernés des plaies, ou stigmates, qui restent ouverts tout au long de la vie et qui, lorsqu’ils risquent d’être ravivés en milieu organisationnel, provoquent des réactions de dissimulation du handicap. Pour réaliser cette recherche, nous avons mobilisé la méthodologie du récit de vie (Bertaux, 1997) pour l’analyse des résultats issus d’une étude menée durant quatre ans de recherche à partir d’un terrain constitué de 21 personnes. Un protocole de recherche a été adapté à ce terrain sensible pour faciliter le témoignage des interviewés. Les résultats nous démontrent que les travailleurs dyslexiques peuvent développer plusieurs types de tactiques de dissimulation de leur handicap pour éviter de nouvelles souffrances induites par la reviviscence de leur stigmate. Ainsi notre article s’intéresse à la façon dont le stigmate impacte les travailleurs dyslexiques dans leurs tactiques de dissimulation et de révélation du handicap. Ces tactiques ont été évoquées par les auteurs Clair et al. (2005) et de Jones et King (2014). L’analyse de nos résultats permet d’enrichir leurs travaux en démontrant l’existence d’autres tactiques que celles décrites par ces mêmes auteurs, comme celle que nous nommons tactique de transfiguration du handicap. Elle offre également des clefs de compréhension concernant les conséquences de la détention d’un stigmate par les travailleurs dyslexiques sur le processus de révélation de leur handicap.
Précis
Être atteint du handicap de la dyslexie en entreprise peut se révéler être un vrai parcours du combattant. Déjà victimes d’actes de stigmatisation lors de leur parcours scolaire à cause des troubles qu’engendre ce handicap, les travailleurs dyslexiques déploient des stratégies pour se fondre dans la masse et éviter que leur handicap ne soit décelé afin de ne pas revivre ces situations de souffrance. Cette recherche a été menée dans le but de percer à jour ces stratégies de dissimulation mises en place secrètement par ces travailleurs soucieux de conserver une image positive auprès de leurs managers et de leur équipe, étude grandement facilitée par le fait que le chercheur soit lui-même dyslexique et puisse accéder à ce terrain sensible et adopter une posture auto-ethnographique.
EN:
In this article, we will describe the impacts of dyslexia on the behaviours of dyslexic workers within their organization. The learning disabilities associated with the invisible disability of dyslexia can lead to situations of stigmatization in childhood, causing wounds, or stigmas, in the individuals concerned, which remain open throughout their lives and which, when revived in an organizational environment, will lead to a response of concealing the disability. To carry out this research, we used life story methodology (Bertaux, 1997) to analyze the results of a 4-year study of 21 people. A research protocol was adapted to this sensitive topic to facilitate the interviewees’ testimony. The results show that dyslexic workers can develop several types of tactics to hide their disability in order to avoid new suffering induced by the revival of their stigma. Thus, our article focuses on how this stigma impacts dyslexic workers in their tactics of disability concealment and disclosure. These tactics have been discussed by Clair et al. (2005) and Jones and King (2014). Our analysis enriches that literature by demonstrating the existence of tactics other than those described by the above two studies, such as the one we call the tactic of disability transfiguration. Our analysis also offers keys to understanding the consequences of having a stigma, for dyslexic workers, with regard to the process of disclosing this disability.
Abstract
Being affected by dyslexia in the workplace can be a challenge. Already victims of stigmatization during their education because of the disorders caused by this handicap, dyslexic workers deploy strategies to blend in and avoid having their handicap detected in order not to relive these situations of suffering. This research was carried out with the aim of uncovering these strategies of concealment put in place by these workers in order to maintain a positive image with their managers and their team. The researcher is himself dyslexic and can access this sensitive terrain and adopt an auto-ethnographic posture.
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Telework in Canada : Who Is Working from Home during the COVID-19 Pandemic ?
James Chowhan, Kelly MacDonald, Sara L. Mann and Gordon B. Cooke
pp. 761–791
AbstractEN:
The COVID-19 pandemic has created a new reality in the world of work. Employers are realizing that to continue business operations during the pandemic they need to think differently about work : how it is organized, who does what and where the work is done. This paper addresses the question of whether there are differences in demographic and human capital characteristics between those who work from home during the pandemic and those who worked from home previously. Thus, this study takes advantage of the natural conditions of a pseudo experiment to identify the sociodemographic (i.e., sex (female/male), immigrant status, age) and human capital factors (i.e., education level, health) of those with access to telework to better understand the impact of the shutdown on these subgroups. This study uses Statistics Canada’s Canadian Perspectives Survey Series (CPSS) first survey data on the Impacts of COVID-19, and an analytic sample whose n = 2,653 ; further, the 2016 General Social Survey cycle 30 was used to provide pre-pandemic estimates for descriptive comparisons. We find that females are not less likely than males to participate in telework and that immigrant status is negatively related to work from home during the pandemic. Generally, there is support for an age relationship, with the odds of telework being relatively lower as age increases. Education level is positively associated with telework during the pandemic (e.g., having a bachelor’s or higher university degree is positively associated with telework). Finally, there is no relationship between physical or mental health and telework. This study contributes to the literature by quantifying the impact of a brief mass telework event and its implications for access to telework across sociodemographic and human capital characteristics. In a post-pandemic world, will we carry forward the lessons learned through this ‘experiment’ imposed by the pandemic ?
Abstract
This study focuses on the demographic and human capital characteristics of Canadians that are associated with working from home (WFH), before and during the COVID-19 pandemic, or being absent from work, versus those Canadians who continue to work outside the home (i.e., who do not WFH). The results show significant differences in the incidence of WFH during the pandemic : 1) there are no significant differences between females and males ; 2) immigrants are less likely to WFH ; 3) younger workers are more likely to WFH ; 4) education is positively associated with WFH ; and 5) self-reported health is unrelated to WFH. The results from this natural experiment suggest potential policy and organizational implications if the pandemic WFH environment continues for an extended period of time.
FR:
La pandémie de COVID-19 a créé une nouvelle réalité dans le monde du travail. Les employeurs se rendent compte que pour poursuivre leurs activités pendant la pandémie, ils doivent penser le travail différemment : comment le travail est organisé, qui fait quoi et où il est effectué. La présente étude vise à déterminer s’il existe des différences dans les caractéristiques démographiques et le capital humain des personnes qui travaillent à domicile pendant la pandémie et celles qui travaillaient à domicile auparavant. Ainsi, cette étude profite des conditions naturelles d’une pseudo-expérience pour identifier les facteurs sociodémographiques (c.-à-d., le genre [femme/homme], le statut d’immigrant, l’âge) et le capital humain (c.-à-d., le niveau de scolarité, la santé) des personnes qui ont la possibilité de faire du télétravail afin de mieux comprendre les répercussions des fermetures sur ces sous-groupes. Cette étude utilise les données de la première enquête de la Série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes (SEPC) de Statistique Canada sur les répercussions de la COVID-19, ainsi qu’un échantillon analytique (n = 2 653). En outre, l’Enquête sociale générale de 2016, cycle 30, a été utilisée afin d’obtenir des estimations prépandémiques pour les comparaisons descriptives. Nous constatons que les femmes ne sont pas moins susceptibles que les hommes de faire du télétravail et que le statut d’immigrant est négativement corrélé au travail à domicile pendant la pandémie. De manière générale, la corrélation avec l’âge est confirmée, la probabilité du télétravail étant relativement plus faible à mesure que l’âge augmente. Le niveau de scolarité est positivement corrélé au télétravail pendant la pandémie (p. ex., le fait d’avoir un baccalauréat ou un diplôme universitaire supérieur est positivement corrélé au télétravail). Enfin, il n’y a pas de relation entre la santé physique ou mentale et le télétravail. La présente étude contribue à la littérature en quantifiant les répercussions d’un bref événement de télétravail de masse et ses implications sur l’accès au télétravail en fonction des caractéristiques sociodémographiques et du capital humain. Dans un monde post-pandémique, tirerons-nous les leçons de cette expérience imposée par la pandémie ?
Résumé
La présente étude est axée sur les caractéristiques démographiques et sur le capital humain des Canadiens qui sont absents du travail ou qui travaillent à domicile (TAD), depuis la pandémie de COVID 19 ou qui en avait déjà l’habitude, par rapport aux Canadiens qui continuent de travailler à l’extérieur du foyer (c.-à-d. qui ne font pas de TAD). Les résultats montrent des différences significatives dans l’incidence du TAD pendant la pandémie : 1) il n’y a pas de différences significatives entre les femmes et les hommes ; 2) les immigrants sont moins susceptibles de faire du TAD ; 3) les jeunes travailleurs sont plus susceptibles de faire du TAD ; 4) l’éducation et le TAD ont une corrélation positive ; et 5) l’auto-évaluation de la santé n’est pas liée au TAD. Les résultats de cette expérience naturelle laissent sous-entendre de potentielles répercussions politiques et organisationnelles si le TAD en raison de la pandémie se poursuit pendant une période prolongée.
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Vers des territoires inclusifs : qui sont les acteurs mobilisés dans le processus de collaboration intersectorielle pour un emploi durable ?
Elise Marcandella and Ingrid Mazzilli
pp. 792–817
AbstractFR:
Permettre aux populations d’accéder à l’ensemble des ressources et des dispositifs dont elles ont besoin, tel est l’enjeu principal des territoires inclusifs. L’accès à l’emploi durable en constitue l’une des facettes prioritaires que l’action publique tente de soutenir en incitant la création de partenariats entre des acteurs relevant de secteurs hétérogènes (privé et public, mais aussi hybride et du tiers-secteur). La question de l’accompagnement vers un emploi durable constitue une problématique sociétale complexe, nécessitant la mise en place de tels projets. Ceux-ci concentrentde véritables défis en matière de travail collaboratif à l’échelle territoriale. Il convient ainsi de s’interroger sur la nature et les spécificités de ce travail collaboratif tourné vers l’émergence de territoires inclusifs, impliquant des acteurs appartenant à des secteurs différents. Il est intéressant alors de se demander qui sont les acteurs mobilisés dans ce processus de collaboration intersectorielle pour un emploi durable et quels sont les défis de cette CIS pour tendre vers un territoire inclusif ? À travers l’étude exploratoire de deux projets initiés dans le contexte de l’appel à projets 100 % inclusion, cette recherche rend compte des démarches de collaborations intersectorielles mises en oeuvre sur deux territoires distincts en France et en questionne les spécificités. Les résultats révèlent que la notion de territoire inclusif est représentée comme un parcours linéaire et collaboratif, et met également en exergue des conceptions divergentes et révélatrices de tensions au sein des différents secteurs dont certains sont sous-représentés.
Précis
Depuis quelques années, l’émergence de problématiques sociétales complexes conduit à la formation de collaborations intersectorielles (CIS), associant des acteurs issus des secteurs privé, public et hybride ainsi que du tiers-secteur. Ces collaborations peuvent se concrétiser par des projets de territoires financés par les pouvoirs publics. L’appel à projets 100 % inclusion lancé en France en 2018 incitait les organisations locales à expérimenter de nouveaux parcours en matière d’inclusion des publics éloignés de l’emploi. L’article interroge les spécificités de cette collaboration observée au cours des démarches participatives organisées dans le cadre de l’appel à projets. L’étude met en évidence que les difficultés relationnelles au sein de ces consortiums étaient autant infrasectorielles (entre secteurs-champs du secteur public) qu’intersectorielles.
EN:
Enabling people to access all the resources and systems they need is the main challenge of inclusive territories. One priority is access to sustainable employment. Public authorities have tried to support this priority by encouraging the development of partnerships between actors from a variety of sectors (private, public, hybrid and third sectors). Supporting sustainable employment is a complex societal problem that makes such projects necessary. These projects pose real challenges for collaborative work at the territorial level. It is thereby necessary to examine the nature and specificities of this collaborative work, which aims to create inclusive territories and which involves actors from different sectors. It is interesting to ask which actors are involved in this process of cross-sector collaboration for sustainable employment and what challenges are facing this CSC in creating an inclusive territory. Through an exploratory study of two projects that were launched as part of the call for “100 % inclusion projects,” we describe the efforts of cross-sector collaboration in two distinct French territories and examine their specific features. The results portray the concept of “inclusive territory” as a collaborative linear path and furthermore show divergent and revealing conceptions of tensions within the various sectors, some of which are under-represented.
Summary
For several years now, with the emergence of complex social issues, cross-sector collaborations (CSCs) have been formed to bring together actors from private, public and hybrid sectors, as well as from the third sector (the social economy). These collaborations can take the form of publicly funded territorial projects. In 2018, in France, a call was issued for “100 % inclusion projects” to encourage local organizations to try out new ways to integrate groups that have trouble finding employment. In this article, we examine the specific features of such collaboration, which we observed during participatory initiatives that had been organized in response to the call for projects. We show that the relationship problems within these consortiums were as much within sectors (between branches of the public sector) as between sectors.
Recensions / Book Reviews
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Not a Crime to Be Poor. The Criminalization of Poverty in America. By Peter B. Edelman (2019), The New Press, 336 pages. ISBN : 978-1-62097-548-0
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Concevoir le travail, le défi de l’ergonomie, Guérin F., Pueyo V., Béguin P., Garrigou A., Hubault F., Maline J., Morlet T. (2021). Concevoir le travail, le défi de l’ergonomie. Toulouse : Éditions Octares.
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The Return of History : Conflict, Migration, and Geopolitics in the Twenty-First Century, Jennifer Welsh, The Return of History : Conflict, Migration, and Geopolitics in the Twenty-First Century, Toronto / New York, House of Anansi Press, 2016, 347p. (ISBN : 978-1-4870-0130-8)