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Cet ouvrage s’inscrit dans une réflexion critique sur les nouvelles temporalités du travail. Regroupant des spécialistes des relations d’emploi issus de diverses disciplines, il propose une remise en question des normes temporelles et des nouvelles configurations d’emploi. Plus spécifiquement, le propos s’articule autour de deux principales questions de recherche:
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Comment les temporalités en émergence dans le contexte de nos activités quotidiennes, professionnelles et sociales changent-elles notre rapport au travail ?
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Comment, dans un univers de l’emploi dont les frontières se sont progressivement effacées, les espaces et les temps sociaux se recomposent-ils ?
Les réponses à ces questions sont détaillées dans sept chapitres, regroupés en trois parties, rédigés avec la participation de chaque expert sur une base collaborative. Chaque partie reflète un niveau d’analyse: micro, méso et macro socioéconomique. Et, empiriquement, les auteurs s’appuient exclusivement sur une approche qualitative avec des méthodes de collecte de données sur le terrain.
Dans l’introduction générale, Soussi et Tremblay mettent en exergue les nouvelles configurations d’emploi et de travail dites atypiques, ainsi que les nouvelles temporalités du travail : sociales, familiales et conjugales. En dressant un état des lieux des nouvelles temporalités, nous comprenons que, dans ce livre, cette notion renvoie au rapport au temps et au travail. Au-delà des technologies numériques et de leurs impacts sur l’organisation du travail et la structure de l’emploi, les auteurs présentent le fractionnement des temps professionnels et occupationnels, la dilution des frontières institutionnelles et traditionnelles des horaires, le brouillage des temps sociaux, l’alternance temps de travail et temps familial, l’espace de travail et les espaces sociaux et familiaux comme de nouvelles variables pouvant affecter le rapport au temps et au travail. Les auteurs abordent ces variables sur les plans individuel, institutionnel et social.
La première partie comprend deux chapitres. Elle contient une analyse de l’autonomie relative au travail et du contrôle du processus de production. Dans le premier chapitre, Gillet et Tremblay abordent les conditions de travail des agents de bord et des chefs de cabine (PNC). Une recherche quantitative réalisée auprès de quatre-vingt-dix PNC dans les grandes compagnies aériennes en Europe et au Canada révèle que ces derniers subissent un rythme de travail intense, ainsi que des contraintes techniques, temporelles et organisationnelles. En effet, les auteurs soulignent l’importance des stratégies déployées par les PNC et des différentes ressources, notamment sociales, qu’ils peuvent solliciter. Dans le deuxième chapitre, en s’appuyant sur le modèle de la centrifugation des marchés du travail, Fauvel et Noiseux abordent la précarité d’emploi des travailleuses du mouvement d’action communautaire autonome dans trois régions administratives au Québec. À partir d’une recherche menée auprès de vingt-trois travailleuses, il appert que le mouvement d’action communautaire autonome est marqué par la précarité des conditions de travail et que le temps de travail se présente tant comme une source de pression que de pauvreté. Toutefois, malgré une telle précarité, deux raisons motivent les travailleuses à rester en emploi. Il s’agit de l’attachement aux valeurs communautaires et à la flexibilité et l’autonomie de l’emploi.
La deuxième partie, qui a pour titre « Des temporalités traditionnelles bousculées par les technologies », comprend deux chapitres. Dans le premier, Alberio et Tremblay se penchent sur la question de la conciliation travail-famille dans le secteur de la pêche dans l’Est-du-Québec, en l’occurrence, la Gaspésie. L’objectif principal des auteurs est de montrer comment les changements institutionnels et organisationnels de l’industrie de la pêche sont venus modifier les temporalités du travail, familiales et conjugales, grâce à des entrevues menées auprès de capitaines-propriétaires et de leurs conjointes. Bien que ces derniers jouissent d’un certain contrôle sur leurs horaires, les nouvelles contraintes d’ordre politiques, économiques et environnementales, ainsi que les nouvelles configurations des acteurs concernés limitent leur marge de manoeuvre et leur capacité à trouver un équilibre entre travail et vie familiale. Dans le deuxième chapitre, Harvey aborde la question des pères 2.0. Il s’agit des pères québécois modernes. Une étude qualitative menée auprès de vingt-neuf pères oeuvrant dans le secteur des technologies de l’information et de l’industrie des jeux vidéo montre que les pères 2.0 sont devenus un modèle au Québec. Ils prennent plus de temps pour la famille, et ce, grâce à la générosité du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). Ce régime a eu une incidence sur les temporalités et le temps de travail. Cependant, ils vivent du stress au travail avant de faire une demande de congé parental et après ce congé. Du côté employeur, le père n’est pas perçu comme le principal donneur de soins. Du côté employé, le retour au travail est marqué par un changement de rythme. En outre, les pères 2.0 souffrent d’une perte de promotion et d’avancement professionnel, d’une mise à l’écart concernant les heures supplémentaires et les activités sociales, ainsi que du stress de s’absenter pour cause de maladie des enfants.
La dernière partie, qui porte sur le défi de la conciliation des différents temps sociaux, vie-famille-emploi et études chez les femmes, réunit trois contributions. Basée sur un cadre théorique lui-même fondé sur l’approche de la motivation entrepreneuriale, la première contribution traite des enjeux et contraintes temporelles vécus par les femmes entrepreneures. À partir d’entrevues menées auprès de cinquante-deux femmes entrepreneures, Lachapelle constate que le besoin d’accomplissement constitue le facteur déterminant qui pousse les femmes à décider d’entreprendre un projet. Outre le désir d’accomplissement, d’autres facteurs sont décryptés par l’auteure. Il s’agit, spécifiquement, d’un désir d’autonomie et du sentiment d’insatisfaction lié à l’emploi. En effet, les avantages d’une telle expérience sont la satisfaction, la créativité, la flexibilité, ainsi que la liberté. Malgré cela, ces femmes doivent faire face à l’incertitude et au manque de contrats, ainsi qu’aux vacances non rémunérées. La deuxième contribution porte sur le défi de conciliation études-travail-vie personnelle (CETVP) chez les infirmières au Québec. Mobilisant la notion de débordements négatifs des temporalités et la théorie de l’enrichissement, l’objectif de Lazzari Dodeler et ses collègues est d’identifier les facteurs de motivation liés à la poursuite des études chez les jeunes infirmières. Les entrevues menées auprès de dix-sept infirmiers, dont quinze femmes, révèlent que les facteurs favorisant la poursuite des études universitaires sont l’obtention de meilleures conditions de travail, le développement de l’autonomie professionnelle et l’enrichissement des connaissances. À partir des réponses, les auteurs ont classé les interviewées en trois profils : le premier regroupe les infirmières en quête d’équilibre priorisant les études ; le second, les infirmières en quête d’équilibre priorisant le travail ; le troisième, les infirmières en quête d’équilibre avec des priorités qui se chevauchent. En somme, la conciliation études-travail-vie personnelle dépend des priorités de chaque profil. Bien qu’il existe des conflits entre les trois formes de conciliation, le stress et la fatigue pourront avoir des effets néfastes sur les infirmières et les patients. Par ailleurs, un débordement positif et un processus d’enrichissement instrumental et affectif ont été observés chez les jeunes infirmières. La dernière contribution traite de la conciliation travail-famille. Dans celle-ci, Tremblay tente de comprendre les perceptions objectives et subjectives des temps sociaux, au regard des ressources temporelles dont disposent les travailleurs dans le secteur de la santé et des services sociaux. Pour atteindre cet objectif, quinze entretiens ont été menés auprès de professionnels syndiqués à la CSN. Dans le milieu hospitalier, ces entretiens révèlent que la pénurie de personnel entraîne une surcharge de travail, une demande intensive de la production et des dépassements des horaires conventionnels de travail récurrents. Conjuguées au manque de soutien et de ressources temporelles, ces réalités rendent la conciliation travail-famille difficile. Dans le milieu des services sociaux, les horaires de travail sont plus flexibles. Les professionnels affichent davantage de satisfaction et déclarent jouir d’une plus grande autonomie professionnelle. Cependant, ce constat demeure relatif. Les témoignages changent lorsque la situation professionnelle se conjugue à d’autres situations, telles que la garde partagée ou des enfants qui exigent davantage de soins.
Pour conclure cette brève recension, cet ouvrage s’avère très intéressant pour trois raisons. Premièrement, le livre est très bien écrit et plutôt accessible. L’organisation des parties et des chapitres, ainsi que le style de rédaction en rendent la lecture agréable. Deuxièmement, cet ouvrage s’adresse non seulement aux professionnels de recherche, mais, aussi, aux jeunes chercheurs, notamment en relations industrielles, en sociologie ou en économie, désireux de comprendre les nouvelles relations d’emploi et les conditions de travail qui s’y rattachent. Il dresse un état des lieux des nouvelles temporalités sociales du travail, familiales et conjugales, ce qui amène le lecteur à mieux saisir les reconfigurations de l’emploi, des activités de travail, et même, de la redistribution des tâches familiales. Troisièmement, la méthodologie de recherche permet d’appréhender des dimensions temporelles spécifiques à des secteurs d’activités particuliers.