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Introduction

Comme le résume Winters (2014 : 205), « la diversité, c’est compter les têtes; l’inclusion, c’est faire en sorte que les têtes comptent ». Les récentes tentatives de théorisation sur la diversité (Jia et al., 2018; Mayo et al., 2017; Stringfellow, 2018) et les organisations inclusives (Shore, Cleveland, et Sanchez 2018) montrent que ces sujets demeurent toujours d’actualité. La diversité a un impact positif sur la performance, l’innovation, ainsi que sur le climat social (Peretti 2018), malgré d’éventuels accrocs en termes de communication (del Carmen Triana, Richard et Su, 2019; Lauring et Villesèche, 2019).

L’un des défis actuels majeurs de diversité concerne l’équilibre hommes-femmes sur les postes managériaux (Klenke, 2017). En effet, les diplômées en gestion sont discriminées dans leur déroulement de carrière (Giraud, Bernard et Trinchera, 2019; Maxwell et Adelina, 2014). Cela plus particulièrement au Maroc, car seulement 22% des postes de responsabilités sont occupés par des femmes (ONU Femmes, 2018). De plus, même lorsqu’elles travaillent, les Marocaines semblent conserver la quasi-totalité des tâches relatives au foyer et aux enfants (Greene et Richmond, 2016), ce qui contribue à renforcer l’aversion des femmes à l’endroit des responsabilités managériales (ONU Femmes, 2018).

Les politiques de diversité sont les ensembles de pratiques « que les organisations adoptent pour augmenter et maintenir la diversité des salariés » (Peretz, Levi et Fried, 2015 : 875). Force est de constater que ces discriminations persistent, malgré les tentatives de rectification institutionnelles visant à favoriser l’inclusion (Kossek et Buzzanell, 2018) par le biais de politiques de diversité (Li et al., 2019; Syed et Özbilgin, 2020), notamment au Maroc (Bennani Meziane, 2016).

À l’heure actuelle, la recherche suggère que l’efficacité des politiques de Gestion des ressources humaines (GRH) dépend grandement du contexte (Cooke, 2018), notamment national (Diaz Carrion, López Fernández et Romero Fernandez, à paraître). Alors que « nous manquons toujours de connaissances à propos des pratiques [de diversité] qui sont les plus efficaces dans différents environnements et contextes » (Benschop et al., 2015 : 553), les politiques de diversité semblent invitées à opter pour une « perspective localisée » (Öztürk, Tatli et Özbilgin, 2015 : 382), utilisant la lentille nationale (Klarsfeld et al., 2014). En effet, les obstacles au cheminement de carrière des femmes résident habituellement dans les cultures organisationnelle et nationale, cela malgré la présence de politiques de diversité prônant l’inclusion des femmes managers (Akpinar-Sposito et Roger, 2017).

Tandis que la globalisation des économies tend à renforcer la standardisation des modèles de GRH, il est possible que chaque région conserve ses idiosyncrasies (Budhwar, Varma et Patel, 2016), notamment en ce qui concerne la relation à la diversité (Klarsfeld et al., 2014). Au-delà du positionnement géopolitique, la question de l’efficacité des politiques de diversité au Maroc mérite également d’être replacée dans son contexte historique : le modèle de gestion occidental et dominant pourrait rappeler les temps de la colonisation (Maghraoui, 2013). Il s’agirait alors pour les politiques de diversité de prendre en compte « les multiples facettes de la société marocaine : Musulmane et Arabe, mais très enchevêtrée historiquement et culturellement avec l’Occident; laïque d’un côté et profondément religieuse de l’autre » (Salih, 2003 : 1).

Ainsi, la discrimination sur la base du genre (interdite par la plupart des textes de droit internationaux contemporains) semblerait en contradiction avec certaines interprétations de la loi islamique (Lamrabet, 2012). Si l’attitude et la mentalité marocaines sont demeurées pendant longtemps traditionnelles, s’appuyant sur la division sexuelle de l’espace et le confinement des femmes aux tâches ménagères, le pays se modernise à grand pas, surtout dans les métropoles. Les obstacles à la carrière de manager que rencontrent les femmes constituent donc un enjeu d’autant plus fort qu’ils risquent de renforcer la fuite des talents marocains (Ollivier, 2020).

Cette recherche poursuit deux objectifs : 1- investiguer les obstacles à la carrière des femmes managers; et 2- identifier les leviers des politiques de diversité, souvent d’origine occidentale, qui fonctionnent dans la culture marocaine. Afin de mieux cerner notre question de recherche, nous présentons d’abord les concepts majeurs mobilisés. Nous détaillons, ensuite, la méthodologie de collecte des données. Suivront les résultats et leur discussion.

Revue de littérature

Les obstacles à la carrière des femmes managers

La plupart des tentatives visant à donner aux femmes des chances égales en matière de carrière ont généralement échoué (Kossek et Buzzanell, 2018). Les femmes font des choix de carrière différents en fonction de leurs valeurs (Wegemer et Eccles, 2019) et d’autres facteurs non-professionnels (notamment la gestion de la famille) ou professionnels (par exemple, la discrimination existante) (Mainiero et Sullivan, 2005). Ainsi, les recherches montrent que les femmes diplômées en gestion sont plus susceptibles d’accepter un emploi de niveau non-universitaire ou de souffrir de discrimination (Maxwell et Adelina, 2014), ce qui les conduit à un succès de carrière moindre. Tel est le cas en France (Giraud et al., 2019).

Dès le début de leur carrière, la plupart des femmes diplômées en gestion gagnent moins que leurs homologues masculins, tant en France (Floc’h et Jacqueson 2015), aux États-Unis (Cocchiara et al., 2010; Cox et Harquail, 1991) qu’en Grande-Bretagne (Maxwell et Adelina, 2014). Les salariées sont, en effet, confrontées à de multiples difficultés qui se traduisent généralement par une baisse de leurs revenus (Valcour et Ladge, 2008). En conséquence, après l’âge, le genre a été identifié comme le deuxième plus fort antécédent sociodémographique de réussite professionnelle objective (Ng et al., 2005).

Dans les perceptions, il semble que les femmes soient plus facilement associées à des rôles de subalternes (Braun et al., 2017), qu’elles respectent généralement « la légitimité présumée de l’accès différentiel aux rôles de management fondé sur le genre » (Tatli, Ozturk et Woo, 2017 : 407) ou qu’elles aient moins de chances de pouvoir négocier leurs salaires (Stevens et Whelan 2019). Malgré ces tentatives d’explication, 10,5% de l’écart de rémunération entre les genres demeure, à ce jour, inexpliqué (Moléna 2018), même dans les pays européens (Klarsfeld et al., 2014; Matteazzi, Pailhé et Solaz, 2018).

Le cas du Maroc

La diversité du paysage marocain illustre la diversité des réalités locales en ce qui a trait à la GRH (Aghaï et Vaesken, 2010) et au rapport des femmes à la carrière managériale. À Casablanca, Rabat et Tanger, les valeurs sociales peuvent être perçues et revendiquées comme étant modernes et progressistes. Selon le rapport du RDH 50, les relations hommes-femmes au Maroc ont évolué et l’on observe une montée du célibat, quel que soit le genre. L’intégration des femmes dans le marché de l’emploi, tout comme leurs accès à différents postes, sont également en train de bouleverser les normes sociales.

En d’autres endroits, il semble que le rôle des Marocaines soit encore sujet aux stéréotypes (Díaz et Sellami, 2013). Dans l’ensemble, leur taux d’activité est aujourd’hui en baisse, avec 100 000 femmes qui abandonnent annuellement une activité rémunérée pour redevenir femme au foyer. De plus, quel que soit leur âge, les Marocaines semblent toujours conserver l’entièreté des tâches ménagères (Greene et Richmond, 2016), cela à cause de la résistance des hommes marocains d’en assumer 50%. Elles subissent une importante exclusion économique : « le taux d’activité des femmes en 2009 était un tiers de celui des hommes (25,8 % contre 75,3%, HCP 2009), un des taux d’activité les plus faibles au monde » (Serajuddin et Verme, 2015 :144).

En effet, Chicha (2013 : 52) rappelle la présence au Maroc de « discriminations directes reflétant des préjugés, des stéréotypes et des traditions culturelles ». L’auteure précise que les discriminations peuvent aussi être indirectes, notamment à cause de la conciliation travail-famille qui constitue une source considérable de stress, alors que les pratiques de GRH, comme les systèmes de rémunération, demeurent encore peu perméables aux valeurs d’égalité.

Enfin, les obstacles à la carrière managériale des femmes observés dans le secteur public sont un climat socioadministratif pourvu de stéréotypes-genres, une combinaison moins évidente entre vie privée et développement de la carrière, une certaine aversion aux risques des postes de responsabilités, le rôle polymorphe de la hiérarchie et le manque de soutien au leadership féminin (ONU Femmes, 2018). Reste à savoir si des similitudes peuvent également être observées dans le secteur privé.

Politiques de diversité et inclusion

Selon Mor Barak (2014 : 136) :

la diversité de la main-d’oeuvre se réfère à la division des salariés en catégories distinctes qui (a) ont un point commun tel que perçu dans un contexte culturel ou national donné et qui (b) ont un impact potentiellement positif ou négatif sur les relations d’emploi comme les postes à pourvoir, la qualité de vie au travail et les perspectives de promotion — indépendamment des compétences et des qualifications liées à l’emploi.

Par-delà les frontières, le milieu académique s’est intéressé aux politiques de diversité (Li et al., 2019; Syed et Özbilgin, 2020). À ce propos, Peretz et al. (2015  : 875), soutiennent que les politiques de diversité font référence aux « programmes que les organisations adoptent pour augmenter et maintenir la diversité des salariés ». Alors que les politiques de diversité se sont principalement concentrées sur l’intégration des femmes, des personnes de couleur et des membres d’autres groupes marginalisés sur le lieu de travail, les pratiques d’inclusion ont cherché à créer une égalité d’accès à la prise de décision, aux ressources et à des possibilités de mobilité ascendante pour ces personnes (Shore et al., 2018  : 177).

Nous avons choisi d’investiguer les « politiques de diversité » parce qu’elles induisent des actions d’inclusion des minorités (les femmes managers), avec comme objet d’évolution les règles ou les styles de leadership (Randel et al., 2018). D’après Winters (2014 : 205), on peut effectivement définir « la diversité comme un substantif décrivant un état et l’inclusion comme un verbe ou un substantif d’action, en ce sens que pour inclure, il faut agir ». L’inclusion implique effectivement l’égalité des chances pour les membres des groupes socialement marginalisés quant à la participation et la contribution à l’entreprise, tout en garantissant des opportunités aux membres des groupes non-marginalisés, ainsi que le soutien des salariés dans leurs efforts pour s’engager pleinement à tous les niveaux de l’organisation afin que chacun puisse être lui-même (Shore et al., 2018 : 177). Ferdman (2017 : 235) rappelle que : « dans les organisations inclusives, les personnes de toutes identités et de tous styles peuvent être pleinement elles-mêmes tout en contribuant au collectif en tant que membres à part entière et valorisés ».

Cela dit, les éléments de littérature restent à ce jour incomplets sur les conditions (Peretz et al., 2015) et le contexte (Singh, Winkel et Selvarajan, 2013) dans lesquels les politiques de diversité affectent positivement les organisations, ceci probablement à cause d’approches jusqu’à présent difficilement exemptes de biais (van Dijk et van Engen, 2013). Il importe donc de s’attarder plus longuement au contexte. Il s’agit effectivement d’un concept incontournable qui permet d’appréhender les impacts des politiques RH (Cooke, 2018), notamment la diversité, et ce, à travers du prisme de l’environnement national, en conséquence du culturel (Klarsfeld et al., 2014).

Les politiques de diversité et le contexte

Si les travaux sur les pratiques de diversité n’ont, peut-être, pas été toujours adaptés à « la variété des contextes culturels » (Jonsen, Maznevski et Schneider, 2011 : 35), c’est que, ne l’oublions pas, le contexte national affecte largement les politiques de GRH (Diaz Carrion et al., à paraître) et de diversité (Klarsfeld et al., 2014). Sur le territoire marocain, tout comme partout dans le monde, les entreprises sont, aujourd’hui, davantage sujettes à des obligations d’intégration (Hanappi-Egger et Ortlieb, 2015), d’autant que l’existence de politiques de diversité efficaces génère davantage d’engagement au travail (Li et al., 2019).

Comme la présence des femmes dans les postes de responsabilités de la fonction publique a augmenté de 120 % de 2001 à 2016 (ONU Femmes, 2018), s’intéresser aux carrières des femmes managers dans le cadre du contexte marocain s’avère d’autant pertinent. Et comme le précisent Benschop et al. (2015 : 553) : « une approche du pouvoir multidimensionnelle pour remettre en cause une discrimination structurelle et gérer les intérêts divergents est centrale à toute politique de diversité qui lutte pour un changement profond ».

Le modèle dominant de type occidental face au contexte marocain

La signification première du « désenchantement du monde » se retrouve dans Le métier et la vocation de savant de Weber (1917-19 [1954]) où il évoque un détachement de l’emprise du religieux dans les représentations mentales de l’homme et dans son rapport au monde (Mazuir, 2004). Or, si l’évolution des pays dits occidentaux a permis une séparation entre la sphère privée et celle professionnelle (Bruna, Frimousse et Giraud, 2017), cette séparation n’apparaît pas aussi nette en contexte marocain. En effet, la communauté de la foi n’y est pas diminuée et la séparation entre religieux et civil n’est pas aussi franche. Les Marocains continuent à croire à un islam qui se veut territorial :

Au Maroc, se conformer socialement revient à suivre la religion qui a pour fonction d’informer et d’encadrer le tout de la vie commune. Il s’agit d’hétéronomie : la loi de l’autre. Ce principe d’organisation se décline en quatre dispositions pratiques très précises : l’organisation de la société sous le signe de l’obéissance au passé fondateur, de la dette vis-à-vis des modèles ancestraux, l’importance de la hiérarchie, un type de relation entre l’individu et son groupe basé sur la soumission au tout collectif.

Hussein, 2009

Notons cependant que l’intensité des pratiques religieuses diminue, laissant davantage de temps pour les activités non-religieuses (Tozy, 2009).

Au-delà des apparences, il faut donc admettre que les pays musulmans vivent aussi un ébranlement massif des croyances traditionnelles. Ces situations nouvelles peuvent, parfois, être source de désorientation. À titre d’exemple, les recherches menées au Maroc par Louitri et Sahraoui (2014) suggèrent l’intégration de la dimension religieuse dans l’idéologie managériale.

Désireux de tenir compte de ce contexte, nous collecterons des données afin de : 1- mettre en lumière les obstacles à la carrière managériale des Marocaines; et 2- identifier les leviers efficaces d’une politique de diversité en contexte marocain.

Étude empirique

Justification de la méthodologie et collecte des données

Une étude de cas exploratoire a été menée afin de discuter des propositions émergeant de l’analyse de la littérature sur les obstacles à la carrière des femmes managers marocaines et aux politiques de diversité. Des entretiens semi-directifs (dont les détails sont explicités plus loin) ont été effectués dans six entreprises représentant différents secteurs.

La première justification de cette méthodologie qualitative est qu’elle est particulièrement appropriée pour répondre à notre question de recherche qui a pour objectif de comprendre les mécanismes d’un phénomène relativement nouveau (Symon et Cassell, 2012), soit la mise en place de politiques de diversité en contexte marocain. Une porte d’entrée principale a été l’approfondissement des parcours et des récits de vie de femmes managers (Chaxel, Fiorelli et Moity-Maïzi, 2014). En complément, des hommes dans des positions managériales-clés ont également été ciblés lors de notre collecte de données.

La deuxième raison est qu’une approche qualitative s’avère singulièrement pertinente lorsqu’il est question de genre (Kirchmeyer, 1999; Sturges, 1999) et de contextes spécifiques, comme le Maroc (Heslin, 2005; Omar et Davidson, 2001). Des entretiens semi-directifs ont, ainsi, été menés dans des organisations ayant un engagement fort envers les politiques de diversité.

La méthode la plus usitée pour recueillir des données dans le cadre de recherches qualitatives est l’entretien semi-directif (Buchanan, 2012). Le séquencement des questions peut éventuellement être modifié, ou de nouvelles questions ajoutées, en fonction des réponses apportées par les répondants (Bryman et Bell, 2015). Toutefois, Bryman et Bell (2016) notent qu’un guide d’entretien est utile afin de mieux organiser un entretien semi-structuré, recommandation que nous avons appliquée. Le recours aux répondants est l’une des approches structurantes possibles dans le cadre des entretiens (Lindlof et Taylor, 2002). Cette approche est considérée comme l’outil de collecte de données le plus courant : les participants sont invités à partager leurs expériences et leurs points de vue (Alvesson et Ashcraft, 2012).

En deuxième lieu, notre méthodologie répond à l’appel de Porter et Hilde (2015) en faveur de davantage de recherches sur la diversité qui soient contextualisées (i.e. managers marocaines) et qui prennent en compte les divers niveaux (i.e. managers, DRH et Direction générale).

Échantillon

Patton (2002) soutient que des échantillons non-aléatoires conviennent pour une étude qualitative, à condition que l’échantillon choisi permette d’acquérir une compréhension et des informations suffisantes. À l’aide de ce type d’échantillonnage, nous avons identifié des managers de différents niveaux hiérarchiques capables de répondre à notre question de recherche (Saunder, 2012). Cette technique d’échantillonnage est, en effet, recommandée pour obtenir des informations riches dans le cadre d’une étude exploratoire (Saunder, 2012). Nous avons mené 36 entretiens semi-directifs au sein de six entreprises marocaines ayant mis en place des politiques de diversité.

Des répondants masculins ont également été sondés, car ils occupent souvent les niveaux hiérarchiques élevés et sont ainsi susceptibles d’identifier les obstacles à la carrière des femmes marocaines et les leviers efficaces des politiques de diversité (voir Tableau 1). Afin de mieux comprendre les parcours de vie des femmes managers (Chaxel et al., 2014), nous avons aussi rassemblé des données sur leur statut marital et leur nombre d’enfants. Toutefois, ces informations n’ont pas été recueillies dans le cas des hommes, car ces éléments n’étaient pas pertinents pour notre sujet. Afin de préserver l’anonymat des données, dans le Tableau 1, nous ne spécifions pas, dans le cas des postes de « Direction », s’il s’agit de DRH ou de Direction générale.

Tableau 1

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

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Une attention particulière a été apportée au fait que plusieurs niveaux hiérarchiques soient représentés dans chacune des entreprises participant à l’enquête. Les points de vue en provenance de différents niveaux hiérarchiques (notamment au sommet de l’organisation) sont apparus nécessaires pour compléter notre enquête. En effet, les individus en charge de la mise en place des politiques de diversité jouent généralement un rôle déterminant dans la « fabrique de la diversité » (Tatli et Özbilgin, 2009), soit « la conception de la politique jusqu’à son suivi, en passant par son opérationnalisation notamment dans les domaines RH, management d’équipe et communication » (Bruna et al., 2017 : 54).

Les entretiens ont duré, en moyenne, une heure et ont eu lieu sur le lieu de travail des répondants. Les guides d’entretien ont été structurés autour de deux axes principaux correspondant à nos deux objets d’investigation :

  • Les obstacles à la carrière managériale des marocaines;

  • Les leviers efficaces des politiques de diversité dans le contexte marocain.

Le Tableau 2 ci-dessous présente les entreprises sélectionnées : ce sont des entreprises qui ont été primées ou labélisées à cause de la forte présence de femmes managers dans leurs effectifs ou bien mentionnées dans la presse marocaine en ce sens. Sur 12 entreprises correspondant à nos critères et ayant été sollicitées pour participer à l’étude, seule la moitié a accepté de nous recevoir.

Tableau 2

Entreprises retenues pour l’étude

Entreprises retenues pour l’étude

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Dans le but, à nouveau, d’assurer l’anonymat des répondants et des entreprises, nous ne présenterons pas d’équivalences entre les Tableaux 1, 2 et 3. Pour sa part, le Tableau 3 présente les critères retenus pour la sélection des entreprises.

Tableau 3

Labels / Prix attribués aux entreprises sélectionnées

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Analyse des données

Les retranscriptions de tous les entretiens ont donné 245 pages de textes. Lors de la collecte de données, nous avons gardé en tête notre objectif de décrire et d’analyser le parcours de femmes managers qui ont été l’objet de politiques de diversité au Maroc. Nous avons utilisé un logiciel d’analyse qualitative des données assistée par ordinateur (CAQDAS) (Lee et Fielding, 1991) afin de faciliter notre analyse. Malgré leurs limites et leurs inconvénients, les CAQDAS prennent en charge plus rapidement et plus efficacement les processus de programmation et de récupération (Bryman et Bell, 2015) et offrent de nouvelles opportunités (Paulus, Lester et Britt, 2013) en matière d’analyse des données (Mangabeira, 1995).

Quant au logiciel NVivo, il est fréquemment utilisé dans la recherche en gestion (Bryman et Bell, 2015). En vue de répondre à notre question de recherche, nous avons ainsi utilisé ce logiciel pour réaliser une analyse thématique de contenu sur une transcription complète d’entretiens, ce que recommande Roulston (2014 : 301). Cette méthode d’analyse est effectivement la plus courante dans le domaine de la GRH (Point et Retour, 2009) et, surtout, elle se révèle être la plus adaptée dans le cas de ce genre de données (Blanc, Drucker-Godard et Ehlinger, 2014).

L’ensemble de ces données a été codé, ce qui a permis leur restructuration et leur catégorisation afin de rendre les verbatims plus lisibles (Miles, Huberman et Saldana, 2013). L’interprétation et l’analyse des données ont été effectuées de façon parallèle par chacun des chercheurs et, dans un second temps, leurs résultats ont été confrontés afin d’accroître la fiabilité interne de l’étude (Bryman et Bell, 2016). Le codage effectué ici est dit « double ». Nous avons évalué la fiabilité inter-codeurs à travers un échantillon de 322 extraits d’entretien, en calculant le taux d’accord en fonction de la formule suivante :

forme: 5046471.jpg

Nous avons alors obtenu le résultat suivant : 272 / (272 + 50) = 84 %, ce qui représente un résultat de fiabilité inter-codeurs satisfaisant (Allard-Poesi, Drucker-Godard et Ehlinger, 2003).

Résultats

Trois grandes thématiques sont ressorties de l’analyse des données. Dans les sections suivantes, nous présentons : 1- les obstacles à la carrière managériale des marocaines; 2- les leviers de politique de diversité efficaces au Maroc; et 3- l’attitude des acteurs-clés à l’égard des marocaines managers, tels qu’évoqués par les répondants.

Les obstacles à la carrière managériale des marocaines

Nos répondants font état d’un certain nombre d’obstacles à la carrière managériale des Marocaines. Et l’importance du contexte culturel marocain ressort de l’ensemble des données recueillies.

Des parcours différents et l’omniprésence du conflit travail/famille

Nos résultats montrent que l’avancement des femmes a été le résultat tant d’opportunités offertes par l’organisation (voir section sur les pratiques de GRH inclusives ci-dessous) que des tentatives de ces femmes de trouver une meilleure articulation entre responsabilités professionnelles et charges familiales.

Certaines femmes managers ont orienté leur parcours vers une recherche permanente d’apprentissage et d’acquisition de nouvelles compétences. Leur avancement est alors conséquence de cette recherche de mener de nouveaux projets, même si ces derniers limitent leur avancement lorsqu’ils entrent en contradiction avec l’équilibre travail/famille souhaité.

Je voyage beaucoup, je travaille beaucoup et j’ai développé les équipes, j’ai multiplié le chiffre d’affaires par quatre en trois ans, mais la femme doit travailler dix fois plus qu’un homme pour avoir de la reconnaissance. Là, on me propose une promotion, mais j’ai dit non, car je suis au maximum : je ne peux pas accepter, car ma famille en pâtira.

Répondante 4

Pour leur part, les rares femmes célibataires rencontrées affirment que leur choix d’un futur conjoint intègre la condition d’acceptation de leurs choix de carrière et du rythme de travail qui en découle. Cependant, elles assument l’entièreté des tâches ménagères et compensent si elles doivent travailler à l’extérieur pour un temps :

Je fais en sorte que mon mari ne sente pas mon absence, tout est bien ficelé à l’avance, ses affaires, ses repassages, tous les trucs basiques de tous les jours, tout est bien organisé et bien encadré avant de voyager, les courses sont faites pour que lui aussi soit à l’aise. Ça aussi, c’est très important pour les femmes [marocaines].

Répondante 1

À partir de ces témoignages, il apparaît donc que la lourdeur de la charge familiale et la non-participation des hommes marocains aux tâches ménagères constituent des facteurs déterminants en matière d’obstacles à l’intégration des femmes sur le marché du travail.

L’importance d’un modèle de réussite féminin dans l’organisation

Nos répondants mettent de l’avant le modèle d’une femme manager ayant tant une vie professionnelle qu’une vie de couple et des enfants :

J’ai l’exemple de [X] qui est passée d’une simple assistante chez nous et, maintenant, elle est responsable des ventes et réalise de gros chiffres d’affaires : je la prends comme exemple, car j’aimerais être comme elle. En plus, elle est mariée et a des enfants.

Répondante 22

Il apparaît donc que le poids des normes sociales et religieuses au Maroc est tel que même si les tâches ménagères réalisées seules et le soin des enfants constituent un fardeau significatif entravant les carrières des Marocaines, celles-ci n’imaginent pas leur modèle de réussite sans la vie familiale.

Une toile de fond religieuse

Le destin et la croyance au Dieu de l’Islam sont un des leitmotivs de nos répondantes managers. Elles croient au destin et sont profondément croyantes. Leur foi en Dieu et en une destinée, ainsi que la croyance dans la récompense de « ceux qui sont bons et biens », s’avèrent un discours omniprésent dans les propos tenus par les femmes managers :

Je suis très croyante et je me dis : ‘C’est Dieu qui m’aide’, parce que ce n’est pas évident.

Répondante 9

C’est entre Dieu et moi… si j’ai un travail à faire, il faut le faire.

Répondante 25

Ainsi, le poids du religieux semble déterminant.

En conclusion, tant le refus des hommes marocains d’assumer leur 50% des tâches ménagères, les normes sociales et religieuses constituent d’importants entraves à la carrière des Marocaines managers.

Les leviers de politique de diversité efficaces au Maroc

Maintenant, voyons comment, dans ce contexte religieux et social marocain, les politiques de diversité pourraient produire des résultats.

Pratiques d’inclusion pour le recrutement et la promotion

Les premiers éléments de pratiques d’inclusion spontanément cités pas les répondants concernent le recrutement et la promotion. Des efforts individuels et institutionnels sont fournis afin de faciliter les carrières managériales des femmes  :

On m’a donné un service à gérer et, donc, d’année en année mon champ de responsabilité s’est élargi, je suis passée à Cheffe de Département, mais, bon, j’ai dû insister un petit peu, et là aussi, j’ai été la première Cheffe de Département femme. C’est à cette époque-là que le recrutement des femmes-cadres s’est un peu accentué.

Répondante 2

C’est une multinationale, et j’ai su, après mon recrutement, pour les pratiques en faveur de l’intégration des femmes.

Répondante 30

De plus, les répondants rappellent que la formalisation des efforts d’inclusion (à travers des quotas et/ou le suivi d’indicateurs) ont permis de faire progresser les carrières managériales des femmes :

Au sein de notre entreprise, la moyenne de la présence des femmes est de 42 % alors que la moyenne du secteur est de 30 %. Ce chiffre a évolué depuis 2008 de 36 % à 42 %. Les femmes représentent 50 % du Comité de direction et elles sont à 14 % dans les postes d’encadrement.

Répondant 34

Le groupe a développé des politiques qui visent à briser le plafond de verre et exige des filiales, sur ce plan, des reportings [rapports] et un suivi.

Répondant 32

L’entreprise se mettait une petite pression pour avoir un minimum de femmes cadres ou de femmes managers d’un certain niveau et qui occupent certains postes.

Répondante 15

L’entreprise veille à la présence des femmes dans les Succession Plans [planifications de la relève].

Répondant 35

Dans nos données, la volonté d’accroître la présence des femmes dans les postes managériaux s’exprime à travers divers moyens qui vont de la gestion de carrière au suivi des quotas et autres indicateurs de féminisation des postes.

Culture organisationnelle

La culture organisationnelle est citée comme levier majeur permettant de soutenir ces objectifs d’inclusion : un ensemble d’éléments individuels, collectifs et institutionnels produisent un climat favorable à la diversité, provoquant un apprentissage sur le sujet (Bruna, 2016).

À cet effet, le Répondant 36 déclare :

Les femmes sont, en général, très présentes au sein de notre entreprise : elles sont 8 femmes sur 20 Directeurs et les femmes représentent 35% au niveau des postes d’encadrement. Ceci grâce au climat paritaire de l’entreprise.

Une culture organisationnelle favorable à la parité serait donc un ingrédient essentiel permettant aux femmes d’accéder aux postes de cadre.

Formation

Par ailleurs, un autre levier est la formation parce qu’elle permet aux femmes managers d’acquérir des compétences techniques et de développer leur réseau. Ces deux éléments vont également accroître leur confiance en elle :

C’est quelque chose d’extraordinaire et je ne nierai pas que j’ai eu la chance de rencontrer des experts dans le cadre de formations qui m’ont été données, et [ces dernières] ont aidé aussi bien sur un plan psychologique que professionnel […] Ça donne une bouffée d’oxygène, ça vous donne une raison de continuer et ça vous ouvre des horizons.

Répondante 5

Il y a des formations de Women Leadership.

Répondante 28

La formation apparait donc particulièrement importante dans le cas des femmes managers.

Mentorat

De plus, la présence d’un mentor (souvent masculin) s’est avérée particulièrement utile pour inclure et soutenir les femmes dans les postes de responsabilités  :

[Mon manager] a tout fait pour ma réussite et je lui dois ma réussite parce qu’à chaque fois qu’il y avait des formations, il me mettait dedans. Et si tu veux, c’est lui qui m’a recruté et j’ai été comme son bébé : il suivait mon parcours. Jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, il est loin, mais il appelle pour demander de mes nouvelles.

Répondante 22

J’avais un mentor, un Directeur en Italie, et je ne le savais pas. Un jour, il m’a appelé pour me dire qu’il suit mon parcours, et qu’il voudrait que je devienne Directrice.

Répondante 27

Le soutien d’un mentor apparait grandement apprécié et décisif dans l’ascension des femmes managers.

L’attitude des acteurs-clés à l’égard des marocaines managers

De manière générale, nos répondantes perçoivent leur entreprise comme un endroit où les femmes sont mises en valeur. Le soutien perçu est surtout basé sur un état d’esprit et sur les discours des dirigeants. Ce climat inclusif aide les femmes à dépasser la pression psychologique causée par les stéréotypes quant à leur rôle social féminin. Il leur permet d’aller de l’avant et de se focaliser essentiellement sur leurs compétences et leurs réalisations : « Je crois dans le bien-fondé de l’intégration des femmes : au contraire, je souhaiterais intégrer plus de femmes, je me bats pour ça d’ailleurs. » Répondant 31.

Dans l’ensemble des entreprises étudiées dans le cadre de cette recherche, l’implication de la Direction générale et de la Direction des ressources humaines est perçue comme décisive :

Je suis vraiment persuadé qu’en arrivant à la parité dans l’encadrement et la direction de l’entreprise, on aura probablement une entreprise plus efficace et c’est ce que recherchent toutes les entreprises et les actionnaires de l’entreprise.

Répondant 33

Le professionnalisme et le sérieux des femmes constitueraient donc, à cause de sa rentabilité pour l’entreprise, un important facteur d’inclusion.

On relève chez certains des acteurs une fibre « féministe » qui les pousse à aller au-delà des objectifs de parité et à défendre farouchement la présence des femmes au sein de leurs entreprises. Ceux-ci s’érigent en protecteur des femmes de l’entreprise et garants de la parité :

La moitié de la société est composée de femmes, pourquoi il en serait autrement ici ? Moi, je suis un fervent partisan des femmes, je les aide, je les soutiens. Je me mets à leur place, car moi, aussi, j’ai une épouse, et je ne voudrais pas que quelqu’un soit injuste vis-à-vis d’elle. Ici, à [B] tout est mis en place pour que les femmes aient toutes leurs chances.

Répondant 36

L’intégration des femmes est un signe d’efficacité et de modernité, et je m’engage personnellement pour cette intégration.

Répondant 31

Enfin, la famille des femmes managers rencontrées constitue des acteurs-clés. D’abord, ils ont encouragé les femmes de leur famille à s’investir dans la sphère professionnelle. À ce sujet, la répondante 16 déclare : « Mes parents sont fiers de moi, de ce que je fais, et font tout pour que je ne sois pas bloquée dans ma carrière. ».

De plus, les parents, notamment les mères qui sont en grande majorité au foyer, permettent également un affranchissement des responsabilités familiales en prenant en charge elles-mêmes ces responsabilités. La Répondante 7 confirme :

J’ai mes parents, j’ai ma mère, quand je ne suis pas là, c’est elle qui prend la relève et je suis tranquille, surtout que les enfants sont en âge d’adolescence et tout. Quand elle est là, c’est comme si c’était moi qui était à la maison.

Répondante 7

Le soutien des parents, surtout des mères (les grand-mères maternelles notamment) permettrait de nourrir à la fois le souhait de progresser et leur sentiment d’auto-efficacité. Le désir des femmes d’avancer est renforcé par les approbations parentales, ce qui les amène à s’affranchir de leur traditionnel rôle social prépondérant (tâches ménagères, soins des enfants, etc.).

Cependant, il est à noter que la libération des femmes marocaines au travail s’effectue, en grande partie, grâce au fait que les ancêtres maternels effectuent les tâches ménagères et le soin des enfants. Cela s’explique probablement par la résistance des hommes marocains à assumer leur 50% de tâches familiales. Cette réalité vient faire porter une charge accrue sur les grands-mères maternelles respectives. Ce sont donc elles qui en font les frais. Et, collectivement, ce sont encore les femmes qui assurent.

Discussion

Nous discutons ici des résultats de notre étude.

Les obstacles à la carrière managériale des marocaines

L’omniprésence du conflit travail/famille

Nous l’avons vu, lors de l’analyse du portrait de ces femmes managers, il faut tenir compte du contexte social marocain. Si certaines acceptent des concessions en matière de vie professionnelle afin de conserver un équilibre entre travail et vie privée, elles ne peuvent pas, à cause des normes sociales, se permettre des concessions sur leur vie familiale (Greene et Richmond, 2016). Comme leur réussite professionnelle ne serait pas considérée comme une réussite de vie en l’absence d’une sphère familiale épanouie, elles doivent donc gérer les deux sphères.

Le conflit travail/famille pour les femmes managers au Maroc ressemble à l’environnement turque (i.e. Çarıkçı, 2002) où les solidarités familiales et la présence d’aide-ménagères soulagent les femmes. Nos résultats montrent l’importance de prendre en compte les populations et les contextes afin de mieux cerner les parcours de carrière des femmes (Dany, Pihel et Roger, 2013).

De plus, il est possible que cette omniprésence du conflit travail/famille permette en fait de maintenir la culture du travail omniprésent 24 heures/24, 7 jours sur 7 et ce, dans l’intérêt des groupes les plus puissants de l’organisation (Padavic, Ely et Reid, 2020).

L’importance d’un modèle de réussite féminin dans l’organisation

En l’absence de vrais modèles sociaux, il apparaît que nos répondantes érigent certaines femmes qui performent (tant dans leur entreprise que dans leur vie familiale) comme modèles de réussite. Lorsque ces modèles n’atteignent pas un nombre suffisant pour influer le cours des choses tel que le soutient Kanter (1977), néanmoins, ils viennent renforcer la confiance des femmes managers dans leurs organisations et vis-à-vis de l’équité de ses pratiques. Plus l’entreprise réussit à faire avancer des femmes qui sont dans le contre-modèle des stéréotypes (la carriériste célibataire), plus les femmes s’engagent dans leur travail, car la réussite de ce modèle est un signe du bon fonctionnement des pratiques dédiées aux femmes.

Ériger des modèles en interne est également un signe d’absence de vrais modèles en externe. En effet, les recherches sur le féminisme arabe soutiennent qu’il existerait, aujourd’hui, deux voies principales. Il y aurait d’abord le féminisme à l’européenne, mais les femmes marocaines peuvent difficilement se l’approprier, car les valeurs sociales, familiales et religieuses de leur pays ne sont pas en cohérence avec les revendications de ce mouvement. De l’autre côté se trouve le féminisme religieux fondamentaliste, toutefois, ce dernier ne semble pas en cohérence avec leurs aspirations professionnelles. Touati (2006) proposa l’existence d’une possible troisième voie. Et il apparaît que les femmes managers construisent cette voie en érigeant des modèles qui sont en cohérence tant avec leurs ambitions professionnelles qu’avec les valeurs sociales dominantes. Les Marocaines doivent donc gérer les deux dimensions de leur vie en fonction de leurs objectifs de carrière et du poids de leur sphère familiale.

Une toile de fond religieuse

Nos données confirment que les schémas de pensée et les représentations sont fortement marquées par la religion musulmane, que ce soit par rapport aux éventuelles promotions ou au travail à faire (Tozy, 2009). En fait, le tiraillement marocain entre modernisme et traditionalisme se situe « dans une dictature des moeurs, qui nous impose des normes surannées, faisant reposer l’essentiel de la responsabilité sur les femmes, garantes de l’ordre social. » (Alioua, 2019). Et les relations professionnelles dans les milieux de travail en sont profondément affectées.

Les managers marocaines travaillent au mieux et ont la foi qu’elles seront récompensées sans le réclamer, car, selon leur religion, ce seraient le destin et la récompense divine. Cette croyance au Dieu de l’Islam et à la « niya » dans le travail agit comme un socle fondateur des différentes actions des femmes au sein de leurs organisations et de la relation des femmes avec leurs entreprises. Nos résultats confirment que l’identité religieuse est une variable importante qui affecte la sphère professionnelle, notamment en ce qui concerne l’avancement de carrière (Héliot et al., 2020). En GRH, comme dans les différentes disciplines de la gestion, la religion ne devrait plus être « un facteur institutionnel négligé » (de Vaujany, 2010  : 74).

À l’instar de Nestorovic (2009) qui suggère que l’Islam pourrait représenter de sérieuses opportunités des points de vue marketing et stratégique, il se pourrait que des synergies similaires soient à considérer en matière de politiques de diversité dans le contexte marocain. Pour leur part, Chanlat et al. (2013) soulignent que la confrontation entre politiques de diversité et contexte inégalitaire peut mener à certains tiraillements internes, d’où l’importance d’une approche interdisciplinaire et comparative.

Les leviers de politique de diversité efficaces au Maroc

Nos données nous permettent de réaffirmer l’importance de la prise en compte du contexte régional en matière d’efficacité des politiques de diversité (Klarsfeld et al., 2014) et ce, plus particulièrement au Maroc (Igalens et Sahraoui, 2010).

Nos résultats mettent en lumière certains leviers d’inclusion particulièrement efficaces dans le contexte marocain. Les pratiques de quotas et le suivi actif des indicateurs de diversité (Bender, Dang et Scotto, 2016) ont un impact direct sur l’inclusion des Marocaines, et ce, depuis leur recrutement dans des postes de responsabilités jusqu’aux décisions de promotion.

Globalement, nos répondants insistent sur la création d’une culture organisationnelle orientée vers l’inclusion des femmes aux postes de responsabilités, que ce soit à travers des symboles formels ou informels (Schein, 1985). La mise en place d’une politique de diversité fait effectivement appel aux outils de la gestion du changement organisationnel afin de parvenir à la mise en place d’une nouvelle culture (Bruna et al., 2017).

Par ailleurs, nos données confirment l’importance de soutenir les modèles de leadership féminin au Maroc (ONU Femmes, 2018), notamment par le biais de formations, cela afin d’assurer l’existence de modèles de réussite féminins dans l’entreprise qui auront un effet « boule de neige ». Nos données montrent effectivement que l’absence de modèle de réussite féminin dans l’entreprise constitue un obstacle à la carrière managériale des femmes managers.

De plus, nos résultats confirment que la présence d’un mentor est indispensable pour le succès des carrières managériales (Giraud et al., 2019), surtout dans le cas des femmes marocaines. Similairement, la carrière managériale des Marocaines est probablement sujette à des effets de classe et, plus largement, de statuts (capital social, économique, culturel, voire symbolique — proximité avec le politique) (Hanappi-Egger et Ortlieb, 2015).

Enfin, nos résultats font écho au travail de Benschop et al. (2015) qui identifient également la formation, le mentorat et le réseautage (grâce aux contacts effectués lors des formations notamment). En complément, nos données confirment aussi l’efficacité des leviers recrutement, mentorat et culture organisationnelle, déjà repérés dans une entreprise marocaine (Bentaleb, Sahraoui et Sekkak, 2012).

Padavic et al. (2020) ajouteraient que les politiques de diversité qui se cantonnent à mettre en oeuvre la flexibilité du temps de travail ne suffisent pas pour améliorer la carrière managériale des femmes. Pire, selon ces auteurs (2020), cela pourrait, en fait, expliquer la persistance des écarts de carrière inter-genres. En effet, une politique de diversité nécessite également un mouvement authentique et durable de l’ensemble des salariés en faveur de davantage d’inclusion, notamment en termes de leadership (Randel et al., 2018), cela afin de favoriser le sentiment d’appartenance, tout en valorisant les différences.

L’attitude des acteurs-clés à l’égard des marocaines managers

Nos données confirment que les perceptions et convictions des acteurs-clés (conjoints, famille, DG, DRH et supérieurs hiérarchiques) jouent un rôle important dans la carrière managériale des Marocaines. Ce résultat rejoint le travail de Salman (2016) sur l’entrepreneuriat féminin au Maroc qui révèle que les facteurs familiaux (soutien du conjoint et réseau familial) constituent les principaux leviers de réussite de l’activité professionnelle féminine.

Nos données confirment aussi que les responsables (DRH et Direction générale) sont les mieux positionnés pour impulser un mouvement d’inclusion, notamment en montrant l’exemple (Bruna et al., 2017; Tatli et Özbilgin, 2009) et pas uniquement en mettant en place des procédures officielles. L’ouverture à la diversité des responsables a, par ailleurs, été associée à une meilleure performance organisationnelle (Lauring et Villesèche, 2019). Nos résultats suggèrent que le renforcement des valeurs égalitaires, donc de la culture organisationnelle se fait bien à travers des symboles formels et informels (Schein, 1985). L’institutionnalisation du changement d’état d’esprit à travers l’exercice formalisé de nouvelles pratiques devrait donc intervenir à la toute fin du processus de transformation — qui commence d’abord par un travail sur les attitudes et comportements — afin d’ancrer ces nouveaux comportements dans le long terme (Lewin, 1951).

La position des acteurs professionnels influence non seulement l’application des pratiques en faveur des femmes, mais également leur adoption et leur intégration dans la gestion quotidienne de l’entreprise. Ce résultat rejoint les écrits de Cornet et Warland (2008) qui montrent que le style de management des responsables a un effet direct sur la réussite des politiques de diversité. Ces auteurs (2008 : 122) soutiennent que cet élément constitue un facteur-clé au coeur des politiques de diversité et affirment que leur réussite « dépend donc de la façon dont les responsables gèrent et pilotent ce processus de transformation organisationnelle susceptible d’affecter les modes d’organisation du travail ».

De même, Bernard et Silva (2007) insistent sur l’importance de l’appui du Conseil d’administration (CA) et de la Direction en tant qu’impératifs de l’amélioration de l’égalité professionnelle. Ce rôle crucial du positionnement de la Direction convergent également avec les travaux de Powell (1999) qui formule la notion d’attitude organisationnelle à l’égard de la diversité et de l’égalité. Enfin, la taille de l’entreprise est habituellement positivement associée à la présence de femmes dans le CA (Dang et Teulon, 2015), ce qui soulève la question de la présence de femmes managers dans les PME au Maroc (Dang et al., 2017).

Conclusion

L’objet de cet article était double : 1- mettre en lumière les obstacles à la carrière managériale des marocaines; et 2- identifier les leviers efficaces d’une politique de diversité en contexte marocain.

Au plan méthodologique, cette recherche peut comporter quelques limites. Si nos données permettent d’entrevoir une partie de la réalité, il est possible que notre échantillon limité ne puisse conduire à une généralisation de nos résultats. Il est également probable que notre travail souffre d’un effet de « désirabilité sociale » de la part des répondants, notamment parce que les entretiens ont été menés par une femme. Bien que cet effet soit limité grâce à l’anonymisation des réponses, il est probable qu’ « au Maroc, les hommes tiennent des propos généralement plus égalitaires auprès des intervieweuses » (Benstead, 2014 : 369).

La présente recherche apporte des éléments théoriques et empiriques permettant : 1- d’identifier les obstacles à la carrière de manager pour les femmes marocaines; et 2- de mieux comprendre comment les politiques de diversité peuvent être mises en place dans un contexte marocain. Les résultats de cette recherche s’adressent à la fois aux chercheurs en gestion et aux praticiens, car ils viennent apporter un complément aux suggestions de politiques de diversité telles que formulées dans le Rapport du Ministère de la Réforme de l’Administration et de la Fonction Publique, rédigé en partenariat avec ONU Femmes (2018). Sont également identifiés dans cet article les facteurs-clés de succès de politiques de diversité efficaces et d’une réduction des obstacles à la carrière managériale des femmes. Ils devraient pouvoir venir aider les managers marocaines à s’épanouir dans leurs organisations, et ce dans une logique gagnant-gagnant. Enfin, une pression gouvernementale et institutionnelle paraît indispensable si l’on veut garantir l’inclusion des femmes dans les postes de responsabilités et accroître leur présence dans de telles fonctions (Diaz Carrion et al., à paraître; ONU Femmes, 2018).

Le moment paraît d’autant plus approprié que, il y a peu de temps, le printemps arabe a généré « une atmosphère de transition apolitique en faveur de la réforme de la constitution marocaine [en offrant] l’opportunité d’institutionnaliser le principe d’égalité des sexes dans la constitution de 2011. » (Darhour et Dahlerup, 2013 : 132). Il est à espérer que de nouvelles recherches sur les carrières des Marocaines et sur les politiques de diversité au Maroc viendront fournir des arguments supplémentaires qui permettront de soutenir ce type d’initiatives institutionnelles. Une étape ultérieure pourrait être de s’intéresser à l’inclusion des Marocaines dans les postes à très hautes responsabilités, car la présence de femmes à ces niveaux est associée à une meilleure performance organisationnelle (del Carmen Triana et al., 2019). Une féminisation par le haut pourrait donc être particulièrement intéressante dans le cas du Maroc (Scotto, Loth et Tiffon, 2014).