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Ce livre s’inscrit dans la littérature portant sur la gestion du changement dans les organisations. Bien que l’ouvrage adresse des questions classiques en lien avec les stratégies et les retombées du changement, ainsi que leurs effets sur le vécu des acteurs impliqués dans les transformations organisationnelles, les auteurs positionnent le contenu dans une perspective de renouvellement, de recadrage, voire de rupture (en partie) avec des conceptualisations traditionnelles sur le sujet, tant théorique que pratique.
Sur le plan de la structure, cet ouvrage de 372 pages est composé de 12 chapitres, organisés en trois parties, soit : 1- les tendances modernes des études sur la gestion du changement; 2- l’évolution des pratiques en matière de gestion du changement; 3- l’expérience du changement telle que vécue par les acteurs.
Le contenu de la première partie se caractérise par un partage équilibré entre le théorique et l’empirique. Dans un premier temps, le volet théorique revient sur les conceptualisations classiques de la gestion du changement (contexte, contenu, processus et effets), avant de présenter une nouvelle grille organisant les travaux sur le changement en quatre perspectives (processuelle, équivoque, orientée objet et interprétative). Dans ce même volet théorique, une analyse fine des caractéristiques de l’industrie 4.0 expose au lecteur les défis inhérents aux transformations (innovation, changement) actuelles et à venir, en particulier celles relatives à l’organisation du travail, à la compétence et à l’apprentissage des employés, avant de plaider pour une nouvelle approche de recherche, une approche ascendante (ou bottom-up) mettant de l’avant la proactivité des employés dans les épisodes de transformation organisationnelle. Le volet empirique de la première partie introduit deux concepts nouveaux dans la conduite du changement, la « gestion polyphonique » ou multivoix et le « leadership authentique sartrien ». La gestion polyphonique, qui est soutenue par la théorie de l’acteur réseau et ses cinq dispositifs (contextualisation, problématisation, enrôlement, investissement, rallongement du réseau), propose un cadre explicatif permettant de comprendre l’émergence des parties prenantes d’un groupe d’acteurs protagonistes dans un contexte de changement organisationnel de nature ‘entreprise libérée’. Pour le leadership authentique sartrien (leader influence et influencé), il appert que ce style de leadership, axé sur la lucidité, la responsabilité et le respect, est approprié pour régler des situations de dilemmes éthiques (éthique organisationnelle vs éthique professionnelle) en contexte de changements multiples et simultanés.
Dans la seconde partie, un chapitre complet est dédié à la phase d’éveil de tout changement organisationnel. Il comporte deux volets, un rétrospectif (analyse de 24 ouvrages) et l’autre prospectif (étude de cas). De ces deux volets, deux constats semblent se dégager. D’une part, l’incohérence entre l’importance que la recherche accorde à la phase d’éveil et la place de cette phase dans l’enseignement académique des pratiques, et d’autre part, l’importance de la communication durant cette phase. Cette partie ouvre également la discussion sur les grands paradigmes du changement avant de présenter le « changement agile » qui fait partie du paradigme expérientiel et qui permet aux acteurs organisationnels de développer leur capacité à changer en s’appuyant sur quatre grands principes (interaction, outil, collaboration, adaptation) et sur trois grandes phases (définir, expérimenter, ancrer). Cette deuxième partie est également l’occasion de présenter une démarche de « changement de culture » en quatre étapes (diagnostic de la culture, identification des écarts entre les valeurs des gestionnaires et des hauts dirigeants, définition de la culture cible, harmonisation mission-valeur), ainsi que son application empirique auprès d’une municipalité. Le dernier chapitre de cette partie aborde le problème de transfert des connaissances développées sur le changement du milieu académique vers le milieu professionnel. En effet, l’analyse systématique de la documentation (91 articles) révèle un phénomène d’incomplétude ou d’absence des informations communiquées, en particulier celles relevant de la nature, de la raison, du moment, des stratégies de déploiement, de la disponibilité de ressources, des stratégies de communication, ainsi que des élémentsclés du contexte organisationnel.
La troisième et dernière partie permet aux auteurs de revenir sur « l’effet du changement » sur les acteurs impliqués, soit ceux qui sont touchés directement par ces changements. Tout d’abord, les auteurs traitent des attitudes des destinataires (résistance ou engagement) envers le changement en proposant un cadre intégrateur regroupant, en catégories logiques et en relations plausibles, les facteurs individuels (ex. ouverture au changement), les facteurs organisationnels (ex. climat de confiance) et la manière de gérer le changement comme des déterminants aux réactions (ex. émotions) des destinataires du changement. Dans la même lignée des comportements des destinataires du changement, l’étude empirique sur le cynisme a pu identifier 19 comportements dits cyniques ou de cynisme (ex. sarcasme, confrontation, désengagement) à l’égard d’autres acteurs (collègues, gestionnaires) et les intentions qui les motivent (protection, protestation, désir d’améliorer la situation). Les auteurs tentent également de réhabiliter le cynisme en mettant de l’avant trois de ses effets positifs (amorcer la réflexion, envoyer un signal d’alarme, mieux faire passer le changement). Les derniers chapitres du livre amènent la discussion sur les compétences attendues d’un leader dans un contexte rempli de contradictions (paradoxes) et sur l’importance de la communication. Pour les auteurs, il s’agit de contester les démarches linéaires et séquentielles de la gestion du changement afin de promouvoir les habiletés d’un leader authentique (conscience de soi) dans le processus de création et de communication du sens. En dernier lieu, les auteurs abordent la question classique du rôle de la communication, en particulier sa dimension constitutive à travers une étude empirique. Cette dernière permet de présenter la communication non seulement comme un moyen d’expression, mais surtout comme un processus au cours duquel les événements et les changements pourront avoir lieu.
En guise de conclusion, force est de constater que tant par la forme, la variété des sources de son contenu (théorique et empirique), les origines des 26 auteurs (des deux côtés de l’Atlantique), et aussi la perspective critique empruntée et le renouveau proposé, l’ouvrage devrait intéresser autant les académiciens que les praticiens. Toutefois, les thèmes abordés intéresseront plus particulièrement un lectorat plus initié à la littérature sur le changement organisationnel.
Sur le fond, l’ouvrage aborde le thème du changement comme domaine de con-naissances, comme pratiques managériales et comme réalité qui teinte le quotidien de plusieurs, tant les acteurs que les destinataires du changement. Les chapitres ne contribuent pas d’une manière égale à la promesse d’un renouveau annoncée dès les premières pages de l’ouvrage. En fait, la discussion sur l’industrie 4.0, ses impacts sur la nature des changements à venir, ainsi que la tendance vers une conduite du changement ‘bottom-up’ et/ou polyphonique envoie un signal fort aux praticiens sur la nécessité de changer de paradigme. Cependant, la nouvelle grille d’analyse de la littérature (chapitre 1, Tableau 1.3) se recoupe largement avec la grille issue des travaux d’Armenakis et Bedeian (1999)[1] et mobilisée dans la littérature antérieure : on se demande où réside le renouvellement à ce niveau. Les thèmes de l’éveil et de la transposition des connaissances académiques dans la pratique constituent un apport majeur de la deuxième partie de l’ouvrage. Toutefois, il convient de reconnaitre que dans un cadre institutionnel, l’acte d’apprentissage réside dans ce que communique l’enseignant à son apprenti au-delà des manuels utilisés, et que la praxéologie, l’actionnabilité et la dialectique savoir-action dépassent largement les établissements d’enseignement. En somme, à travers les 12 textes, le lecteur se sent guidé dans une logique d’entonnoir, bien réussi, lui permettant d’aller du général (grille d’analyse, paradigme) jusqu’au spécifique (contenu et acteurs du changement). Cet ouvrage peut également se lire en passant d’un à l’autre, selon la séquence qui conviendra le mieux au lecteur.
Appendices
Note
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[1]
Armenakis, A. A. et Bedeian, A. G. (1999) “Organizational Change: A Review of Theory and Research in the 1990s”, Journal of Management, 25 (3), 293-315.