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Introduction

Les entreprises, à travers leurs modes de gestion de la main-d’oeuvre, doivent concilier des besoins de flexibilité et la nécessité d’impliquer et de motiver les salariés; alors que les salariés, pour leur part, cherchent une certaine satisfaction de leur travail et, dans le cas contraire, peuvent décider de quitter l’entreprise. Les processus de décisions de ces deux acteurs de la relation de travail sont donc primordiaux pour comprendre la mobilité professionnelle des salariés. Quel(s) facteur(s) d’insatisfaction incite(nt) le plus les salariés à démissionner ? Comment les stratégies de gestion de la main-d’oeuvre des entreprises se traduisent-elles dans leurs conditions d’emploi et de travail ?

L’article vise précisément à étudier les liens entre la qualité des conditions de travail et d’emploi des salariés, et la nature de la mobilité professionnelle[1], en distinguant si cette dernière repose sur une initiative du salarié (démission) ou de l’employeur (licenciement, fin de contrat). Il contribue ainsi à la littérature traitant de cette question, en donnant des éléments empiriques pour la France. L’une des originalités françaises est l’existence d’un type de mobilité hybride reposant à la fois sur l’initiative du salarié et de l’employeur : la rupture conventionnelle (RC) introduite mi-2008. Comme les démissions, cette modalité de rupture du contrat à durée indéterminée (CDI) donne droit à l’assurance-chômage pour les salariés; et contrairement aux licenciements, les employeurs n’ont pas à la motiver par une quelconque raison. Du fait de cette double initiative inscrite dans la loi et des objectifs qui ont entouré sa création (Berta et al., 2012), nous qualifions cette mobilité de négociée. Elle vient s’ajouter à la mobilité volontaire[2] — les démissions —, et à la mobilité subie pour le salarié, puisque c’est l’employeur qui en est à l’initiative, c’est-à-dire les licenciements (pour motif personnel ou économique) et les fins de contrats à durée déterminée (CDD). Nous considérons donc sur le même plan l’ensemble des mobilités des salariés, quel que soit leur type d’emploi (CDI ou CDD), afin de présenter une analyse complète des corrélations statistiques entre ces deux phénomènes — conditions de travail et d’emploi, et nature de la mobilité professionnelle. Pour cela, nous nous appuyons sur des données quantitatives issues de l’enquête Santé et Itinéraire Professionnel (SIP) décrivant les trajectoires professionnelles des salariés entre 2006 et 2010[3].

La suite de l’article s’organise en quatre grandes parties. Dans la première, nous présentons les arguments théoriques permettant d’appréhender la nature des liens entre les conditions de travail et d’emploi des salariés et la forme prise par leur mobilité professionnelle. Dans la deuxième partie, une revue de littérature est réalisée : elle traite des connaissances empiriques actuelles sur la nature de ces liens. Ensuite, dans la troisième partie, nous décrivons la base de données mobilisée et les principales variables explicatives, en particulier les indicateurs de conditions de travail construits et les aspects de qualité des emplois considérés. Enfin, dans la quatrième partie, nous présentons la démarche empirique et analysons les résultats des estimations économétriques.

Cadre théorique et hypothèses

Après avoir présenté théoriquement comment et dans quel contexte se forment les choix des acteurs, nous synthétisons ces facteurs explicatifs dans le concept de ‘qualité du travail et de l’emploi’, à partir duquel nous explicitons finalement nos hypothèses.

Choix des salariés de quitter leur emploi

La littérature économique sur les décisions du salarié de quitter son emploi en fonction de sa satisfaction dans l’emploi actuel (Freeman, 1978; Hamermesh, 1977) montre un lien négatif entre satisfaction et démission, à partir du moment où un autre emploi procurerait au salarié un niveau de satisfaction plus élevé que son emploi actuel (Lévy-Garboua et al., 2007). Plus précisément, la satisfaction peut refléter certains aspects du travail (salaire, temps de travail) et renvoyer aux conditions de travail du salarié et aux pratiques de GRH mises en place par les employeurs (Griffeth et al., 2000), ainsi qu’à la possibilité d’exprimer son mécontentement par la voix des syndicats (Hirschman, 1970). Certaines approches considèrent ainsi, dans un sens de causalité unique, que les conditions de travail influencent la satisfaction, qui elle-même influence les intentions de départ des salariés (Scott et al., 2006; Zeytinoglu et al., 2007; Böckerman et Ilmakunnas, 2009; Garcia-Serrano, 2011). Dans la lignée de ces travaux, nous nous intéressons non pas directement à la satisfaction du travail, mais aux conditions dans lesquelles se déroulent la relation d’emploi comme proxy plus objectif de la satisfaction du salarié, c’est-à-dire ses conditions d’emploi et de travail[4] (voir Figure 1 – colonne 1).

Figure 1

Cadre analytique des liens entre la qualité des conditions de travail et d’emploi et la nature de la mobilité

Cadre analytique des liens entre la qualité des conditions de travail et d’emploi et la nature de la mobilité

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Toutefois, ce lien direct entre insatisfaction des conditions de travail et d’emploi et choix des salariés de quitter leur emploi doit être, à notre sens, relativisé, c’est-à-dire « contextualisé » par des caractéristiques pouvant limiter en pratique leur champ des possibles (voir Figure 1 – colonne 1). En effet, s’inspirant de l’approche basée sur les « capabilités » de Sen (2000), nous considérons que les choix des salariés dépendent de leurs réelles ‘capacités à construire leur trajectoire professionnelle. En conséquence, certaines caractéristiques des salariés vont influencer leurs décisions et choix : par exemple, le sexe, le contexte familial[5] ou, encore, la position socio-professionnelle qu’ils occupent.

Pratiques des entreprises en matière de gestion de la main-d’oeuvre et stratégie de fidélisation des salariés

Le second cadre théorique conceptualise les pratiques de ressources humaines comme un ensemble cohérent répondant soit à une volonté de s’appuyer sur une main-d’oeuvre flexible nécessaire pour réagir rapidement aux fluctuations économiques de son secteur et/ou marché, soit à une volonté de fidéliser, motiver et impliquer ses salariés. Il s’appuie sur deux types de littérature. D’abord, les théories de la segmentation (Doeringer et Piore, 1971; Osterman, 1987) qui structurent le marché du travail en un segment primaire constitué autour des marchés internes et dans lequel les relations d’emploi sont longues[6], et un segment secondaire marqué par une flexibilité de la main-d’oeuvre. Ensuite, dans la continuité de ces théories et dans le champ de la GRH et des relations industrielles (employment relations), la littérature autour des High-Performance Work Systems (HPWS) considèrent l’usage de certaines dimensions de pratiques RH comme une stratégie d’engagement de long-terme, d’implication et de motivation des salariés dans l’entreprise[7] (Becker et Huselid, 1998; Appelbaum et Batt, 1994). Il s’agit plus précisément de dispositifs d’enrichissement du travail et de management participatif (cercle de qualité, travail en équipe autonome, groupes de résolution de problèmes, etc.), d’autonomie, d’incitations de long-terme à s’engager dans le travail (hauts salaires, primes d’intéressement/participation, sécurité de l’emploi, formation), et d’opportunités de mobilités internes. Sans entrer dans le débat sur la performance organisationnelle des HPWS, c’est le lien entre ces pratiques RH et le niveau et les formes de la mobilité qui nous intéresse ici. Elles conduiraient, en effet, à des taux de rotation de la main d’oeuvre (turnover) plus faibles, d’abord à travers les démissions (Batt, 2002; Huselid, 1995)[8], mais également les licenciements en réduisant les problèmes disciplinaires qui pourraient en être à l’origine[9] (Batt et Colvin, 2011).

Ces approches s’intéressent donc à la manière dont les employeurs utilisent des règles d’organisation interne dans le but d’atteindre leurs objectifs en termes de production, coûts et rentabilité, et in fine de rotation de la main-d’oeuvre (turnover). Tout en s’inscrivant dans ce cadre théorique, nous écartons de notre analyse les dispositifs d’enrichissement du travail et de management participatif, non présents dans notre base de données (cf. infra), pour nous concentrer sur les pratiques incitant les salariés à s’engager sur le long-terme et leur donnant plus d’autonomie. Ces liens sont résumés dans la Figure 1 – colonne 2.

Qualité des conditions de travail et d’emploi et lien avec la mobilité professionnelle - Hypothèses

Ces deux cadres théoriques ont en commun le type de facteurs qui peuvent influencer la mobilité professionnelle des salariés, que l’on regroupe dans le concept général de qualité du travail et de l’emploi. Nous nous appuyons d’abord sur la littérature qui insiste sur le caractère multidimensionnel de ce concept (Guergoat-Larivière et Marchand, 2012; Muñoz de Bustillo et al., 2009; Brolis et Devetter, 2018, pour une application récente au cas de la France). Du fait de la disponibilité des variables dans notre base de données, nous nous focalisons par la suite sur les dimensions de la rémunération, du temps de travail, de l’accès à la formation professionnelle et des conditions de travail[10].

Nous mobilisons, ensuite, la littérature socio-économique sur les conditions de travail, détaillant ses différentes dimensions (Gollac et al., 2014). En France, le Rapport du Collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail (Gollac et Bodier, 2009) définit six facteurs de risques psychosociaux (RPS) : l’intensité du travail et temps de travail, les exigences émotionnelles, l’autonomie, les rapports sociaux au travail, les conflits de valeur, l’insécurité de la situation de travail. Certaines de ces dimensions font explicitement référence au modèle de Karasek (1979) qui distingue quatre situations de travail différentes (Figure 2) : 1- la situation de passivité qui combine une faible latitude décisionnelle (Job Decision Latitude) et de faibles exigences du travail (Job Demands); et 2- se transforme en situation d’activité si la latitude décisionnelle augmente; 3- la situation de faible tension qui associe une latitude décisionnelle élevée à de faibles exigences du travail; et 4- devient une situation de forte tension lorsque les exigences du travail sont plus importantes.

Figure 2

Le modèle de Karasek

Le modèle de Karasek
Source: Karasek (1979), p. 288.

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Ainsi, trois hypothèses principales découlent du cadre analytique utilisé et résumé dans la Figure 1 :

  1. les mobilités choisies, subies et négociées devraient diminuer avec des aspects de la qualité des conditions d’emploi incitant le salarié à s’engager sur le long-terme avec l’entreprise (rémunération plus élevée, travail à temps plein, accès à la formation facilitée);

  2. les mobilités choisies et négociées devraient diminuer avec des dimensions de la qualité des conditions de travail permettant des situations moins contraignantes, moins tendues et plus autonomes, et ainsi plus satisfaisantes pour les salariés;

  3. les mobilités subies — notamment les licenciements — devraient augmenter dans un environnement de travail défavorable à de meilleures conditions de travail. En effet, de manière individuelle, des exigences de travail élevées pourraient conduire à davantage d’erreurs ou fautes des salariés, pouvant entraîner leur licenciement (pour motif personnel); alors que de manière collective, un plan de licenciements économiques peut dégrader les conditions de travail des salariés restant.

Néanmoins, le choix individuel de quitter son emploi de manière volontaire ou négociée face à une qualité des conditions d’emploi et/ou de travail insatisfaisante est conditionné par d’autres caractéristiques, à savoir la position socioprofessionnelle (peu qualifiée), le sexe (femmes), la situation familiale (célibataire avec enfants) ou encore la trajectoire d’emploi antérieure (instable ou avec déclassement). Ces caractéristiques tendraient à diminuer la capacité réelle de l’individu à quitter son emploi volontairement.

Littérature empirique

La littérature mettant en lien la nature de la mobilité professionnelle ‘effective’[11] avec la qualité des conditions de travail d’une part, et avec celle des conditions d’emploi d’autre part, est plus importante à l’étranger qu’en France. Quelques résultats saillants s’en dégagent.

Qualité des conditions de travail et nature de la mobilité

Les conditions de travail semblent jouer un rôle important dans les décisions de mobilité volontaire des salariés. Quelques études sur données françaises montrent une relation positive entre les mobilités volontaires d’emplois à emplois et l’exposition aux RPS, en premier lieu le manque de liberté dans le travail et de mauvaises relations avec les collègues (Fontaine et al., 2016), mais également la recherche d’un emploi moins pénible ou dont le rythme de travail est plus modulable (Filatriau et Noüel de Buzonnière, 2011). Quelle que soit la situation après la mobilité, des aspirations de reconnaissance professionnelle ou d’autonomie dans le travail tendent également à influer positivement sur la probabilité de démissionner des jeunes salariés (Portela et Signoretto, 2017). Les résultats sont similaires sur données étrangères : de mauvaises conditions de travail tendent à augmenter les départs volontaires ou les intentions de départ (Garcia-Serrano, 2004 et 2011, sur données espagnoles), et, en particulier, le travail de nuit, les contraintes physiques et les mauvaises relations avec la hiérarchie (Cottini et al., 2011, sur données danoises), la charge de travail mentale (Böckerman et Ilmakunnas, 2009, sur données finlandaises) et l’autonomie au travail (Barel et al., 2009, sur données européennes).

En ce qui a trait à la mobilité négociée (RC), les départs des salariés seraient liés à une insatisfaction de l’emploi ou des relations de travail, plus qu’à un véritable projet professionnel ou une opportunité d’emploi future (Bourieau, 2013). Lorsque ce sont les salariés qui sont à l’initiative de la rupture, ces raisons seraient également plutôt de nature conflictuelle au sein de l’entreprise (Dalmasso et al., 2012).

Enfin, des conditions de travail dégradées apparaissent positivement liées avec des contrats temporaires ou des licenciements (Garcia-Serrano, 2004). En France, c’est la peur de perdre son emploi qui apparaît corrélé positivement avec la mobilité subie (Fontaine et al., 2016), mais le sens de la causalité est complexe : la mise en place d’un plan de licenciements économiques contribue à dégrader les conditions de travail des salariés qui restent dans l’entreprise (Fontaine et al., 2016; Bourguignon et al., 2008). Le lien entre situation économique des entreprises et risques psychosociaux est ainsi robuste : l’intensité du travail est, par exemple, plus forte dans les établissements « en crise » (Coutrot, 2015).

Qualité des conditions d’emploi et nature de la mobilité

D’après la littérature sur données françaises, la mobilité volontaire du salarié augmente avec un faible niveau de salaire et/ou la perspective d’un salaire plus important (Filatriau et Noüel de Buzonnière, 2011; Portela et Signoretto, 2017). Une politique salariale généreuse s’accompagne ainsi d’un faible niveau de démissions (Duhautois et al., 2011). Être dans un emploi à temps partiel peut aussi pousser le salarié à démissionner (Amossé et al., 2009; Portela et Signoretto, 2017). Enfin, le niveau de qualification du salarié est un autre facteur explicatif de la mobilité volontaire (Filatriau et Noüel de Buzonnière, 2011; Portela et Signoretto, 2017), reflétant l’inégale capacité des salariés à une mobilité « positive » d’emploi à emploi ou ascendante.

La littérature étrangère s’intéresse aux pratiques RH et à ses liens avec la mobilité des salariés, surtout via les démissions (ou intentions de) (Hausknecht et Trevor, 2011). Ainsi, des pratiques RH incitatives à l’engagement des salariés sur le long terme — testées par des variables séparées comme le salaire et les opportunités de mobilités internes — s’accompagnent d’un faible niveau de démissions (Batt et al., 2002, sur données industrielles américaines). Au contraire, selon cette même étude, une augmentation de la proportion de travailleurs à temps partiel augmente le taux de démission. Confirmant ces résultats, Batt et Colvin (2011, sur données américaines) montrent, à l’aide d’un indicateur synthétique, que des entreprises mettant en place des pratiques de marché interne (mobilité interne, politiques salariales, de mobilité et de stabilité de l’emploi) ont des taux plus faibles de démissions et de licenciements. Le lien entre une politique de salaires élevés et une stabilisation de la main-d’oeuvre, y compris à travers une baisse des licenciements, est également mis en évidence par Leonard et Van Audenrode (1996). Enfin, la corrélation négative entre participation à des formations et mobilité est également démontrée, via les démissions (Garcia-Serrano, 2011, sur données espagnoles; Haines et al., 2010, sur données canadiennes), et via les licenciements par Álvarez et Carrasco[12] (2016 sur données espagnoles).

L’enquête SIP : une source pertinente au regard de la problématique posée

Construction de l’échantillon

Nous exploitons le panel constitué entre 2006 et 2010 de l’enquête française Santé et Itinéraire professionnel[13], qui permet de relier les caractéristiques des conditions de travail et des trajectoires professionnelles des individus, et leur état de santé[14]. Nous suivons l’itinéraire professionnel des individus en emploi en 2006, qui ont répondu aux questions sur les conditions de travail et ont été réinterrogés en 2010. Cela permet de repérer, parmi eux, les individus qui ont connu une rupture d’emploi entre 2006 et 2010 et, dans ces cas, les conditions de travail de l’emploi renseignées en 2006 pourront être mises en lien avec le type de rupture connue postérieurement. Seule la première rupture d’emploi est prise en compte afin de bien faire correspondre l’emploi auquel il vient d’être mis fin et ses caractéristiques. Pour les individus n’ayant pas eu de mobilité, nous étudions également les conditions de travail renseignées en 2006. À l’issue de ces différentes étapes et après restriction de l’échantillon au niveau sectoriel et de certains statuts professionnels[15], l’échantillon final est constitué de 5 370 individus salariés.

Plusieurs indicateurs pour mesurer la qualité du travail et de l’emploi

Dans l’interrogation SIP-2006, les personnes en emploi décrivent leurs conditions de travail à travers 29 questions, chacune comportant quatre modalités (jamais, parfois, souvent, toujours). Nous les répartissons en huit dimensions, selon les typologies habituellement utilisées dans la littérature française sur les conditions de travail et les RPS (Gollac et Bodier, 2009; Coutrot et Mermilliod, 2010[16]; Mette et al., 2013; Beque, 2014) : les contraintes horaires, les contraintes physiques (et chimiques), les exigences du travail, les exigences émotionnelles, les contraintes en matière d’autonomie, les rapports sociaux et relations de travail, les conflits de valeur et l’insécurité socio-économique (Tableau 1).

Tableau 1

Conditions de travail et RPS, selon 8 dimensions

Conditions de travail et RPS, selon 8 dimensions

Note : ** pour ces variables, la question est posée de manière positive et non en termes de contraintes, nous les avons donc recodé et avons modifié leur intitulé pour une meilleure cohérence.

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Pour exploiter l’ensemble de ces réponses, deux méthodes sont utilisées : d’abord, des scores d’exposition à des conditions de travail contraignantes, et, ensuite, une typologie de situations créée en référence au modèle de Karasek.

Des scores de conditions de travail selon la dimension considérée

À l’instar de Mette et al. (2013), les scores d’exposition aux conditions de travail sont construits en attribuant une valeur pour chaque modalité de réponse aux 29 questions posées (de 0 pour jamais à 3 pour toujours). Chaque dimension ne comportant pas le même nombre de questions, nous calculons une moyenne pour chaque score. Le score global est, ensuite, obtenu en additionnant les huit scores, de sorte que chacun contribue pour le même poids à l’indicateur global. Le score moyen d’exposition aux conditions de travail des individus de notre échantillon en emploi en 2006 est ainsi de 5 sur un maximum de 18[17] (Tableau 2). La dimension des exigences psychologiques du travail apparaît la plus élevée, devant celles des exigences émotionnelles, puis des contraintes physiques et des problèmes de rapports sociaux.

Tableau 2

Statistiques descriptives des scores de qualité des conditions de travail

Statistiques descriptives des scores de qualité des conditions de travail

Champ : Individus en emploi en 2006 ayant répondu aux questions sur les conditions de travail et réinterrogés en 2010, en cas de mobilité, c’est le 1er changement d’employeur qui est retenu ; hors secteurs agricole et construction, hors indépendants, artisans, commerçants et chefs d’entreprise.

Source : Enquête SIP 2006-2010 (panel), Drees-Dares, calculs de l’auteure, données pondérées.

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Des différences de moyenne des scores apparaissent selon le type de mobilité (Figure 3) : le score global est le plus élevé pour les individus partant avec une RC, alors qu’il est le plus faible pour les individus restant dans l’entreprise; les scores associés aux salariés licenciés, en fin de contrat, ou démissionnaires apparaissent également plus élevés que la moyenne. Par dimension, les moyennes des scores de contraintes en matière d’autonomie et d’insécurité socio-économique sont plus élevées pour les salariés en fin de contrat; tandis que celles des scores de conflits de valeurs, d’exigences du travail et de rapports sociaux sont plus élevées pour les salariés ayant signé une RC.

Figure 3

Moyennes des scores de conditions de travail selon le type de mobilité

Moyennes des scores de conditions de travail selon le type de mobilité

Champ : Individus en emploi en 2006 ayant répondu aux questions sur les conditions de travail et réinterrogés en 2010, en cas de mobilité, c’est le 1er changement d’employeur qui est retenu; hors secteurs agricole et construction, hors indépendants, artisans, commerçants et chefs d’entreprise.

Source : Enquête SIP 2006-2010 (panel), Drees-Dares, calculs de l’auteure, données pondérées.

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Une typologie de situations créée à partir du modèle de Karasek

Nous construisons également une typologie de situations correspondant au modèle de Karasek (1979) à partir de ses deux dimensions principales : 1- l’intensité et la complexité des exigences du travail auxquelles le travailleur est soumis; et 2- les marges d’autonomie dont il dispose pour faire face à ces exigences[18]. Pour créer ces situations, nous utilisons la méthode de Guignon et al. (2008), tout en l’adaptant à nos données[19] :

  • Un score est créé pour ces deux dimensions : le score d’exigences du travail construit ici ne comprend que 3 des 5 questions utilisées dans le score précédent (« Il est demandé d’effectuer une quantité de travail excessive »; « Travail sous pression »; « Doit penser à trop de choses à la fois »); alors que le score de latitude décisionnelle est l’inverse du précédent score intitulé ‘contraintes en matière d’autonomie’ pour que, cette fois, il ne désigne non pas des contraintes mais des marges de manoeuvre.

  • La médiane de chacun de ces scores est, ensuite, calculée : elle prend une valeur de 6 pour le score des exigences du travail et une valeur de 11 pour le score de latitude décisionnelle.

  • Enfin, les quatre situations du modèle sont construites afin que chaque combinaison de situation se situe par rapport à cette médiane. Par exemple, la situation de forte tension (job strain) est la combinaison d’un score de latitude décisionnelle inférieure à la médiane et d’un score d’exigences du travail supérieure à la médiane. Le Tableau 3 donne la répartition de l’échantillon dans les quatre situations créées.

Tableau 3

Les quatre situations du modèle de Karasek

Les quatre situations du modèle de Karasek

Champ : Individus en emploi en 2006 ayant répondu aux questions sur les conditions de travail et réinterrogés en 2010, en cas de mobilité, c’est le 1er changement d’employeur qui est retenu; hors secteurs agricole et construction, hors indépendants, artisans, commerçants et chefs d’entreprise.

Source : Enquête SIP 2006-2010 (panel), Drees-Dares, calculs de l’auteure, données pondérées.

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Construites à partir d’une source différente, nos résultats diffèrent logiquement de l’article de Guignon et al. : c’est surtout au niveau des situations de passivité et d’activité où les différences de proportion sont les plus fortes (pour la première, 36,8% ici vs 25,3% chez Guignon et al., et pour la seconde respectivement 10,7% vs 26,7%); celle de forte tension rassemblant plus d’individus (29,2%) par rapport à Guignon et al. (23,2%).

En outre, ces situations se distinguent par un certain nombre de caractéristiques (Tableau 4). Si l’on se concentre uniquement sur les liens avec la mobilité, il apparaît que la situation de forte tension est associée à une plus grande mobilité, via les démissions et les licenciements; que la modalité ‘fins de contrat’ est surreprésentée dans la situation de passivité; et que les RC sont légèrement surreprésentées dans la situation d’activité.

Tableau 4

Statistiques descriptives de l’échantillon, selon les situations de conditions de travail de Karasek (en %)

Statistiques descriptives de l’échantillon, selon les situations de conditions de travail de Karasek (en %)

Tableau 4 (continuation)

Statistiques descriptives de l’échantillon, selon les situations de conditions de travail de Karasek (en %)

Champ : Individus en emploi en 2006 ayant répondu aux questions sur les conditions de travail et réinterrogés en 2010, en cas de mobilité, c’est le 1er changement d’employeur qui est retenu; hors secteurs agricole et construction, hors indépendants, artisans, commerçants et chefs d’entreprise.

Note : * Pour les emplois courts, les seules informations disponibles pour le temps de travail et la taille de l’entreprise correspondent respectivement au temps suivant lequel l’enquêté a travaillé le plus souvent et la taille de l’entreprise qui l’employait le plus souvent. Ces caractéristiques ne correspondent donc pas forcément (13% des cas) à celles de l’emploi qui a donné lieu à la rupture sans que l’on puisse le savoir précisément.

Source : Enquête SIP 2006-2010 (panel), Drees-Dares, calculs de l’auteure, données pondérées (sauf pour l’ensemble comme indiqué).

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Les variables de qualité de l’emploi et de « contextualisation » des décisions du salarié

Dans la logique de notre cadre théorique et suivant la littérature présentée précédemment, nous retenons trois variables de qualité des emplois : 1- niveau de salaires des individus; 2- nature de leur temps de travail; et 3- accès à la formation[20]. La trajectoire antérieure[21], la position professionnelle, le sexe et la situation familiale sont également examinés puisque ce sont des variables informant de la réelle capacité des salariés à organiser leur mobilité (Bruyère et Lizé, 2010; Amossé et al., 2009, 2011; Portela et Signoretto, 2017).

Enfin, des variables de contrôle, caractérisant l’individu ou l’entreprise, sont intégrées dans les régressions : âge pour les individus, secteurs d’activité et tailles d’effectifs pour les entreprises.

Analyser les liens entre les conditions de travail et d’emploi des salariés et la nature de leur éventuelle mobilité

Stratégie empirique

Pour tester nos hypothèses, un modèle logit multimodal permet d’estimer la probabilité pour un individu de connaître une rupture de la relation d’emploi — ‘rupture conventionnelle’, ‘démission’, ‘licenciement’, ‘fin de contrat’ (fins de CDD ou de mission d’intérim), ‘autres cas[22]’ —, par rapport à ne pas avoir eu de mobilité (modalité de référence ‘pas de rupture’). Plusieurs régressions sont estimées, selon la variable d’intérêt sur la qualité des conditions de travail introduite dans le modèle : l’une avec les situations du modèle de Karasek, une autre avec le score de contraintes globales de conditions de travail, et une dernière avec les 8 scores de contraintes par dimension des conditions de travail.

Pour une lecture plus facile des résultats, c’est-à-dire éviter d’interpréter les coefficients en termes de probabilités relatives par rapport à la référence ‘pas de rupture’, nous calculons les effets marginaux moyens[23] pour chaque variable explicative et selon chaque modalité de la variable d’intérêt. Nous pouvons alors interpréter les liens estimés en variation de points de pourcentage pour l’ensemble des six modalités de la variable de mobilité (Afsa Essafi, 2003).

Résultats des estimations

Des décisions des salariés davantage liées aux conditions d’emploi qu’aux conditions de travail, et fortement dépendantes des capacités individuelles

Trois caractéristiques de l’emploi semblent inciter les salariés à partir de leur entreprise, principalement de manière volontaire (Tableau 5). Être à temps partiel augmente ainsi de 3,5 points de pourcentage la probabilité de connaître une démission (Portela et Signoretto, 2017; Amossé et al., 2009), ce qui peut être le signe d’un temps partiel subi et d’une volonté de trouver un emploi à temps plein. De faibles revenus salariaux sont également associés positivement avec la mobilité volontaire via les démissions (Filatriau et Noüel de Buzonnière, 2011), ce choix pouvant refléter l’existence d’une opportunité d’emploi avec un salaire plus élevé. Toutefois, ce résultat doit être relativisé puisque des faibles rémunérations sont également associées à des mobilités subies (cf. supra). Enfin, avoir suivi une (seule) formation longue par rapport à aucune, augmente la probabilité de connaître une mobilité, sans être associé à un type de mobilité particulière. Ce sont des situations d’accumulation de compétences transférables hors de l’entreprise qui pourraient inciter le salarié à partir, contrairement à des formations permettant d’acquérir des compétences spécifiques à l’entreprise.

Tableau 5

Effets marginaux moyens des différentes caractéristiques du travail et de l’emploi sur la probabilité de mobilité (en points de pourcentage)

Effets marginaux moyens des différentes caractéristiques du travail et de l’emploi sur la probabilité de mobilité (en points de pourcentage)

Tableau 5 (continuation)

Effets marginaux moyens des différentes caractéristiques du travail et de l’emploi sur la probabilité de mobilité (en points de pourcentage)

*** p<0,01, ** p<0,05, * p<0,1

Champ : Individus en emploi en 2006 ayant répondu aux questions sur les conditions de travail et réinterrogés en 2010, en cas de mobilité, c’est le 1er changement d’employeur qui est retenu; hors secteurs agricole et construction, hors indépendants, artisans, commerçants et chefs d’entreprise.

* Pour les emplois courts, les seules informations disponibles pour le temps de travail et la taille de l’entreprise correspondent respectivement au temps suivant lequel l’enquêté a travaillé le plus souvent et la taille de l’entreprise qui l’employait le plus souvent.

Note de lecture : Être dans une situation de « forte tension » au sens de Karasek augmente de 2,18 points de pourcentage la probabilité de connaître un licenciement.

Source : Enquête SIP 2006-2010 (panel), Drees-Dares, calculs de l’auteure.

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Concernant les liens entre conditions de travail et choix de la mobilité, seul le score de « rapports sociaux, relations de travail » est positivement corrélé aux ruptures conventionnelles (Tableau 6) : de mauvaises relations de travail et un manque de reconnaissance semblent inciter les salariés à négocier une RC pour partir de leur entreprise (+0,6 point de pourcentage). On retrouve ici un résultat proche de celui dégagé dans Fontaine et al. (2016) sur la même enquête, ainsi que dans Portela et Signoretto (2017) concernant les jeunes débutants démissionnaires et leur besoin de reconnaissance.

Tableau 6

Effets marginaux moyens des scores de conditions de travail sur la probabilité de mobilité (en points de pourcentage)

Effets marginaux moyens des scores de conditions de travail sur la probabilité de mobilité (en points de pourcentage)

*** p<0.01, ** p<0.05, * p<0.1

Champ : Individus en emploi en 2006 ayant répondu aux questions sur les conditions de travail et réinterrogés en 2010, en cas de mobilité, c’est le 1er changement d’employeur qui est retenu; hors secteurs agricole et construction, hors indépendants, artisans, commerçants et chefs d’entreprise.

Note : Comme explicité en section 4.1, deux modèles différents sont estimés ici : l’un avec le score global de conditions de travail et l’ensemble des autres variables explicatives utilisées dans le modèle précédent (Tableau 4) dont les coefficients ne sont pas reproduits ici; l’autre avec les huit scores par dimensions et l’ensemble des autres variables explicatives. Les résultats avec l’ensemble des variables sont disponibles sur demande à l’auteure.

Source : Enquête SIP 2006-2010 (panel), Drees-Dares, calculs de l’auteure.

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Ces résultats confirment donc l’hypothèse de départs volontaires ou négociées des salariés en raison d’une possible insatisfaction de la qualité de leur emploi — temps partiel et salaire relativement faible —, et de la qualité de leur travail — relations de travail et reconnaissance. Ils rejoignent également des résultats similaires présents dans la littérature étrangère mentionnée dans notre deuxième partie. Toutefois, le lien entre l’insatisfaction par rapport aux conditions de travail et la mobilité choisie par le salarié n’apparaît qu’à travers une seule dimension, comme si elles ne jouaient pas un rôle si déterminant dans la décision du salarié, une fois contrôlées d’autres caractéristiques. Une insatisfaction nouvelle des salariés vis-à-vis de leur travail peut ainsi ne pas déclencher de décision à la mobilité (Wolff et al., 2015 qualifient cette situation de changement de « relégation »).

Cependant, si des salariés insatisfaits de leurs conditions d’emploi et/ou de travail peuvent décider de partir de leur entreprise, tous n’ont pas les mêmes capacités à une mobilité choisie. Par exemple, être une femme tend à diminuer de presque un point de pourcentage la probabilité de conclure une RC (Tableau 5[24]). Si les femmes ont de manière générale un risque plus grand de mobilités peu favorables (Erhel et Guergoat-Larivière, 2013; Amossé et al., 2011), ce résultat-ci peut cacher une propension plus faible des femmes à négocier quoique ce soit avec leur employeur (sur l’exemple du salaire, cf. Babcock et Laschever, 2003). Signe également d’une capacité inégale à la mobilité, avoir eu une trajectoire antérieure descendante, par rapport à une trajectoire de référence de type stationnaire qualifiée, diminue la probabilité de signer une RC (-1,56 points), le maintien en emploi apparaissant alors comme une priorité par rapport au risque encouru par une mobilité supplémentaire (Bruyère et Lizé 2010). Enfin, les caractéristiques familiales influencent de manière plus complexe la mobilité[25]. D’une part, il apparaît qu’une situation de célibat est plus souvent associée à une situation de précarité (fin de contrat), mais qu’elle est moins associée à des licenciements et démissions, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que les célibataires aient plus de mobilités choisies (Amossé, 2003). D’autre part, le fait d’avoir des enfants semble augmenter la mobilité, plus souvent de manière subie (fin de contrat pour les couples avec enfants; licenciement pour les célibataires avec enfants) mais aussi négociée (RC pour les célibataires avec enfants). Cela peut être dû à un effet statistique mécanique dans la mesure où les salariés avec enfants seront moins susceptibles de le quitter volontairement et, par conséquent, leur mobilité sera plus souvent subie.

Concernant la position professionnelle, les cadres et professions intellectuelles supérieures ont une probabilité plus forte de connaître une mobilité, notamment volontaire (+4,52 points de pourcentage), par rapport aux professions intermédiaires. Cela traduit bien le fait que ces salariés auraient plus de « moyens » pour partir (Portela et Signoretto, 2017; Bruyère et Lizé, 2010). Quant aux employés, ils ont une probabilité plus faible de démissionner (-3,67 points de pourcentage), mais plus forte de conclure une RC (+1,59 points). Cette catégorie de salariés a pu se saisir de la RC comme nouvelle opportunité de mobilité, plus sécurisante qu’une démission (droit à l’assurance-chômage).

Des cumuls de difficultés en matière de conditions de travail et de mobilité pour les salariés, plus que des pratiques d’entreprise « fidélisatrices »

D’après le Tableau 5, les hauts salaires se distinguent par une probabilité moins forte de conclure une RC par rapport aux revenus moyens (-1,4 points de pourcentage), ce qui pourrait être expliqué par une stratégie de fidélisation des salariés de la part de l’entreprise avec une politique salariale généreuse (Duhautois et al., 2011; Leonard et Van Audenrode, 1996). Dans une même logique, les salariés ayant eu plusieurs formations de plus d’un an dans l’entreprise semblent moins enclins à en partir, notamment de manière volontaire (démission). Ce résultat est cohérent avec ceux obtenus par ailleurs (Zweimüller et Winter-Ebmer, 2003). Comme précisé précédemment, le type de formation (compétences spécifiques ou transférables), mais aussi l’initiative de la formation (salarié ou employeur), pourraient expliquer les différences de résultats entre le nombre de formation et le signe de la relation avec la mobilité. Nous n’avons malheureusement pas ces informations dans l’enquête SIP.

Si ces deux résultats vont dans le sens de pratiques d’entreprises visant à fidéliser leurs salariés dans une logique segmentationniste ou HPWS, la majorité des autres résultats vont plutôt dans le sens d’un cumul pour les salariés de difficultés en matière de conditions de travail et de rémunérations d’un côté, et de mobilités subies de l’autre.

En effet, de faibles rémunérations (inférieures à 1400€) sont associées positivement à des licenciements et fins de contrat. Une situation de forte tension au sens de Karasek, par rapport à une situation de passivité, augmente également la probabilité de licenciement (+1,18 points); on retrouve cette même corrélation avec le score global de contraintes et le score d’exigences du travail (Tableau 6). D’un côté, de fortes exigences et/ou pression au travail peuvent pousser le salarié à commettre plus de fautes, ce qui pourrait justifier son licenciement. De l’autre, ce résultat peut cacher une relation de causalité inverse : des taux de licenciements élevés dans les entreprises peuvent augmenter l’intensité du travail et dégrader les relations de travail, comme l’ont déjà montré d’autres études (e.g. Fontaine et al., 2016). Mais ce dernier lien serait davantage le fait de licenciements économiques qui sont en réalité minoritaires dans l’ensemble des licenciements en France (Signoretto, 2019). Enfin, le fait de travailler avec la peur de perdre son emploi (insécurité socio-économique) est associé aux ruptures subies — licenciement et fins de contrats — (resp. de +0,73 point et 1,24 points), retrouvant là le résultat de l’étude de Fontaine et al. (2016) sur la même enquête.

Ainsi, avoir un CDI n’évite pas en France d’avoir un sentiment d’insécurité de l’emploi, rejoignant l’analyse en termes de « CDI fragilisés » de Rouxel (2009). Ces derniers résultats associant mauvaises conditions de travail et mobilités subies convergent avec une étude sur le cas espagnol (Garcia-Serrano, 2004). Ce dernier interprète ce résultat de deux façons : l’occupation des emplois/métiers de mauvaises qualité par les travailleurs les plus à risque en termes de mobilités; et une fois les caractéristiques d’emplois contrôlées, l’existence de stratégies d’entreprises reposant sur une flexibilité de l’emploi dans un objectif de baisse des coûts de production. Dans une logique ‘segmentationniste’, la France se caractériserait donc plutôt par une association entre flexibilité — y compris en CDI — et mauvaises conditions de travail et d’emploi (salaire) pour une partie des entreprises et des salariés. Cela suggérait de creuser davantage en termes de secteurs d’activité et de métiers pour repérer ceux concernés par ces pratiques, étant donné la forte dépendance en France des logiques sectorielles ‘segmentationnistes’ (Lizé et Bruyère, 2012). Nos résultats (Tableau 5) montrent d’ailleurs bien des corrélations positives entre des mobilités subies (fin de contrat et/ou licenciements) et certains secteurs — industrie, services aux entreprises, commerce et éducation/santé.

Enfin, trois autres résultats lient conditions de travail et mobilité, dans un sens plus inattendu. D’après le Tableau 6, une corrélation négative apparaît entre de fortes contraintes physiques et les licenciements, de même entre de fortes exigences du travail et les fins de contrat, ou encore entre de fortes exigences émotionnelles et les RC. Un effet métier lié à des pratiques de rétention/fidélisation de la main-d’oeuvre de la part des employeurs pourrait expliquer le premier résultat : certains métiers comportant de fortes contraintes physiques par nature, les employeurs peuvent chercher à éviter une trop fort rotation de la main-d’oeuvre (turnover) sur ces métiers, en donnant, par exemple, des compensations supplémentaires d’autres natures (et non contrôlées ici). Concernant le second résultat négatif entre exigences du travail et fins de contrat, déjà présent sur l’enquête Conditions de travail 2005 (Rouxel, 2009), il pourrait signaler une concentration de ce type d’exigences sur les emplois en CDI plutôt qu’en CDD, notamment les « CDI fragilisés ». Une autre interprétation serait l’intériorisation d’exigences plus importantes par les salariés en contrats précaires, qui se traduirait in fine dans des réponses plus nuancées de leur part à ce type de questions : Gollac et al. (2014) parlent de « naturalisation » de conditions de travail difficiles avec un discours de type « C’est le métier qui veut ça », que l’on pourrait adapter ici par « C’est l’emploi qui veut ça ». Finalement, pour les mobilités en CDI (licenciements et RC), ces résultats vont également dans le sens d’une intériorisation de conditions de travail dégradées de la part de salariés qui craignent de perdre leur emploi et de ne pas en retrouver un en CDI s’ils « craquent ». Askenazy (2005) émet et confirme cette hypothèse de « peur de perte d’emploi » comme « facteur d’acceptation de mauvaises conditions de travail » (p. 232).

Conclusion

Cette étude des liens entre qualité du travail et de l’emploi d’un côté, et nature de la mobilité professionnelle de l’autre, constitue une première analyse statistique sur le cas français, dans la mesure où elle associe les dimensions conditions de travail et conditions d’emploi, en les reliant à l’ensemble des mobilités externes des salariés. Elle complète une littérature internationale, dont la comparaison révèle trois grandes spécificités propres à la France. Premièrement, la mobilité à l’initiative commune — la RC —, est la seule reposant en partie sur une décision du salarié à être associée positivement à de mauvaises conditions de travail, à côté de mobilités subies en premier lieu les licenciements. Bien que sous-estimée dans notre échantillon (car introduite en 2008), ce résultat pose question sur le véritable choix du salarié dans cette mobilité : est-ce un mode d’« exit » — au sens d’Hirschman (1970) — des salariés face à des relations de travail et à un manque de reconnaissance peu soutenable, que l’on peut voir dans d’autres pays à travers les démissions ? Ou, dans un sens de causalité inverse, est-ce que ce seraient les entreprises négociant beaucoup de RC, comme celles procédant à beaucoup de licenciements, qui seraient également peu soucieuses des conditions de travail de leurs salariés ? Contrairement à un licenciement, le salarié doit néanmoins donner formellement son accord dans une RC, ce qui peut traduire un choix plus ou moins contraint. Deuxièmement, les pratiques des entreprises françaises seraient à l’origine d’un important segment du marché du travail associant précarité dans le travail et précarité dans l’emploi, non pas seulement via le type d’emploi (CDI/CDD) mais via le type de mobilité (subie, avec des fins de CDD et des licenciements de CDI). Troisièmement, les salariés français auraient tendance à intérioriser certaines conditions de travail difficiles, face à la précarité et la peur de perdre leur emploi.

Ces résultats demandent bien sûr à être confirmés et développés dans des études ultérieures, en prenant en compte la situation future du salarié, en distinguant plus précisément des effets métiers et/ou secteurs, ou encore en disposant d’un recul plus important afin de mieux analyser la place de la RC à côté des autres mobilités et comparer leurs liens avec la qualité du travail et de l’emploi.