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Cet ouvrage présente les actes d’un colloque international sur les risques psychosociaux (RPS) ayant eu lieu à Paris les 11 et 12 juin 2015. À la différence d’actes de colloque « classiques » du monde académique, les organisateurs de cet événement avaient pour ambition particulière de réunir dans un même endroit, tant les chercheurs s’intéressant aux RPS que les praticiens — acteurs sur le terrain qui ont à gérer ces risques au quotidien —, de même qu’à organiser la prévention des RPS dans les milieux de travail.
Pour y arriver, des rencontres préparatoires entre les participants ont été tenues avant le colloque. À la suite de ces rencontres, il fut décidé que chacune des présentations lors du colloque seraient produites par des binômes, à savoir un praticien et un chercheur. L’idée était de favoriser la discussion entre ces deux mondes durant le colloque lui-même, et non de juxtaposer les points de vue des uns et des autres.
La division des différentes contributions en grands thèmes répond également à cette volonté. Ainsi, les articles ont été regroupés en quatre grands sujets : les acteurs, les dispositifs, les outils et l’expertise CHSCT (comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail).
La première partie porte ainsi sur certains acteurs impliqués dans la prévention des RPS, en particulier les psychologues et les psychosociologues, de même que les acteurs syndicaux. Les médecins du travail, qui sont autant en France qu’au Québec la pierre angulaire des services étatiques de santé au travail, n’ont pas été considérés puisque plusieurs autres grandes études se sont penchées sur l’évolution de ces professionnels.
Le dispositif d’intervention des psychologues et des psychosociologues est expliqué par Mermberg et Simier, ainsi que par Barlet. Ceux-ci n’interviennent qu’à la demande des médecins du travail. On constate que les frontières professionnelles entre les différents intervenants demeurent floues, ce qui entraîne de nombreuses difficultés lors des interventions et une collaboration pluridisciplinaire complexe. Les psychologues et les psychosociologues agissent à plusieurs niveaux, notamment sur l’évaluation socio-organisationnelle de l’entreprise. Les auteurs constatent que la restitution des résultats aux travailleurs est souvent problématique du fait que les directions d’entreprise tentent de garder le contrôle des informations. Le processus d’intervention doit alors favoriser le dialogue, via des entrevues collectives notamment. De plus, la notion même de RPS pose souvent problème aux intervenants puisque cette expression « parapluie » renvoie, pour la plupart des acteurs dans les milieux de travail, à une notion individuelle du risque pour la santé. Dans une autre contribution, Bouffartigue, Duflot et Giraux suggèrent d’ailleurs de parler d’« enjeux » psychosociaux (203) plutôt que de risques psychosociaux, suivant ainsi une recommandation de Clot.
Un autre acteur propre au Québec est le délégué social (DS). Ces derniers ont été mis sur pied dès 1983 par la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ). Il y en a environ 2700 aujourd’hui dans les entreprises syndiquées par cette centrale. Si ces DS améliorent la qualité de vie au travail et soulage une partie de la souffrance vécue par certains travailleurs, leur mandat n’est pas toujours encore bien compris et accepté, à l’instar des psychologues et des psychosociologues en France.
Puis, en ce qui concerne les dispositifs de prévention des RPS en place dans les entreprises, l’ensemble des contributions (Bonnefond, Scheller et Clot; Guyon, De Gasparo et Lebis; Ottmann et Sédille; Chaumeau et Tracelet) dans cette section donnent des exemples d’intervention ayant eu lieu en utilisant, notamment, la clinique de l’activité, en plus de l’ergonomie de l’activité et la psychodynamique du travail. Ces contributions démontrent la nécessité de dépasser la dimension micro lors des interventions si l’on souhaite agir de façon durable dans les entreprises. À partir de l’analyse de l’activité réelle, il est important pour les intervenants, ensuite, de permettre le dialogue social dans l’entreprise afin d’agir sur les causes plus fondamentales, à savoir souvent des causes organisationnelles. La participation des travailleurs est certes essentielle, et maintes fois soulignées dans l’ensemble de la littérature, mais la participation des managers de proximité et des hautes directions à ce dialogue l’est tout autant si l’on veut réellement faire changer les conditions de travail, et le faire de manière pérenne.
Ensuite, différents outils utilisés par les acteurs impliqués en prévention des RPS sont présentés. Bien que ces outils soient plutôt différents les uns des autres, et que leur utilisation soit réalisée dans des contextes encore plus variés, ils mettent l’emphase sur l’importance de ce dialogue social dont il a été question dans la section précédente, soit les dispositifs. Encore une fois, l’ensemble des acteurs dans une entreprise doivent être mobilisés, autant ceux qui sont touchés directement par les conditions « pathogènes », mais aussi ceux qui seront affectés par les changements sur ces mêmes conditions de travail. La contribution de Douillet et Fournier montre bien les difficultés d’évaluer ce type de démarche en entreprise, mais également comment l’auto-évaluation peut elle-même servir d’outil pour permettre l’intervention sur les risques psychosociaux.
Enfin, la dernière partie porte plus spécifiquement sur les Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui sont l’équivalent des Comités paritaires en santé et sécurité du travail au Québec et des Comités locaux de santé et de sécurité dans les entreprises canadiennes (avec des pouvoirs qui relèveraient plus du représentant à la prévention au Québec et au Canada). À travers les exemples d’intervention de CHSCT dans les différentes contributions, il est possible de distinguer certaines actions qui sont favorables à la prévention, notamment la reformulation de la demande, l’identification des marges de manoeuvre autant des travailleurs que des gestionnaires, et les verbalisations collectives sur le travail réel. Cependant, l’ensemble de ces actions prend une nouvelle dimension lorsque les CHSCT sont confrontés aux RPS. De fait, l’appel à l’expertise et à une contre-expertise en lien avec les risques psychosociaux se fait souvent dans un contexte juridique, ce qui n’est pas nécessairement favorable à la prévention des enjeux psychosociaux ni au dialogue social.
La dernière contribution (rédigée par Bourdeleau) relate un projet de conception d’un assistant numérique personnel. Le processus de conception lui-même a été générateur de fortes tensions au sein de l’entreprise. Il est intéressant de constater comment un projet de conception, revu et corrigé à la suite d’une première implantation ratée, peut devenir l’objet d’un dialogue collectif sur les conditions de travail et, ainsi, favoriser la prévention des RPS.
Malgré l’ambition des directeurs de cet ouvrage de produire un livre à la frontière entre le manuel pratique et le recueil académique, nous sommes réellement devant des actes académiques d’un colloque, à l’exception de la dernière contribution. Plusieurs raisons expliquent cela, et elles ne sont d’ailleurs par camouflées par les directeurs, à savoir que le réel de la production d’un tel ouvrage est difficilement compatible avec la pratique quotidienne des gestionnaires, travailleurs et intervenants impliqués dans la prévention des risques psychosociaux. Au surplus, un grand nombre de contributions sont difficilement généralisables à l’extérieur du contexte français.
Cela étant dit, plusieurs éléments dans l’ouvrage sont très pertinents et méritent d’être considérés pour les chercheurs qui s’intéressent aux RPS, parce qu’elles sont tout à fait en phase avec d’autres ouvrages et articles traitant des mêmes enjeux. C’est le cas notamment lorsqu’il est question des difficultés à mettre en place la pluridisciplinarité et du rôle des médecins du travail comme « animateurs » de ces équipes pluridisciplinaires. Un autre enjeu qui ressort de façon forte de l’ouvrage est la difficulté pour les intervenants de donner accès aux informations de manière uniforme autant aux travailleurs qu’aux directions d’entreprise. Enfin, ce livre montre aussi clairement comment les enjeux de santé et sécurité du travail, même dans des cadres censés être « neutres » ou paritaires, donnent souvent lieu à des luttes de pouvoir entre les syndicats et les directions.
Au final, cet ouvrage est très pertinent pour les chercheurs impliqués en prévention des RPS, notamment en prévention des risques plus physiques, tout comme pour les chercheurs en ergonomie. On y trouve plusieurs exemples d’intervention qui permettront de faire avancer la réflexion sur les différents enjeux touchant la prévention des risques professionnels au sens large.