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L’ouvrage dirigé par Annette Jobert sur les nouveaux cadres du dialogue social est issu d’un travail collectif de recherche réalisé en 2004-2005 pour le Commissariat Général du Plan. Il est constitué de quatre chapitres principaux qui explorent, dans une diversité de contextes, les enjeux du dialogue social au niveau européen et au niveau territorial. Les chapitres peuvent être lus à peu près indépendamment les uns des autres, l’introduction et la conclusion permettant d’approfondir les enjeux d’ensemble liés à la question du dialogue social. Les textes de l’ouvrage cherchent ainsi à caractériser l’évolution du dialogue social en Europe, et plus particulièrement en France, en croisant deux dimensions en pleine transformation : le niveau européen avec principalement les comités d’entreprise européens et le niveau territorial avec les régulations locales du travail et de l’emploi qui se sont développées notamment dans le contexte de la décentralisation des pouvoirs administratifs de l’État.
Trois hypothèses ont guidé les recherches sur les nouveaux cadres du dialogue social. La première hypothèse est que « la pertinence de l’espace de la négociation collective et du dialogue social dépend moins de l’objet de ce dialogue [...] que de la capacité des acteurs collectifs à se structurer dans cet espace et à y engager une action collective » (p. 15). Le premier chapitre du livre traite à travers trois situations, en Allemagne, en France et en Italie, des initiatives des acteurs syndicaux pour se saisir de l’occasion que représente la mise en oeuvre de nouvelles régulations territoriales pour construire une action collective. Malgré la conclusion plutôt négative des auteurs sur cette capacité, les expériences décrites sont très enrichissantes pour repenser les formes de l’action collective syndicale.
La seconde hypothèse est que « les nouvelles scènes du dialogue social n’enrichissent pas simplement la négociation collective mais déterminent une reconfiguration de ses cadres traditionnels » (p. 16). Le chapitre 3 sur la configuration européenne de la branche des télécommunications propose une analyse très fine des implications du cadre européen de la régulation sur les entreprises françaises. Tous les cadres du dialogue social sont alors en reconfiguration : la contribution de l’activité économique à la notion d’intérêt général, la régulation étatique du secteur, l’organisation industrielle du secteur, le contenu de la négociation collective (avec notamment le thème de la mobilité sociale), la définition d’un métier, la gestion des retraites, les stratégies patronales et syndicales. Le thème de l’européanisation du dialogue social devient alors un prélude à une plongée dans les nouveaux « mondes » du travail et les sources possibles de régulation, qu’elles soient qualifiées ou non de traditionnelles.
La troisième hypothèse de recherche est que « la diversification des sources de régulation engendre inévitablement des tensions et des conflits entre organisations, entre normes et entre territoires que des constructions juridiques s’efforcent de limiter » (p. 16). Le chapitre 2 sur les territoires et les branches sous le Front populaire permet de bien situer les constructions juridiques dont les acteurs contemporains du dialogue social ont hérité et dont ils s’inspirent souvent comme idéal-type. Cela va du contrat collectif qui régule l’accès local à un métier, aux décrets qui fixent des normes minimales du travail, en passant par la « législation contractuelle » qui réglemente le travail sur des sujets précis à partir d’ententes entre les acteurs collectifs, ou encore le dispositif d’extension par l’État des conventions collectives. Tous ces dispositifs juridiques visent ainsi à réguler les conflits et les tensions dans le monde du travail, qui sont nombreux à l’époque, et peuvent connaître des prolongements politiques importants. La qualité de l’analyse des matériaux historiques permet également de bien comprendre les enjeux sociaux des modèles économiques que cherchent à développer d’une part le patronat, avec un modèle de marché uniforme et des conventions régionales, et d’autre part les syndicats, avec un modèle de marché segmenté et des conventions nationales ou à défaut, départementales. Modèles économiques et modèles sociaux ne sont donc pas construits indépendamment les uns des autres.
Le chapitre 4 sur le dialogue social transnational permet de comprendre les tensions et les conflits autour de la régulation nationale dans un contexte économique et financier de construction de groupes industriels de taille européenne et internationale. Si l’espace européen semble a priori une source possible de contre-pouvoir des salariés face aux restructurations successives qui dégradent leurs conditions de vie, les trois expériences de mobilisation des dispositifs de représentation à ce niveau qui sont analysés ici ne semblent pas si positives pour les acteurs concernés. Le dispositif du comité d’entreprise européen ne permet pas de faire avancer des contre- propositions qui demandent une expertise énorme compte tenu de la taille des entreprises et supposent de la part des acteurs une capacité d’intervention dans des espaces qui dépassent ceux du travail, notamment sur les questions financières, alors même que les règles financières favorisent l’absence de responsabilité sociale des détenteurs de capitaux.
L’ouvrage dirigé par Annette Jobert est ainsi un point d’entrée particulièrement intéressant pour construire une réflexion sur les formes actuelles et futures du dialogue social. Cependant, trois aspects de la recherche nous semblent devoir faire l’objet d’une analyse plus approfondie. Tout d’abord, à plusieurs endroits dans l’ouvrage, l’analyse pâtit d’un manque de conceptualisation du dialogue social et plus particulièrement de son encadrement, au delà de l’opposition avec la négociation collective qui peut être trompeuse si cela laisse supposer une absence de toute négociation dans le dialogue social. Des choix théoriques plus affirmés sont donc nécessaires pour caractériser la raison d’être et le contenu du dialogue social au delà des contingences qui président à sa mise en forme.
Ensuite, la construction réflexive de connaissances collectives, ce que l’on appelle dans la conclusion de l’ouvrage la dimension « cognitive », devrait faire l’objet d’une recherche particulière. Cela va des dispositifs de diagnostics socioéconomiques aux interventions politiques locales des acteurs sur les enjeux du travail et de l’emploi, en passant par des nouvelles formes de contestations dont l’actualité sociale récente fournit de nombreux exemples. Une structuration plus importante du cadre d’analyse des entrevues pourrait permettre de mettre en évidence la dimension cognitive recherchée et faire ressortir les modes de réflexivité des acteurs dans la construction de l’action collective.
Enfin, sur le plan juridique et législatif, il s’agirait de discuter des formes possibles de propriété collective du travail hors du lien d’entreprise, alors que de nombreuses recherches mettent l’emphase sur le renouveau des métiers comme forme de socialisation du contenu du travail ou sur les sites de production et d’intégration des activités économiques comme niveau pertinent de l’action syndicale (dans le secteur du commerce par exemple). La négociation sociale territorialisée (p. 264) peut ainsi servir à étendre les droits collectifs des personnes dans les milieux de travail dès lors que les enjeux sociaux qui y sont attachés ont été documentés et objectivés par la production de connaissances collectives.